Roberto Zucco

 

-Roberto Zucco, de B.M KOLTES

 

"ROBERTO ZUCCO"  B.M Koltès

 

 

 

Le chemin de ronde d'une prison, au ras des toits.

Les toits de la prison, jusqu'à leur sommet;

A l'heure où les gardiens, à force de silence et fatigués de fixer l'obscurité, sont parfois victimes d'hallucinations.

 

PREMIER GARDIEN:

Tu as entendu quelque chose ?

DEUXIEME GARDIEN:

Non rien du tout.

PREMIER GARDIEN:

Tu n'entends jamais rien.

DEUXIEME GARDIEN:

Tu as entendu quelque chose toi ?

PREMIER GARDIEN:

Non, mais j'ai l'impression d'entendre quelque chose;

DEUXIEME GARDIEN:

Tu as entendu ou tu n'as pas entendu ?

PREMIER GARDIEN:

Je n'ai pas entendu par les oreilles, mais j'ai l'idée d'entendre quelque chose.

DEUXIEME GARDIEN:

L'idée ? Sans les oreilles ?

PREMIER GARDIEN:

Toi tu n'as jamais d'idée, c'est pour cela que tu n'entends jamais rien et que tu ne vois rien.

DEUXIEME GARDIEN:

Je n'entends rien parce qu'il n'y a rien à entendre et je ne vois rien parce qu'il n'y a rien à voir. Notre présence ici est inutile, c'est pour cela qu'on finit toujours par s'engueuler. Inutile, complètement; les fusils, les sirènes muettes, nos yeux ouverts alors qu'à cette heure tout le monde a les yeux fermés. Je trouve inutile d'avoir les yeux ouverts à ne fixer rien, et les oreilles tendues à ne guetter rien; alors qu'à cette heure nos oreilles devraient écouter le bruit de notre univers intérieur et nos yeux contempler nos pays intérieurs. est-ce que tu crois à l'univers intérieur?

PREMIER GARDIEN:

Je crois qu'il n'est pas inutile qu'on soit là, pour empêcher les évasions.

DEUXIEME GARDIEN:

Mais il n'y a pas d'évasion ici. C'est impossible. La prison est trop moderne. Même un tout petit prisonnier ne pourrait s'évader. Même un prisonnier petit comme un rat.S'il passait les grandes grilles, il y en a, après, de plus fines, comme des passoires, et plus fines ensuite, comme un tamis. Il faudrait être liquide pour pouvoir passer à travers. Et une main qui a poignardé, un bras qui a étranglé ne peuvent pas être faits de liquide. Ils doivent au contraire devenir lourds et encombrants. Comment crois-tu que quelqu'un peut avoir l'idée de poignarder et d'étrangler, l'idée d'abord, et passer à l'action ensuite ?

PREMIER GARDIEN:

Pur vice.

DEUXIEME GARDIEN:

Moi qui suis gardien depuis six années, j'ai toujours regardé les meurtriers en cherchant où pouvait se trouver ce qui les différenciait de moi, gardien de prison, incapable de poignarder ni d'étrangler, incapable même d'en avoir l'idée. J'ai réfléchi, j'ai cherché, je les ai même regardés sous la douche, parce qu'on m'a dit que c'était dans le sexe que se logeait l'instinct meurtrier. J'en ai vu plus de six cents, eh bien aucun, aucun point commun entre eux ; il y en a des gros, il y en a des petits, il y en a des minces, il y en a des tout petits, il y en a des ronds, il y en a des pointus, il y en a des énormes, il n'y a rien à tirer de cela.

PREMIER GARDIEN:

Pure vice, je te dis. Tu ne vois pas quelque chose ?

Apparaît Roberto Zucco marchant sur le faîte du toit.

DEUXIEME GARDIEN:

Non, rien du tout.

PREMIER GARDIEN:

Moi non plus, mais j'ai l'idée de voir quelque chose.

DEUXIEME GARDIEN:

Je vois un type marchant sur le toit. Ce doit être un effet de notre manque de sommeil.

PREMIER GARDIEN:

Qu'est-ce qu'un type ferait sur le toit? Tu as raison. On devrait de temps en temps refermer les yeux sur notre monde intérieur.

DEUXIEME GARDIEN:

Je dirais même qu'on dirait le prisonnier qui a été mis sous écrou cette après-midi pour le meurtre de son père

Tu vois quelque chose, là, ou je suis le seul à voir ?

Zucco avance toujours, tranquillement, sur le toit.

PREMIER GARDIEN:

J'ai l'idée que je vois quelque chose. Mais qu'est-ce que c'est ?

Zucco commence a disparaître derrière une cheminée.

DEUXIEME GARDIEN:

C'est un prisonnier qui s'évade.

Zucco a disparu.

PREMIER GARDIEN:

Putain, tu as raison: c'est une évasion.

Coups de feu, projecteurs, sirènes.

  

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La mère de Zucco, en tenue de nuit devant la porte fermée.

LA MERE:

Roberto, j'ai la main sur le téléphone, je décroche et j'appelle la police.

ZUCCO:

Ouvre-moi.

LA MERE:

Jamais.

ZUCCO:

Si je donne un coup dans la porte, elle tombe tu le sais bien , ne fais pas l'idiote.

LA MERE:

Eh bien , fais-le donc malade, cinglé, fais-le et tu réveilleras les voisins.

Tu étais plus à l'abri en prison, car s'ils te voient, ils te lyncheront: on n'admet pas ici que quelqu'en tue son père. Même les chiens, dans ce quartier, te regarderont de travers.

Zucco cogne contre la porte

LA MERE:

Comment t'es-tu échappé?

Quelle espèce de prison est-ce là ?

ZUCCO:

On ne me gardera jamais plus de quelques heures en prison. Jamais.Ouvre donc; ouvre, ou je démolis la baraque.

LA MERE:

Qu'es-tu venu faire ici?D'où te vient ce besoin de revenir? Moi je ne veux plus te voir, je ne veux plus te voir. Tu n'es plus mon fils, c'est fini. tu ne comptes pas davantage, pour moi, qu'une mouche à merde;

Zucco défonce la porte

LA MERE:
Roberto, n'approche pas de moi

ZUCCO:

Je suis venu chercher mon treillis

LA MERE:

Ton quoi ?

ZUCCO:

Mon treillis: ma chemise kaki et mon pantalon de combat.

LA MERE:

Qu'est-ce que tu as besoin de cette saloperie d'habit militaire? Tu es fou, Roberto. On aurait dû comprendre cela quand tu étais au berceau et te foutre à la poubelle.

ZUCCO:

Bouge-toi, dépêche-toi, ramène-le-moi tout de suite.

LA MERE:

Je ne veux pas te le donner. Ne m'approche pas, Roberto. Je porte encore le deuil de ton père, est-ce que tu vas me tuer à ton tour ?

ZUCCO:

N'aies pas peur de moi maman.J'ai toujours été doux et gentil avec toi. Pourquoi aurais-tu peur de moi ?Pourquoi est-ce que tu ne donnerais pas mon treillis? J'en ai besoin , maman, j'en ai besoin.

LA MERE:

Ne sois pas gentil avec moi, Roberto. Comment veux-tu que j'oublie que tu as tué ton père, que tu l'as jeté par la fenêtre, comme on jette une cigarette?

ZUCCO:

Oublie, maman. Donne-moi mon treillis, ma chemise kaki et mon pantalon de combat, donne-les-moi. Et puis je partirai, je te le jure.

LA MERE:

Est-ce moi, Roberto, est-ce moi qui t'ai accouché ? Est-ce de moi que tu es sorti?

Pourquoi cet enfant, si sage pendant vingt-quatre ans, est-il devenu fou brusquement? Comment as-tu quitté les rails, Roberto ? Qui a posé un tronc d'arbre sur ce chemin si droit pour te faire tomber dans l'abîme?

Roberto, Roberto, une voiture qui s'est écrasée au fond d'un ravin, on ne la répare pas. Un train qui a déraillé, on n'essaie pas de le remettre sur ses rails. On l'abandonne, on l'oublie. Je t'oublie, Roberto, je t'ai oublié.

ZUCCO:

Avant de m'oublier, dis-moi où est mon treillis.

LA MERE:

Il est là, dans le panier.Il est sale et tout froissé. (Zucco sort le treillis) Et maintenant va-t-en, tu me l'as juré.

ZUCCO:

Oui, je l'ai juré.

Il s'approche, la caresse, l'embrasse, la serre; elle gémit. Il la lâche et elle tombe étranglée. Zucco se déshabille, enfile son treillis et sort.

 

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Un commissariat de police. Un inspecteur; un commissaire.

Entre la gamine.

LA GAMINE:

Ce garçon. Je le connais très bien.

L'INSPECTEUR:

Qui est-ce ?

LA GAMINE:

Un agent secret.Un ami.

L'INSPECTEUR:

Sais-tu qu'on le recherche?

LA GAMINE:

Oui; moi aussi, je le recherche.

L'INSPECTEUR:

C'est un ami, dis-tu ?

LA GAMINE:

Un ami, oui, un ami.

L'INSPECTEUR:

Un tueur.Tu vas être arrêtée et inculpée de complicité, dissimulation d'armes et non-dénonciation de malfaiteur.

LA GAMINE:

Je ne dissimule rien, je ne dénonce personne, je le connais, c'est tout.

L'INSPECTEUR:

Que sais-tu de lui ?

LA GAMINE:

Tout.

L'INSPECTEUR:

Français?Etranger?

LA GAMINE:

Il avait un très petit, très joli accent étranger.

LE COMMISSAIRE:

Germanique ?

LA GAMINE:

Je ne sais pas ce que veut dire germanique.

L'INSPECTEUR:

Ainsi donc, il t'a dit qu'il était agent secret. C'est étrange. En principe, un agent secret doit rester secret.

LA GAMINE:

Je lui ai dit que je garderai ce secret quoi qu'il arrive.

LE COMMISSAIRE:

Bravo. Si tous les secrets étaient gardés comme cela, notre travail serait facile.

LA GAMINE:

Il m'a dit qu'il allait faire des missions en Afrique, dans les montagnes, là où il y a de la neige tout le temps.

L'INSPECTEUR:

Un agent allemand au Kenya.

LE COMMISSAIRE:

Les suppositions de la police n'étaient pas si fausses, après tout.

L'INSPECTEUR:

Elles étaient exactes , commissaire.

Son nom, maintenant. Tu le sais ? Tu dois le savoir puisque c'était ton ami.

LA GAMINE:

Oui, je le sais.

LE COMMISSAIRE:

Dis-le.

LA GAMINE:

Je le sais, très bien.

LE COMMISSAIRE:

Tu te moques de nous, gamine. Est-ce que tu veux des gifles?

LA GAMINE:

Je ne veux pas de gifles. Je le sais, mais je n'arrive pas à le dire.

L'INSPECTEUR:

Comment ça, tu n'arrives pas à le dire ?

LA GAMINE:

Je l'ai là, au bout de la langue.

LE COMMISSAIRE:

Au bout de la langue, au bout de la langue. Tu veux des gifles, et des coups de poing, et qu'on te tire les cheveux? On a des salles équipées tout exprès, ici, tu sais.

LA GAMINE:

Non, non, je l'ai là ; il va venir.

L'INSPECTEUR:

Son prénom? au moins.Tu dois bien t'en souvenir.

LE COMMISSAIRE:

Un prénom, un prénom. N'importe lequel, ou je te traîne dans la salle de torture.

LA GAMINE:

Andreas.

L'INSPECTEUR (au commissaire):

Notez: Andreas. (A la gamine) Tu es sûre ?

LA GAMINE:

Non.

LE COMMISSAIRE:

Je vais la tuer.

L'INSPECTEUR:

Accouche de cette saloperie de nom, ou je t'en mets une dans la gueule. Dépêche toi ou tu t'en souviendras.

LA GAMINE:

Angelo.

L'INSPECTEUR:

Un espagnol .

LE COMMISSAIRE:

Ou un Italien, un Brésilien, un Portugais, un Mexicain: j'ai même connu un Berlinois qui s'appelait Julio.

L'INSPECTEUR:

Vous en savez des choses, commissaire. (à la gamine) Je m'énerve.

LA GAMINE:

Je le sens, au bord des lèvres.

LE COMMISSAIRE:

Tu veux une tape sur les lèvres, pour le faire venir?

LA GAMINE:

Angelo, Angelo, Dolce, ou quelque chose comme cela.

L'INSPECTEUR:

Dolce? Comme doux?

LA GAMINE:

Doux, oui. Il m'a dit que son nom ressemblait à un nom étranger qui voulait dire doux,  ou sucré.

L'INSPECTEUR:

Il y a beaucoup de mots pour dire sucré, je suppose.

LE COMMISSAIRE:

Azucarado, zuccherato, sweetened, gezuckert, ocukrzony.

L'INSPECTEUR:

Je sais tout cela, commissaire.

LA GAMINE:

Zucco. Zucco. Roberto Zucco.

L'INSPECTEUR:

Tu en es sûre?

LA GAMINE:

Sûre. J'en suis sûre.

LE COMMISSAIRE:

Zucco. Avec un Z ?

LA GAMINE:

Avec un Z, oui. Roberto. Avec un Z.

LE COMMISSAIRE:

Conduisez-la faire sa déposition.

 

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Dans un jardin public, en plein jour.

Une dame élégante est assise sur un banc.

Entre Zucco.

LA DAME:

Asseyez-vous à côté de moi. Parlez moi. Je m'ennuie; on fera la conversation. Je déteste les jardins publics. Est-ce que je vous intimide?

ZUCCO:

Je ne suis pas timide .

LA DAME:

Vous avez une bonne tête. Vous êtes beau gosse. Vous aimez les femmes?

ZUCCO:

J'aime toutes les femmes.

LA DAME:

ça c'est très bien. Avez-vous déjà été dur avec une femme?

ZUCCO:

Jamais. Je suis doux et pacifique.

Vous êtes venue en taxi ?

LA DAME:

Ah non je ne supporte pas les chauffeurs de taxi.

ZUCCO:

Alors, vous êtes venue en voiture.

LA DAME:

Evidemment.J'habite à l'autre bout de la ville.

ZUCCO:

Quelle marque la voiture ?

LA DAME:

Je n'ai qu'une toute petite voiture minable. Mon mari est un radin.

ZUCCO:

Quelle marque ?

LA DAME:

Mercedes, 280 SE.

ZUCCO:

Ce n'est pas une petite voiture minable.C'est quoi ce type? Il vous regarde tout le temps?

LA DAME:

C'es mon fils.

ZUCCO:

Votre fils? Il est grand.

LA DAME:

Quartorze ans, pas une année de plus. Je ne suis pas une vieille peau.

ZUCCO:

Il fait plus vieux que cela. Il fait du sport?

LA DAME:

Il ne fait que cela. Je lui paie tous les clubs de la ville et il trouve le moyen d'exiger que je l'accompagne à l'entraînement. C'est un petit morveux.

ZUCCO:

Donnez-moi les clés de votre voiture.

LA DAME:

Bien sûr, bien sûr. Vous voulez peut-être la voiture, aussi.

ZUCCO:

Oui, je veux la voiture. Donnez moi les clés.

LA DAME:

Vous m'embêtez.

ZUCCO:

Donnez-moi les clés. (il sort un pistolet, le pose sur ses genoux)

LA DAME:

Vous êtes fou. On ne joue pas avec ces engins-là.

ZUCCO:

Appelez votre fils.

LA DAME:

Certainement pas.

ZUCCO: (la menaçant avec le pistolet)

Appelez votre fils.

LA DAME:

Vous êtes cinglé. (criant à son fils) Fiche le camp. Rentre à la maison. 

Le fils s'approche, la femme se lève, Zucco lui met le pistolet sur la gorge.

LA DAME:

Tirez donc imbécile. Je ne vous donnerez pas les clefs.Tant pis pour vous.Arrêtez de faire du scandale.Regardez: ces imbéciles vont s'approcher, ils vont faire des commentaires, ils vont appeler la police.

ZUCCO: (à l'enfant)

 N'approche pas, nom de Dieu. Couche toi par terre.

Les mains le long du corps.  Et maintenant approche-toi.

UNE FEMME:

Mais comment veut-il qu'il rampe avec les mains le long du corps.

UN HOMME:

C'est possible, c'est possible. Moi, j'y arriverais.

ZUCCO:

Doucement. Les mains dans le dos. Ne relève pas la tête. Arrête-toi. (l'enfant a un mouvement) Ne bouge pas du tout, ou je tue ta mère.

UN HOMME:

Il le ferait.

UNE FEMME:

Bien sûr. Il va le faire. Pauvre gosse.

ZUCCO:

Tu jures de pas bouger ?

L'ENFANT:

Je le jure.

ZUCCO:

Mets bien ta tête contre le sol. Tourne-toi doucement pour avoir la tête de l'autre côté. Tourne-toi, je ne veux pas que tu puisses nous voir.

L'ENFANT:

Mais pourquoi avez-vous peur de moi ?je ne peux rien faire. Je suis un enfant.Je ne veux pas qu'on tue ma mère. Il n'y a pas de quoi avoir peur de moi: vous êtes beaucoup plus fort que moi.

ZUCCO:

Oui je suis plus fort que toi.

L'ENFANT:

Eh bien , alors,  pourquoi avez-vous peur de moi? Qu'est-ce que je pourrai vous faire, moi? Je suis tout petit.

ZUCCO:

Tu n'es pas si petit que cela, et je n'ai pas peur. 

UN HOMME:

Voilà les flics. On va rire. On va rire.

ZUCCO:

Ferme les yeux.

L'ENFANT:

Ils sont fermés. Ils sont fermés.

ZUCCO:

Tais-toi. Ta gueule. Fermes ta bouche. Ferme les yeux. Fais le mort.

L'ENFANT:

Je ne sais pas comment on fait le mort.

ZUCCO:

Tu vas le savoir. Je vais tuer ta mère et tu verras ce que c'est que faire le mort.

UNE FEMME:

Pauvre gosse

L'ENFANT:

Je fais le mort. Je fais le mort.

UN HOMME:

Les flics n'approchent pas.

UNE FEMME:

Ils ont la trouille.

UN HOMME:

Mais non . C'est de la stratégie .Ils savent ce qu'ils font croyez moi. Le type est fichu.

UNE FEMME:

La femme aussi, sans doute. Mais qu'il ne touche pas au gosse, surtout pas le gosse, grand dieu.

Zucco s'approche de l'enfant en poussant la dame, avec toujours, le pistolet sur son cou. Puis il pose le pied sur la tête de l'enfant.

UNE FEMME:

Ah, mon Dieu, les enfants en voient de belles, de nos jours.

UN HOMME:

Nous aussi on a en vu de belles, quand on était gamins.

UNE FEMME:

Parce que vous avez menacé par un fou, vous aussi?

UN HOMME:

Et la guerre, madame, vous avez oublié la guerre?

LA FEMME:

Ah bon? Parce que les Allemands posaient le pied sur tête et menaçaient votre mère ?

UN HOMME:

Pire que cela , madame, pire que cela.

UNE FEMME:

En tous les cas, vous voilà bien vivant, bien vieux et bien gras.

LES FLICS (de loin):

Lâchez votre arme.

UNE FEMME:

Bravo, nous voilà sauvés.

LES FLICS(de loin) :

Nous vous ordonnons de lâcher votre arme. Vous êtes cerné.

ZUCCO:

Dites lui qu'elle me donne les clés de la voiture.

LA DAME:

Imbécile.

UNE FEMME:

Donnez-lui la clé, donnez-lui la clé .

LA DAME :

Jamais. Il n'a qu'à la prendre lui-même.

UN HOMME:

Il va vous faire péter la gueule, ma petite dame.

LA DAME:

Tant mieux. Je ne verrai plus vos gueules à vous. Tant mieux.

UNE FEMME:

Prenez-lui les clés de force. Il n'y a donc pas un homme ici pour lui fouiller les poches et prendre les clés?

Vous, là, qui avez tant souffert quand vous étiez gamin, vous dont les Allemands mettaient le pied sur votre tête en menaçant votre mère, montrez donc que vous avez des couilles, montrez donc qu'il vous en reste au moins une, même petite, même desséchée.

UN HOMME:

Madame vous méritez d'être giflée. vous avez de la chance que je sois un homme du monde.

ZUCCO:

Taisez-vous. Je vais descendre la femme, et je me tire une balle dans la tête. Je n'ai rien à foutre de ma vie. Je vous jure que je n'en ai rien à foutre. Il y a six balles dans le chargeur. Je descends cinq personnes et je me descends après.

UNE FEMME:

Il va le faire. Il va le faire. Partons.

UN FLIC:

Ne bougez pas. Vous allez l'énerver.

UN HOMME:

C'est vous qui nous énervez à ne rien faire.

ZUCCO:

Ne bougez pas. Je prends la femme avec moi. Ecartez-vous.

UNE FEMME:

L'enfant est sauvé. Merci mon Dieu.

UN HOMME:

Et la femme ? Qu'est-ce qu'il va lui arriver, à elle ?

ZUCCO:

Ecartez-vous.

L'homme et la femme s'écartent. Tenant d'une main le pistolet, Zucco se penche, prend la tête de l'enfant par les cheveux et lui tire une balle dans la nuque. Hurlement, fuite. Tenant le pistolet braqué sur la gorge de la femme, Zucco, se dirige vers la voiture.

 

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Deux policiers.

 

PREMIER POLICIER:

Tu as vu quelqu'un?

DEUXIEME POLICIER:

Personne, non.

PREMIER POLICIER:

Notre travail est idiot. Rester plantés là comme des panneaux de stationnement. Autant retourner à la circulation.

DEUXIEME POLICIER:

 C'est ici qu'il a tué l'enfant.

PREMIER POLICIER:

Justement. C'est le seul endroit où il ne reviendra pas.

DEUXIEME POLICIER:

Un meurtrier revient toujours sur les lieux de son crime.

PREMIER POLICIER:

Pourquoi voudrais-tu qu'il revienne? Il n'est pas fou.Nous sommes deux panneaux de stationnement complètement inutiles.

DEUXIEME POLICIER:

Il reviendra.

PREMIER POLICIER:

Ce type ne reviendra pas ici, je le parie avec toi, je parie un verre .

DEUXIEME POLICIER:

Il est bien revenu chez lui après avoir tué son père.

PREMIER POLICIER:

C'est qu'il avait à y faire.

DEUXIEME POLICIER:

Qu'est-ce qu'il avait à y faire?

PREMIER POLICIER:

Tuer sa mère.Une fois qu'il l'a fait il n'est plus revenu.Et comme ici il n'y plus d'enfant à tuer, il ne reviendra plus.

Je sens que je m'enfonce dans le béton. Filons boire un coup. Tu vois quelqu'un qui a l'air d'un tueur toi?

DEUXIEME POLICIER:

Un tueur n'a jamais l'air d'un tueur. Un tueur part se promener tranquillement au milieu de tous les autres comme toi et moi.

PREMIER POLICIER:

Il faudrait qu'il soit fou.

DEUXIEME POLICIER:

Un tueur est fou par définition.

Entre ZUCCO

DEUXIEME POLICIER:

Regarde ce type.

PREMIER POLICIER:

Lequel?

DEUXIEME POLICIER:

Celui qui se promène, tranquillement, là.

PREMIER POLICIER:

Toute monde se promène tranquillement, ici.

DEUXIEME POLICIER:

Celui qui est habillé avec un treillis militaire.

PREMIER POLICIER:

Oui je le vois. 

DEUXIEME POLICIER:

On dirait que c'est lui.

PREMIER POLICIER:

Peut-être bien, peut-être bien.

DEUXIEME POLICIER:

C'est lui.

PREMIER POLICIER:

Cela ne fait plus aucun doute.

(s'approchant de Zucco)

Qui êtes-vous ?

ZUCCO:

Je suis le meurtrier de mon père, de ma mère et d'un enfant. Je suis un tueur.

Les policiers l'embarquent

 

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Le sommet des toits de la prison, à midi.

On ne voit personne pendant toute la scène, sauf Zucco quand il grimpe au sommet du toit.

Voix de gardiens et de prisonniers mêlés.

 

UNE VOIX GARDIEN:

Le prisonnier s'est échappé.

UNE VOIX GARDIEN:

Encore une fois.

UNE VOIX: GARDIEN

Mais qui le gardait ?

UNE VOIX GARDIEN:

Qui en avait la charge?

UNE VOIX GARDIEN:

On a l'air cons.

UNE VOIX PRISONNIER:

Vous avez l'air de cons, oui. (rires)

UNE VOIX GARDIEN:

Silence.

UNE VOIX GARDIEN:

Il a des complices.

UNE VOIX PRISONNIER:

Non; c'est parce qu'il n'a pas de complice qu'il parvient toujours à s'échapper.

UNE VOIX PRISONNIER:

Tout seul.

UNE VOIX PRISONNIER:

Tout seul, comme les héros.

UNE VOIX GARDIEN:

Il faut chercher dans les recoins de couloir.

UNE VOIX GARDIEN:

Il doit être planqué quelque part.

UNE VOIX GARDIEN:

il doit être recroquevillé dans un cagibi, et il tremble.

UNE VOIX PRISONNIER:

Pourtant ce n'est pas vous qui le faites trembler.

UNE VOIX PRISONNIER:

Il n'est pas en train de trembler, mais de se foutre de votre gueule.

UNE VOIX PRISONNIER:

Il se fout de la gueule de tout le monde.

UNE VOIX GARDIEN:

Il n'ira pas loin.

UNE VOIX GARDIEN:

C'est une prison moderne. On ne peut pas s'en échapper.

UNE VOIX GARDIEN:

C'est impossible.

UNE VOIX GARDIEN:

Il est fichu.

UNE VOIX PRISONNIER:

Il est peut-être fichu, mais, pour l'instant, il est en train de grimper sur le toit et de se foutre de votre gueule.

Zucco, torse et pieds nus, arrive au sommet du toit.

UNE VOIX GARDIEN:

Que faites-vous là?

UNE VOIX GARDIEN:

Descendez immédiatement. (rires)

UNE VOIX GARDIEN:

Il est fichu.

UNE VOIX PRISONNIER:

Dis-nous comment tu fais pour ne pas rester une heure en prison ?

UNE VOIX PRISONNIER:

Comment tu fais ?

UNE VOIX PRISONNIER:

Par où as-tu filé ? Donne-nous la filière.

ZUCCO:

Par le haut. Il ne faut pas chercher à traverser les murs, parce que, au-delà des murs, il y a d'autres murs, il y a toujours la prison. Il faut s'échapper par les toits, vers le soleil. On ne mettra jamais un mur entre le soleil et la terre.

UNE VOIX PRISONNIER:

Arrête ; tu vas te casser la gueule.

UNE VOIX GARDIEN:

Il est fou.

UNE VOIX PRISONNIER:

Il va tomber.

UNE VOIX PRISONNIER (criant)

Il tombe.

 

 

 

 

Par marie-aude | le 24 novembre 2017 17:39