l'importance de la lecture de contes pour apprivoiser la peur
Par Isabelle le 25 mai 2020, 14:27 - peur, angoisse - Lien permanent
Après la période de confinement, le retour en classe est, encore plus que d’habitude, propice aux lectures et aux contages d’histoires avec deux objectifs distincts et complémentaires : le premier objectif est de se retrouver et de se rassurer collectivement. Il s’agit alors de proposer aux enfants de réécouter des histoires connues de la classe, des histoires lues ou racontées avant le confinement. Le second objectif est de jouer collectivement avec la peur et d’apprendre ensemble et individuellement à dépasser la peur, à ressentir la fierté d’être plus fort que la peur. Il s’agit alors de proposer aux enfants d’écouter des récits, des contes inconnus qui font peur et qui se terminent bien : l’enjeu est de lire ou de raconter ces récits plusieurs fois afin que les enfants puissent, dès la deuxième écoute, jouer à se faire peur. En effet, quand ils connaissent la fin du récit, du conte ils jouent à trembler, ils poussent des cris «pour de faux» car ils savent que l’histoire va bien se terminer pour le héros ou l’héroïne.Dans ce contexte de retour en classe, la lecture permet de ressentir la peur en n’étant plus seul ou privé de mots pour dire cette peur, apprendre à la dépasser, la maîtriser et ce faisant vivre avec.
Par exemple, en PS, "Va-t-en, Grand Monstre Vert !" d’Ed Emberley "Clic,Crac… c’est le loup" de Jean Maubille ou "encore Il l’a fait !" d’Ole Könnecke…
En MS, "Au secours voilà le loup !" de Cédric Ramadier, "Au lit, les affreux !" d’Isabelle Bonameau…
En GS, "Nuit noire" de Dorothée de Monfreid, ou encore "Je n’ai pas peur" de Jonathan Allen…
Les contes et la littérature en général offrent une quantité de miroirs susceptibles de permettre à l’enfant de se regarder lui-même à travers le miroir de l’activité de pensée des personnages. Les histoires mettent en scène des moments fondamentaux de l’activité psychique. L’album "Bébés chouettes "de MartinWaddell et Patrick Benson en témoigne car les bébés chouettes incarnent la peur, l’absence et l’attente de la mère. Ils parlent, construisent, ressentent et échangent sur la peur et sur l’attente qui, lorsque le livre est relu et rerelu devient une « attente joyeuse » (René Diatkine) partagée par tous les enfants : et comme le précise Evelio Cabrejo Parra, « Les bébés chouettes mettent cela en place : ils attendent leur maman et cette attente a produit tout à coup une espèce de petite panique, la panique de la voix, des contes, de la littérature qui fait travailler psychiquement et permet en même temps d’introduire des inconnus, des attentes, des inattendus ».
Au sein du groupe-classe, accompagné par les pairs et l’enseignant·e, chaque enfant apprend à ressentir la peur ressentie par les personnages de fiction et les relectures permettent aux enfants de jouer la peur car, contrairement aux personnages de fiction, ils savent que tout sera bien qui finira bien ! C’est le cas dans l’album "La chasse à l’ours" qui permet de rejouer à l'envi la scène du repli à la maison qui redevient un lieu rassurant dans lequel le danger est tenu et se tient bien à distance…
La fiction permet d’aborder symboliquement la peur, la douleur, la crainte, la cause des cauchemars, l’inconnu, la solitude : lorsqu’ils sont racontés, les contes traditionnels permettent de chasser l’intrus, l’indésirable, l’élément qui perturbe la vie habituelle. Raconter sans livre permet à l’adulte de jouer, théâtraliser, accentuer des éléments, prolonger le suspens, faire durer le plaisir en adaptant le contage aux réactions des enfants : c’est une manière de proposer l’accordage affectif entre les enfants, les personnages de la fiction et l’adulte qui raconte. Raconter plusieurs fois en PS "Boucle d’Or" et "les trois ours" ou encore en MS "Les trois Petits Cochons" mais aussi "Le Petit Poucet" ou "Jacques et le haricot magique" en GS c’est permettre aux enfants de participer au contage en se montrant courageux, en trouvant des solutions pour vaincre les éléments, l’adversité : en racontant à leur tour à plusieurs, ils aident les trois ours à résoudre l’énigme du bol bu, de la chaise cassée, ils se mettent du côté des trois petits cochons pour les aider à se débarrasser du loup, ils soutiennent Jacques ou le courageux tout Petit Poucet…
L’adulte qui raconte des récits de fiction, des contes traditionnels aux enfants fait à chaque fois une mise en scène différente de la même histoire à travers des émotions, des ressentis communs, partagés par tous, enfants et adultes. En effet, les contes, les récits de fiction ont en commun l’amour, la peur, la haine, la jalousie et comme le dit si bien Evelio Cabrejo Parra « Ces petits fantômes psychiques sont inhérents à l’espèce humaine. Les contes les mettent en scène. Ils permettent de dire à l’enfant sans le lui dire directement que ces fantômes-là sont un problème qui appartient à tous, et qu’il n’y a pas de raison de s’inquiéter».
Raconter des contes c’est permettre aux enfants de convoquer à nouveau la magie, le merveilleux, le joyeux, le mystérieux dans la vie quotidienne de la classe. Les raconter plusieurs fois, c’est donner aux enfants la possibilité d’anticiper une fin joyeuse, libératrice des tensions, des émotions, c’est leur permettre de dire à leur tour les mots qui sont donnés dans les contes et qui leur donnent alors le plaisir et la fierté de vaincre les épreuves. La fiction leur donne bel et bien la possibilité de (se) grandir.
article de Véronique BOIRON et Michel GRANDATY