Qu'on se rassure: il s'agit d'une version bien plus complexe que celle qui est demandée en niveau de seconde ou même de première.

Le but est de montrer jusqu'où on peut aller et avec quels outils. Il se peut néanmoins que certains/certaines reconnaissent une phrase ou deux de leur cru, même légèrement remanié. Bonne lecture, puisse ce texte vous inspirer.

J'ai, pour plus de clarté, mis en évidence les étapes et sous-étapes (elles ne sont bien-sûr pas à noter ainsi sur une copie!)

Introduction

Accroche

Malgré des débuts sans reconnaissance, Phèdre reste une des œuvres majeures de Racine par sa pérennité. Elle fut écrite en 1677, c'est à dire au XVIIe siècle, qui était l'époque du classicisme.

Situation du passage

Cette pièce relate la malédiction que Vénus a jetée sur la famille de Phèdre et qui insuffla à cette dernière un mystérieux amour pour son beau-fils, Hippolyte. Phèdre se permet de lui révéler ce secret car son mari, Thésée, est présumé mort.

Problématique

Par conséquent nous nous intéresserons à la manière qu'emploie Phèdre pour avouer son amour à Hippolyte. / Par conséquent nous pouvons nous demander de quelle manière Phèdre avoue son amour à Hippolyte.

Plan

Pour ce faire, nous verrons tout d'abord que Phèdre dresse un double portrait de Thésée et Hippolyte. Nous étudierons ensuite l'aveu indirect que Phèdre fait de sa passion.

Développement

Premier axe d'étude : Un double portrait qui confond passé et présent

Pour commencer, on peut observer que Phèdre s'adresse à Hippolyte dans un discours censé revenir sur la mort de Thésée : les verbes qu'elle emploie sont au présent de l'indicatif à valeur de présent d'énonciation. Elle s'adresse donc à un destinataire, Hippolyte, seul autre personnage présent sur scène. Ce destinataire est mis en évidence tout au long du passage par la répétition du pronom « vous » (v.8,23,28,30,32,39) et de les articles possessifs « votre » ou « vos » (v.24,35,41). Néanmoins, le jeu de ces pronoms dans ce passage rend évident tant le fait qu'elle « s'égare » (v.10) que sa volonté de suggérer le lien affectif qu'elle tisse entre Thésée, le père, et Hippolyte, le fils. En effet, lorsqu'elle déclare : « Je le vois, je lui parle » au vers 10, le pronom complément d'objet direct « le » renvoie à Thésée tandis que le destinataire vu et interpellé est Hippolyte. Il y a donc une confusion faite entre les deux hommes. De même, lorsqu'elle affirme que Thésée survit en Hippolyte au vers 8 : « il n'est pas mort puisqu'il respire en vous », Phèdre rapproche le défunt de son véritable interlocuteur en les opposant par une antithèse d'une part : « mort »/ « respire », qui est un synonyme médical du verbe vivre, et en les associant par les pronoms personnels « il » et « vous » disposés en début de premier hémistiche et fin de dernier hémistiche. Ces emplacements restant plus facilement dans la mémoire du lecteur/spectateur, ce choix de formulation permet l'association des deux pronoms, rapprochant ainsi les deux personnages. De plus, ce choix illustre la progression du propos de Phèdre qui part de Thésée pour en arriver à Hippolyte. Phèdre utilise également ce même présent d'énonciation au vers 23, « je vous vois », où le « vous » a remplacé le « il » : il y a donc une progression allant du mort au réel destinataire.

Cette confusion se confirme avec le portrait de Thésée que dresse Phèdre à la suite de ce discours. En effet, Phèdre utilise les temps du présent de vérité générale pour faire allusion à une technique de peinture, « tel qu'on dépeint nos dieux » v. 23 et de l'imparfait à valeur de description pour décrire son époux : « il avait votre port, vos yeux, votre langage / Cette noble pudeur colorait son visage » (v.24-25). Il s'agit donc bien d'un portrait. Dans cette description de Thésée, Phèdre introduit discrètement le personnage d'Hippolyte par le biais des pronoms : « il », qui réfère à Thésée, possède les traits de caractère physiques et moraux du possesseur désigné par « votre », « vos », « votre », c'est à dire Hippolyte. Le démonstratif « cette » renvoie à la situation d'énonciation - car il désigne un élément de celle-ci - mais est rapproché du possessif « son » qui renvoie à Thésée : la pudeur que l'on peut voir sur scène, celle d'Hippolyte, sert à peindre celle de Thésée jeune.

Le portrait se fait aussi par l'énumération de plusieurs qualités de Thésée jeune homme « fidèle, (…) fier et même un peu farouche, / Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi » (v.21-22). Ces qualités sont également attribuées à Hippolyte par la comparaison « tel que je vous vois » au vers suivant. Seule caractéristique qui ne soit pas forcément qu'une qualité, « un peu farouche » est un attrait sensuel qui permet tout de même une certaine forme de séduction pas toujours partagée. Le « et même » qui précède cette caractéristique suppose un rajout de Phèdre qui discerne cet aspect chez Hippolyte au moment de l'énonciation. On peut aussi y voir un trait de l'hérédité d'Hippolyte, fils de la Reine des Amazones : le jeune homme, comme sa mère, est « farouche », c'est à dire sauvage, indompté tels que le sont les êtres de son peuple d'origine, pour lesquels, comme il le rappelle dans la scène d'exposition, aimer est une faille. Dans ce cas, l'ajout sert à confirmer à son destinataire que c'est bien de lui que Phèdre parle, non de Thésée. Elle use de ce stratagème qui renforce la dualité du portrait pour suggérer à Hippolyte cette même dualité et le sens qu'elle porte.

Deuxième axe d'étude : L'aveu indirect de la passion de Phèdre

Jusqu'ici Phèdre était dans la suggestion. Mais son amour – elle le sent dès le départ : « ma folle ardeur malgré moi se déclare » v.11 – est trop puissant pour rester si caché. La force de cette passion est dénoncée par un grand nombre d'indices. Phèdre concède qu'elle « [s']égare » au vers 10 et cet égarement est visible dès ce même vers par les points de suspension qui précèdent, laissant une phrase incomplète qui allait exprimer quelque chose en relation avec la passion amoureuse « et mon cœur... ». Le « cœur » suggère en effet l'amour, cet organe étant devenu le symbole des sentiments dont on en fait le siège. La passion est de fait reconnaissable à plusieurs mots qui comme « cœur » suggèrent l'amour : « amour » v.13 et v.37, « adorateur » v.19, « traînant tous les cœurs après soi » v. 22, si l'on accepte cette proposition comme ayant une fonction d'épithète, « vœux » v.27, « amante » v.41 ou encore la métonymie « tête charmante » qui désigne l'amant.

À ce champ lexical de l'amour s'ajoute celui du feu qui transforme cet amour en amour passionnel et donc à la frontière de la folie : « ma folle ardeur » v.11, « âme(...) embrasée » v.15, « brûle » v.16. Le feu a coutume de représenter la passion : il s'agit d'une métaphore de la passion comparée à un embrasement laissant l'être incapable de revenir à la raison.

Raison que Phèdre dit avoir perdue comme le montre la modalité interrogative très présente dans le texte et qui souligne des incohérences de propos : « Que dis-je ? » (v.8), qui signifie que le locuteur n'a plus le contrôle de ses paroles, voire s'est perdu dans ses pensées. Ou encore « Que faisiez-vous alors ? » au vers 28 et «  Pourquoi, trop jeune encore (...) » au vers 30. Phèdre pose en effet une question dont elle connaît la réponse qui peut s'interpréter de deux façons : soit Phèdre a perdu le sens de la logique et se pose une question tout en en énonçant la réponse, soit elle exprime âprement son regret et s'adresse donc à travers Hippolyte aux dieux voire aux spectateurs.

Cette passion l'amène à déifier Thésée et Hippolyte au vers 23 : « tel qu'on dépeint nos dieux et tel que je vous vois » : l'outil de comparaison « tel que » renforce cette comparaison des deux hommes à la représentation faite des dieux et insiste la force de l'imagination et de la ferveur du portrait, procédé de répétition qui connaît des effets similaires au vers 21 : « Mais fidèle, mais fier » où la conjonction de coordination « Mais » reprend tout son sens latin de magis qui signifie et, de plus.

Suite à ce portrait, aux vers 26 à 30, Phèdre use du passé simple et de l'imparfait à valeur tous deux de narration : elle entreprend donc un récit à l'allure épique puisqu'on découvre à travers celui-ci plusieurs champs lexicaux du registre épique : les lieux mythologiques « Grèce », « Crète », « Labyrinthe », les héros et monstres « Minos », « monstre de la Crète », c'est à dire le Minotaure, « héros », « Ariane », le voyage « les vaisseaux », « sur nos bords », la mort : « fatal » et le verbe périr. Ce registre est accompagné d'allusions au mythe du Minotaure, il s'agit donc des aventures de Thésée.

Mais bientôt Phèdre s'emballe et transforme ce récit des exploits de Thésée en récit imaginaire d'un passé qu'elle réécrit à sa façon, imitant les jeux d'enfant. Elle use pour cela du conditionnel passé dans ses deux formes : « aurait péri » v.32, « eût armé » v.35, « aurait devancée » v.36, « eût inspiré » v.37, « eût (…) enseigné » v.39, « eût coûté » v.40, « eût (…) rassuré » v.41, « aurait voulu marcher » v.43, « se serait retrouvée ou perdue ». Les sujets de ces verbes sont « vous » v.32, donc Hippolyte remplaçant Thésée et « ma sœur » v.35 que Phèdre remplace dès le vers suivant par la répétition « c'est moi, Seigneur, c'est moi » qui donne l'impression que le rêve s'effrite et que Phèdre a besoin de se persuader de ce qu'elle imagine. Ayant entrepris de suggérer son amour par un récit où Hippolyte tiendrait la place de Thésée, Phèdre se perd dans sa propre imagination et perd de vue son objectif premier. Dès lors, l'aveu est direct car non voulu, car plus maîtrisé et les qualificatifs amoureux de « amante «  v. 41 et « compagne » v. 42 sont associés au pronom « vous » et au possessif « votre » qui désigne le destinataire présent sur scène : Hippolyte.

Conclusion

Réponse à la question

Phèdre avoue donc de façon indirecte son amour à Hippolyte mais est trahie par sa passion et son imagination.

Récapitulatif

Elle associe dans son discours, comme dans un double portrait qu'elle dresse de son époux, Thésée et Hippolyte pour suggérer son amour au second. Mais la tournure de ses paroles, le lexique dominant, la modalité de ses phrases trahit sa passion qui la pousse dans le récit qu'elle fait des exploits de Thésée à reconstruire le passé à sa convenance et à se dévoiler.

Ouverture

On ne peut s'empêcher, face à cette scène, de penser à la célèbre phrase de la Préface que Racine a donnée à la pièce : « Phèdre n'est ni tout à fait coupable ni tout à fait innocente (…) elle (...) parle avec une confusion qui fait bien voir que son crime est plutôt une punition des dieux qu'un mouvement de sa volonté ». Car son aveu , sa difficulté et la manière dont il se fait, sont la parfaite illustration de ce propos de Racine.

L'étude portait sur les vers 8 à 45.