Philosophie

TL 2016-2017

 

  1. Bibliographie 

Platon, Apologie de Socrate (sur le procès de Socrate)

              Gorgias (sur la politique)

              Protagoras (sur la connaissance)

Epicure, Lettre à Ménécée

Epictète, Manuel

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même

Pascal, Pensées

Descartes, Discours de la méthode

Rousseau, Essai sur l’origine des langues

Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?

Nietzsche, Par delà bien et mal

Bergson, le rire

Sartre,  l’existentialisme est un humanisme

Merleau-Ponty, Causeries.

 

Mythes grecs (Antigone, Apollon, Artémis, Athéna, Dionysos, Héraklès, Narcisse, Œdipe, Pandore, Perséphone, Prométhée)

Ovide, les Métamorphoses.

 

L’ATTENTION

Bibliographie du Manuel

 

PAGE N°

39 2 Merleau-Ponty (Est-ce la perception qui est attentive ou la conscience ?)

41 2 Hume (Si l’on est très attentif à soi-même, qu’est-ce qui se révèle ?)

42 3 Nietzsche (Si l’on est très attentif à soi-même, qu’est-ce qui se révèle ?)

43 4 Leibniz (L’attention synthétique – attention à l’ensemble – et l’attention analytique –attention aux détails)

53 6 Bergson (L’attention relâchée et sollicitée)

61 3 Merleau-Ponty (Percevoir avec attention)

62 1 Husserl (Percevoir avec attention)

63 3 Bergson (Percevoir avec attention)

70 2 Bergson (À quoi l’art est-il attentif ?)

70 3 Matisse (À quoi l’art est-il attentif ?)

72 (Percevoir avec attention)

122 1 Marc-Aurèle (À quoi sommes-nous attentifs ?)

122 2 Pascal (À quoi sommes-nous attentifs ?)

126 4 Nietzsche (À quoi sommes-nous attentifs ?)

130 9 Pascal (L’attention existe aussi dans le rêve)

174 1 Hegel (À quoi l’art est-il attentif ?)

201 4 Marx (À quoi le travail est-il attentif ?)

204 1 Smith (À quoi le travail est-il attentif ?)

257 2 Leibniz (À quoi sommes-nous attentifs ?)

323 7 Descartes (Percevoir avec attention)

335 doc. (Percevoir avec attention)

339 Platon (À quoi sommes-nous attentifs ?)

346 6 (Percevoir avec attention)

496 1 Schopenhauer (À quoi sommes-nous attentifs ?)

497 2 Pascal (À quoi sommes-nous attentifs ?)

498 2 Marc-Aurèle (À quoi sommes-nous attentifs ?)

  1. Réflexion autour d’un thème à partir d’un recueil de textes

Thème : l’attention 

Recueil de textes

 

Textes de J.Rancière (entretiens et extraits du Maitre-ignorant)

 

1/Expliquer quelque chose à l’ignorant, c’est d’abord lui expliquer qu’il ne comprendrait pas si on ne lui expliquait pas, c’est d’abord lui démontrer son incapacité . L’explication se donne comme le moyen de réduire la situation d’inégalité où ceux qui ignorent se trouvent par rapport à ceux qui savent. Mais cette réduction est tout autant une confirmation. Expliquer c’est supposer dans la matière à apprendre une opacité d’un type spécifique, une opacité qui résiste aux modes d’interprétation et d’imitation par lesquels l’enfant a appris à traduire les signes qu’il reçoit du monde et des être parlants qui l’entourent.

 

2/ Son idée est orientée vers une fin unique : la révélation d’une capacité intellectuelle. Son enseignement ne vise pas l'apprentissage d’une discipline quelle qu’elle soit. D’où une méthode qui s’arrête sur chaque lettre, chaque mot, chaque phrase, chaque idée. Si on possède bien vingt ou cinquante pages d’un livre quelconque, et si l'on peut en rendre compte avec ses expressions elles-mêmes, on est capable de n’importe quel autre apprentissage. C’est un défi, une provocation, mais aussi quelque chose qu’on vérifie tout le temps. On s’est formé essentiellement à partir des choses que l’on a déchiffrées soi-même, difficilement, laborieusement. La méthode c’est celle de l’aventure. Il faut trouver le chemin. Ce n’est pas la « méthode active », où le maître organise le parcours d’obstacles. Il s’agit de mettre la personne en situation de se servir de sa propre intelligence, non pour arriver au but mais pour se frayer un chemin.

 

3/ L’opposition entre « abrutissement » et « émancipation » n’est pas une opposition entre des méthodes d’instruction. Ce n’est pas une opposition entre méthodes traditionnelles ou autoritaires et méthodes nouvelles ou actives : l’abrutissement peut passer et passe de fait par toutes sortes de formes actives et modernes. L’opposition est proprement philosophique. Elle concerne l’idée de l’intelligence qui préside à la conception même de l’apprentissage. L’axiome de l’égalité des intelligences n’affirme aucune vertu spécifique des ignorants, aucune science des humbles ou intelligence des masses. Il affirme simplement qu’il n’y a qu’une seule sorte d’intelligence à l’oeuvre dans tous les apprentissages intellectuels. Il s’agit toujours de rapporter ce qu’on ignore à ce qu’on sait, d’observer et de comparer, de dire et de vérifier.

 

4/ Les élèves avaient appris sans maître explicateur, mais non pas pour autant sans maître. Ils ne savaient pas auparavant, et maintenant ils savaient. Donc Jacotot leur avait enseigné quelque chose. Pourtant il ne leur avait rien communiqué de sa science. Donc ce n’était pas la science du maître que l’élève apprenait. Il avait été maître par le commandement qui avait enfermé ses élèves dans le cercle d’où ils pouvaient seuls sortir, en retirant son intelligence du jeu pour laisser leur intelligence au prise avec celle du livre. Ainsi étaient dissociées les deux fonctions que relie la pratique du maître explicateur, celle du savant et celle du maître. Ainsi s’étaient également séparées, libérées l’une par rapport à l’autre, les deux facultés en jeu dans l’acte d’apprendre : l’intelligence et la volonté. Entre le maître et l’élève s’était établi un pur rapport de volonté à volonté : rapport de domination du maître qui avait eu pour conséquence un rapport entièrement libre de l’intelligence de l’élève à celle du livre – cette intelligence du livre qui était aussi la chose commune, le lien intellectuel égalitaire entre le maître et l’élève. Ce dispositif permettait de désintriquer les catégories mêlées de l’acte pédagogique et de définir exactement l’abrutissement explicateur. Il y a abrutissement là où une intelligence est subordonnée à une autre intelligence. L’homme – et l’enfant en particulier – peut avoir besoin d’un maître quand sa volonté n’est pas assez forte pour le mettre et le tenir sur la voie. Mais cette sujétion est purement de volonté à volonté. Elle devient abrutissante quand elle lie une intelligence à une autre intelligence. Dans l’acte d’enseigner et d’apprendre il y a deux volontés et deux intelligences. On appellera abrutissement leur coïncidence. Dans la situation expérimentale créée par Jacotot, l’élève était lié à une volonté, celle de Jacotot, et à une intelligence, celle du livre, entièrement distinctes. On appellera émancipation la différence maintenue des deux rapports, l’acte d’une intelligence qui n’obéit qu’à elle-même, lors même que la volonté obéit à une autre volonté.

                            Jacques Rancière, Le maître ignorant, Fayard, Paris, 1987, p. 25-26

 

 

5/ «  Partage des choses : ce qui est à notre portée, ce qui est hors de notre portée. A notre portée le jugement, l’impulsion, le désir, l’aversion : en un mot, tout ce qui est notre œuvre propre ; hors de notre portée le corps, l’avoir, la réputation, le pouvoir : en un mot, tout ce qui n’est pas notre œuvre propre. Et si ce qui est à notre portée est par nature libre, sans empêchement, sans entrave, ce qui est hors de notre portée est inversement faible, esclave, empêché, étranger. Donc rappelle-toi : si tu estimes libre ce qui par nature est esclave, et propre ce qui est étranger, tu seras entravé, tu prendras le deuil, le trouble t’envahira, tu feras reproches aux dieux comme aux hommes, mais si tu estimes tien cela seul qui est tien, étranger, comme il l’est en effet, ce qui est étranger, personne, jamais, ne te contraindra, personne ne t’empêchera, à personne tu ne feras de reproche, tu n’accuseras personne, jamais, non, jamais tu n’agiras contre ton gré, d’ennemi, tu n’en auras pas, personne ne te nuira, car rien de nuisible non plus ne t’affectera. Donc, toi qui as de si hautes visées, rappelle-toi : il ne faut pas modérer ton mouvement pour les atteindre, mais complètement laisser aller certaines choses, et pour l’heure en ajourner d’autres. Mais si avec ces biens tu veux encore et le pouvoir et la richesse, d’abord tu n’obtiendras peut-être pas même ceux-ci, parce que tu vises aussi ceux-là, et de toute façon il est sûr que tu manqueras les biens que seuls donnent liberté et bonheur. Donc, applique-toi à dire immédiatement à l’adresse de toute représentation pénible : « tu es représentation, et non pas tout à fait le représenté. » puis examine-là, et mets-là à l’épreuve des règles que tu détiens, surtout la première d’entre elles : concerne-t-elle ce qui est à notre portée ou ce qui est hors de notre portée ? Et si jamais elle concerne l’une des choses qui sont hors de notre portée, que la réponse soit à portée de main : « ce n’est rien pour moi ».

 Epictète, le Manuel (I)

 

6/ «  Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous rappelons le passé pour l'arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons (1) sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent, d'ordinaire, nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu'il nous afflige ; et, s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.


Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir. Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

Pascal, Pensées, Br 172.

 

7/ La conscience de soi n’est rien d’autre que la conscience du moi agissant et vivant dans le moment présent. Marc Aurèle, par exemple, ne cesse de le répéter : il faut que je concentre mon attention sur ce que je pense en ce moment, sur ce que je fais en ce moment, sur ce qui m’arrive en ce moment, de façon à voir les choses telles qu’elles se présentent à moi en ce moment, de façon à redresser mon intention dans l’action que je suis en train de faire, en en voulant faire que ce qui sert la communauté humaine, de façon à accepter, comme voulu par le destin, ce qui m’arrive en ce moment et ne dépend pas de moi.

Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?

 

8/ « C’est une erreur de dire qu’une action que l’on sait faire se fait ensuite sans attention. Le distrait est, il me semble, un homme qui laisse courir ses actions ; mais aussi il est assez ridicule, par cette méthode en petits morceaux. L’animal n’est point distrait ; il n’est qu’étourdi. Il faut insister là-dessus. Il n’est point vrai qu’un bon cavalier monte bien sans jugement. Il n’est point vrai qu’un bon ouvrier ajuste bien sans jugement. Je dirais plutôt que le jugement ici, par la vertu de l’habitude, est obéi aussitôt, sans mouvements inutiles. Et j’ai ouï dire que la moindre idée ou réflexion de traverse précipite le gymnaste. Preuve que son corps, sans un continuel commandement, ne sait plus où aller ; s’il se raccroche, c’est d’instinct. Et je ne crois même pas que cet art de tomber sans mal, qu’ils ont si bien, soit jamais sans jugement. »

Alain, Eléments de philosophie, folio essais p.240.

 

9 /  Le plus souvent on confond avec l'attention une espèce d'effort musculaire. Si on dit à des élèves : "Maintenant vous allez faire attention", on les voit froncer les sourcils, retenir la respiration, contracter les muscles. Si après deux minutes on leur demande à quoi ils font attention, ils ne peuvent pas répondre. Ils n'ont fait attention à rien. Ils n'ont pas fait attention. Ils ont contracté leurs muscles. On dépense souvent ce genre d'effort musculaire dans les études. Comme il finit par fatiguer, on a l'impression qu'on a travaillé. C'est une illusion.

 Simone Weil, l’attente de Dieu.

 

10/ Tout est dans un flux continuel sur la terre : rien n'y garde une forme constante et arrêtée, et nos affections qui s'attachent aux choses extérieures passent et changent nécessairement comme elles. Toujours en avant ou en arrière de nous, elles rappellent le passé qui n'est plus ou préviennent l'avenir qui souvent ne doit point être : il n'y a rien là de solide à quoi le coeur se puisse attacher. Aussi n'a-t-on guère ici-bas que du plaisir qui passe; pour le bonheur qui dure je doute qu'il y soit connu. A peine est-il dans nos plus vives jouissances un instant où le coeur puisse véritablement nous dire : Je voudrais que cet instant durât toujours ; et comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le coeur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après?

      Mais s'il est un état où l'âme trouve une assiette assez solide pour s'y reposer tout entière et rassembler là tout son être, sans avoir besoin de rappeler le passé ni d'enjamber sur l'avenir ; où le temps ne soit rien pour elle, où le présent dure toujours sans néanmoins marquer sa durée et sans aucune trace de succession, sans aucun autre sentiment de privation ni de jouissance, de plaisir ni de peine, de désir ni de crainte que celui seul de notre existence, et que ce sentiment seul puisse la remplir tout entière ; tant que cet état dure celui qui s'y trouve peut s'appeler heureux, non d'un bonheur imparfait, pauvre et relatif tel que celui qu'on trouve dans les plaisirs de la vie, mais d'un bonheur suffisant, parfait et plein, qui ne laisse dans l'âme aucun vide qu'elle sente le besoin de remplir. Tel est l'état où je me suis trouvé souvent à l'île de Saint-Pierre dans mes rêveries solitaires, soit couché dans mon bateau que je laissais dériver au gré de l'eau, soit assis sur les rives du lac agité, soit ailleurs au bord d'une belle rivière ou d'un ruisseau murmurant sur le gravier.

      De quoi jouit-on dans une pareille situation ? De rien d'extérieur à soi, de rien sinon de soi-même et de sa propre existence, tant que cet état dure on se suffit à soi-même comme Dieu. Le sentiment de l'existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul pour rendre cette existence chère et douce à qui saurait écarter de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur.

JJ. Rouseau, Rêveries du promeneur solitaire, Cinquième promenade.

 

 

 11/"L'homme est ce qu'il mange […] on produit des hommes de masse en leur faisant consommer des marchandises de masse - ce qui signifie en même temps que le consommateur de marchandises de masse collabore en consommant à la production des hommes de masse […].

Devant chaque poste de télévision, tout le monde est d'une certaine manière occupé et employé comme travailleur à domicile. Un travailleur à domicile d'un genre tout à fait particulier. Car c'est en consommant la marchandise de masse, - c'est-à-dire ses loisirs - qu'il accomplit sa tâche, qui consiste à se transformer lui-même en homme de masse. Alors que le travailleur à domicile classique fabriquait des produits pour s'assurer un minimum de biens de consommation et de loisirs, celui d'aujourd'hui consomme au cours de ses loisirs un maximum de produits, pour, ce faisant, collaborer à la production des hommes de masse. Le processus tourne lui-même au paradoxe puisque le travailleur à domicile, au lieu d'être rémunéré pour sa collaboration, doit au contraire lui-même la payer, c'est-à-dire payer les moyens de production dont l'usage fait de lui un homme de masse […] Il paie donc pour se vendre. Sa propre servitude, celle-là même qu'il contribue à produire, il doit l'acquérir en l'achetant puisqu'elle est, elle aussi, devenue une marchandise".

Günter Anders, L'obsolescence de l'homme, 1956,  p. 121-122.

 

12/ "La culture, mot et concept, est d'origine romaine. Le mot « culture » dérive de colere - cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir, préserver - et renvoie primitivement au commerce de l'homme avec la nature, au sens de culture et d'entretien de la nature en vue de la rendre propre à l'habitation humaine. En tant que tel, il indique une attitude de prendre souci, et se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l'homme. C'est pourquoi il ne s'applique pas seulement à l'agriculture mais peut aussi désigner le « culte » des dieux, le soin donné à ce qui leur appartient en propre. Il semble que le premier à utiliser le mot pour les choses de l'esprit et de l'intelligence soit Cicéron. Il parle de excolereanimum, de cultiver l'esprit, et de culture animi[1]au sens où nous parlons aujourd'hui encore d'un esprit cultivé, avec cette différence que nous avons oublié le contenu complètement métaphorique de cet usage."

 

Hannah Arendt, La Crise de la culture, 1961, trad. Patrick Lévy et alii, Gallimard, « Folio Essais », 1992, p. 271.

 

13/ Nous sommes en train de vivre une véritable crise de l'attention. C'est du moins ce dont se plaignent de plus en plus de gens à propos de la technologie. Notre activité mentale paraît de plus en plus balkanisée, et nous commençons à nous demander si nous sommes capables de préserver un moi cohérent. Par moi cohérent, j'entends une conscience individuelle capable d'agir conformément à des objectifs et des projets bien établis au lieu de papillonner au gré du moment. La question de l'attention est cruciale pour beaucoup de gens. Elle nous offre donc une rare opportunité de poser à nouveaux frais une très vieille question philosophique : qu'est-ce qu'un être humain ?

La nécessité d'une telle reformulation découle de profondes évolutions culturelles, dont la trajectoire présente à mes yeux une certaine cohérence : cette dynamique prend sa source à l'époque des Lumières, connaît une forte accélération au XXe siècle et atteint ce qui est peut-etre son apogée aujourd'hui. S'il ne fait pas de doute que les technologies numériques contribuent à la crise contemporaine de l'attention, celle-ci est aussi l'aboutissement d'une conception de l'être humain qui remonte à plusieurs siècles et qui est désormais tellement prégnante qu'il est difficile d'en faire un objet d'enquête. Cette conception repose sur une compréhension spécifique de notre rapport au monde, au-delà de nos représentations.
Car notre rapport au tél est censé obéir avant tout à des représentations mentales. La vie devient une imitation de la théorie : nous menons une existence fortement médiatisée où il ne fait pas de doute que ce rapport passe de plus en plus par des représentations préfabriquées à notre intention. L'expérience humaine est devenue un artefact sophistiqué, et de fait, éminemment manipulable. (…)

 

 

Les domaines de compétence pratique fonctionnent comme des points d'ancrage de notre rapport au réel - des points de triangulation avec les objets et nos semblables, qui ont leur propre réalité. Le résultat le plus surprenant de cette enquête (du moins à mes yeux), c'est qu'une "individualité" est susceptible d'émerger d'une telle triangulation. Un véritable exploit dans une société de masse qui parle le langage de l'individualisme tout en le vidant de sa substance.

 

 Matthew Crawford, Contact, pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver. Avant propos

 

 

Ces lectures peuvent être accompagnées de l’étude du cours disponible sur le blog (http://blog.ac-versailles.fr/philoarmand2014/index.php/ ou en tapant « noel-artaud blog philo » sur internet). Le cours est en ligne dans les rubriques (de septembre à novembre, de novembre à janvier, de janvier à mars et de mars à juin).

 

 Bonnes lectures et bonnes vacances

 

MM. Ponsard et Noel-Artaud