Genre fondé par Thomas More puis très vite repris par Campanella, l'utopie en littérature permet à la fois à son auteur de désigner implicitement les défauts de la société dans laquelle il vit, mais aussi d'imaginer un monde meilleur.
Ce monde imaginaire, d'abord hors de l'espace et du temps au moment de la création du genre, se rapproche de plus en plus du monde réel ; les penseurs politiques, économistes, font croire à la possibilité de rendre l'utopie concrète. Ainsi le XXème siècle s'avère-t-il être le siècle du renversement des discours de l'Utopie . D'abord est montré l'envers de l'utopie, « la contre-utopie », pour mener ensuite vers une représentation totalement dysphorique de ces espaces, dont se sont emparé la littérature et le cinéma pour créer un genre aujourd'hui nommé « la dystopie ». Les soucis de conservation de la paix, de l'égalité entre les citoyens sont désormais vus comme des sources d'oppression et d'aliénation, favorisant paradoxalement une violence physique et morale.
Souvent inspirés d'ouvrages littéraires, le cinéma s'empare très tôt de cet univers dysphorique pour mieux dénoncer les dérives de son temps.
Ainsi, de nombreux films de science-fiction mêlent contre-utopie et dystopies. En les analysant avec attention, le spectateur peut reconnaître les inquiétudes de son temps ; comme l'utopie, la contre-utopie/ dystopie évolue donc en fonction des craintes sociales et des découvertes scientifiques...
Mais voici plusieurs
exemples remarquables :
A/ 1927, Métropolis de Frtiz Lang. Film muet, Métropolis permet d'évoquer la lutte des classes. Une ville de riches s'établit au-dessus du quartier des ouvriers, qui travaillent à alimenter une machine, véritable monstre qu'il faut nourrir comme un minotaure. Cette machine est l’œuvre d'un savant fou, qui obéit au puissant Fredersen. Pour se venger, il a mis au point un robot qui va prendre l'aspect d'une jeune femme prédicatrice parmi les ouvriers ; ce robot , sous les traits de la belle Maria, va donc pousser les foules à la destruction de la puissante machine, ce qui doit les conduire à leur propre perte. Heureusement, la vraie Maria, aidée du fils Fredersen, pourra permettre que le désastre soit évité.
Dans ce film, la prédication de la jeune femme, reprenant l'épisode de Babel façon lutte des classes, constitue un passage clef du film.
Dans cet extrait, l'utopie s'annonce d'abord comme le projet de construction de cette tour. Mais ce beau projet évolue rapidement vers l'exploitation d'une classe, celle des ouvriers par celle des architectes. Les moyens cinématographiques de Fritz Lang permettent ainsi de déplacer le projet utopique vers la fin de la prédication ; la véritable utopie est la celle de la réconciliation des hommes. A partir de la 44 mn https://www.youtube.com/watch?v=yeaVxvLyRhE
Dans cette prédication, le femme, Marie, a des allures christiques, les hommes l'écoutent.
On voit d'abord le // entre les deux jeunes gens, qui ne cessent de porter leurs mains à leur cœur, annonçant déjà la maxime de la prophétie. Le jeu de lumière les éclaire ; l'éclairage ressemble presque à celui d'une poursuite tant il est ciblé sur eux. Ils sont les deux seuls debout.
Ensuite, Fritz Lang construit une projection mise en abyme pour illustrer la prédication. Les figurants sont nombreux pour évoquer les ouvriers construisant la tour, cinq colonnes se rejoignent pour former les cinq doigts de la main ; l'effet de foule est renforcé par des jeux de superposition d'images.
On remarque également la variation des thèmes musicaux, l'un associé aux ouvriers, à leur lutte, l'autre plus apaisé, qui figure l'espoir
Soleil Vert , 1973
(Soylent green) de Richard Fleischer.
Le film imagine la société en 2022. L'utopie du progrès, si chère au XIX et au XX ème siècle est retournée. L'industrialisation et la société de consommation ont construit un monde où règne la canicule et la surpopulation. Dans ce monde, seuls les riches ont encore accès à des aliments naturels. On se nourrit grâce à des biscuits nommés Soylent et ceux qui le produisent sont maîtres de la ville. Le personnage principal est un policier, que l'on charge d'enquêter sur le meurtre d'un riche politicien, Simonson. Aidé de son colocataire Sol, Thorn va découvrir la vérité sur ces « biscuits ».
Passage étudié : la mort de Sol. http://www.dailymotion.com/video/xg4gx2_soleil-vert-extrait_shortfilms
Le « foyer » est un lieu à part, centralisé. Il dénote du reste de la ville par le calme qui y règne. Le mobilier est caractéristique des imaginations futuriste des années 70. La représentation utopique est liée aux projections que peut regarder alors qu'il meurt. Contraste entre univers aseptisé et images de nature. À l'intérieur de la pièce tout est artificiel, sur les images, on ne voit que la nature, sans les êtres humains. Ce moment est construit par une double tension : il met à jour le contraste entre l'utopie (qui serait plutôt un age d'or) de l'ancien temps, et le monde du personnage , et l'émotion de la séparation définitive entre ces deux personnages qui s'aimaient comme un père et son fils.
Construction en // du cheminement des deux personnages ; silence pour Thorn, musique d'ambiance pour Sol. Visages avec sourires figés dans le « foyer », humains comme robotisés.
Musique inquiétante quand Sol est conduit dans le couloir.
Zoom sur visage souriant de Sol alors qu'il s'apprête à mourir.
Caméra en contre-plongée avec lit au centre ; homme petit face à l'univers. Jeu de champ contre-champ écran, visage de Thorn pour souligner la surprise : efficace pour le spectateur qui comprend que ce qu'il voit au quotidien est précieux. Spectateur mis en position de supériorité car lui sait ce que Thorn ne savait pas.
Par contre, spectateur replacé en position d'infériorité / personnage car ne connaît pas le secret dévoilé par Sol. Lumière blanche renoue avec monde sans émotion.