Robert MERLE, La mort est mon métier Elie WIESEL, la nuit Préparation du voyage
Par Tierny Sylvie (lycée Albert Camus 92270 Bois colombes) le 18 novembre 2017, 21:20 - ZACHOR - Lien permanent
Voici un choix de lectures proposé aux élèves par Mme HURON, professeur d'anglais, qui accompagne le voyage à Auschwitz.
Elie Wiesel, La Nuit. extraits.
Les barbelés qui, comme une muraille, nous encerclaient ne nous inspiraient pas de réelle crainte. Nous nous sentions même assez bien : nous étions tout) fait entre nous. Une petite république juive (…) Chacun en était émerveillé. Nous vivions entre Juifs, entre frères… Ce n’était ni l’Allemand, ni le Juif qui régnait dans le ghetto : c’était l’illusion.
(…)
Jamais je n’oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n’oublierai cette fumée. Jamais je n’oublierai le visage des enfants dont j’avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet. Jamais je n’oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi. Jamais je n’oublierai ce silence nocturne qui m’a privé pour l’éternité du désir de vivre. Jamais je n’oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert. Jamais je n’oublierai cela, même si j’étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même.

Robert Merle, La Mort est mon métier. extraits.
Robert Merle est un romancier. Il écrit La Mort est mon métier entre 1950 et 1952. Il ne s’agit pas ici d’un témoignage, mais de la fausse autobiographie de Rudolf Hoess, renommé dans l’œuvre Rudolf Lang, commandant des camps d’Auschwitz.
Le personnage de Rudolf Lang est le narrateur de sa propre histoire. Il commence par une longue narration de son enfance et de son adolescence, et surtout de ses rapports compliqués avec son père, militaire rigoriste et culpabilisateur :
« Peut-être, Rudolf, as-tu trouvé quelques fois que j’étais plus sévère avec toi qu’avec tes sœurs ou ta mère. Mais comprends Rudolf ! Comprends que toi, toi ! Tu n’as pas le droit, tu entends, pas le droit, de commettre des fautes ! »
Il y a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait cela étaient des Allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s’écrier avec horreur, comme un prêtre que j’ai connu : « Mais c’est le démon ! Mais c’est le Mal !… ».
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l’opinion populaire. Dès lors, le meurtre peut bien lui apparaitre comme la solution la plus rapide à ses problèmes.
Ce qui est affreux et nous donne de l’espèce humaine une opinion désolée, c’est que, pour mener à bien ses desseins, une société de ce type trouve invariablement les instruments zélés de ses crimes.
C’est un de ces hommes que j’ai voulu décrire dans La Mort est mon Métier. Qu’on ne s’y trompe pas : Rudolf Lang n’était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y eut sous le nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux.
(extrait de la préface)
De tout temps, […] l'honneur avait été considéré comme l'idéal suprême du soldat. Mais on savait mal alors ce qu'était l'honneur. Et dans la pratique, les soldats éprouvaient souvent des difficultés à choisir, entre plusieurs voies, celle qui leur paraissait la plus honorable. Ces difficultés, le Reichsführer était heureux de le dire, n'existait plus pour les SS. Il avait fait de cette définition la devise de sa troupe d'élite: "Ton honneur", avait-il dit, "c'est ta fidélité". Désormais, par conséquent, tout était parfaitement simple et clair. On n'avait plus de cas de conscience à se poser. Il suffisait d'être fidèle, c'est-à-dire d'obéir. Notre devoir, notre unique devoir était d'obéir. Et grâce à cette obéissance absolue, consentie dans le véritable esprit du Corps noir, nous étions sûrs de ne plus jamais nous tromper, d'être toujours dans le droit chemin, de servir inébranlablement, dans les bons et les mauvais jours, le principe éternel: L'Allemagne, l'Allemagne au-dessus de tout.
(…)
Je compris aussi qu’il fallait mettre les chambres à gaz en relation avec la gare, et construire une voie ferrée qui amènerait les transports devant leur porte, tant pour éviter les pertes de temps que pour cacher le contenu des trains à la population civile d’Auschwitz.
Ainsi, peu à peu, l’idée prenait corps dans mon esprit, avec une précision grisante, d’une gigantesque installation industrielle, directement desservie par le rail, et dont les superstructures, s’élevant sur d’immense salles souterraines, comprendraient des cantines pour le personnel, des cuisines, des dortoirs, des beutekammer (chambre de butin), ainsi que des salles de dissection et d’études pour les savant nationaux-socialistes.
(…)
Je passai la semaine qui suivit dans une angoisse terrifiante : le rendement de Treblinka était de 500 unités par 24 heures, celui d’Auschwitz devait être, selon le programme, de 3000 unités ; dans quatre semaines à peine, je devais remettre au Reichsführer un plan d’ensemble sur la question, et je n’avais pas une idée.
J’avais beau tourner et retourner le problème sous toutes ses faces, je n’arrivais même pas à entrevoir sa solution. J’avais vingt fois par jour la gorge douloureusement serrée par la certitude de l’échec, et je me répétais avec terreur que j’allais lamentablement échouer, dès l’abord, dans l’accomplissement du devoir. Je voyais bien, en effet, que je devais obtenir un rendement six fois plus élevé qu’à Treblinka, mais je ne voyais absolument aucun moyen de l’obtenir. Il était facile de construire six fois plus de salles qu’à Treblinka, mais cela n’aurait servi à rien : il eut fallu avoir aussi six fois plus de camions, et là-dessus, je ne me faisais aucune illusion. Si Schmolde, en dépit de toutes ses demandes, n’avait pas reçu de dotation supplémentaire, il allait de soi que je n’en recevrais pas non plus.
Je m’enfermais dans mon bureau, je passais des après-midi à essayer de me concentrer, je n’y parvenais pas, l’envie irrésistible me venait de me lever, de sortir de ce bureau dont les quatre murs m’étouffaient ; je me forçais à me rassoir, mon esprit était un blanc total, et j’éprouvais un profond sentiment de honte et d’impuissance à la pensée que j’étais inférieur à la tâche que le Reichsführer m’avait confiée.