Sujets traités ou explorés relatifs à la philosophie morale et à la philosophie de la culture

 

Peut-on en même temps prétendre à une vie morale et rechercher le bonheur?

La dissertation : un art de se questionner.  Exemple du travail au brouillon qui servira à la rédaction de l’introduction.

1/ Commencer par relever pour ce sujet une opposition simple entre bonheur et morale.

 La vie morale suppose des obligations. On se représente la morale comme  une  obéissance  à des lois morales et politiques (règles de vie commune : interdictions de tuer de voler, etc). La vie morale apparait donc comme une contrainte.

De plus la vie morale est portée vers autrui. On parle d’empathie pour qualifier à la capacité à se mettre à la place d’autrui, de pitié ou de compassion lorsqu’il s’agit d’éprouver la souffrance d’autrui. On parle aussi d’altruisme pour évoquer le secours d’autrui et le désir de produire le bonheur d’autrui. La morale renvoie aussi dans le christianisme à l’amour du prochain c’est-à-dire à l’amour de l’humanité.

 La morale peut reposer sur la valeur des intentions à l’origine d’une action, ainsi il est attendu que l’intention soit désintéressée.

La morale peut être reliée enfin à la faculté rationnelle de l’individu. Par le raison pratique en lui il peut universaliser la maxime de son action et déterminer si elle est morale ou pas.

Au contraire, le bonheur apparait plutôt comme une recherche personnelle, égoïste et libre. Il est assimilé à la satisfaction de désirs particuliers et égoïstes.  Le bonheur renvoie à la recherche d’intérêts particuliers.

 

Série d’opposition : égoïsme / altruisme ; contrainte / liberté ;  intéressée/ désintéressée ; universel / particulier. Il semble donc exister une opposition et donc une incompatibilité entre ces deux recherches.

2/ Recherche des implications :

 Si la vie morale est incompatible avec la vie heureuse, alors :

-       A) Les personnes morales sont malheureuses

-       B) Les personnes immorales peuvent être heureuses

Formulation de problèmes à partir de ces implications.

a)    Quelle peut être l’attractivité d’une vie morale si elle est pénible ? Faire son devoir (moral) doit-il nous coûter ? Si la morale ne conduit pas au bonheur quelle est son utilité ? si elle conduit au malheur, quelle peut être son efficacité ?

b)   si les personnes immorales peuvent être heureuse, cela signifie qu’il est possible d’être heureux du malheur d’autrui ; les actes immoraux ne sont accompagnés d’une mauvaise conscience, d’un sentiment de culpabilité. Puis-je être heureux tout en sachant que mon bonheur implique le malheur d’autrui ?

On aboutit à une problématique, c’est-à-dire à un état de tension à l’intérieur du sujet. Une réponse négative ou positive ne semble pas d’emblée satisfaisante. Chacune semble poser problème.

Dans un cas, il faut définir le bonheur comme étant limité, restrictif à ma personne. Peut-on véritablement parler de bonheur quand celui-ci ignore la souffrance d’autrui ?  Le  bonheur peut-il impliquer  une indifférence à autrui, une négation de l’existence d’autrui ?  D’autre part, le bonheur n’est –il pas plus grand quand il est partagé ?

On suppose aussi que la morale est déconnectée de la recherche du bonheur, donc de ce qui anime les êtres humains qui le considère comme la fin dernière de l’existence. La morale serait donc triste, morne, moribonde ? Quelle chance aurait-elle de rendre les hommes moraux ?

Donc réponse négative à la question implique :

-        une redéfinition du bonheur comme limité et étranger à l’existence d’autrui (on rejette l’idée d’un bonheur partagé, collectif).

-       Une définition de la morale comme étrangère au bonheur et à la vie. Une morale moribonde donc ?

Mais si on veut répondre positivement à la question, on ne comprend plus les raisons de notre première série d’oppositions et on ne comprend pas pourquoi la vie morale apparait sur le mode de la contrainte et de l’obligation qu’implique l’idée de devoir moral. Et si le morale s’accorde au bonheur, pourquoi tous les hommes ne sont-ils pas moraux puisque tous recherchent le bonheur ?

 

Formulation de la question : On tentera de répondre au sujet en posant la question suivante : l’altruisme suppose-t-il un sacrifice de soi ?

Nous tenterons dans le courant du développement de montrer comment  l’altruisme (le souci porté à la personne d’autrui) peut conduire à la réalisation de soi et à la vie heureuse. Nous montrerons même que loin de s’opposer, la vie heureuse suppose la vie morale et que l’un ne va pas sans l’autre.

 

 

 

 

 

 

Au nom de quoi le plaisir serait-il condamnable ?

Comment comprendre en effet l’introduction d’un discours moral qui porte sur les plaisirs ? Comment ce qui est bon et agréable au regard du corps pourrait-il être mauvais au regard de la morale ? La question a véritablement de quoi surprendre. Que la morale dise quelque chose sur ce qui nie l’existence, sur ce qui conduit à la mort, il est possible de le concevoir. Mais au nom de quoi le plaisir serait-il lui aussi condamnable ?  La morale serait-elle  une morale de la mort ? Pourquoi devrions-nous être coupable d’éprouver du plaisir ?    Qu’est-ce qui dans le plaisir pourrait poser problème ?

 Nous nous intéresserons principalement au plaisir sexuel tant il nous semble que  c’est sur cette « forme » de plaisir que se concentre avec le plus de virulence  l’évaluation morale.

Nous aborderons dans une première partie le jugement porté par une grande partie de la philosophie grecque et romaine de l’Antiquité  puis par le christianisme. Il y a à la fois une rupture et une continuité entre ces deux approches du plaisir. Michel Foucault dans son Histoire de la sexualité analyse cette histoire. Il se demande pour quelles raisons et sous quelles formes l’activité sexuelle a été constituée comme domaine moral. Pourquoi les hommes ont-ils inventé des interdits portant sur le « sexe » ?

I. La problématisation morale des plaisirs. Paganisme et Christianisme.

 A. Indifférence grecque et inquiétude chrétienne.

On peut distinguer de façon un peu caricaturale (nous y reviendrons plus tard) : une morale païenne (le paganisme, c’est-à-dire le nom donné par les chrétiens de la fin de l’empire romain aux cultes polythéistes) grecque et romaine et la morale du christianisme. Dans le christianisme, le sexe est associé au mal, au péché, à la chute et à la mort. Les valeurs morales de l’abstinence, de la chasteté et de la virginité sont prônées. Une codification des pratiques sexuelles s’en suit ; elle consiste à envisager le plaisir sexuel dans une finalité procréatrice, à assurer la domination masculine et l’assujettissement des femmes, à disqualifier l’homosexualité et l’onanisme (c’est-à-dire la masturbation).

    Chez ceux qu’on appelle les Anciens (c’est-à-dire les penseurs de l’antiquité) on remarque une certaine indifférence à ces questions ; en soi le « sexuel » ne pose pas problème. Les notions de « chair » et de sexualité sont inexistantes. Il y a même une exaltation de l’homosexualité, celle-ci restant toutefois codifiée. Diogène le cynique se masturbait sur la place publique.

     L’homosexualité, le sexe en groupe, l’adultère, le déguisement pendant l’acte, la prostitution, la pornographie, la masturbation, comment peut-on juger ces activités comme immorales si elles sont accomplies par des adultes consentants, sans dommage pour les participants ou d’autres personnes ?

    La morale sexuelle de Thomas d’Aquin qui est fondée sur la doctrine de la loi naturelle justifie une éthique sexuelle prohibitive en se référant au dessein de la nature à laquelle le comportement humain doit se conformer. C’est au nom de la nature que les actes «contre-nature » seront jugés pervers. Mais quelle nature ? Qu’est-ce qui est naturel ?   

    On peut penser aussi à saint François de Sales qui dans son Introduction à la vie dévote condamne  les plaisirs et loue les éléphants ; parlant de cet animal il écrit «  je vais vous dire un trait de son honnêteté : il ne change jamais de femelle, et aime tendrement celle qu’il a choisie, avec laquelle néanmoins il ne parie que de trois en trois ans, et cela pour cinq jours seulement, et si secrètement, que jamais il n’est vu en cet acte… C’est le grand mal de l’homme dit Saint Augustin, de vouloir jouir des choses desquelles il doit seulement user, et de vouloir user de celles desquelles il doit seulement jouir ».

B. L’idéal ascétique grec

    Nous allons maintenant nous arrêter sur les conditions de l’idéal ascétique non seulement du philosophe (de nombreux philosophes étaient chastes) mais aussi du prêtre.

L’ascétisme repose sur une hiérarchie entre des parties de l’individu et désigne l’exercice (askesis) permettant de maîtriser la partie inférieure ou mauvaise. On retrouve un idéal ascétique chez les grecs et dans le christianisme.

Ceci nous permettra de corriger l’opposition trop tranchée entre d’une part une morale païenne qui serait indifférente  à la question sexuelle et une morale chrétienne qui énoncerait une série d’interdictions. Nous devons ainsi considérer la nature du plaisir pour comprendre les motifs à l’origine de la condamnation morale.

Nietzsche dans le troisième livre intitulé «  que signifient les idéaux ascétiques ? »  de la Généalogie de la morale, analyse la morale ascétique du philosophe et du prêtre.  Les plaisirs et notamment les plaisirs de la « chair » sont envisagés dans l’Antiquité comme une puissance sourde et redoutable. Nous sommes portés par une véritable force dans le plaisir sexuel. Cela semble tenir à sa nature, Nietzsche dit que « tout plaisir veut une profonde, profonde éternité ». Sans aborder dès maintenant une réflexion sur la douleur et sur la relativité du plaisir, nous pouvons remarquer sa force. Le plaisir est bien une sensation corporelle et en même temps comme un sentiment agréable ; l’idée dans le plaisir serait sensible. Le plaisir n’est pas toujours localisable dans une partie du corps, il envahit parfois tout le corps et toute l’âme. Il est plénitude, il aspire à l’infini. Il s’agit alors pour les philosophes de s’en délivrer. Tout sentiment envahissant l’âme toute entière et occupant l’esprit est perçu comme une menace pour l’esprit ; même il s’agit alors d’une torture qui doit cesser.   

 

C. La pastorale chrétienne.

L’aveu de sa sexualité à un tiers (prêtre, psychiatre, psychanalyste) n’est-il pas une manifestation de la condamnation du plaisir ? La pastorale était une technique proposée aux prêtres pour le gouvernement des âmes au XVIe siècle. Cette technique de la confession permettait de maintenir le fidèle dans une conscience de soi éveillée sur ses propres tentations. C’est là le travail des directeurs de conscience. Il faut dire au directeur toutes ses tentations et le taire à tous les autres. Il y a au cœur de ce dispositif deux idées principales. D’une part, la confession et l’aveu placent l’individu dans une situation de soumission ; en ce sens, les directeurs de  conscience exercent un pouvoir par le biais de la moralisation de la sexualité ; et d’autre part, la sexualité et les tentations apparaissent comme le lieu de vérité de la conscience de soi. Il y aura une science du sujet qui reposera sur une science de la sexualité du sujet. Il y a en ce sens un lien fort entre la pastorale chrétienne et la psychanalyse telle qu’elle apparaît avec Freud.

 Il faudrait donc se demander si la moralisation des plaisirs est le fait d’une nature intrinsèquement « mauvaise » des plaisirs ou si elle n’est pas plutôt un instrument au service d’un pouvoir.

 Mais il faut bien alors distinguer deux formes d’ascétisme (grec et chrétien). L’ascétisme grec existe en vue de la maîtrise de soi ; il s’agit à travers l’exercice de dominer ses désirs pour être tranquille. Si le philosophe modère ses désirs, maîtrise ses passions, c’est au nom d’une satisfaction plus grande, d’une augmentation de la puissance de la pensée. L’ascétisme chrétien vise moins cette libération qu’une humiliation. Il s’agit plus alors d’une auto-punition. Nietzsche critiquera avec virulence cet ascétisme qui cache une volonté de faire souffrir, une cruauté.  Selon cet ascétisme, il faudrait souffrir pour se racheter. Cet ascétisme est stigmatisé par Nietzsche comme étant contre nature dans La Généalogie de la morale (II,19): «  et ce qu’on sait dorénavant, je n’en doute pas, c’est en effet de quelle nature est dès le départ la volupté qu’éprouve l’homme de l’abnégation, du déni, du sacrifice de soi : cette volupté relève de la cruauté relative ».

Transition :

Dans la condamnation morale chrétienne, c’est la qualité du plaisir qui conduit à cette disqualification et dépréciation morale. Abstinence et chasteté sont des vertus dans la mesure où la nature du plaisir est un mal en soi.

 Mais une réflexion sur la mesure du plaisir, c’est-à-dire une quantification du plaisir permettrait peut-être de dépasser la condamnation morale des plaisirs. Ce n’est pas tant les plaisirs qui sont mauvais qu’un mauvais usage que l’on peut en faire. Même, il s’agirait alors de montrer qu’un excès de plaisirs conduirait au dégoût ou à la douleur ; dans tous les  cas, le plaisir en tant que tel serait épargné. Nous suivrons ici une philosophie hédoniste (c’est-à-dire qui élève le plaisir au rang de bien suprême), et celle d’Epicure en particulier.

 Pour Epicure qu’il faille fuir la douleur et rechercher le plaisir est une évidence ; « inutile donc de raisonner et de discuter sur le point de savoir pourquoi il faut rechercher le plaisir et fuir la douleur. Cela se sent comme on sent que le feu est chaud, la neige est blanche, le miel est doux ». Pour Epicure, la recherche du plaisir est une donnée de la nature.

II. L’usage des plaisirs.

A. Un calcul.

  Qu’est-ce qui peut justifier alors une limitation des plaisirs ? Est-ce que cela sera un principe transcendant (c’est-à-dire au-delà du plaisir, au-delà de l’être) comme le Bien en soi, ou bien est-ce que cela sera une raison immanente au plaisir lui-même.

Il s’agirait moins alors d’une condamnation du plaisir (la condamnation se ferait au nom de valeurs transcendantes) qu’une évaluation au nom du plaisir lui-même. Il convient de distinguer pour comprendre la position épicurienne  entre accueillir  et rechercher les plaisirs.  Rechercher les plaisirs c’est toujours prendre le risque de viser les plaisirs de façon obsessionnelle. Rechercher les plaisirs ainsi c’est courir le risque de les perdre et de souffrir d’une obsession tyrannique. Au contraire, il s’agit dans cette philosophie hédoniste de calculer et de discerner les plaisirs. Epicure, contrairement à l’idée reçue (il s’étonnerait de voir l’usage que nous faisons de l’adjectif épicurien et du sens que nous lui donnons ; si loin de sa doctrine !)  fait l’éloge d’une frugalité des plaisirs.

 Il faut donc comprendre la dynamique du plaisir à l’intérieur d’un désir. Or chez Epicure, tout désir qui s’engage dans une fuite sans fin, qui vise la poursuite d’un objet inaccessible, est vide et relève de la pathologie de l’âme. Le glouton et l’ivrogne sont des figures de cette recherche de l’illimité. C’est un jugement de l’âme et un jugement victime de l’illusion sur la nature des choses qui conduirait à une recherche illimitée de certains plaisirs. Ce n’est pas le plaisir en lui-même qui est condamnable mais le jugement faux que l’on porte sur lui et  qui conduit à le rechercher de façon excessive.

   «  Car ni les beuveries et les festins continuels, ni la jouissance des garçons et des femmes, ni celles des poissons et des autres mets que porte une table somptueuse, n’engendrent la vie heureuse, mais le raisonnement sobre cherchant les causes de tout choix et de tout refus, et chassant les opinions par lesquelles le trouble le plus grand s’empare des âmes ». Lettre à Ménécée (132). Epicure dans cette Lettre énonce le principe de sobriété qui commande au calcul des plaisirs. Mais c’est ici paradoxalement le plaisir qui est au fondement du jugement porté sur le plaisir. La question reste de savoir comment le plaisir peut devenir objet de calcul, qu’allons-nous calculer ?

 

B. Redéfinition du plaisir.

 Comment l’idée du plaisir peut-elle modérer la réalité du plaisir ? Il semble que cela tienne  à la nature du plaisir et plus précisément à sa relativité avec la douleur. Le plaisir se détache sur fond de non-plaisir et de douleur. Le plaisir serait en ce sens une variation.

 Le plaisir est entendu alors comme absence de douleur. Le plaisir du sage chez Epicure ne ressemblerait pas alors aux plaisirs du débauché. Il semble ici qu’au nom du plaisir, le plaisir soit réduit à n’être qu’une absence de douleur. Que faire alors de l’emportement du corps et de l’esprit, de la frénésie du corps et de l’envoûtement de l’âme dans le plaisir ?  La philosophie qui accorde le plus de crédit au plaisir est en même temps une philosophie qui entend le plaisir comme « absence de douleur pour le corps » et « absence de trouble pour l’âme ».  On retrouve ici l’ascétisme philosophique envisagé dans la première partie.

   Le plaisir n’est pas condamné, mais il est évalué c'est-à-dire  mesuré : il est  quantifié. La logique du « trop » ou du « pas assez » vient seule déterminer la légitimité du plaisir. Mais là encore, il n’y a pas une norme extérieure (la nature est une norme ici intérieure)  qui viendrait de l’extérieur décider. C’est le plaisir seul qui donnera la limite ; un trop serait « dégoût » , un pas assez « frustration ». 

 Quelle différence fondamentale existe entre une condamnation morale de la nature du plaisir, et une mesure quantitative de l’usage des plaisirs qui conduit à une réduction du plaisir à la définition de simple « absence de douleur » ?

Il ne s’agit pas ici d’une condamnation des plaisirs dans la mesure où c’est au nom du plaisir lui-même qu’une modération existe.  Mais ceci se fait au prix d’une redéfinition minimale du plaisir comme « absence de douleur ».

 Nous pouvons dans la continuité d’Epicure montrer avec Spinoza et Nietzsche que le plaisir est une augmentation de notre puissance.

 La condamnation morale des plaisirs relèverait de la superstition ; il ne serait question que de bien user des plaisirs. Spinoza écrit dans l’Ethique (IV, proposition 45, scolie) «  user des choses, et en tirer plaisir autant qu’il est possible de le faire (non, bien sûr, jusqu’à la nausée, car ce n’est plus alors de plaisir qu’il s’agit), est d’un homme sage ».

Le plaisir serait l’expression de la vie, de la joie de vivre. Rien ne saurait le limiter que lui-même. Le plaisir veut l’éternité, mais c’est là qu’il doit se mesurer pour ne pas aller jusqu’au dégoût, jusqu’au vomissement. Alors seule  l’expérience du plaisir, comme expérience de la vie pourrait aider dans ce calcul d’optimum du plaisir ; il y aurait une mémoire du corps. Tout le reste ne serait que crainte et superstition, ce qui est peut-être la même chose. Il s’agit de refuser au nom du plaisir l’ascétisme du prêtre qui est  une humiliation et une honte du corps.

 

III. Légalité et consentement au cœur du plaisir.

Mais cette mesure du plaisir au nom du plaisir lui-même et non pas de la morale, s’il permet de montrer la peur et l’hypocrisie qui peuvent être à l’origine de cette condamnation, semble toutefois sujets à quelques objections. Nous rappellerons ici que le plaisir sexuel engage une relation à autrui. Nous allons donc tenter de déterminer les conditions nécessaires pour que l’acte sexuel soit légitime. Ce n’est plus la nature de l’acte qui est condamnable mais ce sont ses conditions. 

En effet, ce refus de la problématisation morale des plaisirs  ne conduit pas nécessairement à une permissivité absolue. Tout n’est pas permis dans le plaisir. Le plaisir ne peut pas échapper au domaine de la loi, non plus morale, mais de l’Etat. Si ce que condamne le droit, ce sont les actes qui nuisent à autrui, ce sont les relations de violence, alors certains plaisirs engageant autrui peuvent rentrer dans cette catégorie.

 Pédophilie et viol seront jugés à ce titre. Ce n’est donc pas le plaisir qui est condamné ici mais la violence exercée sur un individu. Le plaisir ne trouve donc sa légitimité que dans le consentement qu’il implique. Il faut qu’il y ait consentement pour qu’il y ait plaisir légal. C’est au nom de la protection des personnes que le droit juge et punit les violences perpétrées pour l’assouvissement d’un désir. Il ne s’agit pas de faire un procès de perversité mais plutôt une justice de la réparation et de la protection des individus. Le plaisir éprouvé par une  personne ne justifie pas la souffrance ressentie par une autre.

 Mais la notion de consentement reste floue. L’absence de consentement des personnes violées est évidente, mais qu’en est-il du consentement de la prostituée ?  Comment mesurer le consentement quand la prostitution est un moyen de survie pour certaines personnes ?  Quelle est la nature du  consentement quand le choix  est presque nul ?

 

Conclusion.

On ne trouve pas de valeur transcendante qui pourrait juger et condamner le plaisir. Le plaisir est à lui-même son propre critère. Quand il sent qu’il risque de s’évanouir dans l’illimité frénétique, dans l’accumulation débordante  qui finalement  trouvera une limite dans le dégoût, alors le plaisir qui se connaît et qui se souvient, se retirera. Et quand le plaisir pour être suppose une violence à autrui, non consentant, alors on protège la souffrance contre le plaisir. On condamne le plaisir au nom de la souffrance.  

 

L’obligation morale est-elle entièrement expliquée par la pression de la société sur l’individu ?

Eléments de réflexions

Pourquoi la morale apparaît-elle comme une obligation ?  mais d’abord qu’est-ce qu’une obligation ? C’est un devoir de se conformer à un certain type de comportement même si cela n’est pas agréable. Le devoir moral s’oppose à nos désirs particuliers, à nos penchants sensibles ou à nos intérêts. (ex. trouver un portefeuille avec de l’argent dedans et le remettre aux objets trouvés).

Comment une telle obligation est-elle possible ? Comment l’homme peut-il agir contre ses intérêts ?  D’où vient une telle conduite ? Quelle est son origine ? les animaux sont simplement, ils n’ont pas de devoir être. Quelle est la condition de possibilité de la morale ?

L’hypothèse qui vient à l’esprit, c’est l’idée que la société pour éviter le chaos et le désordre des penchants égoïstes et contradictoire, à instaurer des lois visant à rendre possible le vivre ensemble. La société exerce une pression soit sous la forme des lois et des sanctions qui les accompagnent (amendes, emprisonnement, etc. toutes les peines), soit sous la forme de la désapprobation sociale (le rejet de la personne qui s’est mal comportée) ; on sacrifie la partie pour le tout, l’individu pour la société.

Textes du manuel : la fable de Gygès texte 16 p.98

Texte de Bergson

C'est la société qui trace à l’individu le programme de son existence quotidienne. On ne peut vivre en famille, exercer sa profession, vaquer aux mille soins de la vie journalière, faire ses emplettes, se promener dans la rue ou même rester chez soi, sans obéir à des prescriptions et se plier à des obligations. Un choix s'impose à tout instant; nous optons naturellement pour ce qui est conforme à la règle. C'est à peine si nous en avons conscience ; nous ne faisons aucun effort. Une route a été tracée par la société ; nous la trouvons ouverte devant nous et nous la suivons ; il faudrait plus d'initiative pour prendre à travers champs. Le devoir, ainsi entendu, s'accomplit presque toujours automatiquement ; et l’obéissance au devoir, si l'on s'en tenait au cas le plus fréquent, se définirait un laisser-aller ou un abandon. D'où vient donc que cette obéissance apparaît au contraire comme un état de tension, et le devoir lui-même comme une chose raide et dure ? C'est évidemment que des cas se présentent où l’obéissance implique un effort sur soi-même. Ces cas sont exceptionnels; mais on les remarque, parce qu'une conscience intense les accompagne, comme il arrive pour toute hésitation ; à vrai dire, la conscience est cette hésitation même,  l’acte qui se déclenche tout seul passant à peu près inaperçu. Alors, en raison de la solidarité de nos obligations entre elles, et parce que le tout de l'obligation est immanent à chacune de ses parties, tous les devoirs se colorent de la teinte qu'a prise exceptionnellement tel ou tel d'entre eux. Du point de vue pratique, il n'y a aucun inconvénient, il y a même certains avantages à envisager ainsi les choses. Si naturellement, en effet, qu'on fasse son devoir, on peut rencontrer en soi de la résistance ; il est utile de s'y attendre, et de ne pas prendre pour accordé qu'il soit facile de rester bon époux, bon citoyen, travailleur consciencieux, enfin honnête homme. Il y a d'ailleurs une forte part de vérité dans cette opinion ; car s'il est relativement aisé de se maintenir dans le cadre social, encore a-t-il fallu s'y insérer, et l'insertion exige un effort. L'indiscipline naturelle de l'enfant, la nécessité de l'éducation en sont la preuve. Il n'est que juste de tenir compte à l'individu du consentement virtuellement donné à l'ensemble de ses obligations, même s'il n'a plus à se consulter pour chacune d'elles. Le cavalier n'a qu'à se laisser porter ; encore a-t-il dû se mettre en selle. Ainsi pour l'individu vis-à-vis de la société. En un certain sens il serait faux, et dans tous les sens il serait dangereux, de dire que le devoir peut s'accomplir automatiquement. Érigeons donc en maxime pratique que l'obéissance au devoir est une résistance à soi-même.

Mais autre chose est une recommandation, autre chose une explication. Lorsque, pour rendre compte de l'obligation, de son essence et de son origine, on pose que l'obéissance au devoir est avant tout un effort sur soi-même, un état de tension ou de contraction, on commet une erreur psychologique qui a vicié beaucoup de théories morales. Ainsi ont surgi des difficultés artificielles, des problèmes qui divisent les philosophes et que nous verrons  s'évanouir quand nous en analyserons les termes. L'obligation n’est  nullement un fait unique, incommensurable avec les autres, se dressant au-dessus d'eux comme une apparition mystérieuse. Si bon nombre de philosophes, en particulier ceux qui se rattachent à Kant, l'ont envisagée ainsi, c'est qu'ils ont confondu le sentiment de l'obligation, état tranquille et apparenté à l'inclination, avec l'ébranlement que nous nous donnons parfois pour briser ce qui s'opposerait à elle.

   Les deux sources de la morale et de la religion, Bergson

Autres sujets

Une conduite désintéressée est-elle possible ?

Peut-on vouloir le mal ?

 

 

Peut-on juger la culture à laquelle on appartient ?

 

La culture s’entend en plusieurs sens. Le sens anthropologique ou ethnologique semble correspondre à celui présent dans ce sujet. Il désigne l’ensemble des coutumes, croyances et valeurs articulées entre elles et qui forment l’idée d’un groupe social. On dit alors qu’on a une culture ; la culture occidentale, française ou nambikwara par exemple. On dit aussi qu’on appartient à une culture signifiant ainsi qu’on partage des valeurs et des normes  avec les autres membres d’un groupe social.  L’éthnologie nous a appris à nous méfier des préjugés sur les autres cultures ; je ne suis pas à même de juger une culture autre que la mienne car je risque toujours l’ethnocentrisme, cad de juger la culture différente de la mienne à l’aune des valeurs de ma culture. Il semble donc, au premier abord, évident que je sois autorisé à juger la culture à laquelle j’appartiens. Ainsi seule la culture à laquelle j’appartiens pourrait faire l’objet de mon jugement. Mais la possibilité évoquée dans le « peut-on » du sujet proposé n’est-elle que morale ? Ne s’agit-il que d’une question de légitimité ? Ai-je le droit de critiquer ma culture ? La question supposerait un conformisme et un  respect des traditions de ma culture qui serait placée au-dessus de toute critique. Mais la question n’a-t-elle pas un autre sens ? Il s’agirait plutôt de savoir si je peux, au sens d’une possibilité réelle juger ma culture. La question pourrait se reformuler ainsi : suis-je capable de la distance nécessaire pour prendre conscience de la nature de ma culture et ainsi pouvoir la juger ? La plupart des valeurs, croyances et coutumes de notre culture sont inconscientes, cad que nous les considérons comme « normales », « naturelles » tant nous sommes habitués à les partager ? 

D’un côté  les acquis du relativisme culturel conduisent à reconnaitre l’impossibilité de juger (au sens de critiquer) une culture autre que la mienne, mais d’un autre côté, mon immersion dans ma culture me conduit à reconnaitre la difficulté qu’il y a de juger (au sens de connaitre) ma propre culture. Puis-je en effet être à la fois le sujet et l’objet d’une connaissance ?

 Le sujet nous invite à réfléchir aux conditions de possibilité d’une connaissance et d’une critique de sa propre culture. 

 

I.               Pour connaitre ma culture, il faut paradoxalement que je m’intéresse à une autre culture.

   L’individu appartient à une culture. Il est immergé dans une culture de telle sorte qu’il ne perçoit pas ce qui la constitue véritablement.

-       Les normes et valeurs sont intériorisées

-       Les individus qui m’entourent n’ont pas le recul nécessaire à l’objectivité.

Ce qui est culturel apparait comme naturel. Marcel Mauss a même montré que la façon de mouvoir son corps, etc. n’était pas la même aux quatre coins de la planète. Il a appelé cela « technique du corps ».

Notre culture ne se réduit pas au folklore, aux traditions et aux fêtes populaires. Elle structure notre façon de parler et de penser, notre représentation du monde et nos rapports avec autrui.

 Seule l’ethnologie révèle à l’individu que ce qu’il croyait naturel est en réalité culturel.

Ex. nous prenons conscience que notre représentation du réel repose sur ce qu’on pourrait appeler en suivant l’anthropologue Descola, le naturalisme parce que nous nous sommes intéressés aux populations Jivaros d’Amazonie et en particulier les Achuars qui ont développé une représentation de type  animiste avec les non-humains (plantes et animaux).

 

 Le paradoxe est donc que pour connaitre ma culture il faut que je m’intéresse aux autres cultures. Toutefois cela doit me conduire à ne pas juger et donc critiquer les cultures éloignées de la mienne. En effet, juger signifierait alors évaluer à l’aune de nos valeurs (par exemple celle de progrès technique), méconnaitre la complexité de la culture étrangère et considérer que la culture en question est inférieure ou antérieure à la nôtre.  

  Après avoir réfléchi aux conditions de possibilité d’une connaissance de sa propre culture, la question se pose de savoir s’il est légitime de la juger. On pourrait en effet remarquer que notre culture repose sur des valeurs et des normes auxquelles il faudrait continuer de se soumettre car elles seraient le garant d’une stabilité de la société. Au nom de la stabilité de la société que l’on croirait menacée, on invoquerait le respect des traditions et des coutumes. On ferait l’éloge du conformisme social ?

II.              Il est non seulement possible de juger sa propre culture mais c’est un devoir de le faire.

La culture est une réalité vivante, en évolution. Elle est semblable à un être vivant qui se transforme dans le temps. La culture est une réalité en mouvement car elle est composée d’individus qui sont eux-mêmes en devenir.

L’individu n’est pas seulement spectateur de sa culture, il en est aussi l’acteur. Il doit ainsi participer à sa culture en critiquant les formes nouvelles qui y naissent et qu’il juge indigne. On peut juger au nom du beau et d’intéressant les formes culturelles nouvelles qui apparaissent.

 Si la plupart des normes et des valeurs sont inconscientes (pour les raisons invoquées en première partie), il est de notre devoir de les faire apparaitre à la surface pour les critiquer et proposer de nouvelles formes.

 On peut envisager le dynamisme artistique en ce sens. Les artistes sont des visionnaires, ils sont en avance sur leur temps car ils construisent, par les nouvelles perceptions qu’ils offrent, la culture de demain.

 

 La culture pour être une culture vivante doit être constamment critiquée par les membres qui la constituent.

 La question se pose de savoir au nom de quelle valeur la culture est-elle jugée ? Comment une critique de la culture peut-elle venir de l’intérieur de la culture elle-même ?  Ne risque-t-on pas d’adresser à la culture une « critique culturelle » ? Dans quel fonds la critique de la culture puise-t-elle ?

III.           Ceux qui jugent la culture sont ceux, non pas qui la détruisent, mais qui la font.

Le travail de création artistique surprend les artistes eux-mêmes. Ils reconnaissent être surpris par leur œuvre achevée. Tout se passe comme si le travail d’exécution ne pouvait pas rendre compte entièrement de la création artistique. Quelque chose de l’ordre de l’inspiration, de l’intuition qui échappe à l’artiste lui-même, dont il n’est pas le seul auteur rend possible la création de formes nouvelles.

 Ce sont ces formes artistiques nouvelles qui permettent de juger des formes culturelles passés. Le jugement est possible au nom de formes nouvelles plus intéressantes, plus représentatives de la culture en pleine mutation. L’histoire des courants littéraires, picturaux, musicaux, philosophiques en témoignent. Les artistes donnent un souffle nouveau à la culture, ils donnent une nouvelle direction à la société.

 LE « on » de la question « peut-on juger la culture à laquelle on appartient » ne renvoie pas à la totalité de la population concernée mais seulement à ceux qui, inquiets et insatisfaits, cherchent dans la création artistique l’apparition d’une réalité nouvelle qui pourra les satisfaire.

 

 

Pourquoi se cultiver ?

 

La question pourrait surprendre tant on est habitué à considérer de façon positive le fait de se cultiver. Se cultiver est une activité qui est considérée comme ne pouvant être que bonne pour l’individu. Mais qu’entend-on au juste par l’expression «  se cultiver » ? Cette expression désigne une activité qui consiste à fréquenter les œuvres de l’esprit qui ont traversé les siècles. Il s’agit alors principalement de lire (de la littérature, de la poésie, de la philosophie, des ouvrages d’histoire, etc.) d’écouter de la grande musique (la musique classique, le jazz, etc) et d’aller au théâtre, à l’opéra et aux musées pour y contempler les œuvres d’arts qui y sont exposées. Bref « se cultiver » est l’activité qui conduit à avoir de la culture, entendue comme culture générale.  Mais cette activité semble exigeante et parfois pénible. Les œuvres de l’esprit sont des œuvres difficiles qu’il n’est pas possible d’assimiler, de consommer comme les produits du divertissement. Elles supposent des efforts de concentration et de la patience. On ne rentre pas dans l’univers de Marcel Proust facilement, l’œuvre en plus d’être longue semble d’un autre temps, même si elle décrit des expériences que je pourrai m’approprier si je suis prêt aux efforts qu’elle exige.  La culture relève d’une obligation au sens d’abord où elle suppose, souvent au début seulement, des efforts qui semblent contraignants.  Les efforts intellectuels  que suppose la plupart des grandes œuvres nous conduisent spontanément à interroger l’intérêt qu’il y aurait à se cultiver. Ne puis-je pas me dispenser de ces efforts s’ils se révèlent inutiles ?

Mais si on pose la question de savoir « pourquoi se cultiver », cela présuppose que  se cultiver est une activité qui vise un but, une fin autre qu’elle même. Se cultiver serait dès lors un moyen en vue d’autre chose. Mais en vue de quoi ? de se perfectionner intellectuellement et moralement ? de dominer autrui du haut de sa culture ? Faire de l’activité de se cultiver un moyen ne conduit-il pas à dénaturer le sens de la culture ? Un rapport utilitaire à la culture n’est-il pas un rapport inapproprié ?

La tension pourrait se formuler ainsi : d’un côté l’activité de se cultiver semble supposer des efforts intellectuels qui attendent des bénéfice, des retours (comme un « retour sur investissement ») mais d’un autre côté il se peut que ces efforts soient faits en vain, au sens où ils ne devraient pas viser un but particulier, au risque sinon de dénaturer la culture elle-même.

 

Thèse : Se cultiver  désigne une activité de l’esprit qui consiste à fréquenter les grandes œuvres qui ont traversé les siècles. Elle suppose un rapport avec les  créations artistiques et une  connaissance des découvertes scientifiques que celles-ci relèvent des sciences de la nature ou des sciences humaines.

  Arguments : Elle apparaît comme une obligation nécessaire à  l’éducation (qu’elle relève de l’institution scolaire ou de la famille)  de l’individu. Se cultiver renvoie d’abord au sens agricole de la culture. Un champ si fertile soit-il ne produirait rien de lui-même, il faut le travailler. De la même façon, un esprit a besoin pour  son développement du « travail » que suppose la fréquentation des œuvres culturelles. En effet, seuls des efforts d’attention peuvent nous faire rentrer dans des théories et des œuvres difficiles d’accès. Se cultiver apparaît donc  d’abord comme une contrainte nécessaire au développement intellectuel de l’individu. 

 Se cultiver oblige l’individu à s’ouvrir au monde. L’obligation est davantage morale ici, il s’agit de faire honneur à tous ces hommes et ses femmes qui ont consacré leur existence à la connaissance et aux arts. Se cultiver apparaît ainsi comme un hommage faits à ces personnalités hors du commun. Ils se sont efforcés de démasquer  les illusions du monde, ils ont dénoncés les injustices de leur temps et ont ainsi participé à la construction d’un monde meilleur dans lequel nous pouvons vivre. Ils ont ainsi mené un combat contre l’obscurantisme au nom de la liberté, de la connaissance et du beau.

 

Pb : il faut se cultiver pour se cultiver, il y a aurait une exigence d’encyclopédisme dans ce projet. Or celui-ci est absurde parce qu’impossible (je ne peux pas tout connaître, la Nature est infinie)

 Est-on bien que le perfectionnement intellectuel conduise à un perfectionnement moral ? La personne cultivée est-elle forcément bonne ?  Se cultiver serait dès lors une activité qui dissimulerait des intentions immorales de domination et d’humiliation de la personne dite inculte.

 

Thèse : l’obligation de se cultiver peut dissimuler des intérêts de pouvoir et de domination. Se cultiver apparaît alors comme un moyen en vue d’autre chose.

 

Bergson voit dans le rire une pression de la société sur l’individu. Celui qui trébuche sur un caillou ne faisait pas attention là où il a posé le pied. Le rire des témoins de la chute vient lui rappeler la nécessité qu’il y a de faire attention. On pourrait faire un parallèle ici avec la moquerie que subissent ceux qui ignorent ce que la culture dite générale exige. L’ignorance est vécue alors comme une imbécilité qu’il vaut mieux à tout prix éviter. La moquerie sociale vient nous rappeler qu’il faut se cultiver. 

Mais sommes-nous bien sûr que c’est la société toute entière qui défend ceux qui l’ont construites dans ce rire moqueur, ou s’agit-il d’une classe sociale qui entend ainsi se démarquer, se distinguer de « la masse ».  Les œuvres culturelles seraient ainsi appropriées par une élite qui s’en serviraient comme d’une arme de domination et d’exclusion.  Les hommes se cultiveraient dans l’espoir de pouvoir se servir de leurs connaissances au dépend d’autrui. Si se cultiver nécessite des efforts intellectuels, ceux-là seraient récompensés par les honneurs et la distinction que les autres leurs accorderont. La culture n’est plus alors qu’un moyen comme un autre pour se distinguer.

 On comprend ainsi que le perfectionnement intellectuel ne conduit pas à un perfectionnement moral de l’individu cultivé. Au contraire celui-ci sera toujours tenté de croire à sa prétendue supériorité intellectuelle.

 Faire de l’activité de se cultiver une obligation intellectuelle et morale pour se perfectionner fait courir le risque de considérer la culture comme un moyen en général, et donc ouvre la porte à la domination par la culture. Que ce soit pour se  développer intellectuellement  et personnellement ou pour se distinguer socialement, la culture est envisagée comme un moyen. Le rapport engagé à son égard est utilitaire, et la thèse que nous défendons ici est que l’un conduit à l’autre.

 

 Le problème ne réside-t-il pas alors dans l’expression même de « se cultiver ». Il faudrait se cultiver en général, et cela, comme nous l’avons souligné, semble impliquer un effort de l’esprit qui cherche à éviter cette peine. Se cultiver est-elle une bonne expression pour caractériser le rapport authentique aux œuvres de l’esprit ?

  Y a-t-il des moments où il faut se dire que l’on va « se cultiver » ? Se le dire, et le faire dans cette intention ne risque-t-il pas de nous faire passer à côté du sens véritable des œuvres. Les œuvres de l’esprit ne sont-elles pas comme des rencontres imprévues et joyeuses. Je ne cherchai rien de particulier dans cette œuvre, dans ce livre, et il m’a alors ouvert à un monde que je ne soupçonnais pas. Une marche en forêt me révèle à chaque pas un monde nouveau, comme un explorateur sans but j’arpente ces lieux, à l’affût mais sans savoir ce que j’ai à y découvrir. De la même façon la lecture d’un livre ou la visite d’une exposition me dévoilera un monde que je ne soupçonnai pas. On ne va pas au musée, on ne lit pas de la littérature ou de la philosophie pour « se cultiver », ces rencontres se font au hasard, par pure curiosité et dans l’espoir de vivre dans un monde plus riche, plus nuancé et plus beau.

 

 ccl. l’expression «  se cultiver » est problématique dans la mesure où suppose un but à cette action. Or assigner un but au fait de fréquenter des œuvres culturelles dénature le sens de ces œuvres elles-mêmes. La culture est un élément du monde, plus durable que la plupart des productions humaines. Elles sont là, au monde en attente qu’un esprit vienne les dévoiler. Il ne s’agit donc plus d’une obligation de « se cultiver » en général mais bien plutôt de communiquer la chance qu’il y a à  se rendre disponible au monde de la culture.

 

 

Qu’attendons-nous de la technique ?

 

Attendre c’est attendre un événement, j’attends un événement heureux (une naissance, un anniversaire, un mariage, etc.). Attendre suppose de l’impatience, on voudrait que le moment attendu arrive plus vite (même si celui-ci peut être douloureux, comme la publication des résultats à un examen). Attendre, c’est aussi désirer que le temps passe plus vite, qu’il s’accélère même si cela n’est pas possible.  Attendre suppose aussi une passivité ; lorsque l’on doit attendre c’est qu’il n’y a plus rien à faire.  Mais attendre  c’est aussi attendre qch de qn, c’est alors espérer que la personne honore sa promesse de changement. Ce que j’attends de cette personne, c’est qu’il change de comportement, etc. Il y a alors dans cette forme d’attente un espoir. Là encore on retrouve l’idée de passivité mais il y a en plus l’idée que nos espoirs finiront peut-être par se réaliser. Dans cette forme d’attente, il y a l’idée que l’avenir sera meilleur et qu’il le sera sans que nous y ayons contribué.

 Attendre qch de qn suppose que l’on ait identifié les problèmes que la personne devra surmonter. Se poser la question, c’est aussi marquer un temps d’arrêt et interroger notre réalité.

  

Qu’attendons-nous de la technique ? pourrait s’entendre qu’attendons-nous des techniques ?

 1/  Quelles techniques voulons-nous ? quel avenir des techniques espérons-nous ? quelles techniques du futur espérons-nous ? de se déplacer encore plus vite, de communiquer encore plus facilement, de produire encore plus d’objets et plus vite, de mourir encore plus vieux, qu’il n’y ait plus de maladies, qu’on aille encore plus loin dans l’espace… on désire une accélération technique, une augmentation des distances, des vies. Notre représentation ne peut être ici que quantitative, on augmente ou on réduit.  Il n’existe alors que des différences de degré. Cela vient-il d’un manque d’imagination ?

 On ne se représente pas, en tout cas immédiatement, des différences de nature, des changements dans les qualités.

2/ Qu’attendons-nous de la technique peut s’entendre aussi au fond quel est la nature de nos rapports aux techniques ; est-ce que nous les avons vraiment pensé, est-ce que nous avons bien réfléchi à ce que nous attendons d’elles parce que pour l’instant les leçons de son existence n’ont pas encore été tirées. En effet, si les techniques ont pour but de libérer l’homme du  travail, les hommes continuent de vouloir et de devoir travailler beaucoup même si une partie de la population se trouve au chômage. « …au fond, au bout du compte, qu’attendons-nous d’elle sinon… » d’ailleurs la formulation est l’indice d’un manque de réflexion sur le sens, le mode d’existence, des objets techniques ; on parle des technologies, d’inventions réelles mais aussi et beaucoup de gadgets qui n’ont pas de véritable intérêt ; on s’étonne de telle ou telle prouesse, notre attention porte principalement sur des objets lointains, des possibilités qui ne sont pas ceux de notre quotidien. Eux au contraire sont ignorés, rendu invisible par leur usage. On ne se demande pas ce que les objets qui nous entourent implique, et plus largement on ne s’interroge pas sur la réalité de la technique.

  Des réalités contradictoires conduisent à cette question un peu agacée : la place du travail dans nos vies et la représentation du temps dans nos existences. Le travail apparaît comme une valeur incontournable alors que les métiers dans lesquels l’individu peut s’accomplir constituent un faible pourcentage des emplois sur le marché du travail. Les machines sont fabriquées pour remplacer les hommes dans leurs activités non humanisantes. Or face au chômage, on invente des emplois déshumanisant (de nouvelle domesticité). Alors que les techniques conduisent à une augmentation des vitesses de production, de déplacement et de communication, nous souffrons de « famine temporelle ».

Comment étendre cette prise de conscience ? Qu’est-ce qui l’empêche ?  Qu’est-ce que on veut vraiment d’elle et qu’on pourrait déjà avoir parce qu’elle est déjà là.

 

 3/ c’est aussi une question qui souligne à la fois une certaine passivité à l’égard des techniques (nous sommes les usagers, laissons le soin aux ingénieurs d’inventer les machines de demain) et un espoir que l’on voudrait qualifier d’aveugle. La technique va résoudre nos problèmes (les machines seront plus performantes, mais elles fonctionneront mieux etc. elle nous assurera toujours de quoi vivre même si la planète nous menace, elle qui est chatouilleuse). Tout se passe comme si, sans qu’on  se le dise, on espérait que tous les problèmes trouvent une solution d’ordre technique que nos ingénieurs s’efforceront de trouver).

La question qui se pose alors c’est celle de savoir si tous les problèmes ont une solution technique. Sous entendu, ils pourraient être d’une autre nature, et supposer par exemple un changement de mode de vie, que l’humanité devra décider et qui ne pourra venir des techniques elles-mêmes ; en tous cas, pas seulement.

   4/ qu’attendons-nous de la technique  pourrait s’entendre comme j’attends de cette personne, ceci ou cela. J’attends du changement ! J’attends qu’elle change, mais elle connaît un progrès (technique), alors c’est peut-être l’homme lui-même qui au fond ne change pas, il n’ a pas encore saisi la mesure du changement possible. Il nous promettait le bonheur, on attend qu’il nous le donne. J’attends de la technique qu’elle tienne ses engagements, ses promesses. Mais c’est à l’homme de s’interroger, c’est à lui de réaliser pleinement les promesses de la technique.

  Il y a un peu de condescendance, comme lorsque une personne dit qu’elle attend ceci ou cela d’une autre personne ; il faut que l’autre cherche à me plaire, à me satisfaire.   La question fait comme si on pouvait se dispenser de participer à ce changement. Comme si nous devions attendre de le recevoir des techniques à venir.

I.La technique est associée au progrès. L’humanité va en avant grâce à elle. Les sciences viennent les complexifier, etc. imagine d’epinal de la technique. Les Lumières nous portent en avant. L’avenir est radieux, les problèmes que nous rencontrons vont recevoir une solution technique. J’attends de la technique mon bonheur et le salut de l’humanité. Elle saura bien (on ne sait pas comment), mais on est porté par une croyance, s’en tirer et régler nos différents avec la planète.

Le regard vers le passé nous fait prendre en pitié nos ancêtres.

 Technophilie naïve/ pas plus de sens peut-être que technophobie  qui dévoilerait des dépendances, de l’esclavage et une domination par les robots, pas un espoir, la vision d’un cauchemar qui empêche d’attendre qch des techniques. Au contraire une lutte est engagée contre elle. Une guerre.

II. Pourquoi une visions naïve : parce qu’on attend d’elle des solutions à des problèmes qui ne sont pas techniques.Parce qu’on pourrait déjà bénéficier de ses bienfaits si on changeait de mode de vie et de représentation Parce que ce n’est pas une attente qui doit caractériser notre rapport aux techniques. Il faut apprendre à les aimer vraiment, et à étudier leur mode d’existence.

III. on attend tout et rien, des bienfaits qui ne seront réels que si on apprend à les percevoir. Donc attitude active,