Lycée du parc des loges                                                                                                  Français

MP, PSI 2014-2015                                                                                                           La guerre

 

Résumé 2 à remettre le 26 (PSI) ou le 29 (MP) septembre

 

La guerre est un jeu. Elle exige à la fois courage et calcul, jamais le calcul n'y exclut le risque, à tous les niveaux l'acceptation du danger se manifeste tour à tour en prudence et en audace. « II s'y mêle d'emblée un jeu de possibilités et de probabilités, de bonne et de mauvaise fortune, qui se poursuit le long de chaque fil, gros ou mince, dont est tissée sa trame, ce qui fait de la guerre l'acti­vité humaine qui ressemble le plus à un jeu de cartes. » ;  « La guerre reste pourtant un moyen sérieux en vue d'un but sérieux. ».

 L'élément initial, animal autant qu'humain, est l'animosité qu'il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle. L'action guerrière elle-même, deuxième élément, comporte un jeu de probabilités et de hasards qui font d'elle « une libre activité de l'âme. » Mais un troisième élément s'y ajoute qui commande finalement les deux autres : la guerre est un acte politique, elle surgit d'une situation politique et résulte d'un motif politique. Elle appartient par nature à l'entendement pur parce qu'elle est un instrument de la politique. L'élément passionnel intéresse surtout le peuple, l'élément aléatoire le commandant et son armée, l'élément intellectuel le gouvernement et c'est ce dernier élément qui est décisif et doit commander l'ensemble.

La formule fameuse de Clausewitz : « la guerre n'est pas seulement un acte poli­tique mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens » n'est donc à aucun degré l'expression d'une philosophie belliciste, elle est la simple constatation d'une évidence : la guerre n'est pas une fin en elle-même, la victoire militaire n'est pas le but en soi. Le commerce entre nations ne s'arrête pas le jour où la poudre commence de parler, la phase belliqueuse s'insère dans une continuité de relations toujours commandées par les intentions des collectivités les unes à l'égard des autres.

La subordination de la guerre à la politique comme de l'instrument à ta fin, impli­cite dans la formule de Clausewitz, fonde et justifie la distinction de la guerre abso­lue et des guerres réelles. L'ascension aux extrêmes est d'autant plus à craindre, les guerres réelles risquent d'autant plus de se rapprocher de la guerre absolue que la violence échappe à la direction du chef d'État. La politique semble disparaître lorsqu'elle se donne pour but unique la destruction de l'armée ennemie. Même dans ce cas, la guerre prend la forme qui résulte du dessein politique. Que la poli­tique soit visible ou non dans l'action guerrière, celle-ci demeure dominée par la politique si l'on définit celle-ci comme « l'intelligence de l'État personnifié». C'est encore la politique, c'est-à-dire la considération globale de toutes les circons­tances par les hommes d'État, qui décide, à tort ou à raison, de se donner pour seul objectif la destruction des forces armées de l'ennemi, sans égard pour les objectifs ultérieurs, sans réflexion sur les conséquences probables de la victoire elle-même. Clausewitz est un théoricien de la guerre absolue, non un doctrinaire de la guerre totale ou du militarisme, de même que Walras est un théoricien de l'équilibre, non un doctrinaire du libéralisme. L'analyse conceptuelle, visant à dégager l'essence d'un acte humain, a été confondue, par erreur, avec la détermination d'un objectif. Clausewitz, il est vrai, semble parfois admirer la guerre qui tend à réaliser pleinement sa nature, et réserver son mépris aux guerres imparfaites du XVIIIesiècle où manœuvres et négociations réduisaient au minimum les engage­ments, la brutalité, la fureur des combats. Mais, à supposer que ces sentiments percent ici et là, ils expriment de simples émotions. Clausewitz éprouve devant la guerre poussée à l'extrême une sorte d'horreur sacrée, de fascination, com­parable à celle que les catastrophes cosmiques éveillent dans l'âme. La guerre dans laquelle les adversaires vont jusqu'au bout de la violence, afin de vaincre la volonté ennemie qui obstinément résiste, est, aux yeux de Clausewitz, gran­diose et horrible à la fois. Chaque fois que de grands intérêts seront aux prises, la guerre se rapprochera de sa forme absolue. Philosophe, il ne s'en félicite ni ne s'en indigne. Théoricien de l'action raisonnable, il rappelle aux chefs de guerre et de paix le principe que tes uns et les autres doivent respecter : le primat de la poli­tique, la guerre n'étant qu'un instrument au service de buts fixés par la politique, un moment ou un aspect des relations entre États, chaque État devant obéir à la politique, c'est-à-dire à l'intelligence des intérêts durables de la collectivité. Convenons d'appeler stratégie la conduite d'ensemble des opérations militaires, convenons d'appeler diplomatie la conduite du commerce avec les autres unités politiques. Stratégie et diplomatie seront toutes deux subordonnées à la poli­tique, c'est-à-dire à la conception que la collectivité ou ceux qui en sont respon­sables se font de « l'intérêt national ». En temps de paix, la politique se sert des moyens diplomatiques, sans exclure le recours aux armes, au moins à titre de menace. En temps de guerre, la politique ne donne pas congéà la diplomatie, puisque celle-ci conduit les relations avec les alliés et les neutres et qu’implicite­ment elle continue d'agir à l'égard de l'ennemi, soit qu'elle le menace d'écrase­ment, soit qu'elle lui ouvre une perspective de paix.

Nous considérons ici « l'unité politique » comme un acteur, éclairé par l'intelli­gence et mû par la volonté. Chaque État est en relation avec d'autres ; tant que les États restent en paix, ils doivent parvenir, vaille que vaille, à vivre ensemble. Faute de recourir à la violence, ils tentent de se convaincre. Le jour où ils se com­battent, ils tentent de se contraindre. En ce sens, la diplomatie peut être dite l'art de convaincre sans employer la force, la stratégie l'art de vaincre aux moindres frais. Mais la contrainte est aussi un moyen de convaincre. Une démonstration de force fait céder l'adversaire, elle symbolise la contrainte possible plutôt qu'elle n'accomplit réellement la contrainte. Qui possède une supériorité d'armements en temps de paix, convainc l'allié, le rival ou l'adversaire sans avoir à faire usage de ses armes. Inversement, l'État qui s'est acquis une réputation d'équité ou de modé­ration a meilleure chance d'atteindre ses fins sans aller jusqu'au bout de la victoire militaire. Même en temps de guerre, il convaincra plus qu'il ne contraindra. La distinction de la diplomatie et de la stratégie est toute relative. Ces deux termes sont les aspects complémentaires de l'art unique de la politique - art de gérer le commerce avec les autres États au mieux de l'intérêt national. Si, par définition, la stratégie, conduite des opérations militaires, ne joue pas quand les opérations n'ont pas lieu, les moyens militaires sont partie intégrante des ins­truments qu'utilisent les diplomates. En sens contraire, la parole, les notes, les promesses, les garanties, les menaces appartiennent à l'arsenal du chef d'État en guerre à l'égard des alliés, des neutres, voire des ennemis du jour, c'est-à-dire des alliés d'hier ou de demain.

La dualité complémentaire de l'art de convaincre et de l'art de contraindre est l'image d'une dualité plus essentielle encore, que révèle la définition initiale de Clausewitz : la guerre est une épreuve de volontés. Humaine en tant qu'épreuve de volontés, la guerre comporte, par nature, un élément psychologique qu'il­lustre la formule célèbre : n'est vaincu que celui qui se reconnaît comme tel. La seule chance qu'avait Napoléon de vaincre, écrit Clausewitz, c'est qu'Alexandre s'avouât vaincu après la prise de Moscou. Si Alexandre ne perdait pas courage, Napoléon à Moscou, apparemment vainqueur, était déjà virtuellement vaincu. L e plan de guerre de Napoléon était le seul possible, mais il était fondé sur un pari que ta constance d'Alexandre fit perdre à l'empereur des Français. Les Anglais sont vaincus, hurlait Hitler en juillet 1940, mais ils sont trop bêtes pour s'en rendre compte. Ne pas s'avouer vaincus était effectivement pour les Anglais la condition première du succès final. Courage ou inconscience, peu importe : il fal­lait que la volonté anglaise résistât.

Dans la guerre absolue, où la violence poussée à l'extrême aboutit au désarme­ment ou à la destruction d'un des adversaires, l'élément psychologique finit par s'effacer. Mais il s'agit là d'un cas limite. Toutes les guerres réelles mettent aux prises des collectivités dont chacun s'unit et s'exprime en une volonté. À cet égard, elles sont toutes des guerres psychologiques.

Raymond Aron, Paix et guerre entre tes nations, première partie, chapitre I, Calmann-Lévy,

1-      Format CCP (9 pts + 1 pt pour la présentation et pour la correction orthographique er syntaxique)

a)      Vous résumerez les lignes 1 à 47 du texte en 100 mots + ou – 10% (6 pts)

b)      Vous expliquerez les trois éléments soulignés (3 pts)

 

2-      Format Centrale

Vous résumerez l’ensemble du texte en 250 mots + ou – 10 %

 

NB Vous n’oublierez pas :

-           De laisser une marge,

-           D’aérer le résumé, par exemple en écrivant 1 ligne sur 2,

-           D’Indiquer, sans erreur, le nombre de mots utilisés en fin de résumé,

-           De procéder à des décomptes partiels tous les 10/ 20 mots (format CCP), tous les 20/ 50 mots (format Centrale)

Analyse du texte

 

(1)    La guerre est un jeu. Elle exige à la fois courage et calcul, jamais le calcul n'y exclut le risque, à tous les niveaux l'acceptation du danger se manifeste tour à tour en prudence et en audace. « II s'y mêle d'emblée un jeu de possibilités et de probabilités, de bonne et de mauvaise fortune, qui se poursuit le long de chaque fil, gros ou mince, dont est tissée sa trame, ce qui fait de la guerre l'acti­vité humaine qui ressemble le plus à un jeu de cartes. » ;  « La guerre reste pourtant un moyen sérieux en vue d'un but sérieux. ».

 

(2)     L'élément initial, animal autant qu'humain, est l'animositéqu'il faut considérer comme une impulsion naturelle aveugle. L'action guerrière elle-même, deuxième élément, comporte un jeu de probabilités et de hasards qui font d'elle « une libre activité de l'âme.» Mais un troisième élément s'y ajoute qui commande finalement les deux autres : la guerre est un acte politique, elle surgit d'une situation politique et résulte d'un motif politique. Elle appartient par nature àl'entendement purparce qu'elle est un instrument de la politique. L'élément passionnel intéresse surtout le peuple, l'élément aléatoire le commandant et son armée, l'élément intellectuel le gouvernement et c'est ce dernier élément qui est décisif et doit commander l'ensemble[1].

 

(3)    La formule fameuse de Clausewitz : « la guerre n'est pas seulement un acte poli­tique mais un véritable instrument de la politique, une poursuite de relations politiques, une réalisation de celles-ci par d'autres moyens » n'est donc à aucun degré l'expression d'une philosophie belliciste,elle est la simple constatation d'une évidence : la guerre n'est pas une fin en elle-même, la victoire militaire n'est pas le but en soi. Le commerce entre nations ne s'arrête pas le jour où la poudre commence de parler, la phase belliqueuse s'insère dans une continuité de relations toujours commandées par les intentions des collectivités les unes à l'égard des autres.

 

(4)    La subordination de la guerre à la politique comme de l'instrument à la fin, impli­cite dans la formule de Clausewitz, fonde et justifie la distinction de la guerre abso­lue et des guerres réelles. L'ascension aux extrêmes est d'autant plus à craindre, les guerres réelles risquent d'autant plus de se rapprocher de la guerre absolue que la violence échappe à la direction du chef d'État. La politique semble disparaître lorsqu'elle se donne pour but unique la destruction de l'armée ennemie. Même dans ce cas, la guerre prend la forme qui résulte du dessein politique. Que la poli­tique soit visible ou non dans l'action guerrière, celle-ci demeure dominée par la politique si l'on définit celle-ci comme « l'intelligence de l'État personnifié». C'est encore la politique, c'est-à-dire la considération globale de toutes les circons­tances par les hommes d'État, qui décide,à tort ou à raison, de se donner pour seul objectif la destruction des forces armées de l'ennemi, sans égard pour les objectifs ultérieurs, sans réflexion sur les conséquences probables de la victoire elle-même.

 

(5)    Clausewitz est un théoricien de la guerre absolue, non un doctrinaire de la guerre totale ou du militarisme, de même que Walras est un théoricien de l'équilibre, non un doctrinaire du libéralisme. L'analyse conceptuelle, visant à dégager l'essence d'un acte humain, a été confondue, par erreur, avec la détermination d'un objectif. Clausewitz, il est vrai, semble parfois admirer la guerre qui tend à réaliser pleinement sa nature, et réserver son mépris aux guerres imparfaites du XVIIIesiècle où manœuvres et négociations réduisaient au minimum les engage­ments, la brutalité, la fureur des combats. Mais, à supposer que ses sentiments percent ici et là, ils expriment de simples émotions. Clausewitz éprouve devant la guerre poussée à l'extrême une sorte d'horreur sacrée, de fascination, com­parable à celle que les catastrophes cosmiques éveillent dans l'âme. La guerre dans laquelle les adversaires vont jusqu'au bout de la violence, afin de vaincre la volonté ennemie qui obstinément résiste, est, aux yeux de Clausewitz, gran­diose et horrible à la fois. Chaque fois que de grands intérêts seront aux prises, la guerre se rapprochera de sa forme absolue. Philosophe, il ne s'en félicite ni ne s'en indigne. Théoricien de l'action raisonnable, il rappelle aux chefs de guerre et de paix le principe que tes uns et les autres doivent respecter : le primat de la poli­tique, la guerre n'étant qu'un instrument au service de buts fixés par la politique, un moment ou un aspect des relations entre États, chaque État devant obéir à la politique, c'est-à-dire à l'intelligence des intérêts durables de la collectivité.

 

(6)    Convenons d'appeler stratégie la conduite d'ensemble des opérations militaires, convenons d'appeler diplomatie la conduite du commerce avec les autres unités politiques. Stratégie et diplomatie seront toutes deux subordonnées à la poli­tique, c'est-à-dire à la conception que la collectivité ou ceux qui en sont respon­sables se font de « l'intérêt national ». En temps de paix, la politique se sert des moyens diplomatiques, sans exclure le recours aux armes, au moins à titre de menace. En temps de guerre, la politique ne donne pas congéà la diplomatie, puisque celle-ci conduit les relations avec les alliés et les neutres et qu’implicite­ment elle continue d'agir à l'égard de l'ennemi, soit qu'elle le menace d'écrase­ment, soit qu'elle lui ouvre une perspective de paix.

 

(7)    Nous considérons ici « l'unité politique » comme un acteur, éclairé par l'intelli­gence et mû par la volonté. Chaque État est en relation avec d'autres ; tant que les États restent en paix, ils doivent parvenir, vaille que vaille, à vivre ensemble. Faute de recourir à la violence, ils tentent de se convaincre. Le jour où ils se com­battent, ils tentent de se contraindre. En ce sens, la diplomatie peut être dite l'art de convaincre sans employer la force, la stratégie l'art de vaincre aux moindres frais. Mais la contrainte est aussi un moyen de convaincre. Une démonstration de force fait céder l'adversaire, elle symbolise la contrainte possible plutôt qu'elle n'accomplit réellement la contrainte. Qui possède une supériorité d'armements en temps de paix, convainc l'allié, le rival ou l'adversaire sans avoir à faire usage de ses armes. Inversement, l'État qui s'est acquis une réputation d'équité ou de modé­ration a meilleure chance d'atteindre ses fins sans aller jusqu'au bout de la victoire militaire. Même en temps de guerre, il convaincra plus qu'il ne contraindra.

 

(8)    La distinction de la diplomatie et de la stratégie est toute relative. Ces deux termes sont les aspects complémentaires de l'art unique de la politique - art de gérer le commerce avec les autres États au mieux de l'intérêt national. Si, par définition, la stratégie, conduite des opérations militaires, ne joue pas quand les opérations n'ont pas lieu, les moyens militaires sont partie intégrante des ins­truments qu'utilisent les diplomates. En sens contraire, la parole, les notes, les promesses, les garanties, les menaces appartiennent à l'arsenal du chef d'État en guerreà l'égard des alliés, des neutres, voire des ennemis du jour, c'est-à-dire des alliés d'hier ou de demain.

 

 

(9)    La dualité complémentaire de l'art de convaincre et de l'art de contraindre est l'image d'une dualité plus essentielle encore, que révèle la définition initiale de Clausewitz : la guerre est une épreuve de volontés. Humaine en tant qu'épreuve de volontés, la guerre comporte, par nature, un élément psychologique qu'il­lustre la formule célèbre : n'est vaincu que celui qui se reconnaît comme tel. La seule chance qu'avait Napoléon de vaincre, écrit Clausewitz, c'est qu'Alexandre s'avouât vaincu après la prise de Moscou. Si Alexandre ne perdait pas courage, Napoléon à Moscou, apparemment vainqueur, était déjà virtuellement vaincu. L e plan de guerre de Napoléon était le seul possible, mais il était fondé sur un pari que la constance d'Alexandre fit perdre à l'empereur des Français. Les Anglais sont vaincus, hurlait Hitler en juillet 1940, mais ils sont trop bêtes pour s'en rendre compte. Ne pas s'avouer vaincus était effectivement pour les Anglais la condition première du succès final. Courage ou inconscience, peu importe : il fal­lait que la volonté anglaise résistât.

 

(10)Dans la guerre absolue, où la violence poussée à l'extrême aboutit au désarme­ment ou à la destruction d'un des adversaires, l'élément psychologique finit par s'effacer. Mais il s'agit là d'un cas limite. Toutes les guerres réelles mettent aux prises des collectivités dont chacun s'unit et s'exprime en une volonté. À cet égard, elles sont toutes des guerres psychologiques.

 

Plan de l’argumentation

 

I-                     Penser la guerre comme stratégie politique n’est pas en faire l’apologie

1-       (La guerre : un jeu sérieux)

a)       La guerre, parce qu’elle comporte stratégie et risque, s’apparente, selon Clausewitz, à un jeu,

b)       Mais à prendre sérieux.

 

2-       (La guerre comme « étonnante trinité »)

Car

a)       Pulsions populaires  hostiles,

b)       Et tactique militaire

c)        Y sont subordonnés à la Raison politique

 

ð   

3-       (La «formule » de Clausewitz n’est pas une apologie de la guerre)

a)       Poser que la guerre continue la politique par d’autres moyens n’est donc pas en faire l’apologie,

b)        mais entériner  son inscription dans l’histoire d’échanges ininterrompus.

 

4-       (Preuve par l’absurde : même le bellicisme procède d’une décision politique)

En effet

a)       Même en cas de bellicisme forcené/ d’absorption du politique par la montée de la violence aux extrêmes,

b)       L’intention d’anéantir l’ennemi procède d’une décision politique,

c)        Fût-elle inconsidérée.

 

5-       (conclusion provisoire : proposer une théorie de la guerre n’est pas en faire l’apologie)

a)       Clausewitz pense, mais ne prône pas la guerre absolue

b)       Certes il éprouve :

-          répulsion pour les guerres de cabinet,

-          attirance mêlée d’effroi pour la guerre totale

c)        Mais il réaffirme toujours la primauté du politique/  il enjoint au politique de garder maîtrise du militaire et conscience de l’intérêt général, à long terme.

 

II-                  La politique comme dialectique de la stratégie et de la diplomatie

6-       (Définition et complémentarité)

a)       Gestion de la guerre et suivi diplomatique sont l’affaire de l’Etat,

b)       Qui fait pression sur ses voisins par la force ou par la persuasion.

 

7-       (Eloge de la retenue)

Cette dialectique explique tant

a)       L’efficience de la force de dissuasion

b)       Que la propension de belligérants non belliqueux à négocier.

 

8-       (2ème conclusion provisoire)

Stratégie et diplomatie sont si intimement liées que  

a)       La menace de guerre reste, en temps de paix, l’arme de la diplomatie,

b)       Dont la parole continue de circuler entre belligérants .

 

III-                La volonté, ultime maître de la guerre

9-       Cette dialectique renvoie à l’essence morale de la guerre, comme heurt des volontés 

a)       Pour vaincre un ennemi, il faut qu’il reconnaisse sa défaite.

b)       Or le facteur humain peut renverser le rapport de forces militaire.

 

     10 (3ème conclusion)

                La guerre reste donc, dans la réalité, une affaire humaine.

 

Proposition de résumé

 

                Stratégie et prise de risque : la guerre s’apparente, selon Clausewitz, à une partie de poker, mais grave. Car pulsions populaires hostiles et intelligence tactique du commandement y sont subordonnées à la Raison politique, origine et fin de toute guerre. Poser que la guerre continue la politique par d’autres moyens n’est donc pas en faire l’apologie, mais entériner  son inscription dans l’histoire d’échanges ininterrompus. Même l’absorption du politique dans la montée de la violence aux extrêmes n’invalide pas cette thèse : c’est toujours le gouvernement qui décrète une guerre d’anéantissement, fût-ce inconsidérément.

Clausewitz pense donc, mais ne prône pas la guerre absolue. Sa répulsion pour les guerres de cabinet, son attirance mêlée d’effroi pour la guerre totale ne l’empêchent pas de réaffirmer la primauté du politique. Car gestion de la guerre et suivi diplomatique sont l’affaire de l’Etat, qui fait pression sur ses voisins par la force ou par la persuasion : une démonstration de force peut éviter la guerre ou, limitée dans son déploiement, faciliter les pourparlers de paix. Stratégie et diplomatie sont donc  les deux faces d’un même jeu politique consistant à manier l’arme de la dissuasion en temps de paix, pour mieux faire circuler la parole dans la guerre.

Cette dialectique renvoie à l’essence morale de la guerre, comme heurt des volontés. Pour vaincre un ennemi, il faut qu’il reconnaisse sa défaite. Or le facteur humain peut renverser le rapport de forces militaire.  Nonobstant la théorie abstraite, la guerre reste donc, dans la réalité, une affaire humaine. (250 mots)

 

Questions de compréhension

 

1-      Le rapprochement de la guerre et du jeu, dans le livre I de De la Guerre de

Clausewitz[2], tient à trois facteurs :

-          la place que tient dans la guerre la supputation des probabilités (cela apparente la guerre à un jeu de stratégie comme le jeu d’échecs, d’origine guerrière) ;

-          la nature des ressources intellectuelles (le calcul judicieux des probabilités, la métis des Grecs[3], faite de clairvoyance, de finesse, de prudence, de flexibilité, d’attention aux circonstances et de capacité à saisir le kairos) et morales (les diverses manifestations du courage, appelé Mut) utilisées dans la conduite des opérations guerrières ;

-          la certitude de ne vouloir, pour rien au monde, renoncer au danger et au hasard (l’imprévisibilité de la guerre est ce qui fait le frisson du général, comme le pari, le risque exaltent le joueur). C’est en effet parce que la guerre n’offre que des chances, des possibilités incertaines et fragiles, qu’il faut du courage pour les saisir.

 

ð  Le combat comme le jeu forment donc un mixte indissociable de détermination –les règles- et d’indétermination –les chances , de risque et de stratégie[4]: comme la structure du jeu est donnée par le corps des règles qui définissent le terrain, le matériel, les actions possibles et les buts à atteindre, la structure de la guerre résulte des contraintes que fixent à l’action guerrière la géographie, l’économie, l’histoire et la politique.

 

Enfin guerre et jeu sont des activités de compétition soumises à un principe de polarité où s’affrontent deux libertés antagonistes, dont chacune cherche à élargir sa liberté d’action en réduisant celle de l’adversaire : l’échec et mat et la reddition sans conditions désignent une situation par quoi des deux égaux de l’origine, l’un est devenu tout-puissant quand l’autre est ramené à l’état d’objet inerte ; l’indétermination, l’incertitude initiale est dissipée.

 

 Mais  alors que les règles du jeu ne sont contraignantes que pour ceux qui les ont inventées et qui y ont librement consenti, de sorte qu’on peut toujours sortir du jeu ou en refuser les règles, les lois d’airain de la guerre s’imposent aux combattants qui ne peuvent s’en d »éprendre. Or cette réalité, faite de violence mortelle, est sérieuse. La guerre n’est pas seulement un jeu où s’affrontent deux rivaux, mais une tragédie où tout le monde perd, où l’exaltation n’est que le fruit d’une illusion, où la logique du duel obéit à la montée de la violence aux extrêmes, où les frictions sont celles de la souffrance, où les délices du jeu cèdent la place aux désastres de la guerre[5].

 

2-    La thèse de Raymond Aron est que Clausewitz ne cherche pas à faire l’apologie de

la guerre quand, distinguant les moyens des fins, il définit la guerre non comme une fin en soi, mais comme la « continuation de la politique par d’autres moyens ».

De fait, cette « formule » de Clausewitzsignifie d’abord que la politique, au double sens de politique-objet[6] (l’anglais politics) et de politique-sujet [7](policy) est à l’origine de la guerre, dont elle définit les objectifs et la fin, de sorte qu’elle sera aussi le prolongement de la guerre, puisque son issue contribue à redessiner la carte des équilibres géo-politiques: « Seuls les rapports politiques entre gouvernements et nation engendrent la guerre et la guerre n’est rien d’autre que la continuation des relations politiques avec l’apport d’autres moyens » ; « la guerre n’est pas seulement un acte politique, mais un véritable instrument politique, une continuation des relations politiques, un accomplissement de celles-ci par d’autres moyens » (I, 1, § 24)[8].

Tout conflit s’inscrivant dans un horizon politique avant d’être une opération militaire, la guerre est donc, 2ème niveau de signification, un « grand Tout stratégique » pour lequel « il ne saurait être question d’une appréciation purement militaire » (lettre de 1827). Il faut donc comprendre la guerre comme une action répondant à des fins politiques précises, et non comme un pur déchaînement de violence sans explication ou comme un déploiement de forces militaires dont le seul but serait de remporter des batailles. Le but de la guerre n’est pas pour Clausewitz de remporter des batailles, mais de remplir des objectifs politiques. C’est donc la politique qui donne à la guerre son caractère concret : elle est « le législateur suprême, seul capable de modérer la violence, mais capable parfois, au contraire, de multiplier la violence par la grandeur de l’enjeu » (Aron)[9].

Dès lors, entre guerre et politique, il existe une relation qui est non pas d’extériorité, mais d’intériorité : il y a continuité, identité de nature : la guerre utilise certes un moyen qui lui est propre, la violence armée, mais celle-ci n’est justement qu’un moyen au service de fins élaborées par la politique.  Autrement dit, les buts politiques influent sur les buts militaires et réciproquement : « + le sacrifice que nous exigeons de notreadversaire est petit, + nous pouvons nous attendre à ce que ses efforts pour nous le refuser soient minces. Mais + ceux-ci sont minces, + les nôtres pourront l’être également. En outre, moins notre fin politique est grande, moins nous lui accorderons de valeur, et + nous nous résignerons facilement à l’abandonner : nos efforts seront pour cette raison d’autant + restreints. En tant que mobile initial de la guerre, la fin politique sera donc la mesure aussi bien de l’objectif à atteindre par l’acte militaire que des efforts nécessaires » (I,1 , § 1, p.30-31)[10]. Mais cela signifie aussi, réciproquement, que les moyens militaires rejaillissent sur la fin et la modifient et ce pour 2 raisons :

-          d’une part parce que l’Etat doit donner aux militaires les moyens de sa politique, de sorte que « l’art de la guerre en général, et le commandement dans chaque cas particulier, peut exiger que les orientations et les desseins de la politique n’entrent pas en contradiction avec ces moyens, ce qui n’est certes pas une mince exigence » (I, 1, § 24) ;

-          ensuite parce que le déroulement de la guerre conduit souvent les gouvernants à réviser la fin politique initialement prévue : « les intentions politiques originelles peuvent, au cours de la guerre, changer considérablement et devenir radicalement autres, précisément parce qu’elles sont définies par le succès des armes et par les résultats probables des opérations » (I, 2, p.52). La stratégie est alors modifiée et l’interaction du politique et du militaire sans cesse revue.

 

Enfin, dans l’esprit de Clausewitz, cette soumission de la violence armée, qui « a sa propre grammaire, mais non sa propre logique », à la « volonté d’une intelligence politique » est un « principe modérateur », qui fonde la rationalité et l’intelligibilité de la guerre et la soustrait à l’irrationnel sous les deux formes qu’il peut prendre dans De la guerre :

-          l’irrationalité de la passion déchaînée et de la violence aveugle ;

-          l’irrationalité du hasard, car même dans l’entrechoquement sans frein des violences ennemies, le sujet politique demeure aux commandes. « Nous voyons qu’en toutes circonstances nous devons penser la guerre non comme une réalité autonome, mais comme un instrument politique. » (I,1, § 27).

Car, Aron l’ a bien vu, l’hégémonie de la politique s’étend même à la guerre sous sa forme absolue : dans l’entrechoquement sans frein des forces ennemies, le sujet politique demeure, en dépit des apparences, aux commandes. Le primat reconnu à la politique est celui des objectifs politiques, dont la diversité explique la diversité des types de guerre.

 

Penser la guerre ne signifie donc pas qu’on en fît l’apologie en y identifiant l’action politique, mais qu’on lui ôte, avec l’autonomie, l’absoluité consécutive à l’identification de l’action politique à la victoire militaire. En cela Clausewitz reste un rationaliste des Lumières, un penseur de la limitation extrinsèque de l’entropie essentielle à la logique interne de la montée de la violence aux extrêmes par la politique, elle-même confondue avec les outils de l’entendement : la diplomatie, mise à distance de la violence et du rapport de force de la violence brute par la médiation de l’échange, commercial ou symbolique.

 

3-      Clausewitz établit, dans le 1er chapitre du 1er livre de son traité De la guerre, une

distinction entre le concept de la « guerre absolue », montée de la violence aux extrêmes par le jeu logique d’interactions, et les « guerre(s) réelle(s) », nécessairement limitée(s) par le jeu  d’ »influences extérieures », mais aussi de «  contrepoids internes » : les « frictions » [11].  

La « guerre absolue », définie dans les § 2-5 du chapitre I, nous livre la description d’un mécanisme absolu qui se déroulerait sans encombre si on pouvait faire abstraction de ce qui, dans la guerre, n’est pas conforme à son essence, « 1- si la guerre était un acte totalement isolé, surgissant subitement sans aucun rapport avec la vie antérieure de l’Etat ; 2- si elle consistait en une seule décision ou en une série de décisions simultanées ; 3- si elle contenait un résultat fini en lui-même, et qu’on ne prenait pas en compte la situation politique qui en découle ainsi que l’effet qu’elle exerce sur elle » (I,1,6, p.25-26). A la suite de Clausewitz, qui traite cet idéal-type de « jeu de l’entendement , conduit par le fil à peine visible de l’argutie logique » (I,I,6,p.25)» ou de « rêverie logique »,   Raymond Aron la retire du monde réel et la confine dans le monde du concept, de l’idéel et de la fiction en la décrivant comme une « construction mentale », un « jeu logique » : Il estime qu’ « aucune guerre réelle ne peut être appelée guerre absolue» [12] .

En effet, Clausewitz affirme que « tout prend une forme différente si l’on passe de l’abstraction à la réalité. » Dans la réalité : 1/ « la guerre n’est jamais un acte isolé », car  « elle n’éclate pas subitement », entre adversaires qui ne se connaîtraient pas d’expérience » : « chacun des deux adversaires peut donc en grande partie estimer l’autre sur ce qu’il est et ce qu’il fait, non sur ce qu’il devrait théoriquement être et faire » ; 2/  « La guerre ne consiste pas en un seul coup sans durée […] un des deux antagonistes devra donc s’arrêter, au cours de l’action réciproque, […] et leurs forces ne seront pas toutes mobilisées en même temps » ;  3/ La « nature même des forces en présence » (forces militaires, territoires, alliés) et leur emploi « rend impossible leur mise en œuvre simultanée » : « ce n’est pas là une raison pour diminuer l’intensité des efforts en vue de la 1ère décision […] Mais la répugnance de l’homme à fournir un effort excessif le pousse à se réfugier dans la possibilité d’une décision ultérieure ». Ainsi la 1ère différence entre « guerre absolue » et « guerre réelle » repose sur une appréhension différente du temps de la guerre.

De + la réalité génère des contraintes qui restent étrangères au concept : les « frictions » (facteur humain ; dissymétrie de la défense et de l’attaque; « milieu résistant » dans lequel la guerre s’accomplit : « le danger », dont il faut surmonter la peur pour agir ; « l’effort physique », source de tension et d’usure ; « l’incertitude » liée au manque d’information[13] ;  et le » hasard », qui multiplie l’incertitude[14]).

Enfin la montée aux extrêmes n’est envisageable que dans l’hypothèse où les adversaires seraient rigoureusement identiques, alors que dans la guerre réelle, il faut envisager les différences de l’adversaire. Or « dès que la « loi des extrêmes » diminue de rigueur et que cette intention manque son but, «  l’objectif politique réapparaît » : « si toutes nos considérations se ramènent à un calcul de probabilités à partir de personnes et de circonstances déterminées, l’objectif politique, en tant que mobile initial, devient un facteur essentiel de ce produit » (I,1§11).

Il y a donc bien un clivage entre « guerre absolue » et « guerre réelle », même si la « guerre d’anéantissement » approxime, par l’intensité des enjeux et de la violence des moyens déployés, les critères définitoires de la « guerre absolue », modèle à l’aune duquel mesurer les différents types de guerres, en fonction de leur + ou – grand rapprochement/ éloignement par rapport au concept  [15].

 

Prolongement : (révision des) 3 définitions de l’ « essence de la guerre » dans le 1er chapitre du livre I de De la guerre de Clausewitz

 

 « De la guerre »/ «sur la nature de la guerre », « qu’est-ce que la guerre ? » : titres du traité, du livre I et du 1er chapitre confirment la volonté, affirmée dans la préface, de remonter des phénomènes à leur essence, non pour abstraire de cette expérience une quintessence qui la trahît, mais pour mieux éclairer en retour la nature complexe de la « guerre réelle »: « Son côté scientifique réside dans la volonté de scruter l’essence des phénomènes de la guerre,de montrer leur lien avec la nature de la chose » (préface, sans doute écrite en 1818).

Aussi Clausewitz ne se contente-t-il pas d’une définition de la guerre dans cette « synthèse finale » de son « testament spirituel » que constitue, selon R Aron, le 1er chapitre du seul livre que  l’auteur considérait comme achevé en 1831 : il fait cheminer l’une vers l’autre 3 définitions qui s’enrichissent au fil de leur reformulation et qui livrent ainsi au lecteur une vue totale sur le concept de guerre : la définition moniste de la guerre absolue comme duel, propice à la montée de la violence aux extrêmes ; la définition dualiste de la guerre comme continuation de la politique par d’autres moyens ;  la définition de la guerre comme « étonnante trinité ».

 

1-      La définition moniste de la guerre comme « duel à + vaste échelle »: la guerre pensée à travers la figure du duel, de la lutte à deux

 

a)      La guerre absolue : un « concept pur », « originel » (nous sommes ici « dans le monde abstrait du pur concept »)

La 1ère définition ne se donne pas à lire comme une appréhension définitive de son objet saisi dans sa totalité, dans sa réalité, mais comme une  abstraction : il s’agit de penser le concept de la guerre comme absolue, abstraction faite de tout contexte, des « frictions » que pourraient lui opposer la réalité,  en l’absence de toute action de forces extérieures susceptibles d’en modifier la structure. Nous sommes donc au niveau le + pur du concept, état théorique par défaut, indépendamment de sa relation avec l’expérience concrète.

 

b)      Le duel

Voulant aller « du simple au composé », Clausewitz opère donc un 1er travail de la raison, qui consiste à dépasser le strict point de vue de la sensibilité, pour qui la guerre est confusion (cf I,4), pour isoler 1 élément propre à éclairer l’essence de la guerre : la guerre «se ramène aisément à un élément essentiel : le duel[16] » (19).  

 

Il s’agit d’une image (pas encore d’un concept) : celle  d’un combat à deux, d’une lutte au corps-à-corps. Le lecteur doit donc se représenter deux lutteurs aux prises dont chacun essaye de jeter l’autre par terre (« niederwerfen » garde son sens originel, physique) et le rendre incapable de prolonger la résistance. L’équivalent militaire du K.O. étant le désarmement de l’ennemi, la fin immédiate, l’objectif immanent de la guerre en tant qu’acte de violence, est  de désarmer l’ennemi  (« wehrlos machen »), de lui « ôter tout moyen de se défendre «  (I,I,§4,p.23) : «Sur le plan du concept, c.à.d. abstraction faite de ce qui précède ou suit la lutte elle-même, des circonstances dont elle émane et des fins qu’elle vise, le but de la lutte comme épreuve de force, le but de la guerre ramenée à un choc entre des forces opposées est le terrassement, le désarmement, le renversement   de l’adversaire » (Raymond Aron).

 

L’image de la lutte rend à la fois la structure dynamique du conflit, jeu de forces et travail sur le centre de gravité de l’adversaire, et la polarité des volontés, partant la violence, la brutalité des moyens engagés : si ma violence se déchaîne, elle ne vient pas frapper un objet inerte, mais un être vivant qui réagit. Le duel est, dans son essence, c.à.d. de la façon la + simplifiée possible, un échange de coups obéissant à un schéma d’action et de réaction visant à désarmer l’ennemi. Là est l’essence même du conflit, le conflit à l’état pur, sans transaction possible.Le duel, qui se définit par la polarité des volontés, introduit l’idée de lutte contre autrui, de choc de deux volontés opposées. L’essence de la guerre se situe dans cet affrontement des volontés, dans cette opposition radicale de deux volontés hostiles : la guerre est le mode de rapport qui s’établit entre deux volontés hostiles.

La lutte exprime, + adéquatement que les autres formes de duels à distance ou par armes interposées, ces contraintes : dans la lutte au corps-à-corps, la position que prend le corps est rendue possible par la force dégagée par l’adversaire : son centre de gravité n’est + seulement un principe qui vient s’opposer au mien, mais aussi ce sur quoi je dois m’appuyer pour maintenir mon équilibre.

 

c)       La montée aux extrêmes de la violence par le jeu des interactions

La « violence» qui constitue l’essence,la nature de la guerre,  « ce qui fait de la guerre ce qu’elle est », est donc une violence « physique », certes finalisée (il s’agit d’« imposer à notre ennemi notre volonté »), mais étrangère à la philosophie du droit (c’est le sens de la distinction entre « violence physique », critère définitoire de l’essence, de la nature, de la violence guerrière, et « violence morale», présupposant le cadre de la loi, de l’Etat), car dépourvue d’autre limite intrinsèque que le jeu des forces et des volontés dans la lutte :  si la guerre est « un acte de la force/ violence par lequel nous cherchons à contraindre l’adversaire à se soumettre à notre volonté », le corollaire de la définition de la guerre comme interaction est la montée de la violence aux extrêmes, conséquence logique de la « poussée extrême des forces » (§5)

 

En effet, l’effet mécanique du dynamisme intrinsèque à la lutte, qui ne rencontre pas d’autre limite que « le contrepoids exercé par l’adversaire » (21), serait l’augmentation exponentielle des forces en jeu, et avec elle la montée de la violence aux extrêmes.

 

Comme dans un système mécanique que l’on chercherait à analyser, Clausewitz liste alors les interactions en jeu et observe :

-          Une force 1ère qu’il nomme violence (fin du § 3);

 

-          Une résistance à la loi de notre adversaire et donc la nécessité réciproque de lui imposer la nôtre en cherchant à mettre fin à son activité  (fin du § 4) : «  La guerre n’étant pas l’action d’une force vive sur une masse morte, mais le choc de deux forces vives l’une contre l’autre », seul le désarmement de l’un donnerait la sécurité à l’autre, La sécurité de l’un requiert que l’autre perde tous ses moyens de défense, mais chacun raisonnant de même, les deux antagonistes aux prises dans cette interaction renchérissent l’un sur l’autre jusqu’aux extrêmes : « tant que je n’ai pas écrasé l’autre, je dois craindre qu’il ne m’écrase. Je ne suis donc ° mon propre maître, car il m’impose sa loi comme je lui impose la mienne » (24).

 

-          Une poussée générale des forces globales du système qui cherche à déjouer l’entropie (la tendance à la désorganisation) en investissant toujours + d’énergie au sein du système en équilibre (§ 5) : Même si le motif de la lutte me permet d’évaluer la force de résistance à laquelle je me heurterai, et que j’engage une force supérieure pour surmonter cette résistance, lui en agira de même et nous nous condamnerons à nous élever aux extrêmes. Cela ne peut mener, en théorie, qu’à une situation extrême : « la guerre est un acte de violence, et celle-ci ne connaît pas de limites ». La violence ne comporte pas en elle-même de limite : les lutteurs, les forces affrontées cherchant à rivaliser, à surpasser pour s’imposer, pousseront la rivalité jusqu’à l’épuisement d’une des deux parties en présence, chacun ayant donné son maximum

 

ð  Abstraire de la guerre réelle le phénomène qui en constitue l’essence : le duel, et l’intensifier pour en saisir la quintessence : la violence, n’est donc pas nier la réalité de la guerre, mais en cerner la nature. La violence n’est pas un effet du conflit, mais ce qui distingue la guerre comme espèce du genre que constituent les relations politiques.

 

d)      Ce modèle de la guerre absolue nous force à admettre la violence, certes finalisée, donc rationalisée, mais potentiellement et actuellement extrême, comme composante essentielle du combat

La guerre, étant par nature orientée aux extrêmes, est aussi par nature une violence illimitée, qui ne connaît aucun frein spatial, temporel ni humain : » en un mot, les passions hostiles les + violentes peuvent s’allumer entre les peuples les + civilisés […] Nous répétons donc notre proposition : la guerre est un acte de violence à l’emploi de laquelle il n’existe + de limites ; il en résulte une action réciproque qui, selon son concept, doit conduire aux extrêmes » (p.21-22) ;

 

Ainsi, non seulement le progrès ne change rien à la nature essentielle de la guerre, commune aux « peuples sauvages » et aux peuples civilisés », ce qui confère un fondement anthropologique à la guerre, mais ce que les « publicistes » englobent sous le concept de « jus in bello » ne procède pas d’une moralisation, mais d’un calcul rationnel, tacticien, n visant à optimiser les moyens : « lorsque nous voyons que les peuples civilisés ne mettent pas leurs prisonniers à mort et ne ravagent pas les villes et les campagnes, cela est dû à la place croissante que prend l’intelligence dans leur conduite de la guerre. Elle leur a appris un emploi de la violence + efficace que cette manifestation sauvage de l’instinct. L’invention de la poudre, le développement des armes à feu montrent suffisamment qu’en progressant, la civilisation n’a absolument pas entravé ou détourné la tendance sur laquelle repose le concept de la guerre, celle d’anéantir l’ennemi » (§3, p.22).

 

 « C’est ainsi qu’il faut envisager les choses, et c’est un effort vain, absurde même, que d’écarter la nature de l’élément brutal en raison de la répugnance qu’il inspire » (I, 1, 3, p.21) : la place centrale de la violence permet à Clausewitz de contester une définition de la guerre comme un exercice intellectuel, une spéculation, alors qu’elle est une pratique. Les restrictions du droit des gens sont une de ces spéculations, insignifiantes du point de vue pratique, non que C méprise le droit, mais parce qu’il montre que si la guerre relevait du droit, ce ne serait pas la guerre : le droit, comme intention morale, ne peut avoir sur la guerre aucune influence. En dénonçant un certain idéalisme, la méthode de C conduit à critiquer le droit des gens, parce qu’il n’y a pas de moyens pour faire la guerre sans verser le sang. L’intention philanthropique nous donne donc une fausse image de la guerre : cette dernière est le domaine du danger et de la mort: « dans une entreprise aussi dangereuse que la guerre, les erreurs engendrées par la bonté sont précisément les pires » (§ 3, p.20). Les hommes qui veulent s’y livrer doivent le savoir, car s’il y a une nature de la guerre, on ne saurait la faire comme on désire, parce que la conduite des opérations guerrières est déterminée pas la nature de la guerre. Dans la guerre, la force et l’intelligence comptent, mais il est manifeste que celui qui est prêt à verser le sang triomphera sur celui qui s’y refuse : il est impossible de nier cette dimension sacrificielle : celle du don de sa vie à l’Etat. La seule chose qui peut limiter l’emploi de la violence physique dans toute son ampleur, c’est le contrepoids exercé par l’adversaire, et non pas valeurs chères aux philanthropes.L’élément brutal consubstantiel à la guerre, l’effusion de sang, peut inspirer de la répugnance, mais c’est un effort vain que de vouloir le camoufler ou l’ignorer : « il est impossible d’introduire dans la philosophie de la guerre un principe de modération sans commettre une absurdité » (§ 3,p.21).  S’il y a des lois de la guerre, ce que C reconnaît lorsqu’il dit que la guerre « se fixe elle-même, sous le nom de lois du droit naturel, des restrictions imperceptibles, à peine notables, qui l’accompagnent sans affaiblir fondamentalement sa force » (20).Le véritable objectif de l’action militaire étant de mettre l’adversaire K.O. en terrassant ou en désarmant l’ennemi,  la pensée stratégique relève d’un autre ordre que la morale basée sur la « philanthropie »:  « puisque l’utilisation de la violence physique dans toute son ampleur n’exclut en  aucune manière la coopération de l’intelligence, celui qui se sert de cette violence avec brutalité, sans épargner le sang, l’emportera forcément sur l’adversaire qui n’agit pas de même »(§3,p.20). La stratégie indirecte (les manœuvres contre les batailles), prônée par les théoriciens convaincus que le progrès des sciences et des arts conduira, sinon à l’éviction, du moins à la limitation de la guerre[17], est une « erreur due à la bonté d’âme », un aveu d’impuissance. L’intelligence doit donc servir la force, puisqu’il n’est + question de la maîtriser : la guerre, fait spécifiquement humain, se comprend parce que la mort ne constitue pas une limite. Même si la peur de la mort violente est extrême, nous sommes capables de mettre en jeu notre vie pour des raisons qui ne tiennent pas à l’instinct naturel mais, par exemple, au prestige ou aux enjeux politiques. Qu’il y ait deux formes d’hostilité, l’une instinctive et l’autre réfléchie n’implique pas que la guerre comme acte d’intelligence devienne « morale ». Notre réflexion, subordonnée à l’effort que nous voulons consentir dans le domaine de la violence, ne fait pas de nous des hommes sages. Les progrès ne sont, dans cette perspective, pas des progrès au sens humaniste du terme, ce sont des progrès relatifs aux moyens et non aux fins. C n’envisage pas la thèse d’un progrès de la raison dans l’histoire parce que cette thèse rejoint le rêve humaniste du droit naturel, dont la critique doit être tenue pour acquise. Loin d’être freinée par l’usage de l’intelligence, cette brutalité peut en recevoir une aide qui est susceptible de la décupler, comme le montrent les progrès scientifiques permettant de redoutables applications militaires : Hiroshima, Nagazaki, etc

 

2-      Définition dualiste de la guerre : la guerre comme continuation de la politique  cf corrigé de la 2ème question de compréhension sur le texte de R Aron

Notons que la formule a été diversement interprétée :

-          Pour Lénine, cela confirme sa propre doctrine : la politique est le lieu par excellence de l’affrontement des classes sociales qui se livrent une lutte permanente. La politique aurait un fondement guerrier, elle tendrait à la guerre, comme si elle y était destinée par nature.  La guerre ne serait qu’une modalité particulièrement visible de la conflictualité inhérente à la politique elle-même.

-          Michel Foucault considère aussi que les rapports politiques sont toujours empreints de luttes de pouvoir : « le pouvoir, c’est la guerre continuée par d’autres moyens ».

-          Raymond Aron dénonce ces interprétations en rappelant que C subordonne la guerre à la politique et non le contraire : parce que la politique traverse l’acte militaire tout entier, il appartient au politique de décider à quel moment et pourquoi il faut recourir à la force armée pour parvenir à obtenir ce qu’on veut. Les fins de la guerre sont politiques, le moyen est militaire. « la guerre n’est pas un acte de fureur aveugle, mais un acte dominé par la fin politique ». En tant que simple instrument, la guerre est donc soumise à la politique d’une façon qui explique qu’elle n’aille presque jamais jusqu’à sa forme extrême. Défaire l’adversaire ne serait dans cette perspective pas l’anéantir physiquement, mais +tôt vaincre sa capacité de résistance pour l’amener à négocier : il n’y aurait pas alors fracture ni incompatibilité entre le principe d’anéantissement et la suprématie du politique, mais prise en considération du fait que si dans le détail de la conduite des opérations militaires proprement dites la dimension politique de la guerre n’a aucune incidence, il n’en demeure pas moins vrai que replacée dans le contexte où elle s’inscrit, la guerre n’est jamais à elle-même sa propre fin.

 

 

 

3-      Définition trinitaire de la guerre comme « tout organique et indivisible » (VIII, 6B, p.345) , selon un modèle scientifique + proche de la biologique (science de l’organisation du vivant, du magnétisme terrestre enseigné à la fin du XVIIIème siècle ou de la théorie actuelle de l’ »équilibre chaotique » que de la mécanique

 

a)      Adéquation de la guerre à la totalité des facultés humaines et des composantes de la société : la guerre comme phénomène anthropologique et comme fait social total[18].

 

I,I, 28 « la guerre non seulement tient du caméléon, comme changeant de nature dans chaque cas particulier, mais elle forme encore dans sa généralité, sous le rapport des tendances qui règnent en elle, une singulière trinité composée : de la violence originelle de son élément, de la haine et de l’hostilité, qu’on peut considérer comme un instinct aveugle ; du jeu de probabilités et du hasard, qui y introduit l’activité libre de l’âme ; de la nature subordonnée de l’instrument politique, ce qui la rapporte à l’entendement pur. 

La première de ces trois faces correspond au peuple, la seconde au général et à son armée, la troisième au gouverne­ment. Les passions qui y seront mises en jeu doivent déjà exister dans les nations ; l'étendue qu'acquiert l'élément de courage et de talent dans le domaine de la probabilité et du hasard dépend de la qualité du chef et de l'armée ; les fins politiques, au contraire, se rapportent exclusivement au gou­vernement.

 

composante

Facultés de l’individu

Représentant dans la société

Haine et hostilité

Instinct naturel et aveugle, passions, affectivité

peuple

Jeu des probabilités et du hasard =1er niveau de compréhension

Libre activité de l’âme.

Général et armée.

Instrument politique.

Entendement pur, raison régulatrice

Gouvernement, « intelligence de l’Etat personnifié »

 

b)      Adéquation de cette constellation à la diversité des types de guerres définies dans la note de 1817 dans le ch 3 du livre I

 

« il faut savoir mesurer d’un regard l’écart qui sépare une guerre d’anéantissement, où l’on se bat pour l’existence de la nation, d’une guerre où l’on obéit aux exigences désagréables d’une alliance conclue de force ou devenue caduque. Dans la réalité, il existe entre les deux d’innombrables nuances » (I, 3, p. 57-58).

 

 

c)       Affinités entre la pensée de Clausewitz et la philosophie, les sciences de son temps

n  // Clausewitz/ Idée de nature chez Kant [19]

 

Clausewitz (VIII, 6 B, p.340)

 

Kant, Critique de la faculté de juger (§ 67)

« nous voulons à présent chercher cette unité qui rassemble ces éléments contradictoires dans la vie pratique, où ils se neutralisent partiellement les uns les autres »

 

« L’Idée de la nature en totalité comme un système, selon la règle des fins, Idée à laquelle doit être subordonnée d’après les principes de la raison tout le mécanisme de la nature »

 

n  // Clausewitz et théorie du magnétisme terrestre, puis de l’équilibre chaotique[20] 

Clausewitz

Théorème de Cauchy-Lipschitz

« La tâche consiste donc à faire en sorte que la théorie se maintienne entre ces trois tendances comme en suspension entre trois pôles d’attraction ».( I,1,28, p.47 )

 

« toute cause, si minime soit-elle, étendra son effet jusqu’à l’achèvement de l’acte militaire et modifiera le résultat final, même dans des proportions modestes » (II,5,p.168)

 

 

La guerre peut obéir  un principe de causalité récurrente négative : ex du grand engagement, dont les effets moraux sont + considérables sur le vaincu que sur le vainqueur, car les + grandes pertes physiques rejaillissent sur le facteur moral. Les deux facteurs s’appuient et se renforcent mutuellement (IV,4 et 5, p.249 sq)

 

Les 3 « tendances » sont – des pôles fixes que des fonctions qui agissent par les relations qu’elles nouent, par leur interconnexion :

« La tendance de l’un équilibre celle de l’autre (…) il se forme une connexion (Zusammenhang) du Tout, et à chaque modification la résistance de cette connexion doit être partiellement vaincue.[21] Ainsi les rapports des Etats dans leur totalité servent davantage à maintenir le Tout dans sa forme qu’ils ne servent à produire des changements » (VI,6)

Pb des oscillations d’un pendule attiré par 3 aimants

 

 

résolu par une démarche qui, tout en assurant le caractère mécaniste et déterminé d’un système de départ, n’empêche pas l’impossibilité de certaines prédictions, laissant ouverte la possibilité d’apparitions de phénomènes fortuits

 

 

d)      Conséquence : face à la quantité incalculable d’objets et de circonstances que la guerre concentre, l’activité de l’esprit doit quitter « le domaine de la science exacte, de la logique et des mathématiques » et se muer en art (VIII, 3 B, p.327)

 

Heinrich von Bülow, L’Esprit du système de guerre moderne (1798)

Clausewitz : critique de l’abstraction aveugle

« les opérations qui sont contenues dans un triangle ou dans un arc de cercle de 60) ou moins doivent selon la règle échouer, elles ne peuvent pas conduite au but si l’ennemi tire profit de ses avantages, parce qu’elles ne sont pas basées » (cité par Aron, 1976, p.84)

I,I,22,p.41 «La théorie doit-elle l’abandonner là, se mouvoir dans sa propre satisfaction à travers des conclusions et des règles absolues ? Elle ne serait alors d’aucune utilité pour la vie. La théorie doit prendre en compte l’humain, et donner aussi leur place au courage, à la hardiesse, et même à la témérité. L’art de la guerre manie des forces vivantes et morales ; il ne peut donc jamais atteindre à l’absolu et au certain »

ó Clausewitz ne reproche pas aux théoriciens leur rigueur scientifique : il y prétend lui-même dans la préface et dans le 1er § du ch 1 du livre I.

 

Il récuse le dogmatisme qui exclut les « grandeurs morales » de l’ »algèbre de l’action » : la dimension organique, vitale de la guerre la rend irréductible à toute analyse arithmétique. La décision du chef de guerre devant pouvoir se fonder non sur des lois rigides, prévisibles, mais sur « une vue qui embrasse la totalité des phénomènes tout en la ramenant à l’unité qui est la leur, la théorie de la guerre doit être une théorie complexe, pouvant intégrer des données non quantifiables pour faire disparaître « l’absurde différence entre théorie et pratique » : « nous voyons donc que, dans le fond, l’absolu, la prétendue mathématique, ne trouve aucune base ferme pour les calculs de l’art de la guerre » (I,1,21,p.40).

 



[1] Ce passage est la paraphrase de la définition de la guerre comme « étonnante trinité » dans le dernier § du 1er chapitre de De la guerre : rapportez-vous à ce § 28, recopiez-le et apprenez-les par cœur.

[2]« Nous voyons donc que, dès l’origine, l’élément absolu, en quelque sorte mathématique, de la guerre, ne trouve aucune base certaine sur laquelle fonder les calculs relatifs à l’art de la guerre ; il s’y mêle d’emblée un jeu de possibilités et de probabilités, de bonne et de mauvaise fortune, qui se poursuit le long de chaque fil, gros ou mince, dont sa trame est tissée, et qui fait de la guerre l’activité humaine qui ressemble le + à un jeu de cartes » (I,1,§ 20-21 ). Dans le récit de la campagne de l’armée autrichienne en Suisse au printemps de 1799, Clausewitz reprochera justement à l’archiduc Charles d’avoir manqué de l’audace qui sait profiter d’une occasion favorable : « la guerre n’est pas un simple produit des voies et des moyens, elle a quelque chose du jeu. La conduite de la guerre ne peut donc se passer de cet élément, et le général qui n’a pas assez de penchant pour ce jeu n’en fera pas assez, et sera + coupable qu’il ne croit, par manque de résultats obtenus ». Le génie de Napoléon est décrit par cette « libre activité de l’esprit » qui apparente la conduite de la guerre à un jeu : »débuter par des coups décisifs et se servir des avantages ainsi obtenus pour frapper de nouveaux coups, jouer toujours son gain sur une seule carte jusqu’à ce que la banque sautât, là était toute sa méthode et l’on peut dire que c’est à cette méthode qu’il a dû le succès colossal dont il a joui dans le monde ».

[3]Dans cette perspective, Ulysse et non Achille devient le modèle de l’homme de guerre, la bravoure d’Achille ne le qualifiant que pour le combat. Dans Les Perses, les chefs grecs, prenant acte de leur infériorité numérique, jouent le tout pour le tout et imaginent une ruse habile en donnant de faux renseignements aux  Perses pour les conduire à s’engager dans la passe étroite de Salamine, de sorte que la force théorique des Perses, sur le papier, se retourne en faiblesse : la ruse supplée au déséquilibre des forces matérielles et devient un moyen au service du combat.

[4] « le combat sérieux à main armée, tout comme la compétition ou agon, qui peut s’étendre des jeux les + futiles à la lutte sanglante et mortelle, sont compris avec le jeu proprement dit dans la catégorie primaire d’un risque mutuel de chances assujetti à des règles (…) Le jeu est combat et le combat est jeu »  (Huizinga, Homo ludens)

[5]Dans Les Perses, le jeu théâtral de la tragédie, chant de deuil et interrogation sur la démesure et sur la condition humaine, vise moins la divertissement que le choc émotionnel par la voix, le masque, le décor, l’image. Si écrire, c’est canaliser la violence, l’écriture de la guerre n’est pas un jeu. Le spectacle de théâtre cherche à produire des effets susceptibles de provoquer des affects puissants. On plaisantait du reste si peu à Athènes avec le spectacle des malheurs des vaincus que Phrynikos vit sa pièce interdite de représentation et fut condamné à une amende de 1000 drachmes pour avoir fait pleurer les Athéniens sur le sort de Milet, cité alliée, sauvagement mise à sac et rasée après la déportation de ses habitants, en 494. Du tourment qui « point le cœur du chœur » au désespoir de Xerxès gémissant (« il erre, il crie, mon cœur, au fond de mes entrailles », 991), la douleur renvoie à une perception existentielle et souterraine de la guerre comme fatalité incompréhensible. Si, dans l’étrangeté absolue de son deuil dissonant, le Barbare ne peut inspirer la pitié, ce sentiment, qui ne peut entrer en ligne de compte dans le jugement politique, s’éprouve universellement envers toute communauté humaine confrontée au fléau de la guerre et à la défaite par le choix aléatoire des dieux : « il faut qu’un daïmon ait anéanti l’armée et charge la balance d’un sort inégal ». Dès lors le chant « noyé de larmes » n’est + seulement celui des Perses, mais de l’humanité tout entière victime de la guerre (v.706-708). Certes il est impossible, dans le cadre de la cérémonie civique qu’est la tragédie, de susciter des moments de solidarité entre ennemis comme Barbusse en esquisse dans le dernier chapitre du Feu, mais le kommos final sonne comme un oratorio, drame lyrique sur un sujet religieux, dans lequel la partie orchestrale l’emporte sur le chant  des malheurs des hommes., en écho endeuillé au « péan  solennel » en l’honneur d’Apollon, à l’ouverture de la bataille de Salamine. Enfin, pour Barbusse, si la guerre se rapproche d’un jeu, c’est par son caractère inconséquent ou par le hiatus entre sa réalité indicible et les représentations puériles que l’arrière en a, encouragé par les mensonges de la propagande et par le silence des poilus : les stratèges, dans leurs cabinets, élaborent des plans de batailles qui sacrifient des vies humaines comme s’il s’agissait de pions ; à côté de ces jeux puérils, mais tragiques, d’adultes inconscients, les jeux d’enfants, qui imitent la guerre des adultes et attestent de la militarisation de la société, semblent graves : « les jeux des enfants sont de graves occupations. Il n’y  a que les grandes personnes qui jouent »

[6] La politique est la « matrice où se développe la guerre »

[7] « l’intelligence de l’Etat personnifié »

[8]Ainsi Xerxès, qui songe à envahir, après la Grèce orientale, la Thrace et l’Attique, le Péloponnèse pour étendre son empire de l’Asie à l’Europe, veut achever de détruire Athènes pour se venger du soutien qu’elle a apporté aux cités grecques d’Ionie depuis le début des guerres médiques  et de la défaite de Marathon. Athènes, en fédérant les cités grecques pour résister à l’entreprise de destruction visée par Xerxès, ne libère pas seulement la cité de la présence des troupes perses venues la saccager. En entraînant la retraite de l’armée perse et, à terme, après Platée, le renoncement de Xerxès à la conquête de la Perse, elle  assoit sa puissance, renforce sa démocratie et devient une thalassocratie. Les monarchies européennes coalisées contre l’empire napoléonien entendent libérer les territoires envahis par la Grande Armée et occupés par les autorités françaises, ramener la France dans les frontières antérieures à la Révolution, lever le blocus continental et débarrasser l’Europe des nationalités du péril révolutionnaire. De même, si l’engagement de Barbusse dans la guerre a pu se justifier par la double nécessité de défendre les frontières contre l’invasion et de tuer le militarisme dans le ventre de l’Allemagne, la révélation de la responsabilité des élites dans la vaine mort en masse des « 30 000 millions d’esclaves » qui sont la guerre, mais ne la veulent pas, conduit les « voyants » du chapitre liminaire, puis le chœur des survivants du déluge de l’ »Aube » à ne voir de sens que politique dans la guerre : « c’est la Révolution française qui recommence ».

[9]Cette nécessaire « subordination des guerres à l’intention politique »(Raymond Aron) fait que toute la conduite des conflits est gouvernée par ce principe, qui exige par exemple tantôt de faire une guerre  limitée avec des objectifs très resserrés, la flotte athénienne se gardant par exemple bien de poursuivre ce qui reste de la flotte perse au soir de la bataille de Salamine, pour ne pas compromettre sa victoire par une hypothétique confrontation en haute mer qu’elle risquerait de perdre, tantôt de se livrer à une guerre brutale visant à l’anéantissement de l’armée ennemie et à la démoralisation de ses troupes, comme les Grecs savent si bien le faire en profitant de l’effet de surprise produit par leur péan de guerre et leur attaque, au moment même où la flotte perse, dupée par la fausse nouvelle d’une fuite de l’armée athénienne, s’attendait à lui barrer la route pour l’exterminer au passage. Ce qui dicte le choix entre ces deux extrêmes, ce n’est ni le désir de violence ni la prise en compte des forces militaires, mais l’efficacité respective de ces actions pour remplir les buts politiques que la guerre se fixe.

[10]Alors que le péril perse conduit Thémistocle à persuader ses concitoyens de préférer au partage du gain des mines du Laurion leur investissement dans la construction d’une flotte de trières et que le salut d’Athènes exalte l’ardeur patriotique des Grecs et les conduit à jeter toutes leurs forces dans la bataille de Salamine, sans épargner l’adversaire, la décomposition du pouvoir russe sous la poussée des révolutions de février et d’octobre 1917 conduit à un désinvestissement de l’action militaire jusqu’à la paix de Breslitovsk. « Ceci explique, sans aucune contradiction, qu’il peut y avoir des guerres de tous degrés d’importance et d’intensité, depuis la guerre d’extermination jusqu’à la simple observation » (ibid.)

 

[11]Emmanuel Terray explique ainsi cette métaphore mécanique : «lorsqu’une machine accomplit un certain travail, une partie de l’énergie dépensée est absorbée par les frottements intérieurs et extérieurs, en sorte que le rendement réel est toujours inférieur au rendement théorique. Il en va de même à la guerre : l’armée peut être comparée à une machine dont les rouages sont en dernière analyse formés par des individus, et chacun de ceux-ci est une occasion de frottement, puisque, si modeste que soit son rôle, il est toujours susceptible de s’en écarter pour une raison ou pour une autre. Certes, l’exercice et la discipline ont pour fonction de créer les automatismes qui réduiront les frottements à un minimum ; mais il subsistera un résidu incompressible qui ne sera jamais quantité négligeable » (1999, p.62)

[12]« le concept de guerre absolue ne s’applique à aucune guerre réelle et désigne l’essence ou type idéal d’une guerre au sens étroit du terme, livrée au dynamisme de l’hostilité absolue » ; « il n’y a pas de guerre absolue dans la réalité (…) Jamais l’élément de la violence aveugle et de la haine ne se déchaîne seul dans les guerres entre peuples civilisés » ; « toutes les guerres réelles sont modifiées par rapport à la guerre absolue » ; « toutes les guerres que nous observons dans l’histoire appartiennent à la catégorie des guerres réelles, même si les guerres de la 1ère espèce révèlent le principe actif de l’hostilité et permettent au théoricien de les réduire ou de les interpréter à partir du concept de guerre absolue »

[13] « La grande incertitude de toutes les données constitue une difficulté particulière de la guerre, car toute action s’accomplit pout ainsi dire dans une sorte de crépuscule qui confère souvent aux choses comme un aspect nébuleux ou lunaire, une dimension exagérée, une allure grotesque » => Seules la résolution et la fermeté d’âme peuvent neutraliser le doute qui accompagnent des actes qui ne « reposent jamais que sur des vérités conjecturées ou pressenties ».

[14] « L’action en guerre est un mouvement qui s’effectue dans un milieu aggravé par les difficultés. Tout comme on est incapable d’exécuter dans l’eau avec facilité et précision un mouvement aussi simple et naturel que la marche, on est incapable en guerre d’assurer la marche des choses, même à allure moyenne, à l’aide de forces ordinaires »,

[15] « Dans cette conception, nous ne devons pas perdre de vue la forme absolue de la guerre et son image doit demeurer en permanence à l’arrière-plan ».

[16]« La guerre n’est rien d’autre qu’un duel amplifié », dira-t-il + loin, d’abord parce que qu’elle oppose deux armées et non deux hommes, ensuite parce qu’elle serait composée d’une « infinité de duels » subsumés dans le concept, dans la  représentation simplifiée d’une lutte à 2 .

[17]Guibert , Essai général de tactique  « la science militaire a rendu les batailles + savantes et – sanglantes. C’est un jeu de calcul et de combinaison qui a succédé à un jeu de hasard et de ruine. Il est heureux que la science militaire, qui est la science de la destruction, rende la guerre – destructive en se perfectionnant. Il est heureux que ce puisse être l’habileté des généraux qui décide du sort des batailles +tôt que la quantité du sang versé. Enfin dans un siècle où tous les arts ont fait des progrès, il est honorable, il est encourageant pour les militaires que celui de la guerre se ressente de la propagation générale des lumières ».

Maurice de Saxe, Mes Rêveries : « Je ne suis point pour les batailles, surtout au commencement, et je suis persuadé qu’un habile général peut la faire toute la vie, sans s’y voir obligé […] Je ne prétends point dire pour cela, lorsque l’on trouve l’occasion d’écraser l’ennemi, qu’on ne l’attaque, et que l’on ne profite des fausses démarches qu’il peut faire ; mais je veux que l’on peut faire la guerre sans rien donner au hasard, et que c’est là le + haut point de la perfection et de l’habileté d’un général »

 

[18] // Platon, La République

Pour Platon, l’âme est régie par 3 principes : « la raison » (le logistikon) nous donne accès à la science ; l’ »ardeur » ou le « courage » (le « thumos ») donne l’énergie de nous opposer et d’être agressif ; les « appétits » (l’épithumétikon) nous rendent sans défense face à la force de nos désirs (La République, livre IV). Le mythe de l’attelage ailé permet de penser tout à la fois la nécessité et la difficulté, pour le « pilote » de l’âme de maîtriser le noir cheval de l’épithmétikon, plein d’hybris (de « démesure » ou d’ »excès »),  pour conduire le cheval blanc du « thumos », doué d’ aidôs (qu’on peut traduire par « honte » ou « pudeur »), dans le droit chemin de la raison.

La cité idéale doit, elle, reposer sur une tripartition : philosophe-roi ; gardiens qui assurent la sécurité et la défense de la cité ; artisans et laboureurs qui assurent la production. Mais pour qu’une cité soit juste, il faut que les citoyens soient vertueux : à la classe des artisans/ laboureurs correspond la concupiscence, dont la vertu est la tempérance ; à la classe de guerriers correspond la passion de la colère, dont la vertu est le courage ; à la classe es « archontes » correspond l’intelligence (« le nous ») dont la vertu est la sagesse. La justice consistant en un équilibre des parties, une Cité est juste quand les trois ordres qui la structurent assument leur fonction.

Ame

Cité

Vertus

raison

Gouvernants

sagesse, prudence

courage

Gardiens

courage, droiture

désir

artisans, laboureurs

tempérance

 

 

[19] Clausewitz a suivi à l’école de guerre les cours de mathématiques de Kiesewetter, vulgarisateur de la pensée de Kant.

[20] Contemporain de Gauss, Clausewitz a suivi à l’école de guerre l’enseignement de Paul Erman, pionnier de l’utilisation des outils de l’analyse mathématique pour comprendre des phénomènes jusque-là mystérieux : l’électricité ou le magnétisme.

[21] Ainsi par exemple, « chaque général ne possède une vue précise que de sa propre situation » (I,1,18,p.38). Le chef d’armée est donc toujours dans une position d’incertitude quant à sa situation et quant à celle de son adversaire. Mais ce déficit d’information implique aussi la possibilité d’un plan de guerre, objet de la stratégie. Cela va lui permettre de pallier cette carence en intégrant, à partir de son propre point de vue, la compréhension générale des tendances qui le composent : Ugo Batani et Frédéric Berland explique que « de même que le theorema egregium (le théorème remarquable ») de Gauss permet à un être à deux dimensions de savoir si la surface sur laquelle il vit est courbée ou non sans jamais avoir fait appel à des éléments du monde tridimensionnel, de même le général peut, au sein de son plan de guerre, projeter la complexité insondable de la guerre trinitaire et s’y orienter comme on s’oriente grâce à une carte » (3 en 1 Bréal, p.32)