Hier soir, les élèves de 3A ainsi que six parents ont assisté à la représentation de Cyrano de Bergerac, au Palais des Arts de Vannes. Cette pièce a été mise en scène par Dominique Pitoiset et créée au Théâtre National de Bretagne de Rennes en 2013.
Cyrano de Bergerac est une pièce d'Edmond Rostand, jouée pour la première fois en 1794. Le personnage principal vient d'un véritable homme de lettres et garde du temps de Louis XIII (d'où les références à Richelieu et aux mousquetaires), mais il a été grandement romancé par Rostand ; il en a fait un héros épris de liberté et d'indépendance, poète virtuose et soldat émérite. Ce rôle est interprété par Philippe Torreton. Une des références en la matière était Gérard Depardieu, dans un film de Jean-Paul Rappeneau (1990).
Le premier comédien à avoir interprété Cyrano. (Source : Wikipedia)
Anne Brochet et G. Depardieu (Source : toutlecine.com)
P. Torreton (Source : Lepoint.fr)
Citons également dans les comédiens : Maud Wyler (Roxane), Patrice Costa (Christian de Neuvillette), Daniel Martin (De Guiche)
Crédit photos : Brigitte Engérand
...ainsi que Jean-Michel Balthazar (le pâtissier Ragueneau), Bruno Ouzeau (Le Bret) ; tous les autres personnages étaient interprétés par Martine Vandeville, Jean-François Lapalus, Gilles Fisseau, Antoine Cholet et Adrien Cauchetier. On ne cherche pas à nous faire croire qu'ils sont différents : Montfleury (J.F. Lapalus) se démaquille sur la scène pour incarner le capitaine des Cadets de Gascogne ; M. Vandeville se passe de l'eau dans les cheveux et de Duègne, devient un poète ; A. Cholet, en tant que Valvert se fait brûler le visage, et de ce fait gardera un pansement quand il interprétera tour à tour un pâtissier, un poète, un cadet et soeur Marthe.
Le parti pris de la mise en scène a de quoi dérouter ; sur le programme, on peut même redouter le pire. La pièce de Rostand est longue, elle comporte cinq actes et est écrite en alexandrins. Il y a une cinquantaine de personnages. C'est une pièce qui est difficile à lire et ces difficultés peuvent occulter le comique. C'est en voyant une pièce comme celle-ci qu'on se rend encore plus compte que le texte théâtral n'est pas fait pour être lu, mais bien joué.
Chaque acte correspond à un lieu différent : I. L'hôtel de Bourgogne, salle de théâtre ; II. Chez Ragueneau ; III. La place, devant la maison de Roxane ; IV. Le siège d'Arras ; V. Le couvent où s'est retiré Roxane (ellipse temporelle de 14 ans). D. Pittoiset a opté pour l'unité de temps et l'unité de lieu.. et quel lieu ! Le réfectoire d'un hôpital psychiatrique.
Crédit photos : Brigitte Engérand
La scène est violemment éclairée par des néons, le mobilier est sobre, blanc comme le carrelage. Quelques tables et des tabourets blancs ; un chariot pour les repas ; une planche à repasser ; un placard et un lavabo à droite ; un juke-box à gauche qui a son rôle à jouer. En effet, la musique vient soutenir certains moments forts de la pièce : par exemple, la chanson "We are the Champions" (Queen) intensifie l'émotion et le pathétique du "Tais-toi" que Cyrano adresse à Le Bret, parce qu'il a deviné qu'il est amoureux de Roxane, sans en être aimé. Un peu plus loin, quand Cyrano parfume ses lettres disposées méthodiquement sur une corde à linge, la musique du Barbier de Séville (Rossini) renforce le comique de situation.
Les personnages sont habillés de façon décontractée, en t-shirt avec ou sans manches, en pantalon de survêtement et en baskets. Couleurs ternes, vêtements franchement laids. Excepté De Guiche dont le costume est assez recherché et Roxane qui porte une sorte de robe / chemise de nuit (?) avec un gilet. Assez courte, elle laisse voir des hématomes importants sur ses jambes. Cyrano revêt une chemise bien repassée mais mal boutonnée quand il se rend chez Ragueneau. A l'Acte IV, Roxane arrive devant Arras en déguisement de princesse. A l'acte V, Cyrano porte un costume qui le rapproche du costume originel (Cf. la photographie de Coquelin au début de l'article), vêtement qui lui sera partiellement enlevé après sa mort. Roxane, elle, porte une robe noire et des chaussures noires classiques. En dessous, elle a une combinaison avec des rondeurs postiches, enfilée par les autres comédiens entre l'Acte IV et l'Acte V, pour montrer qu'elle a vieilli et donc grossi...
(Source : Opéra Théâtre de Saint-Etienne)
Le but n'est pas de nous faire croire que quatorze ans se sont vraiment écoulés. La mise en scène nous montre non pas Cyrano, Roxane et les autres en train d'évoluer devant nous, mais des pensionnaires de l'hôpital qui se prennent pour eux. Et à y réfléchir, les personnages de Rostand s'y prêtent : Cyrano qui se fâche avec tout le monde et déclame de la poésie à tout va, qui sacrifie son bonheur au profit de Christian pour rendre Roxane heureuse ; Roxane qui ne jure que par le beau langage et qui ne voit pas que Christian n'a aucun esprit ; De Guiche qui veut faire épouser Roxane à Valvert ; Ragueneau qui se fait payer ses pâtisseries par des vers, mettant en péril son commerce... La mise en scène est donc une mise en abîme : théâtre dans le théâtre.
La scène du balcon en était déjà une dans la pièce de Rostand, puisque Cyrano y joue le rôle de Christian.
De même que la scène est un lieu contemporain, de même il serait ridicule d'y mettre un vrai balcon. Qui déclare encore son amour comme cela de nos jours ? Pas de sérénade ici, mais un écran géant représentant ce que Christian et Cyrano voient sur leur i-Mac, quand ils appellent Roxane par Skype. Le visage de Roxane bouleversé occupe ainsi une grande partie de la scène. Cette transposition osée ne peut qu'interpeller : comment jouer une "pièce classique" aujourd'hui ? Entre actualisation géniale et trahison, la limite est quelque fois ténue et la mise en scène de Pitoiset provoque admiration ou détestation.
Mon avis à présent. Cette mise en scène nous montre des personnages en souffrance, simples et émouvants, effrayants parfois, proches de nous, mais réussit à créer une pièce extrêmement divertissante qui décape le mythe sans rien altérer à la saveur poétique des alexandrins. Une telle audace aurait pu devenir une hérésie ; c'est un succès époustouflant. Le public vannetais ne s'y est pas trompé hier soir en applaudissant les comédiens et en les gratifiant d'une standing-ovation générale.
Cyrano est bien une figure de légende qui a de beaux jours devant elle et la prestation de Philippe Torreton fera date.
Liens pour prolonger l'étude (indispensable si vous présentez cette pièce à l'épreuve d'Histoire des Arts !) :
- Le site de France Inter : Philippe Torreton, le nouveau Cyrano ;
- Le site du Point : Cyrano, une histoire de fous ;
- un billet que j'ai publié l'année dernière, puisque j'avais déjà vu cette pièce et que j'emmenais les élèves en toute connaissance de cause : interviewes.
Je termine cet article en remerciant M. Brunel qui a toujours soutenu mon projet ainsi que Mme Pédron et les parents de Martin, Guénolé, Tom, Clément, Noé et Valentin qui ont eu la gentillesse de nous accompagner.
un commentaire
Nous avons passé une très bonne soirée.
Thank you Mrs Dubost!