Introduction

(par Victoria L. et Annabelle M.)

- Un blason est un poème qui fait l'éloge (c'est-à-dire le fait de dire du bien de quelqu'un ou de quelque chose) d'une partie du corps, en général féminin.
- Un contre-blason est un poème qui développe négativement une partie du corps humain.
- Les blasons sont apparus au XèV siècle mais ils deviennent à la mode en France au XVIè siècle grâce à des concours poétiques.
- Un célèbre auteur de blason: Clément Marot.

Quelques (contre-)blasons ou morceaux de bravoure s'apparentant à des (contre-)blasons...


La larme (Maurice Scève)

Comment développer sur un objet aussi infime et éphémère ?...

Larme argentine, humide et distillante
Des beaux yeux clairs, descendant coye et lente
Dessus la face, et de là dans les seins,
Lieux prohibés comme sacrés et saints.
Larme qui est une petite perle
Ronde d’en bas, d’en haut menue et grêle
En aiguisant sa queue un peu tortue
Pour démontrer qu’elle lors s’évertue
Quand par ardeur de deuil, ou de pitié
Elle nous montre en soi quelque amitié,
Car quand le cœur ne se peut décharger
Du deuil qu’il a pour le tôt soulager
Elle est contente issir hors de son centre,
Où en son lieu joie après douleur entre.
Larme qui peut ire, courroux, dédain,
Pacifier et mitiguer soudain,
Et amollir le cœur des inhumains,
Ce que ne peut faire force de mains.
Humeur piteuse, humble, douce et bénigne,
De qui le nom tant excellent et digne
Ne se devrait qu’en honneur proférer,
Vu que la mort elle peut différer,
Et prolonger le terme de la vie,
Comme l’on dit au livre d’Isaïe.
Ô liqueur sainte, ô petite larmette,
Digne qu’aux cieux – au plus haut – on te mette,
Qui l’homme à Dieu peut réconcilier,
Quand il se veut par toi humilier.
Larme qui apaise et adoucit les dieux,
Voire éblouit et baigne leurs beaux yeux
Ayant povoir encor sus plus grand-chose,
Et si ne peut la flamme en mon cœur close
Diminuer, et tant soit peu éteindre :
Et toutefois elle pourrait bien teindre
La joue blanche et vermeille de celle
Qui son vouloir jusques ici me cèle.
Ô larme épaisse ou compagne secrète
Qui sais assez comment amour me traite
Sors de mes yeux, non pas à grands pleins seaux,
Mais bien descends à gros bruyants ruisseaux,
Et tellement excite ton povoir
Que par pitié tu puisses émouvoir
Celle qui n’a commisération
De ma tant grande et longue passion.


Blason de l'oeil de Mellin de Saint-Gelais (16è siècle)

Mellin de Saint-Gelais file et développe la même métaphore sur l'oeil.

Oeil attrayant, oeil arrêté,
De qui la céleste clarté
Peut les plus clairs yeux éblouir,
Et les plus tristes éjouir
Oeil, le seul soleil de mon âme,
De qui la non visible flamme
En moi fait tous les changements
Qu'un soleil fait aux éléments,
Disposant le monde par eux
À temps froid ou à chaleureux,
A temps pluvieux ou serein,
Selon qu'il est proche ou lointain.
Car, quand de vous loin je me trouve,
Bel oeil, il est force qu'il pleuve
Des miens une obscure nuée,
Qui jamais n'est diminuée,
Ni ne s'éclaircit ou découvre,
Jusqu'à tant que je vous recouvre ;
Et puis nommer avec raison
Mon triste hiver cette saison.
Mais quand il vous plaît qu'il advienne
Que mon soleil à moi revienne,
Il n'est pas si tôt apparu,
Que tout mon froid est disparu
Et qu'il n'amène un beau printemps
Qui rend mes esprits tout contents ;
Et hors de l'humeur de mes pleurs
Je sens renaître en lieu de fleurs
Dans mon coeur dix mille pensées
Si douces et si dispensées
Du sort commun de cette vie,
Qu'aux dieux ne porte nulle envie.


Sonnet de Paul Scarron (17è siècle)

Voici un exemple de contre-blason. Le poème s'adresse à une certaine Heleine dont le rire ulcère le poète.

Vous faites voir des os quand vous riez, Heleine,
Dont les uns sont entiers et ne sont gueres blancs ;
Les autres, des fragmens noirs comme de l'ebene
Et tous, entiers ou non, cariez et tremblans.

Comme dans la gencive ils ne tiennent qu'à peine
Et que vous esclattez à vous rompre les flancs,
Non seulement la toux, mais vostre seule haleine
Peut les mettre à vos pieds, deschaussez et sanglans.

Ne vous meslez donc plus du mestier de rieuse ;
Frequentez les convois et devenez pleureuse :
D'un si fidel avis faites vostre profit.

Mais vous riez encore et vous branlez la teste !
Riez tout vostre soul, riez, vilaine beste :
Pourveu que vous creviez de rire, il me suffit.


N. B. : un élève de la 5è2 de Roby a imaginé la réponse d'Heleine à Scarron.



La chevelure de Baudelaire (Les Fleurs du mal, 19è siècle)

La chevelure est, pour Baudelaire, un lieu, une région du monde, objet de voyage et de découverte. Un des mots d'ordre de Baudelaire est de "plonger dans l'inconnu pour trouver du nouveau"... à vous d'en juger !

O toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
O boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !
Comme d'autres esprits voguent sur la musique,
Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,
Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;
Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !
Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve
De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum, le son et la couleur ;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?


Un hémisphère dans une chevelure, Baudelaire (Le Spleen de Paris, 19è siècle)

Ce poème en prose est publié dans l'autre grand recueil de Baudelaire, Le Spleen de Paris. Il est très intéressant de le comparer au poème précédent.

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.


Tirade du nez de Cyrano de Bergerac dans la pièce éponyme d'Edmond Rostand (19è siècle)

Un noble provoque l'intrépide et orgueilleux Cyrano au sujet de son nez, en se contentant de lui dire que son nez est "grand". Mais ce seul adjectif ne satisfait pas le poète qu'est Cyrano de Bergerac...

Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire... Oh! Dieu!... bien des choses en somme.
En variant le ton,-par exemple, tenez:
Agressif: " Moi, Monsieur, si j'avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse ! "
Amical: " Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap! "
Descriptif: " C'est un roc ! . .. c'est un pic ! . . . c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ?. .. C'est une péninsule ! "
Curieux: " De quoi sert cette oblongue capsule ?
D'écritoire, Monsieur, ou de boite à ciseaux ? "
Gracieux: " Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? "
Truculent: " Ça, Monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ? "
Prévenant: " Gardez-vous, votre tête entrainée
Par ce poids, de tomber en avant sur le sol ! "
Tendre: " Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! "
Pédant: " L'animal seul, Monsieur, qu'Aristophane
Appelle Hippocampelephantocamelos
Dût avoir sous le front tant de chair sur tant d'os ! "
Cavalier: " Quoi, I'ami, ce croc est à la mode ?
Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode! " ,
Emphatique: " Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral ! "
Dramatique: " C'est la Mer Rouge quand il saigne ! "
Admiratif: " Pour un parfumeur, quelle enseigne ! "
Lyrique: " Est-ce une conque, êtes-vous un triton ? "
Naïf: " Ce monument, quand le visite-t-on ? "
Respectueux: " Souffrez, Monsieur, qu'on vous salue,
C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue! "
Campagnard: " He, arde ! C'est-y un nez ? Nanain !
C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain ! "
Militaire: " Pointez contre cavalerie ! "
Pratique: " Voulez-vous le mettre en loterie ?
Assurément, Monsieur, ce sera le gros lot! "
Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot:
" Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie! Il en rougit, le traître! "


"La courbe de tes yeux [...]" de Paul Eluard (Capitale de la douleur, 20è siècle)

La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.