Mais aussi un patrimoine grevé de dettes, négligé, déserté par sa propriétaire, où sa fille adoptive s’évertue à économiser en pure perte. Un trésor inaliénable sans lequel Lioubov ne comprend pas sa propre vie, où son père, sa mère, son grand-père ont vécu avant elle, qu’à son retour de Paris elle retrouve après cinq ans avec une émotion intacte. Mais aussi le domaine où Gricha, son fils de sept ans, s’est noyé dans la rivière... Douze existences entrelacées – une mère, son frère et ses deux filles, quelques domestiques, un voisin, un étudiant, un fils de moujik entré dans les affaires nommé Lopakhine –, un état des lieux de la Russie tracé de main de maître, un an avant la première Révolution. Quatre moments, un par acte, pris dans le cours de saisons qui échangent leurs qualités, depuis la pleine floraison de mai sous le brouillard, par moins trois degrés de température, jusqu’aux troncs noirs et nus que la hache commence à frapper sous un clair soleil d’octobre.
Une célébration du temps, des passés et des futurs plus ou moins illusoires que chacun emporte avec soi, un dernier hommage à la beauté vouée à disparaître, un salut à la mort qu’on sent rôder, adressé avec un certain sourire qui n’est pas de simple ironie : car ce chant du cygne n’est pas seulement la pièce la plus grave de Tchekhov, elle est sans doute aussi la plus cruellement drôle.
Daniel Loayza
- Allez consulter le dossier "pièce démontée" très facile d'accès autour de la mise en scène d'Alain Françon dont vous verrez des extraits en cours (maquettes de la scénographie, interviews) : http://www.colline.fr/sites/default/files/archive/0.536366001273678226.pdf
- Pour pourrez trouver un dossier pédagogique très complet autour d'une mise en scène de Julie Brochen en 2010 (loin d'être convaincante) : des éclairages sur le projet scénographique, interview, mais surtout des documents sur les mises en scène qui ont marqué l'histoire de cette pièce (Vitez, Brook...) : http://www.theatre-odeon.fr/fichiers/t_downloads/file_574_dac_Cerisaie.pdf