Le monde des passions (1) : Andomaque de Racine, La Dissertation sur les passions de Hume, La Cousine Bette de Balzac : introit

I-                     Le moment d’Andromaque

1-        Le monde de la tragédie racinienne : un monde de passions : les leçons d’un frontispice

a)        Melpomène au poignard, couronne vacillante derrière elle ou le sublime des passions politiques

-           Corneille

-           Le moment d’Andromaque  

 

b)        La représentation des passions internes, entre déchaînement des passions violentes et pathétique

 

Texte écho Corneille, préface d’Héraclius, 1647 : « Aristote […] ne veut pas qu’on compose une tragédie d’un ennemi qui tue son ennemi, parce que, bien que cela soit fort vraisemblable, il n’excite dans l’âme des spectateurs ni pitié, ni crainte, qui sont les deux passions de la tragédie ; mais il nous renvoie la choisir dans les événements extraordinaires qui se passent entre personnes proches, comme d’un père qui tue son fils, une femme son mari, un frère sa sœur, ce qui n’étant jamais vraisemblable, doit avoir l’autorité de l’Histoire ou de l’opinion commune pour être cru, si bien qu’il n’est pas permis d’inventer un sujet de cette nature. C’est la raison qu’il donne que les Anciens traitaient presque les mêmes sujets, d’autant qu’ils rencontraient peu de familles où fussent arrivés de pareils désordres, qui font les belles et puissantes oppositions du devoir et de la passion.

 

c)        Les putti, allégorie des passions externes

 

Textes écho : la catharsis en question

Nature de la catharsis aristotélicienne : purgation des passions des spectateurs ou épuration des passions internes par la dramaturgie et par la rhétorique ?

Aristote : Poétique (1452-1453) « On peut produire le terrible et le pitoyable par le spectacle, ou le tirer du fond même de l'action. Cette seconde manière est préférable à la première, et marque plus de génie dans le poète : car il faut que la fable soit tellement composée, qu'en fermant les yeux, et à en juger seulement par l'oreille, on frissonne, on soit attendri sur ce qui se fait ; c'est ce qu'on éprouve dans l'Oedipe. Quand c'est l'effet du spectacle, l'honneur en appartient à l'ordonnateur du théâtre plutôt qu'à l'art du poète. Mais ceux qui, par le spectacle, produisent l'effrayant au lieu du terrible ne sont plus dans le genre ; car la tragédie ne doit point donner toutes sortes d'émotions, mais celles-là seulement qui lui sont propres. Puisque c'est par la pitié et par la terreur que le poète tragique doit produire le plaisir, il s'ensuit que ces émotions doivent sortir de l'action même. Voyons donc quelles sont les actions les plus capables de produire la terreur et la pitié. Il est nécessaire que ces actions se fassent par des personnes amies entre elles, ou ennemies ou indifférentes. Qu'un ennemi tue son ennemi, il n'y a rien qui excite la pitié, ni lorsque la chose se fait, ni lorsqu'elle est près de se faire ; il n'y a que le moment de l'action. Il en est de même des personnes indifférentes. Mais si le malheur arrive à des personnes qui s'aiment ; si c'est un frère qui tue ou qui est au moment de tuer son frère, un fils son père, une mère son fils, un fils sa mère, ou quelque chose de semblable, c'est alors qu'on est ému et c'est à quoi doivent tendre les efforts du poète. Il faut donc bien se garder de changer les fables reçues ; je veux dire qu'il faut que Clytemnestre périsse de la main d'Oreste, comme Eriphyle de celle d'Alcméon. C'est au poète à chercher des combinaisons heureuses, pour mettre ces fables en oeuvre.

 

Catharsis, passions tragiques et nature du héros tragique : les conditions de la sympathie

« On ne saurait y voir ni des hommes justes passer du bonheur au malheur (car cela ne suscite ni frayeur ni pitié, mais la répulsion), ni des méchants passer du malheur au bonheur (car c’est, de toutes les situations, la + éloignée

 

Racine, 1ère préface d’Andromaque : « Aristote bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c.à.d. ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants. Il ne veut pas qu’ils soient extrêmement bons, parce que la punition d’un homme de bien exciterait plutôt l’indignation du spectateur ; ni qu’ils soient méchants avec excès, parce qu’on n’a point pitié d’un scélérat. Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c.à.d. une vertu capable de faiblesse et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester ».

 

Passions externes : le paradoxe de la tragédie

Saint Augustin, Confessions, livre III : « Comment se fait-il qu’au théâtre l’homme veuille souffrir au spectacle de faits douloureux et tragiques, dont il ne voudrait pourtant nullement pâtir lui-même ? Et pourtant il veut pâtir de la souffrance qu’il en retire, comme spectateur, et c’est la souffrance même qui fait sa volupté. […] L’auteur de ces fictions imaginaires jouit d’autant + de sa faveur qu’il ne fait souffrir davantage : ces malheurs tirés de l’Antiquité ou de la fiction pure, sont-ils traités sans que le spectateur en souffre, celui-ci quitte sa place, il est dégoûté, il critique ; mais qu’il en souffre, il reste là attentif et réjoui » ?

 

 La Mesnardière : « Pour donner donc quelque connaissance de l’art poétique, nous ferons voir comment les poètes suivent leurs règles pour éblouir leurs lecteurs par la grandeur des choses qu’ils proposent , pour les enchanter par une image de la vérité, pour les gagner en ne disant rien qui soit opposé à leurs inclinations, et pour exciter dans leur cœur toutes les passions qu’ils sont bien aise d’y sentir […] Un poète habile donne tant de feu à ceux dont il peint les mouvements qu’il est impossible qu’en même temps que nous sommes liés à eux par le plaisir, nous ne soyons aussi brûlés des mêmes flammes ».

 

Charles Le Brun frontispice pour la première édition collective des « Tragédies de Racine » (1675)

 

 

2-        Abbé de Villars « Car enfin la tragédie est la règle des passions » : 1ères réflexions sur « le monde des passions » dans Andromaque

a)        De Virgile à Racine : le sujet d’Andromaque 

Virgile, l’Enéide, livre II, vers   : « enflammé d’un grand amour pour sa fiancée ravie et en proie aux Furies vengeresse, Oreste surprend son rival sans défense et l’égorge au pied des autels de son père ».

 

b)        L’intrigue d’Andromaque : une action mue par le jeu de la seule interaction des passions

 

c)         Des personnages construits autour d’une passion dominante

 

 

II- Hume ou le « monde des passions » comme « système » et comme matrice de la réalité.

 

1-        « Le monde des passions » comme système

a)        Un modèle de pensée et de discours emprunté à Newton

Hume, Dissertation sur les passions VI,  » je ne prétends pas avoir épuisé le sujet […] Il me suffit d’avoir fait apparaître que, dans leur production comme dans leur transmission, les passions suivent une sorte de mécanisme régulier susceptible d’une investigation aussi précise que celle des lois du mouvement, de l’hydrostatique ou de toute autre division de la philosophie naturelle » (VI,9).

 

ó Dans le livre II du Traité de la Nature humaine, puis dans la Dissertation sur les passions, Hume emprunte à Newton une méthode : la méthode expérimentale, et deux concepts : de concept d’ordre ou de système et le concept de « force »

 

b)        Le concept d’ordre préside au classement des passions  en fonction surtout de :

-           la temporalité (passions directes)

-           L’objet et les causes (passions indirectes)

-           L’intensité (passions calmes et passions violentes) de la passion.

 

Mais d’autres principes de classement permettent :

-           d’opposer les passions à l’intérieur d’une même catégorie ;

-           de décomposer les catégories en sous catégories en fonction de la distance variable qui nous sépare des biens ou des maux ó modèle mathématique des probabilités :                                                   « lorsqu’un bien est certain ou très probable, il produit de la joie ; lorsqu’un mal se trouve dans la même situation, survient le chagrin ou la tristesse. Lorsqu’un bien ou un mal est incertain, il suscite la crainte ou l’espoir, selon le degré d’incertitude excitant d’un côté ou de l’autre. Le désir naît d’un bien considéré tout simplement et l’aversion, d’un mal » (I,2).

 

ð  Classer les passions permet de les identifier et de les délimiter en dégageant des points de vue. Mais le système n’est pas clos

 

c)        Une logique des passions (ne sont pas des vécus isolés les uns des autres et sans influence réciproque);  « Hume ne se satisfait pas du strict repérage des sentiments ; il s’intéresse fondamentalement à leur dynamisme » (JP Cléro) en partant du principe que les passions ne sont pas isolées les unes des autres, mais s’enchaînent rigoureusement selon un ordre déterminé  et forment donc bien système.

 

ð  principe d’association : « le principe d’association est ce principe par lequel nous passons par une transition facile d’une idée à l’autre. Quelque incertaines et changeantes que puissent être nos pensées, elles ne sont pas entièrement dépourvues de règle et de méthode dans leurs changements. Elles passent ordinairement avec régularité d’un objet à ce qui lui ressemble, à ce qui lui est contigu ou à ce qu’il produit. Quand une idée est présente à l’imagination, une autre, qui lui est unie par les relations précédentes, la suit naturellement et, introduite par ce moyen, pénètre l’imagination avec + de facilité » (II,3).

 

ð  Idée de lois qui président à la formation des passions

-           Sur le versant cognitif, 3 lois d’association des idées par

ressemblance,

contiguïté

causalité

 

-           Sur le versant affectif, loi d’association des émotions : « toutes les impressions qui se ressemblent sont liées entre elles :l’une n’a pas +tôt surgi que les autres suivent naturellement. Le chagrin et la déception suscitent la colère ; la colère, l’envie ; l’envie, la malveillance ; et la malveillance ressuscite le chagrin. D’une façon comparable, une humeur joyeuse nus porte naturellement à l’amour, à la générosité et au courage, à l’orgueil et autres affections semblables ».

 

ð  Idée que les deux versus s’allient et se renforcent mutuellement « on peut observer que l’une de ces associations corrobore l’autre et que la transition s’effectue + facilement lorsque toutes deux concourent au même objet. Ainsi un homme mis hors de lui et contrarié par  un tort infligé par autrui est-il enclin à trouver une centaine de sujets de haine, de mécontentement, d’impatience, de crainte et autres passions inquiètes ; surtout s’il peut les découvrir dans l’entourage de la personne, voire dans la personne  même qui fut l’objet de sa propre émotion » (II,3) .

 

<=> « Monde » comme système dans lequel les passions :

-            s’interpénètrent

-           se subsument dans la passion la + forte.

 

d)        Ordre du discours et méthode expérimentale

ð  « Système » ó schématisme :

-           passage, par induction,  des exemples particuliers du flux affectif (comme nous le vivons et le sentons) à la formulation de lois universelles qui permettent de penser ce cours des passions,

-           passage, par déduction, de la loi à l’expérience commune et vivante des passions dont la recherche menée par Hume doit s’efforcer de rendre compte.

 

         //  méthode de Newton : principes -> hypothèse indépendante de l’expérience ; expérience pour éprouver validité des principes

 

ð  Pb statut des exemples reconstitués idéalement :

-           synthèse que l’homme d’esprit emprunte à l’expérience (telle qu’elle se livre au sujet existant et vivant), mais déjà stylisées, socialisées.

-           Et qui sont autant de fictions

-           + fonction rhétorique de préfiguration ou de symbole de la loi que l’expérience illustre

 

 

2-        En l’absence d’autre monde ou de monde autre[1], le monde des passions, entendues au sens large de l’épistémé classique (« Qu’est-ce qu’une passion ? Il nous suffira de savoir que, au sens classique, on désigne par là tout affect de l’âme, doux ou violent, fugace ou durable » ,Jean Goldzink in 3 en 1 Dunod, p.14)    constitue la trame de l’expérience, le ciment du monde, le moyen d’entrer en relation avec toute personne ou tout objet extérieur à nous-mêmes et le moyen d’agir sur la réalité en attribuant une valeur aux impressions et aux idées.

 

a)        Les passions configurent l’espace et le temps dans lequel nous vivons, pensons et agissons.  

Ex  L’affect introduit la dimension différentielle du principe que « les objets paraissent + grands ou + petits par une comparaison avec d’autres »

 

b)        Le moi : une fiction produite par les passions  (non une substance définie par des passions)  

Ex Le moi n’est  pas défini a priori par l’orgueil (Saint Augustin, Pascal, La Rochefoucauld), il est le produit de l’orgueil. Certes il y a des psychismes bien distincts, puisque les passions dépendent des idiosyncrasies comme des circonstances. Mais ces idiosyncrasies sont au moins autant ce que le jeu des passions a sélectionné que leur siège.

 

c)        Par les passions, nous vivons dans un monde de valeurs et ces valeurs ne sont pas uniquement subjectives, puisqu’elles sont aussi et avant tout sociales, culturelles, historiques

Argument 1 Les passions sont à l’origine de nos jugements de valeur, non leurs effets : « quelques objets, par la structure originelle de nos organes, produisent immédiatement une sensation agréable et sont, pour cette raison, dénommées des « BIENS », tandis que d’autres, à cause de leur sensation immédiatement désagréables, reçoivent l’appellation de « MAUX » (I,1).

 

Exemple 1 La maladie d’un ami n’est un mal que parce qu’elle nous chagrine : en l’absence de tout chagrin, nous le ferions que nous la représenter, sans pouvoir dire quelle est pour nous sa valeur.

 

Argument 2 Les valeurs qui naissent de nos passions, régissent comportements et guident nos actions ne sont pas seulement individuelles, elles sont aussi sociales : les images de nous-mêmes, les sentiments que la société nous intime d’éprouver, et que nous éprouvons en effet, empêchent de distinguer ce qui revient de l’individu et ce qu’on peut attribuer à la société, à la culture, à l’histoire dans les opérations psychiques qui expliquent les comportements économiques, politiques, familiaux des hommes.

 

Corolaire : les passions relèvent simultanément de la nature humaine et de l’histoire : il n’y a pas d’antinomie entre la nature et l’histoire si l’on considère que ce qui est naturel, c’est le régulier, ce qui obéit à des lois qu’on peut énoncer, mais que les systèmes auxquels ces lois naturelles obéissent peuvent évoluer sous l’effet de leur propre fonctionnement. L’histoire devient alors la règle de la nature.

 

Exemple : TNH quand il suggère que, dans un monde où les techniques de transport et de commerce modifient notre rapport à l’espace et au temps, les constituants spatio-temporels des passions changent ; ils modifient en particulier leurs proportions, et, par conséquent les passions mêmes

 

d)        Enfin la passion est le fondement de la praxis, laquelle relève d’un autre ordre que la raison et la vérité.

Texte :  Dissertation sur les passions, section V

 

Reformulation sommaire des arguments

ð  La passion ne relève pas de la raison théorique, car celle-ci ne peut régir que ce qui relève de son ordre : discriminer le vrai du faux selon les 2 principes qui le déterminent :

-           (in)adéquation au réel

-           (non)conformité aux lois de la logique).

 

ð  Dans le domaine de la raison pratique, les passions déterminent seules la volonté à agir

 

ð  Corolaire : ce que le sens commun appelle raison, et que la tradition rationaliste a eu tort de confondre avec l’ordre de la raison, n’est qu’une passion calme,

 

III-Le « monde de Balzac » dans La Cousine Bette : un « monde de passions »

1-        La passion comme composante essentielle de la création romanesque et de l’humanité balzacienne

a)        Les passions comme moteur de la création romanesque

 Balzac, « Lettre à M. Hyppolite Castille, l’un des rédacteurs de La Semaine », La Semaine, 11-10-1846 : « Les grandes œuvres subsistent par leurs côtés passionnels […] L’écrivain a noblement rempli sa tâche, lorsqu’en prenant cet élément essentiel à toute œuvre littéraire, il l’accompagne d’une grande leçon » : écrire un roman implique de mettre en scène les passions.

 

Exemple de LCB :

ð  un drame construit sur l’intrication étroite de trois passions :

-            la vengeance née de la jalousie ;

-           la vanité née du désir de parvenir pour prendre sa revanche sur la Misère et/ ou pour se venger, par désir mimétique, d’un rival heureux et d’un sentiment d’humiliation ;

-            la passion amoureuse si souvent dégradé en désir érotique de satisfaction du plaisir sexuel, voire en érotomanie

 

ð  des passions démultipliées, selon un principe de prolifération kaléidoscopique :

-            au sein du clan Fischer-Hulot-Crevel-Marneffe

-            dans les divers lieux et milieux où les passions des divers acteurs de cette « scène de la vie parisienne », qui relève aussi des « scènes de la vie privée », des « scènes de la vie militaire » et des « scènes de la vie politique » les mènent ;

-           dans les deux ou trois époque que leur libertinage, l’appartenance des Hulot à l’ancienne gloire impériale et celle de la bourgeoisie triomphante au « bourbier de plaisir » ou au « juste milieu » de la Monarchie de juillet impliquent enfin.

 

b)         « La passion est toute l’humanité » ( Avant Propos à la Comédie Humaine) ; « la vie est dans la passion » (Physiologie du mariage).

ð  Le culte de l’énergie  (puissance vitale) et de la volonté[2]. A trouvé dans les événements révolutionnaires et dans les guerres de l’empire un investissement. Peut/ devrait pouvoir encore s’exprimer dans un grand amour, une grande action, une œuvre d’art.

 

ð   Balzac ne la condamne pas en soi.

-            Il la sait d’autant + irrépressible qu’ »il est en nous un sentiment inné, développé d’ailleurs outre mesure par la société, qui nous lance à la recherche, à la possession du bonheur (Modeste Mignon), et que « tuer la passion, ce serait tuer la société » (La Maison Nucingen),

-            Il en fait même, l’éloge à propos de Fourier et dans Louis Lambert

Balzac, La Revue parisienne, 25 août 1840 : « Quand Fourier n’aurait que sa théorie sur les passions, il est digne d’être un peu mieux analysé. Sous ce rapport, il continue la doctrine de Jésus. Jésus a donné l’Âme au Monde. Réhabiliter les passions, qui sont les mouvements de l’âme, c’est se constituer le mécanicien du savant. Jésus a révélé la Théorie, Fourier invente l’application. Fourier a considéré certes avec raison les passions comme des ressorts qui dirigent l’homme et conséquemment les sociétés. Ces passions étant d’essence divine, car on ne peut pas supposer que l’effet que l’effet ne soit pas en rapport avec la cause, et les passions sont bien les mouvements de l’âme, elles ne sont donc pas mauvaises en elles-mêmes. En ceci, Fourier rompt en visière, comme tous les grands novateurs, comme Jésus, à tout le passé du monde. Selon lui, le milieu social dans lequel elles se meuvent rend seul les passions subversives. Il a conçu l’œuvre colossale d’approprier les milieux aux passions, d’abattre les obstacles, d’empêcher les luttes. Or, régulariser l’essor de la passion, l’atteler au char social n’est pas lâcher la bride aux appétits brutaux ? N’est-ce pas faire œuvre d’intelligence et non de matérialité Ceci est le sens général de la doctrine de Fourier comme la divinité possible de l’âme immortelle est le sens général du christianisme ».

 

Louis Lambert, étude philosophique, montre que la passion peut être grande quand elle est bien orientée, qu’elle fortifie l’énergie du génie par le concours de la volonté et s’applique à un travail de production qui permet de mettre à profit les ressources de la « Spécialité » et de la « seconde vue » qui sont les siennes.

 

Traces dans LCB

Construction du personnages du « héros de Forzheim », qui «savait être trop grand pour avoir besoin de faire de la grandeur »

Hortense: « Ah ! si je pouvais apprendre à faire de statues, comme je remuerais la glaise ! dit-elle en tendant ses beaux bras. N voyait que la femme tenait les promesses de la jeune fille. L’œil d’Hortense étincelait : il coulait dans ses veines un sang chargé de fer, impétueux ; elle déplorait d’employer son énergie à tenir son enfant ».

A +sieurs reprises même est évoquée l’énergie vitale de personnages comme Bette ou Valérie.

 

ð  Une énergie dévoyée et dilapidée dans LCB

-           Exemple de Wenceslas, résumé dans le sujet de sa dernière œuvre : Samson et Dalila

-           Exemple de la cousine Bette

-           « L’énergie du vice » dans les autres personnages.

-           Texte écho : La Peau de chagrin , allégorie du dilemme entre l’impossible vie de mort vivant, sans plaisir (vivre à l’économie, sans plaisirs, et ainsi durer), et la consomption de la vie dans l’assouvissement de tous les désirs (exister intensément, mais en dépensant son capital d’énergie, de sorte que vivre, c’est mourir, dans une société régie par l’égoïsme, le plaisir et l’argent),

 

c)        Le monde des passions : un monde du vice (« Or la passion, c’est l’excès, c’est le mal », Lettre à H Castille, op cit), produit d’une vie sociale déterminée par l’Histoire

Balzac, Avant Propos à la Comédie humaine « Si Buffon a fait un magnifique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l'ensemble  de la zoologie, n'y avait-il pas une oeuvre de ce genre à faire pour la Société ? […] La Société française allait être l'historien, je ne devais être que le secrétaire. En dressant l'inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la Société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des moeurs […] S'en tenant à cette reproduction rigoureuse, un écrivain pouvait devenir un peintre plus ou moins fidèle […]; mais, pour mériter les éloges que doit ambitionner tout artiste, ne devais-je pas étudier les raisons ou la raison de ces effets sociaux, surprendre le sens caché dans cet immense assemblage de figures, de passions et d'événements ? […] Ainsi dépeinte, la Société devait porter avec elle la raison de son mouvement. »

 

LCB , entre dégradation des valeurs héroïques dans le « bourbier du plaisir » et la bourgeoisie « Juste milieu » de la Monarchie de Juillet

-           L’exemple de la trajectoire du baron Hulot ;

-           L’exemple du « le More de Rio de Janeiro » : »Mon petit [….], Roland furieux fait très bien dans un poème ; mais dans un appartement, c’est prosaïque et cher ! »

-                      L’ironie de Balzac n’épargne pas la bourgeoisie Juste milieu à travers la figure de Victorin Hulot: »Victorin Hulot reçut, du malheur acharné sur sa famille, cette dernière façon qui perfectionne ou qui démoralise l’homme. Il devint parfait.  Dans les grandes tempêtes de la vie, on imite les capitaines qui, par les ouragans, allègent le navire de grosses marchandises. L’avocat perdit son orgueil intérieur, son assurance visible, sa morgue d’orateur et ses prétentions politiques. Enfin il fut en homme ce que sa mère était en femme. Il résolut d’accepter sa Célestine, qui, certes, ne réalisait pas son rêve ; et jugea sainement la vie en voyant que la loi commune oblige à se contenter en toutes choses d’à peu près. Il se jura à lui-même d’accomplir ses devoirs, tant la conduite de son père lui fit horreur ».  Mais »Malheur à qui touche à ma mère, je n’ai + alors de scrupules ! Su je pouvais, j’écraserais cette femme comme on écrase une vipère ».

 

2-        LCB ou le tableau de passions dévastatrices

 

Avant-Propos »En lisant attentivement le tableau de la Société, moulée, pour ainsi dire, sur le vif avec tout son, bien et tout son mal, il en résulte cet enseignement que si la pensée, ou la passion, qui comprend la pensée et le sentiment, est l’élément social, elle en est aussi l’élément destructeur » ()

 

a)        Destruction du sujet

ð  Destruction physique

L’exemple de Marneffe

L’exemple du baron Hulot : « Agréable vieillard, complètement détruit », paraît « âgé de 80 ans, (les) cheveux entièrement blancs, le nez rougi par le après trois ans d’ froid dans une figue pâle et ridée comme celle d’une vieille femme, allant d’un  pas traînant, les pieds dans des pantoufles de lisière, le dos vouté »

La mort de Valérie Marneffe, atteinte d’une maladie vénérienne qui détruit, avec son corps, sa beauté et fait d’elle un objet d’aversion : »je n’ai plus de corps, je suis un tas de boue ... . on ne me permet pas de me regarder dans un miroir » ; »ses dents et ses cheveux tombent, elle a l’aspect des lépreux, elle se fait horreur à elle-même ; ses mains, épouvantables à voir, sont enflées et couvertes de pustules verdâtres ; les ongles déchaussés restent dans les plaies qu’elle gratte ; enfin toutes les extrémités se détruisent dans la sanie qui les ronge ».

 

ð  « coups de poignard dans le cœur «  e

L’exemple de la baronne Hulot

L’exemple du comte Hulot

 

ð  La passion létale : aliène et annihile, avec la volonté, le libre arbitre et l’aptitude de décider de sa propre existence.

L’exemple des « 5 pères de l’Eglise

L’exemple de Wenceslas : « en deux ans et demi, Steinbock fit une statue et un enfant. L’enfant était sublime, la statue était détestable ».

De l’amoralité à l’immoralité : l’exemple du baron Hulot qui mériterait la « cour d’assise » oh du « parfait Victorin », qui pactise avec le crime.

 

b)        « C’est la mort de la Famille » : destruction financière et structurelle de la Famille, « point de départ de toutes les institutions » (Le Curé de village)

 

c)        Etiologie de la passion  « D’où vient ce mal profond ? ».De l’or  et de la chair, du manque de religion aussi, selon Bianchon : « du manque de religion […] et de l’envahissement de la finance, qui n’est autre que l’égoïsme solidifié. L’argent autrefois n’était pas tout ou admettait des supériorités qui le primaient. Il y avait la noblesse, le talent, les services rendus à l’Etat ; mais aujourd’hui la loi fait de l’argent un étalon général […] Eh bien entre la nécessité de faire fortune et la dépravation des combinaisons, il n’y a pas d’obstacle, car le sentiment religieux manque en France, malgré les louables efforts de ceux qui tentent une restauration catholique. Voilà ce que disent tous ceux qui contemplent, comme moi, la société dans ses entrailles ».



[1] Idée antique du Logos comme se rapportant au champ de la raison, de l’ordre, de l’harmonie, de la clarté, de l’universalité et de la vie. Monde des Idées platoniciennes ou monde de la Raison stoïcienne. « Cité de Dieu » définie par Saint Augustin. Dans ces cas de figure, le monde des passions n’est pas pensé pour lui-même, mais comme le négatif de ce qui est considéré comme le fondement métaphysique du monde, partant le monde vrai ou la réalité vraie, à l’aune desquels est mesuré, défini, caractérisé et pensé le monde des passions comme strict négatif du monde de la Raison, des essences, de l’Être, du divin, de la Sagesse etc… : le monde de l’ignorance  (Platon), de la perturbation de l’intelligible par le sensible (Platon), de l’irrationnel (étiologie de la passion comme opinion fausse), du charnel, sources de désordre, de la disharmonie, d’obscurité, de variabilité, de particularité, de maladie, de folie et de mort, etc

[2] 4 influences :  loi de conservation de la matière de Lavoisier, théorie de Bichat sur la distribution des forces dans les organismes vivants ; vogue du magnétisme et  correspondance établie par Swedenborg entre monde physique et monde spirituel,