Jean Racine, Bérénice, acte IV, scène 4

Titus, empereur de Rome, aime Bérénice, reine étrangère. Il sait qu’il doit choisir entre son devoir d’empereur — épouser une Romaine — et son amour pour Bérénice. Son choix est arrêté, mais il hésite encore. Racine se sert de ce monologue pour représenter le déchirement moral de son personnage.

TITUS
               Hé bien ! Titus, que viens-tu faire ?
Bérénice t’attend. Où viens-tu, téméraire ?
Tes adieux sont-ils prêts ? T’es-tu bien consulté ?
Ton cœur te promet-il assez de cruauté ?
Car enfin au combat qui pour toi se prépare
C’est peu d’être constant, il faut être barbare.
Soutiendrai-je ces yeux dont la douce langueur
Sait si bien découvrir les chemins de mon cœur ?
Quand je verrai ces yeux armés de tous leurs charmes,
Attachés sur les miens, m’accabler de leurs larmes,
Me souviendrai-je alors de mon triste devoir ?
Pourrai-je dire enfin : « Je ne veux plus vous voir ? »
Je viens percer un cœur que j’adore, qui m’aime.
Et pourquoi le percer ? Qui l’ordonne ? Moi-même.
Car enfin Rome a-t-elle expliqué ses souhaits ?
L’entendons-nous crier autour de ce palais ?
Vois-je l’Etat penchant au bord du précipice ?
Ne le puis-je sauver que par ce sacrifice ?
[…]

Ah ! Lâche, fais l’amour, et renonce à l’empire.
Au bout de l’univers va, cours te confiner,
Et fais place à des cœurs plus dignes de régner.
Sont-ce là ces projets de grandeur et de gloire
Qui devaient dans les cœurs consacrer ma mémoire ?
Depuis huit jours je règne ; et jusques à ce jour,
Qu’ai-je fait pour l’honneur ? J’ai tout fait pour l’amour.