Analyse linéaire :
Eléments d'introduction : Poème tiré des petits poèmes en prose. Baudelaire a déjà écrit ce texte dans les Fleurs du Mal, section « Spleen et idéal », en 1857. Ces deux poèmes évoquent Jeanne Duval, une actrice avec laquelle le poète a vécu une relation amoureuse pendant 23 ans.
Baudelaire a découvert les poèmes d'Aloysius Bertrand, que l'on considère comme l'inventeur des poèmes en prose, auteur de Gaspard de la Nuit (1842).
Ce poème constitue donc une réécriture, dans laquelle il convient de se demander comment la forme de prose poétique renouvelle la forme versifiée. Cet élément n'est pas l'axe majeur de l'analyse, mais ne doit pas être oublié.
Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.
Prière, impératif, deuxième personne du sing-> proximité entre les deux pers. En même temps, forme injonctive… ordre ?
Respirer : odeur, importance de la sensation olfactive, première sensation suscitée.
Répétition de l'adverbe crée déjà musique.
Omniprésence des liquides/ nasales
odeur renforce respirer
tes-> rappel présence de la femme ; elle est détentrice des cheveux qui font voyager le poète.
Plonger : métaphore, cheveux deviennent mer, source, que l'on retrouve ensuite dans la comparaison. Motif de la source peut renvoyer au roman de la rose. Rappel tradition poétique (revoir signification de cette source.. fontaine merveilleuse où il voit se refléter un buisson de très belles roses ; amour lui décoche alors cinq flèches et jh n'a alors de cesse de séduire une rose) Mais fontaine est celle de Narcisse...
légèreté de la chevelure.
ambiguïté dans la formulation de l'action : il s'agit d'une proposition infinitive dont le poète est le sujet, mais cette proposition dépend d'un verbe (donc il s'agit d'une conjonctive) dont le sujet n'est pas le poète. Action du poète dépend de la femme, et en même temps choix de l'impératif laisse planer ambiguïté sur le rp homme femme (ordre ou prière?)
Cette première strophe nous dit ainsi toute la force d'un amour houleux, dans lequel le poète dépend de la femme, mais celle-ci semble aussi le dominer. D'autre part, cette strophe convoque sens du poète : odeur, toucher.
On retrouve aussi inspiration pétrarquiste, dans les correspondances, de l'association corps âme, puisque les sensations provoquent les souvenirs.
Phénomène d'échos créés par les reprises : longtemps, comme…
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.
Dans cette strophe, la femme est laissée seule. Elle est en dehors du voyage du poète. « Si tu pouvais savoir » correspond à une hypothèse, un irréel du présent. Anaphore en « tout », dit à la fois la force de la visualisation du poète (pronom indéfini qui évoque la totalité), mais aussi la totale exclusion de la femme. Rythme ternaire créé par anaphore. Strophe nous dit aussi la spécificité de l'homme poète doué d'une sensibilité particulière, qui peut ressentir des sensations que même la femme détentrice des cheveux n'a pas.
Tes est la seule marque de participation de la femme.
Mise en valeur de la sensation olfactive, comme dans la première strophe. Comparaison avec autre sens (l'ouïe). Place particulière aussi du poète car, contrairement aux autres hommes, il peut saisir la sensation simple, tandis que les autres ont besoin d'une sensation provoquée par l’œuvre d'art ; l'artiste est celui qui fait l’œuvre d'art pour ensuite transmettre la sensation.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Début de l’œuvre d'art ; composition d'un tableau dont le poète pose les éléments : « voilures », « mâtures » (écho sonore en ur), des grandes mers, bleu…
travail d'un tableau donc, mais plus qu'un tableau image ; utilisation du pluriel décuple l'espace (plusieurs mers, plusieurs climats, plusieurs moussons…). Il ne s'agit donc pas de peindre un tableau sous forme de poésie, mais de faire un tableau poétique, en utilisant les ressources de l'écriture et de l'imagination qui permettent de voir plusieurs éléments à la fois…
Espace du rêve est donc créé par un effet de saturation que seule l'écriture peut rendre.
Rythme ternaire créé par l'anaphore par/ par/ par
Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.
Elan du rêve créé grâce à la syntaxe ; une phrase pour dire l'image, une phrase qui joue sur allongement des groupes de mots.
D'abord le CC qui met en valeur chevelure sous forme métaphorique (on retrouve le motif de l'eau), puis proposition principale simple (sujet/ verbe/ COD), puis développement du groupe participe présent grâce à un COI. On a donc une phrase complexe où les différents groupes de mots sont développés grâce à des groupes syntaxiques imbriqués (analyse à faire)
Trois COI de fourmillant : chants mélancoliques/ d'hommes/ de navires, avec amplification du groupe COI
PP : j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'homme
Assonance en i/ nombreuses nasales
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Effet rythmique qui est créé grâce aux // de structure Dans+ SN + de ta chevelure. Dans ces métaphores, c'est donc toujours le comparant qui est mis en valeur.
Jeu de paronomase . Décor de bien-être mais en même temps sensualité. Divan, parfum, humidité..;métonymie pour le roulis du port (il s'agit du roulis des vagues du port)
Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.
Toujours division je/tu, présence de la femme réduite à celle de sa chevelure, rythme ternaire créé par les répétitions de « de ta chevelure ». Forte présence de l'exotisme à travers les odeurs.
Omniprésence du toucher aussi. Ainsi que la vue. Sens décuplés.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Goût/ cannibalisme. Mordre atténué ensuite par mordiller. A travers figuration de la chevelure rebelle, on peut deviner femme rebelle.
Figure du poète inquiétante, en Chronos dévoreur. Omniprésence du « je » : « moi », « je », « me », « je ». .
Forts échos entre première et dernière strophes
Blason est donc renouvelé par forme de poésie en prose, qui est aussi poésie amoureuse, mais dans laquelle le rapport amoureux reste ambigu, rejoint peut-être celui de Maurice Scève dans le sourcil. Finalement, la femme importe par son corps, et à travers elle ce sont les signes que son corps donne sur un monde caché qui sont les plus importants, et que seul le poète peut décoder.