Travail conceptuel sur la notion :
ART Le terme art (ars en latin traduit le mot grec technê) désigne aussi bien la technique, le savoir-faire, que la création artistique; la recherche du beau*. S'ajoutant ou se substituant à la nature, l'art peut aussi s'entendre dans le sens quelquefois péjoratif d'artifice. En tant que pratique, il est le fait de l'artisan, celui qui maîtrise un art dans le premier sens, ou de l'artiste, qu'un talent ou un génie particulier rend apte à créer la beauté. Comme le suggère l'expression de beaux-arts, un rapport existe entre ces deux sens; toutefois, la création artistique et l'œuvre d'art ne s'expliquent pas uniquement par la possession d'une maîtrise.
ART et TECHNIQUE Si l'art est une technique*, un savoir-faire, il suppose l'apprentissage d'un certain nombre de règles et de procédés, ainsi que l'acquisition d'une habileté. Il s'oppose aussi bien à la science*, qui est un savoir théorique, qu'à la pratique aveugle ou à la routine. Lorsque Jean-Jacques Rousseau* parle de l'éducation comme d'un art, il veut dire qu'aucun savoir théorique ne garantit le succès de l'éducateur. À l'inverse, la pratique irréfléchie de l'éducation que l'on peut observer tous les jours n'est pas satisfaisante. L'art est une pratique éclairée dont le but est la réussite plutôt que la connaissance, et qui s'applique aux choses sur lesquelles l'homme a un pouvoir. "Le hasard aime l'art, l'art aime le hasard", disait Aristote*, qui voyait dans la technê la manifestation de la liberté* de l'homme. Créer des formes, en intervenant dans le cours des choses qui ne sont pas déterminées, qui peuvent être autrement, ou sur le contingent, fait de l'artisan le rival de la nature. Ainsi l'on peut dire que l'art, au sens d'artisanat ou de technique, ne doit pas être opposé de façon rigide à la création artistique car il est loin de se réduire à la répétition d'un geste sans réflexion, à une pratique sans idée. (Source : La philosophie de A à Z, E. Clément, C. Demonque, L. Hansen-Love, P. Khan sous la direction de L. Hansen-Love avec la collaboration de M. Delattre, M. Foessel, F. Gros, B. Han Fabien Lamouche, D. Ottavi, M. Pardo, J. Santoret, F. Sebbah, © Hatier, Paris, avril 2000, ISBN: 2-218-74619-0)
De l'usage du mot à la notion
Quand on dit qu'une chose a été faite «avec art», on veut en général dire qu'elle a été réalisée avec du soin, de l'habileté et du goût. Quand on qualifie «d'ouvrages d'art» des immeubles, des ponts, et autres bâtiments, ce n'est pas tant le goût* que le savoir-faire technique des ingénieurs qui est visé. Quand on va admirer une œuvre d'art au musée, le mot art renvoie alors à une autre dimension où le savoir-faire et la technique sont relégués à l'arrière-plan, pour laisser la place à un plaisir qualifié d'esthétique*. Le plaisir suscité par l'œuvre d'un artiste paraît bien d'un autre ordre que celui qu'on peut ressentir devant les prouesses techniques ou devant l'habileté et l'ingéniosité d'un technicien.
Un bref historique du mot art et de ses équivalents en latin et en grec permet de mieux se représenter et comprendre cette diversité de significations. Le mot «art» est issu du latin ars, et, en latin comme en français, il a plusieurs sens qui ne sont pas toujours convergents puisque ars peut vouloir dire suivant les contextes «manière d'être», «façon d'agir», «talent», «savoir-faire», «métier», «profession», «science». Malgré tout, le terme connote presque toujours la représentation d'une activité humaine visant à produire un certain ordre et une certaine harmonie là où elle s'exerce. En outre, ars comme d'ailleurs le mot art en français, implique que cette activité ordonnatrice ne s'exerce pas au petit bonheur, mais avec compétence et maîtrise. En fait, ars hérite de la plupart des significations de son équivalent en grec technê qui a donné en français le terme de «technique».
La distinction peut-être la plus éclairante pour comprendre ce que signifie la technê grecque est celle de l'art (grec: technê) et de la nature (grec: phusis). La technê telle que se la représentaient les Grecs, si l'on s'en tient au témoignage d'Aristote, est un savoir faire consistant à faire venir quelque chose à l'existence. Mais tandis que les réalités naturelles adviennent à partir d'elles-mêmes (une plante engendre une plante, un animal un animal, un homme un homme), les réalités produites par l'art (technê) supposent l'intervention d'un agent extérieur (le lit ne naît pas d'un lit, mais est fabriqué par l'art du menuisier à partir du bois). Cette distinction essentielle entre ce qui est par nature et ce qui est par art n'est pas posée comme une opposition radicale, puisque «l'art imite la nature ou porte à son achèvement ce que la nature ne parvient pas elle-même à faire» (Aristote, Physique, II 8, 198a8). Le mot art (technê) renvoyait donc moins à une classe d'objets produisant un plaisir de type esthétique -ce serait là confondre les Grecs de l'antiquité et la vision que les Romantiques allemands en avaient- qu'à une manière d'être de certaines réalités: celles-ci n'ont pas en elles-mêmes le principe de leur existence.
C'est pourtant cette célèbre formule d'Aristote, tirée des austères leçons de sa Physique dans un contexte ayant peu à voir avec les questions esthétiques, qui est devenue l'un des mots d'ordre les plus discutés de l'histoire de l'art: l'artiste devrait imiter la nature, injonction reprise par tous les réalismes en art.
Cette évolution de l'adage classique n'est pas sans analogie avec celle du mot «art» en français. C'est en effet, à partir du XVIIIe s. qu'on s'est mis à distinguer entre l'art de l'artiste, créateur original dont le génie ne saurait être transmis, et celui de l'artisan humble et appliqué, dont le savoir technique serait transmissible par l'enseignement. Bref, entre les «beaux-arts» et les «arts et métiers» s'est creusé une sorte de fossé dont le point de départ est sans doute l'apparition de la figure de l'artiste indépendant des corporations à la Renaissance. Peut-être sous l'influence de l'allemand Kunst (le mot vient de können, «savoir», «connaître»), le mot art a eu tendance à prendre cette valeur esthétique* au détriment de ses autres significations.
Si l'on considère que l'évolution du mot reflète le processus par lequel l'art s'est historiquement séparé de l'artisanat, ce dernier étant marginalisé par le mode de production industriel, on peut dire qu'au terme de ce processus, l'artiste moderne oscille entre deux postures. D'un côté, on se le représente comme le créateur d'un autre monde, différent du monde ordinaire, celui des oeuvres d'art. L'artiste cultive alors un retrait hors du monde de la « vie mutilée » (Theodor Adorno) et se réfugie dans une sorte de culte des œuvres quand bien même il pense impossible l'achèvement de l'œuvre. Les tenants de la doctrine de l'art pour l'art représentent assez bien cette tendance. De l'autre côté, il y a l'artiste omniprésent revendiquant un rôle social et politique qui dépasse la sphère esthétique -l'art révolutionne la société. A cette attitude apparemment contradictoire- on pourrait presque parler d'insociable sociabilité de l'artiste -correspond la tendance, dans le monde post industriel, à transformer les œuvres d'art en produits culturels de consommation de masse et à donner à l'artiste (révolté ou non) le statut d'une icône destinée à l'admiration des masses dans le but souvent de susciter une mode créatrice d'un marché cyclique de produits. Cette «exploitation organisée de l'art» (Kunstbetrieb dit Heidegger), qui fait que les œuvres d'art ne se rencontrent plus que dans des lieux où elles ont été entassées et comme arrachées au contexte de leur création (musées, expositions, reproduction technique etc.) serait une des manifestations de l'incapacité à ressentir de manière authentique l'art et sa nécessité. (Source : Philosophie, Le manuel, Ellipses)
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Etude de texte :
« Il reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaye. En cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait : il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même plus rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de nature, et s’étonne lui-même. Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur, à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. La musique est ici le meilleur témoin, parce qu’il n’y a pas alors de différence entre imaginer et faire ; si je pense, il faut que je chante. (…) Le génie ne se connaît que dans l’œuvre peinte, écrite ou chantée. Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre, et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut jamais, d’aucune manière, servir à faire une autre œuvre. » Alain, Système des beaux-arts (1920)
“Pour expliquer ce texte, vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble”.
Dans la perspective d’une approche globale, dégagez l’objet, l’idée principale ainsi que l’organisation du texte d’Alain.
Question B :
Dans la perspective d’une approche analytique du texte, expliquez l' expression suivante : «Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. »
Question C :
Dans la perspective d’une approche analytique du texte, expliquez l'expression suivante : « En cela il est artiste, mais par éclairs. »
Question D :
Dans la perspective d’une approche analytique du texte, expliquez l'expression suivante : « Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre, et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut jamais, d’aucune manière, servir à faire une autre œuvre. »