I. Un article sur Karl Valentin

Quelques lignes intéressantes empruntées à un blog de J.M. Palmier dans un article sur les cabarets munichois :

http://stabi02.unblog.fr/2011/01/15/cabarets-de-berlin-1914-1930-25-les-onze-bourreaux-expressionnisme-et-revolte-politique/

Il est difficile d’évoquer Munich, et ses cabarets, aux alentours de le Première Guerre mondiale sans évoquer aussi l’influence grandissante des premières pièces expressionnistes, de leur révolte utopique si bien incarnées par un Toller, mais aussi par Karl Valentin, un extraordinaire clown, qui accompagna Brecht dans plusieurs spectacles et qui demeure l’un des phénomènes les plus étonnants de la vie artistique munichoise. Surnommé « le clown métaphysique « , Karl Valentin a été et demeure encore aujourd’hui l’un des personnages les plus célèbres de Munich. Il récitait des sketches dans des dialectes locaux (8), avec sa partenaire Liesl Karlstadt, et mêlait les épisodes burlesques et els morceaux les plus émouvants avec une extraordinaire facilité. Son rôle favori était celui de la « Kleine Seele « , le pauvre type qui se fait rosser. Brecht, qui l’accompagna à la clarinette, semble avoir beaucoup appris de lui, quant à l’art des dialogues. Dans ses Écrits sur le théâtre, Brecht le présente ainsi :

 » Quand, dans n’importe quelle brasserie bruyante, Karl Valentin s’avançait, mortellement sérieux, au milieu des bruits douteux des pots à bière, des chanteuses et des pieds de chaises, on avait aussitôt le vif sentiment que cet homme ne raconterait pas de blagues. Il est lui-même une blague.
Cet homme est une blague sanglante des plus complexes. Il a un comique très sec, du dedans, qui  vous permet de boire et de fumer tandis que vous êtes constamment secoué d’un rire de l’âme qui n’a rien de particulièrement bienveillant. Car il est question de la paresse de la matière et des plaisirs les plus raffinés qui sont absolument à portée de main. On nous démontre ici l’
insuffisance de toute chose y compris de nous-mêmes. Quand cet homme, l’une des plus pénétrantes figures intellectuelles de notre époque, présente en personne aux âmes simplesles rapports qui existent entre la placidité, la bêtise et les joies de l’existence, le troupeau rit et en prend note au fond du coeur.
Il est impossible de comprendre pourquoi on ne mettrait pas Karl Valentin sur le même plan que le grand Charlot avec lequel il n’a pas pour seul point  commun la renonciation presque complète aux jeux de physionomie et à la psychologie de pacotille. A moins qu’on n’attache pas trop d’importance au fait qu’il est allemand. « 

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Dans son roman Erfolg, Lion Feuchtwanger a décrit longuement cet étonnant clown mélancolique qui  » s’efforçait de résoudre des problèmes absurdes à l’aide d’une lugubre pseudo-logique « , qui, lorsqu’on lui demandait pourquoi il portait des lunettes sans verre, répondait que c’était sûrement mieux que rien. Valentin continuera à faire rire le public jusqu’à l’avènement du nazisme, s’efforçant en vain de se défendre de l’horreur par l’humour. Dans ses Mémoires, Veit Harlan évoque les dernières apparitions de Karl Valentin:

« C’était l’époque où on avait encore la possibilité de faire de l’humour. Tel cet autre fantaisiste, Karl Valentin, qui arrivait sur scène en levant le bras droit et en criant :  » Heil,  » et ajoutait après une pause : « Mon Dieu, je ne me  souviens plus du nom !  » Parlait, dans un de ses monologues, du camp de concentration de Dachau, des hauts murs, du fil de fer barbelé qui l’entourait et des sentinelles armées jusqu’aux dents, il racontait comment il s’était adressé à ces dernières en disant :  » Vous aurez beau mettre autant de fil de fer barbelé et autant de canons que vous voudrez, vous ne m’empêcherez pas d’entrer si je veux (10). « 

Jean-Michel PALMIER.


2. Article critique dans Libération autour d'une mise en scène de C. Tordjman ( 2000)
Les sketches de Karl Valentin inspirent un spectacle drôlement précis. «Le Bastringue» splendide orchestre.D'après Karl Valentin, m.s.Daniel Martin et Charles Tordjman. Théâtre de la Commune à Aubervilliers. (20 au 25 juin 2000)

C'est dans les petits cabarets et bistrots du Munich populaire du début du siècle dernier, que Karl Valentin aimait particulièrement se produire. Même quand il était à l'affiche des grands théâtres, c'est toujours dans ces ambiances bruyantes et enfumées, dans le brouhaha des petites gens attablés autour de saucisses et de bières que l'homme de scène ­ «une des figures intellectuelles les plus pénétrantes de l'époque», selon Brecht ­ trouvait l'inspiration de sketches comme le Bastringue. Daniel Martin et Charles Tordjman y ont puisé la matière d'un spectacle réjouissant, qu'ils trimballent de ville en ville dans une baraque ambulante où l'on peut boire et manger. Logé sous le couvert des arbres qui bordent le théâtre de la Commune à Aubervilliers, pour ce samedi soir encore, le Bastringue à la gaieté théâtre s'ouvre sur les chamailleries et ratages d'un orchestre de banlieue vieillot.

Trouble-fête. Tous les trucs sont bons, dans la grande tradition du music-hall forain: le chef d'orchestre tyrannique, le trompettiste campé sur son étroitesse syndicale qui refuse de jouer une note de plus, le saxophoniste pris de quinte de toux, les critiques intempestives et les couacs en série, la violoniste qui a oublié son violon et le rideau de scène qui coince toujours au moment critique. Seule variante à la pièce, le rôle du perpétuel trouble-fête attribué par Karl Valentin à lui-même, est ici partagé entre les huit interprètes. Costumes défraîchis, noeud pap' de traviole et perruques en bataille, ils disparaissent en catimini derrière le rideau de coulisse pour réapparaître en chanteuse lyrique, acrobate, recordman de la grève de la faim. Perle parmi les perles: l'impressionnant numéro de ventriloque avec Philippe Fretun attifé en bambin, et que l'on croirait du coup rétréci à la taille d'un enfant de six ans, sur les genoux de Jean-Claude Leguay.

Burlesque. Il y a aussi l'éternelle histoire du type (encore Fretun avec Clotilde Mollet) qui cherche partout ses lunettes, alors qu'il les a sur le front (mais il ne peut pas les voir puisqu'il n'a pas ses lunettes) et s'interroge pour connaître le nombre de paires nécessaires (au minimum une pour voir de près et une de loin) afin de retrouver celle égarée et ainsi de suite. Le burlesque de Valentin s'appuie sur une logique propre, avec des histoires sans début ni fin qui peuvent se répéter éternellement. C'est d'autant plus drôle que cela s'enchaîne le plus sérieusement du monde.

Il suffit de jeter un oeil au texte pour constater que le rire est chez Karl Valentin une affaire avec laquelle on ne plaisante pas. Chaque geste, le moindre impromptu, la plus petite maladresse sont consignés au millimètre dans des didascalies trois fois plus longues que les répliques. Un art minimal et on ne peut plus difficile qui requiert des talents d'acteurs et de musiciens. Ceux-là n'en manquent assurément pas.

3. Une mise en scène à Chaillot

Vous trouverez quelques extrais d'une mise en scène de "Cabaret" à Chaillot (film de hans-Peter Cloos) avec, entre autres, le comédien Yann Collette que vous verrez jouer dans Ô les beaux jours de Beckett le 31 janvier. L'intégralité de ce film est consultable à la Bnf :

http://www.youtube.com/watch?v=EEJ0wA-lgSk