Aujourd’hui, nous avons eu la chance de visiter la superbe exposition Georges Braque au Grand Palais. C’est d’ailleurs à ce jour la plus grande exposition ayant existé sur ce peintre !

Grâce à notre guide, nous avons appris beaucoup sur la vie et l’œuvre monumentale de cet artiste, né à Argenteuil en 1882 et mort en 1963 (l’exposition commémorant ainsi le cinquantième anniversaire de sa mort).


Cette exposition nous a offert un parcours thématique et chronologique dans l’œuvre de Braque.

C’est au cours de son apprentissage de la peinture de bâtiment à Paris qu’il a commencé à s’intéresser à la peinture dite « de chevalet », tout en poursuivant un apprentissage de peintre-décorateur.

En 1902, il abandonne l’idée de succéder à son père pour se consacrer définitivement à l’art. Alors qu’il pratique d’abord une peinture traditionnelle, il a l’occasion en 1905 de découvrir, au Grand Palais justement, les peintres fauves comme Matisse ou Derain : ces derniers ne peignent plus de manière imitative, les formes sont à peine esquissées et ce sont bien les couleurs qui envahissent la toile, mais sans qu’elles correspondent à la réalité. Les couleurs représentent ce que le peintre ressent devant les choses. Après avoir découvert cette nouvelle manière de peindre, Braque détruit tout ce qu’il a réalisé jusque là et repart à zéro.


1.    Du fauvisme au cubisme 

Dans son tableau l’Estaque (1906-1907), Braque est influencé par ce courant fauviste mais aussi par la peinture de Paul Cézanne. Tout comme Cézanne, Braque part à la découverte de la lumière du Sud de la France, et tout comme Cézanne, il modifie le regard du spectateur : lorsqu’on regarde l’Estaque, on est moins attiré par le fond du tableau que par ce qui se passe devant.


Dans le Port de l’Estaque, la ligne d’horizon est à peine présente, le regard du spectateur est redirigé vers l’avant du tableau.


Tout comme Cézanne, Braque commence à introduire également des formes géométriques, qui seront plus marquées dans Maisons à l’Estaque (1908). Dans ce tableau, il y a de moins en moins de couleurs (Braque se démarque ainsi du fauvisme), on ne voit plus le ciel (la ligne d’horizon a donc disparu, la perspective est annulée) et les formes géométriques sont plus marquées. Grâce à cette géométrie, on dirait que l’espace s’avance vers nous.

Cette utilisation des formes géométriques, il la partage avec le célèbre peintre Picasso, avec qui il va être mis en contact par l’écrivain Apollinaire, qui avait remarqué des similitudes dans les styles des deux artistes. Braque rencontre Picasso dans son atelier : la force des Demoiselles d’Avignon le frappe et il se met à travailler dans le même sens.

Les deux artistes tournent autour de leur modèle ou des objets qu’ils peignent : iIs souhaitent les représenter  en même temps sous tous les côtés. Le critique d’art et journaliste Louis Vauxcelles écrit à propos des toiles que Braque présente en 1908 chez le marchand Kahnweiler : « Mr braque est un jeune homme fort audacieux […]. Il méprise la forme, réduit tout, sites, figures et maisons, à des schémas géométriques, à des cubes… ». Le cubisme est né !

Ensemble, Picasso et Braque ont donc inventé ce courant cubiste, l’un avec Les Demoiselles d’Avignon, et Braque avec Le Grand nu (1907/1908). On peut ainsi regarder Le grand nu de différents points de vue. On a même l’impression de pouvoir tourner autour du tableau.


 

Picasso                                                                                                                           Braque

2.    Le cubisme analytique

Au cours des années suivantes, Braque va peu à peu abandonner le paysage pour se consacrer presque entièrement à la nature morte. On va appeler cette période le cubisme analytique.

En se plongeant dans cette thématique de la nature morte, Braque a certainement été influencé par le grand peintre du 18e siècle, Chardin. C’est ainsi que le tableau Les instruments de musique (1908) nous rappelle fortement Les attributs de la musique, peint par Chardin en 1767.




                                     



Chardin                                                                                         

                                                       Braque

Braque était d’ailleurs un passionné de musique et cette thématique musicale marque ses natures mortes comme Guitare et compotier ou Nature morte à la mandore et au métronome. Dans ce tableau qui illustre parfaitement le cubisme analytique, l’espace est perçu comme coupant et agressif, et on dirait que tout s’avance vers nous. On remarque également qu’il y a de moins en moins de couleurs : on a simplement des camaïeux (camaïeu : peinture dans laquelle on n’emploie qu’une seule couleur dans différents tons) de brun ou de gris.

Dans Broc et violon, le clou contre le mur que l’on peut observer en haut du tableau montre qu’il n’y a plus d’espace derrière nous mais que tout s’avance au contraire.


C’est d’ailleurs pour cette raison que le peintre avait du mal à finir les angles de ses tableaux et qu’il s’est mis à peindre dans des tableaux ovales, comme Femme à la mandoline (1910).

 

3.    La période des papiers collés 

C’est Braque qui a créé cette technique des papiers collés que l’on peut admirer dans plusieurs toiles. Alors qu’il avait déjà introduit dans ses tableaux des lettres et des chiffres, il va associer dessins et papiers collés. Il avait acheté un rouleau de papier faux bois dans un magasin de décoration et il a commencé à en coller pour la première fois dans son tableau, La Guitare. Dans cette œuvre, on a l’impression que la guitare se trouve résumée à travers ce papier faux bois où on observe comme des cordes de guitare justement.


Braque va commencer à se servir de toutes sortes de papiers, comme dans Violon et pipe (1913-1914) ou dans La mandoline, où on peut apprécier la richesse des papiers collés. Dans le tableau Compotier et cartes, il a imité cette fois-ci les papiers collés (en utilisant un peigne notamment), et les effets de transparence font qu’on promène son regard dans différents espaces.


4.    Le cubisme synthétique 

Braque va ensuite revenir progressivement à une peinture plus figurative, plus colorée. Ce changement peut s’expliquer par le fait qu’il a été marqué par le traumatisme de la première guerre mondiale. Envoyé au combat en 1914, il est gravement blessé et ne peindra plus pendant trois ans !

Dans La musicienne (1917), son premier tableau peint après cette interruption, la couleur est revenue, il a aussi réalisé une sorte de cadre gris qui entoure le tableau, avec sa signature qui sort de la toile pour ainsi dire, ce qui marque l’idée d’espace.


D’autres tableaux, comme Guitare et verre, La joueuse de mandoline ou Rhum et guitare sont représentatifs de cette période.

Petit à petit, Braque change sa manière de peindre et s’éloigne peu à peu de Picasso.

Dans La cheminée, la surface est granulée et on a l’impression que tout est représenté en trois dimensions. Braque prend en effet peu à peu l’habitude de mélanger à sa peinture de la terre, ou de la sciure pour bois ou même des cendres de cigarettes pour faire penser à la matière, à la réalité. Dans Guitare et nature morte sur la cheminée, Braque se sert de son expérience de peintre-décorateur pour imiter les marbres de la cheminée.

D’autres natures mortes  comme Guitare et verre (1921) ou La table ronde (1929) vont marquer cette évolution dans sa manière de peindre.


5.    Braque et le « retour à l’ordre » 

Braque va aussi durant cette période des années 1920 interpréter à sa manière ce courant artistique de retour à l’ordre (retour à un art plus classique), en reprenant les canéphores réalisées dans l’Antiquité. C’étaient des sculptures représentant une jeune fille avec une corbeille sur la tête, visibles au Musée du Louvre, et il en a fait un sujet de peinture.


Cet intérêt pour l’Antiquité grecque va aussi l’amener à faire de la sculpture : là, il va pouvoir aller à l’essentiel des choses comme dans Le Petit cheval où il va à l’essentiel du cheval, c’est-à-dire sa forme. On ne peut aussi qu’admirer ces  immenses panneaux réalisés sur du plâtre noir gravé de blanc (Zelos, Zao et Héraclès), où il a reproduit des figures de la mythologie grecque avec un stylet et où il a allié finalement peinture et sculpture.

 

6.    Vanités, intérieurs et ateliers

La seconde guerre mondiale éclate alors. Marqué par ce nouveau conflit auquel il ne participera pas en tant que soldat, Braque va notamment exprimer sa tristesse dans certaines natures mortes comme Les poissons noirs (avec la couleur donnée aux poissons) ou Les deux Rougets (où la Majuscule M symbolisant la mort ressort pleinement). Il va aussi peindre des têtes de mort, comme dans Vanitas.


Certains intérieurs (Grand intérieur à la palette, Le salon) ou sa série des billards marquent un changement dans sa manière de peindre.

Petit à petit, son atelier va devenir un sujet de peinture pour Braque, un peu comme pour Poussin au 17e siècle. Son atelier n°1 fait d’ailleurs directement écho à l’autoportrait de Poussin. Mais alors que ce dernier s’était représenté dans son atelier, chez Braque, c’est la toile et plus exactement la nature morte qui représente le peintre.

 

7.    Les oiseaux 

Dans son tableau Atelier n°2 apparaît pour la première fois la figure de l’oiseau, qui marquera beaucoup de ses toiles par la suite. Cet oiseau peut être interprété comme le regard du peintre qui s’envole et survole les éléments représentés.


Dans Atelier n°4, l’oiseau prend la forme de la palette du peintre.

Dans un plafond que va réaliser Braque pour une salle du Louvre, l’oiseau est représenté seul, sur un fond bleu.

On peut dire des oiseaux de Braque qu’ils sont synthétiques : il ne s’agit pas de dire tout de l’oiseau mais de s’approcher de son état d’être, comme l’illustre parfaitement le tableau L’Oiseau noir et l’Oiseau blanc (1960), merveille que nous ne pourrons plus admirer avant longtemps puisque cette toile a été prêtée par un collectionneur privé !

La peinture est une sorte de poésie pour Braque, et elle est comme l’oiseau. A propos de son tableau A tire d’aile, où on peut admirer une fois encore le magnifique travail de Braque sur la matière, le peintre dira : « les oiseaux m’ont inspiré, je tente d’en extraire le meilleur profit pour mon dessin et ma peinture. Il me faut pourtant enfouir dans ma mémoire leur fonction naturelle d’oiseau. […] ce concept doit s’effacer, s’abolir pour mieux dire, pour me rapprocher de ce qui me préoccupe essentiellement : la construction du fait pictural » (extrait du livre d’André Verdet : Georges Braque. 1956).

 

8.    Les derniers paysages

A la fin de sa vie, le peintre va revenir  à ce qui a marqué ses débuts : le paysage. Il va rechercher la simplicité, avec une peinture très empâtée, donnant vie à de bouleversants tableaux comme Champs de colza ou encore sa dernière toile, La sarcleuse.


Mme Trouvé, Documentaliste