« Pour le nouvel an - Je vis encore, je pense encore : il me faut encore vivre, car il me faut encore penser. Sum ergo cogito : cogito ergo sum. Aujourd’hui chacun se permet d'exprimer son désir, sa plus chère pensée : eh bien, je dirai moi aussi ce que je désirerais aujourd’hui de moi-même, et quelle sorte de pensée a été la première, cette année, à traverser mon coeur, quelle sorte de pensée me doit apporter la raison, le gage et la suavité de toute vie ultérieure ! Je veux apprendre de plus en plus à considérer la nécessité dans les choses comme le Beau en soi : ainsi je serai l’un de ceux qui embellissent les choses. Amor fati : que ceci soit désormais mon amour ! je ne ferai pas de guerre contre la laideur : je n’accuserai point, je n'accuserai pas même les accusateurs. Détourner le regard : que ceci soit ma seule négation ! Et à tout prendre : je veux à partir d'un moment quelconque n’être plus autre chose que pure adhésion. »

 

Friedrich NIETZSCHE, Le gai savoir, 1882, Livre troisième, § 276

 

« Chaque matin, à me réveiller encore sous la voûte céleste, je sens que c’est pour moi la nouvelle année. C’est pourquoi je hais ces nouvel an à échéance fixe qui font de la vie et de l’esprit humain une entreprise commerciale avec ses entrées et sorties en bonne et due forme, son bilan et son budget pour l’exercice à venir. Ils font perdre le sens de la continuité de la vie et de l’esprit. On finit par croire sérieusement que d’une année à l’autre existe une solution de continuité et que commence une nouvelle histoire, on fait des résolutions et l’on regrette ses erreurs etc. C’est un travers des dates en général. [...] la  date devient un obstacle, un parapet qui empêche de voir que l’histoire continue de se dérouler avec la même ligne fondamentale et inchangée, sans arrêts brusques, comme lorsque au cinéma la pellicule se déchire et laisse place à un intervalle de lumière éblouissante. Voilà pourquoi je déteste le nouvel an. Je veux que chaque matin soit pour moi une année nouvelle. Chaque jour je veux faire les comptes avec moi-même, et me renouveler chaque jour. Aucun jour prévu pour le repos. Les pauses je les choisis moi-même, quand je me sens ivre de vie intense et que je veux faire un plongeon dans l’animalité pour en retirer une vigueur nouvelle. Pas de ronds-de-cuir spirituels. Chaque heure de ma vie je la voudrais neuve, fût-ce en la rattachant à celles déjà parcourues. Pas de jour de jubilation aux rimes obligées collectives, à partager avec des étrangers qui ne m’intéressent pas. Parce qu’ont jubilé les grands-parents de nos grands parents etc., nous devrions nous aussi ressentir le besoin de la jubilation. Tout cela est écœurant. J'attends le socialisme pour cette raison aussi. Parce que cela précipitera à la poubelle toutes ces dates qui n'ont aucune résonance dans notre esprit, et que s'il en crée d'autres, ce seront au moins les nôtres et non pas celles que l'on doit accepter sans réserve de la part de nos ancêtres idiots. »

Antonio GRAMSCI, 1er janvier 1916 dans l’Avanti !