• Notes d'intention

Oui, On ne paie pas, on ne paie pas ! est une pièce engagée, une réaction face à la misère. Dario Fo, prix Nobel de littérature en 1997 « pour avoir fustigé le pouvoir et restauré la dignité des humiliés » a écrit cette farce politique en 1974, quand une certaine Italie avait faim. Là où le plus souvent on aurait pu trouver une pièce revendicative grise, avec un monde ouvrier peuplé par des êtres tristes et ordinaires, il accorde au militantisme une œuvre d’une inventivité jubilatoire, sans puritanisme, ni moralisme boiteux. Une fiction qui va jusqu’à renier certains de ses fondements, s’avouer comme représentation hors de toute préoccupation réaliste, pour mieux devenir le miroir de nos propres contradictions et des tensions de notre société. Le théâtre de Dario Fo ne se repose jamais sur une vérité acquise. « Il s’agit toujours de susciter un espace de jeu où les idées reçues deviennent folles, où les certitudes volent en éclats et où les résolutions les plus arrêtées se mettent en mouvement... » (Bernard Dort). Cet espace est pour moi l’espace du plateau, du théâtre. On ne paie pas, on ne paie pas ! crée un espace de parole libre, questionne le fonctionnement actuel de notre société et retourne la puissance de l’invention verbale contre l’ordre établi.

J’entends proposer un univers où la machinerie théâtrale est avouée. Au centre du dispositif, l’acteur, ou plutôt l’actrice : celle qui incarne Antonia, qui est la matrice de la représentation, une mère (d’un autre courage), prête à vendre les mensonges les plus invraisemblables pour se sauver, et sauver le butin (pillé au supermarché), avec son amie Margherita. Face à elle, Giovanni, le mari légaliste, qui est avant tout mû par la satisfaction de ses besoins primaires : ordre, sécurité, tranquillité. Giovanni croit aux mystifications d’Antonia et l’aide ainsi à façonner la réalité de la pièce : un monde qui devient de plus en plus invraisemblable, au point que, même les portes et le mobilier ont l’air de manifester une révolte contre leur condition.

Dans notre adaptation, c’est à Antonia qu’il revient de mettre en action les machines scéniques, de faire les tirages, d’actionner les perches, les ventilateurs, les trappes, jusqu’à l’épuisement... à force, le décor est définitivement gagné par la frénésie et bascule du réalisme au fantastique. Par le jeu, le corps, la verve et ses mensonges, Antonia fait place nette. Elle conquiert un espace libre : « dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux » Guy Debord.

Dans la version de 1974, Giovanni prenait alors la parole pour revendiquer ce qu’il valait la peine de bâtir dans cet espace créé par le jeu d’Antonia : « ... un monde où l’on serait même contents de travailler... comme des êtres humains, des hommes et des femmes, et non comme des bêtes abruties, sans joie ni imagination ».

Dario Fo a réécrit ce final en 2007. Le rêve d’un monde nouveau fait désormais place à une alerte, celle de Margherita : « Si on ne relève pas la tête, si on ne reprend pas courage, on va se diluer petit à petit dans la peinture, comme une antique pièce de musée. » À la lumière des années 2000, dans un dernier souffle, les personnages questionnent leur « immobilisme »... et, à l’aube de ce siècle naissant, l’existence même du militantisme, qui serait devenu : une pièce de musée ? 

Joan Mompart

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