La psychologue pour enfant addictif

(Noan Elies et Victor Litoux)

 

 

Personnages :

-Mlle Blux, la psychologue pour enfant addictif

-La mère de l’enfant addictif

-L’enfant addictif

 

 

 

(Mlle Blux est assise à son bureau. Elle se lève pour aller à la porte de son cabinet. )

 

MLLE BLUX : Bonjour Madame, entrez s’il vous plaît !

 

LA MERE : Bonjour, madame Blux.

 

MLLE BLUX : Mademoiselle.

 

LA MERE : Mademoiselle Blux.

 

(Les deux femmes se serrent la main. L’enfant garde le silence, il a l’air complètement absent. )

 

LA MERE : Tout va bien se passer, on va juste parler avec la gentille dame qui va t’aider.

 

MLLE BLUX : Asseyez-vous, s’il vous plaît !

 

LA MERE : Merci beaucoup de nous recevoir, ça devenait très urgent, je suis dans une situation délicate…

 

MLLE BLUX : C’est pour votre fils ici présent ? (La mère hoche la tête.) Comment tu t’appelles, jeune homme ?  

 

LA MERE : Anatole.

 

MLLE BLUX : C’est très joli. Un prénom très à la mode. Et tu as quel âge ?

 

LA MERE : Il a douze ans.

 

MLLE BLUX : Il ne parle pas beaucoup, dites-moi.

 

LA MERE : Si, il paraît qu’il parle. Quand il est dans son état normal. Il a des phases de parole. Mais je ne suis pas toujours là quand ça lui arrive, donc je ne peux pas vraiment vous dire.

 

MLLE BLUX : Je vois. Quelle est l’addiction dont il est victime ? Expliquez-moi tout.

 

LA MERE : Vous êtes une spécialiste renommée en addiction enfantine et j’ai pensé que vous seule pourriez m’aider car mon fils est un cas très particulier…

 

MLLE BLUX : Je n’en doute pas, madame, mais avez-vous bien réfléchi avant de venir me voir ? Vous savez que j’utilise la technique du Rewind Brain Washing, en français « Re-Lavage de cerveau ». Elle donne d’excellents résultats mais il n’y a aucun retour en arrière possible, et, d’autre part, elle est assez douloureuse à supporter pour l’enfant. Il faut donc être tout à fait sûre que…

 

LA MERE : Je suis désespérée, j’ai tout tenté, j’ai même songé à l’euthanasie. Enfin, dans un pays où c’est légal, évidemment, pour raisons thérapeutiques. Avec mes relations, je pourrais. Sa vie est un enfer, la mienne aussi. Je ne pensais pas qu’être mère me prendrait autant de temps. Et d’énergie vitale. Je suis à bout.

 

MLLE BLUX : Dans ces conditions, je pense que le R-Lavage est la solution. La machine que j’utilise est ultra sophistiquée à la pointe de la i-technologie. Elle propose toute une gamme de solutions, que vous pouvez consulter dans le catalogue que, tac, j’envoie sur votre écran dès maintenant. Vous allez le recevoir dans quelques minutes. En attendant, expliquez-moi de quelle addiction exactement souffre votre enfant.

 

LA MERE : J’ai très peur pour lui, pour sa vie future… Grâce à mes relations d’affaire, je lui ai réservé déjà une place pour après son bac dans la meilleure université chinoise, mais là, tout s’écroule…

 

MLLE BLUX : Est-ce que vous pouvez être plus spécifique ?

 

LA MERE : Il fume.

 

MLLE BLUX : Ah, vous m’avez fait peur ! Evidemment, douze ans, c’est un peu tôt pour commencer à fumer mais il n’y a pas matière à…  

 

LA MERE : Nous, vous ne m’avez pas comprise. Hier soir, quand je suis rentrée, j’étais en voyage d’affaire à Tianjin, je l’ai surpris en train de fumer sur notre plateforme une cigarette, pas une cigarette normale, mais une, vous voyez, qui donne carrément des ailes.

 

MLLE BLUX : Vous voulez dire qu’il fume de l’O-Méga ?

 

LA MERE : Je crois.

 

MLLE BLUX : Là, évidemment, c’est plus embêtant. Surtout à douze ans. Mais, d’abord, comment il se procure l’argent ?

 

LA MERE : A cause de mon travail, je voyage beaucoup, alors je lui laisse de quoi subvenir à ses besoins, il est très autonome, enfin, il était très autonome, enfin, je croyais qu’il était très autonome. Là, il ne va plus à l’école.

 

MLLE BLUX : Depuis combien de temps ?

 

LA MERE : Depuis trois ans, je pense. Enfin, d’après ses professeurs. Evidemment, pour l’université chinoise, ce serait un problème, ils sont très sélectifs. Il avait un ami, en primaire, je l’ai recontacté par ses parents, mais ils ne se voient plus, mon fils, en fait, passe tout son temps à fumer. Je n’ai pas vu le problème s’installer.

 

MLLE BLUX : En tout cas, il est urgent d’intervenir. L’O-Mega, je vous le rappelle, est un produit très toxique. Il a été en vente libre jusqu’en 2028, mais on s’est rendu compte des ravages qu’il causait dans le cerveau. Il provoque des sortes de flottances chez l’individu concerné, qui peuvent aller jusqu’à 2000 mégastralasses, soit la hauteur d’un immeuble. Vous imaginez que, quand la chute se produit, elle est brutale.

 

LA MERE (d’un air effrayé) : Oh là là, ces précisions scientifiques… J’avais déjà très peur, mais là, c’est carrément l’angoisse !...  J’aurais peut-être dû venir vous voir avant…

 

MLLE BLUX : Ah oui, c’est très dangereux ! C’est pourquoi il est impératif de faire le R-Lavage. Immédiatement. Le catalogue a dû arriver sur votre écran. Avant de le consulter ensemble, je vous rappelle le principe : dans un monde réglé par l’offre et la demande, on ne peut pas supprimer les addictions, puisqu’elles sont bonnes pour le marché. Mais on peut remplacer une addiction potentiellement dangereuse par une addiction socialement acceptable, voire bénéfique. 

 

LA MERE : Ce serait parfait.

 

MLLE BLUX : Donc, je peux vous proposer une addiction pour le Coca-cola, le maïs régénérant, les soucoupes volantes, son père naturel, les nécrovoyages, les macrovoyages, le nutemirage, le jus de pomme bio pétillant énergisant, la pustasse et la coucasse.

 

LA MERE : Ca !

 

MLLE BLUX : Oui ?

 

LA MERE : Ca !

 

MLLE BLUX : Quoi ?

 

LA MERE : Le green-bull !

 

MLLE BLUX : Le green-bull, bien sûr, boisson dopante mais légale, socialement tout à fait recommandée, puisqu’elle donne de l’énergie au bureau, du tonus pour faire du sport, et de l’enthousiasme dans les relations amoureuses, même si, à douze ans, ce n’est sans doute pas encore la priorité de votre enfant. Très bon choix, classique, efficace, votre fils a beaucoup de chance d’avoir une mère aussi rationnelle que vous.

 

LA MERE : On peut commencer maintenant ?

 

MLLE BLUX : Absolument, j’ai le matériel adéquat.

 

(Mlle Blux se lève, prend l’enfant par la main, l’emmène s’asseoir sur une chaise. Elle lui attache les mains, puis lui pose sur la tête la machine à R-Lavage.)

 

MLLE BLUX  (à l’enfant) : N’aie pas peur, ça va un peu piquer dans la tête et faire des bulles, mais pas trop. (à la mère) C’est très douloureux mais faut ce qu’il faut !

 

(Bruit d’une machine à tambour, l’enfant commence à secouer la tête dans tous les sens, en tentant de se dégager. Par l’ouverture de la machine, on le voit faire d’horribles grimaces de douleur.)

 

MLLE BLUX : Voilà, il a été bien essoré, maintenant le moment délicat du produit de substitution…

 

(Elle saisit dans son bureau une canette de Green-Bull, la décapsule, ouvre la machine et verse la moitié du liquide sur la tête de l’enfant. Puis elle referme le couvercle de la machine, qui se remet en marche sur un rythme encore plus trépidant.)

 

MLLE BLUX : Le nouveau produit addictif va maintenant imprégner les tissus neuronaux…

 

(Les trépidations sont de plus en plus violentes, mêlées aux hurlements.)

 

MLLE BLUX (à l’enfant) Ne t’inquiète pas, c'est normal que ça secoue un peu, c’est bientôt fini.

 

LA MERE : C’est pour ton bien, mon chéri. C’est pour ton avenir !

 

MLLE BLUX : Et voilà, le rinçage final ! Et même le séchage du bulbe rachidien ! L’opération devrait être terminée dans quelques secondes… (Les trépidations redoublent d’intensité, l’enfant hurle en continu.) Donc, dans quelques secondes..

 

LA MERE : C'est normal, que ça ne s’arrête pas ?

 

MLLE BLUX : Oui, oui, absolument normal. C’est la force d’inertie. Enfin je crois. Oups, ah non, c’est parce que j’avais malencontreusement relancé le programme de R-Lavage depuis le début. Ce n’est pas très grave.

 

(Mlle Blux appuie sur un côté de la machine, qui s’arrête d'un coup. Elle ouvre le couvercle et enlève la machine de la tête de l’enfant

 

MLLE BLUX : Je crois que j'ai un peu forcée, ça va, mon petit ?

 

ENFANT ADDICTIF : Aaaaaaaaaaaaa-an !

 

LA MERE : Ca va, mon chéri ?


ENFANT ADDICTIF : Maaaaaaaman ! 

 

LA MERE : Oui, mon amour, je suis là, pour toi, pour ton bien, qu’est-ce que tu veux ?

 

ENFANT ADDICTIF : Iiiiiiiiiiiii-ouuuuuuuuuu !

 

LA MERE : Qu’est-ce qui se passe ? Il est devenu attardé ? Oh non, je ne supporterai pas ! L’euthanasie, direct ! (à Mlle Blux) Mais qu’est-ce que vous lui avez fait, je vais vous faire un procès, vous m’entendez !

 

MLLE BLUX : Calmez-vous et écoutez votre enfant.

 

ENFANT ADDICTIF : Greeeeeeeeen Buuuuuuuull !

 

LA MERE : Miracle ! Ca a marché !

 

MLLE BLUX : Bien sûr, ça marche toujours !

 

(Mlle Blux tend la canette de Green Bull à la mère, qui prend l’enfant dans ses bras et lui donne à boire le reste de la boisson comme un biberon à un bébé. Entre chaque gorgée, l’enfant vagit : « Greeeeeeeen Buuuuuuuull ! »

 

Le noir descend doucement sur ce tableau édifiant.)

 

 

 

 

 

 

Par monsieur boubou | le 10 février 2017 14:37