Le monstre dans les contes (6e)
Par Ariane Bach (ESPE Gennevilliers) le 04 octobre 2016, 15:53 - Lien permanent
Consigne : Comment Charles Perrault et Gustave Doré s'y prennent-ils pour rendre l'ogre effrayant ? Comparez la gravure et l'extrait du conte.
Comme ils commençaient à se chauffer, ils entendirent heurter trois ou quatre grands coups à la porte : c’était l’Ogre qui revenait. Aussitôt sa femme les fit cacher sous le lit, et alla ouvrir la porte. L’Ogre demanda d’abord si le souper était prêt, et si on avait tiré du vin, et aussitôt se mit à table. Le mouton était encore tout sanglant, mais il ne lui en sembla que meilleur. Il flairait à droite et à gauche, disant qu’il sentait la chair fraîche. « Il faut, lui dit sa femme, que ce soit ce veau que je viens d’habiller, que vous sentez — Je sens la chair fraîche, te dis-je encore une fois, reprit l’Ogre, en regardant sa femme de travers ; et il y a ici quelque chose que je n’entends pas. » En disant ces mots, il se leva de table, et alla droit au lit. « Ah ! dit-il, voilà donc comme tu veux me tromper, maudite femme ! Je ne sais à quoi il tient que je ne te mange aussi : bien t’en prend d’être une vieille bête. Voilà du gibier qui me vient bien à propos pour traiter trois ogres de mes amis, qui doivent me venir voir ces jours-ci. »
Il les tira de dessous le lit, l’un après l’autre. Ces pauvres enfants se mirent à genoux, en lui demandant pardon ; mais ils avaient affaire au plus cruel de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévorait déjà des yeux, et disait à sa femme que ce seraient là de friands morceaux, lorsqu’elle leur aurait fait une bonne sauce.
Il alla prendre un grand couteau ; et en approchant de ces pauvres enfants, il l’aiguisait sur une longue pierre, qu’il tenait à sa main gauche. Il en avait déjà empoigné un, lorsque sa femme lui dit : « Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain ? — Tais-toi, reprit l’Ogre, ils en seront plus mortifiés. — Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme : voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon ! — Tu as raison, dit l’Ogre : donne leur bien à souper, afin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. »
Charles Perrault, "Le Petit Poucet" (extrait), Contes de Perrault (éd. 1902) (via Wikisource)
Gustave Doré, gravure pour le conte "Le Petit Poucet" (gravure sous creative commons)