2) Rien dire, de Bernard Friot

Rien dire "Demain soir, ce sera mon tour. La prof pointera le doigt sur moi et dira : "À toi, Brahim." Et il faudra que j'y aille. Peut-être. C'est un jeu, paraît-il. Ça fait partie du "stage" de préparation au bac de français." La règle du jeu ? Un élève vient s'asseoir sur une chaise, au centre de la pièce, devant les autres, et il parle de lui, de sa situation, de ses projets, de ses passions. Sans rire. Durée de parole : le temps qu'une bougie se consume. Pour pimenter le jeu, il y a des bougies de tailles et de grosseurs différentes. Brahim a la gorge serrée, nouée, étranglée, tant il est persuadé qu'il ne pourra y arriver. C'est pourtant simple : il suffit de se lever, de s'avancer vers la chaise, de s'asseoir, d'allumer la bougie, et de parler. Demain, ce sera son tour. Mais dans la tête de Brahim, ça parle déjà. Tandis que Thomas s'avance vers la chaise, Brahim se lance dans un long monologue intérieur. Il évoque sa famille, sa passion pour la langue et les pâtisseries allemandes, son désir d'aller à Dresde après le bac et d'entrer en apprentissage chez M. Wippler. Parce que c'est décidé, il deviendra Konditormeister, maître-pâtissier, et il s'installera en Allemagne. "Parce que là-bas, au moins, ce sera clair : je serai un étranger. Pas comme ici, où je ne serai jamais que français-pas-tout-à-fait. Français, mais. Français d'origine maghrébine. Pas Français tout court. Alors oui, étranger. Et Français. Enfin."