Synthèses TSTI. Vous êtes invités à approfondir votre étude en lisant le cours disponible sur le blog (de septembre à mars)

 

Bonheur

 

Le bonheur est un concept indéterminé : il est ce qui est visé par les hommes mais ceux-là sont incapables de lui attribuer un contenu. En effet, nous sommes tous attirés invinciblement par le bonheur – l’eudémonisme fait du bonheur la fin en soi, le but de l’existence humaine - (seul le fou pourrait ne pas vouloir être heureux) mais nous sommes bien incapables de dire en quoi consiste le bonheur. Nous voulons quelque chose (peut-être est-ce la seule chose que nous voulons réellement) sans savoir de quoi il s’agit. Nous sommes inclinés vers un objet dont le contenu nous échappe. Pouvons-nous être heureux sans savoir en quoi consiste précisément ce « vivre heureux » ? Kant   résume ce paradoxe : «  le malheur est que le concept du bonheur soit un concept tellement indéterminé que, même si tout homme désire être heureux, nul ne peut jamais dire pourtant avec précision et en restant cohérent avec soi-même ce que vraiment il souhaite et veut ».

 De cette indétermination découle une grande confusion. Première confusion à discuter : l’assimilation du bonheur au plaisir. Nous confondons ainsi dans cette incertitude générale quant au contenu du bonheur le plaisir, la joie et la béatitude. Si on définit le bonheur comme une forme de plaisir, ou si tout au moins le bonheur ne semble pas pouvoir aller sans un certain plaisir, on ne semble pas pour autant autoriser à les confondre.  Pourquoi le bonheur ne peut-il pas se réduire au plaisir ?    Le temps du bonheur n’est-il pas plus long que le temps du plaisir ? On peut recourir aux distinctions conceptuelles extérieur / intérieur pour clarifier ces notions. En effet, le plaisir est une satisfaction sensorielle c'est-à-dire que ce qui la provoque relève de l’extériorité (extériorité du corps – sensualité), à l’inverse, nous ne sommes pas autorisés à réduire le bonheur à cette satisfaction sensorielle dans la mesure où il semble plus résulter de la rencontre de l’extériorité du plaisir et de l’intériorité de la joie. La personne joyeuse est donc celle qui manifeste une satisfaction sans que l’on puisse référer cette satisfaction aux sens. Le bonheur ne désigne-t-il pas un état stable et durable, état qui ne serait pas envisageable si nous en restions seulement au niveau du plaisir agréable. C’est parce que le bonheur désigne un état stable et durable qu’il est aisé de le distinguer (au moins provisoirement du plaisir ; il existe des théories philosophiques comme l’hédonisme qui vont jusqu’à faire du plaisir le but ultime du bonheur). Toutefois Epicure propose un hédonisme modéré et prudent  (c'est-à-dire bien compris) qui est une véritable « arithmétique des plaisirs » ; tous les plaisirs ne se valent pas et accueillir les plaisirs n’est pas la même chose que les rechercher de façon obsessionnelle (cette recherche maladive serait une véritable douleur). Il faut un savant calcul pour savoir discerner quels sont les plaisirs que nous devons rechercher et ceux que nous devons éviter.

     L’expérience du plaisir est nécessairement une expérience limitée. Un plaisir qui durerait et qui s’installerait dans un état stable est-il concevable ? Si le plaisir était un état durable, il n’y aurait alors que du plaisir ; son contraire, la douleur serait absente. Or l’expérience du plaisir ne suppose-t-elle pas l’expérience de son contraire, la douleur ? Pour apprécier l’agréable ne faut-il pas connaître le désagréable ? N’est-ce pas dans ce jeu de constrastes que se joue la possibilité de l’agréable et du plaisir. Sénèque nous dit qu’il a « son essence dans le mouvement », il faut comprendre que ce mouvement n’est finalement qu’un passage incessant à son contraire. Non seulement la condition de possibilité du plaisir suppose la douleur, mais la finalité même du plaisir est de s’achever. Tout se passe comme si le but du plaisir était paradoxalement sa destruction ; «  dès son début il regarde vers sa fin ». Le plaisir est en devenir, il n’a pas d’essence. Il ne peut être une fin en soi comme le bonheur dans la mesure où il s’éteint lorsqu’il est atteint. 

 

Deuxième confusion à discuter : l’assimilation du bonheur à la chance.

Le bonheur n’est-il qu’une question de chance comme une lecture de son étymologie pourrait le laisser penser ? Le mot bon-heur renvoie en effet au latin « bonum augurium » ce qui signifie de bon augure, de bon présage. Cette interprétation étymologique du bonheur ferait du bonheur une question de chance, c'est-à-dire que certains – les élus – en serait pourvus tandis que d’autres en seraient privés. Rien ne sert de lutter contre la chance ou le hasard, il suffirait pour être heureux de se laisser aller au « petit bonheur la chance » ; le bonheur serait de l’ordre de ce qui nous échappe. Comment le bonheur pourrait-il être la finalité de l’existence humaine, si celui-ci est l’objet du hasard et de la chance et s’il échappe ainsi à l’action humaine ? L’action humaine n’aurait-elle aucune prise sur le bonheur ? Le bonheur dépend-il à ce point des circonstances extérieures ? Devons-nous attribuer le bonheur au hasard ou ne faut-il pas distinguer entre une réalité qui objectivement peut être cruelle et son appréciation subjective qui peut en atténuer la cruauté ?

 

«  Mais il est besoin de savoir ce que c’est que vivere beate [vivre heureux] ; je dirais en français vivre heureusement, sinon qu’il y a de la différence entre l’heur et la béatitude, en ce que ceux-là sont estimés plus heureux que sages, auxquels il et arrivé quelque bien qu’ils ne se sont point procuré, au lieu que la béatitude consiste, ce me semble, en un parfait contentement d’esprit et une satisfaction intérieure, que n’ont pas ordinairement ceux qui sont le plus favorisés de la fortune, et que les sages acquièrent sans elle. Ainsi vivere beate, vivre en béatitude, ce n’est autre chose qu’avoir l’esprit parfaitement conscient et satisfait ».  Descartes, Lettre à la princessse Elisabeth du 4 août 1645.

 Descartes distingue ici deux interprétations du bonheur : la première rapproche le bonheur de la chance (c’est le sens des mots fortune et heur), la seconde la rapproche de la béatitude qui désigne un état de satisfaction permanent. Ce qui distingue fondamentalement les deux approches tient en ce que pour la première les circonstances externes sont indispensables au bonheur tandis qu’elles ne sont que superflues dans la seconde. Le bonheur entendu comme chance dépend des biens extérieurs tandis que le bonheur entendu comme béatitude dépend uniquement des ressources intérieures du sujet. Le chanceux ne peut pas être heureux sans ces circonstances extérieures tandis que le sage lui peut au contraire être heureux même si le sort s’acharne contre lui.  La béatitude du sage consiste à vivre de la satisfaction que procure la conscience.

L’erreur du malheureux consiste à croire que le bonheur se mesure à sa « quantité » de chance  distribuée en honneurs, richesses, biens, etc. De la même façon, l’erreur du malheureux consiste à ne pas distinguer entre ce qui arrive objectivement (un malheur, une maladie, un mort, etc – malheurs qui signifient objectivement que la réalité est cruelle) et ce qui relève de l’appréciation subjective. Le malheureux est donc celui qui n’imagine pas que l’appréciation subjective d’un fait objectivement triste ne conduit pas nécessairement à la tristesse. 

  L’erreur du malheureux est de préférer le parti de la jouissance à celui de la lucidité.

 

« Car il est certain qu’un homme bien né, qui n’est point malade, qui ne manque de rien, et qui avec cela est aussi sage et aussi vertueux qu’un autre qui est pauvre, malsain et contrefait, peut jouir d’un plus parfait contentement que lui. Toutefois, comme un petit vaisseau peut être aussi plein qu’un plus grand, encore qu’il contienne moins de liqueur, ainsi, prenant le contentement d’un chacun pour la plénitude et l’accomplissement de ses désirs réglés selon la raison, je ne doute point que les plus pauvres et les plus disgraciés de la fortune  ou de la nature ne puissent être entièrement contents et satisfaits, aussi bien que les autres, encore qu’ils ne jouissent pas de tant de biens. »  idem.

Ce n’est pas, pour reprendre l’image cartésienne, la taille du vaisseau qui importe et donc savoir combien de biens il peut contenir ; mais c’est au contraire la façon dont il est rempli ; ce n’est pas tant l’espace comblé que l’espace restant qui importe pour « mesurer » du bonheur de chacun. Le bonheur ne peut donc pas résider dans l’accumulation (qui est par essence infinie, quelle serait le terme de cette accumulation ? à partir de combien pourrions-nous juger que nous en avons suffisamment ?) Cette image de Descartes fait écho à la réponse d’Epicure à celui qui lui demandait comment devenir riche : «  ce n’est pas en augmentant les biens, mais en diminuant les besoins ».

 

Mais si le bonheur dépend étroitement de l’appréciation subjective de ce qui nous arrive plutôt que ce qui nous arrive réellement, le bonheur ne reposerait-il pas sur une certaine illusion ? Je pense être heureux donc je le suis ? L’exigence de vérité et de lucidité est-elle finalement au principe du bonheur. Le bonheur du sot ne serait-il pas le bonheur véritable dans ces conditions ? Le sot n’est-il pas précisément celui qui se contente de peu ?

 

Si le bonheur n’est pas une somme de plaisirs , si le bonheur n’est pas une question de chance, et si c’est la lucidité de l’esprit sur ce qui lui arrive qui peut participer au bonheur, comment s’assurer que cette  lucidité ne mènera pas à la conscience malheureuse. Je préfère me détourner du réel et vivre dans l’ignorance pour pouvoir être heureux. En quel sens la lucidité peut-elle mener au bonheur et ceci plus que la jouissance ?

 

«  Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent : et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais ». Pascal, Pensées (n°172)

Insister sur le présent de la satisfaction, c’est pour Pascal souligner notre incapacité à discerner dans le présent la satisfaction possible. Pris entre le passé et l’avenir, nous ne jouissons véritablement jamais. C’est l’attention au présent qui montrera à celui qui cherche le bonheur que celui-ci est possible. Le bienheureux n’est pas celui qui est le mieux doté par la nature et par le sort, ce serait bien trop facile, mais celui qui trouve dans l’occasion la matière de l’exercice de son talent, et qui par l’effet de celui-ci, configure la réalité à son avantage. On voit ici que l’on ne peut pas être heureux si on n’agit pas. Le bonheur n’est-il pas en ce sens la satisfaction de constater que nos efforts ont permis de surmonter les obstacles que nous présentait la réalité. L’action réussie est celle qui rassemble à la fois un effort humain animé par une volonté et l’intelligence de la réalité. C’est bien en ce sens un art de tranformer la réalité contingente et contraignante. Sans cette résistance de la réalité, je ne pourrais pas éprouver pleinement la satisfaction de mon action réussie. C’est donc de mon insatisfaction face au réel (j’ai voulu par exemple changer de vie, changer les choses, etc.), de cette inquiétude première qu’a jailli le bonheur. La possibilité du bonheur repose sur la rencontre de certaines difficultés à vaincre :

«  Il est bon d’avoir un peu de mal à vivre et de ne pas suivre une route tout unie. Je plains les rois s’ils n’ont qu’à désirer ; et les dieux, s’il y en a quelque part, doivent être un peu neurasthéniques…Le bonheur suppose sans doute toujours quelque inquiétude, quelque passion, une pointe de douleur qui nous éveille à nous-mêmes. » Alain, Propos sur le bonheur, XLVI.

 

 

Le bonheur désigne donc une satisfaction paradoxale ; il n’y a de satisfaction que si celle-ci repose sur une insatisfaction originelle. Le bonheur se distingue ainsi de l’ataraxie qui est au contraire la promesse de l’insensibilité qui fait accepter le monde tel qu’il est. La figure du sage serait celle du sage engagé ; il n’accepte pas le réel – il porte donc un regard attentif sur le présent (il vit au présent)- et il tente de le vaincre. Le bonheur n’est donc pas dans l’ignorance des maux de l’humanité ou dans l’aveuglement des plaisirs infinis, mais dans un regard lucide.

 

« Je me suis quelquefois proposé un doute : savoir s’il est mieux d’être gai et content, en imaginant les biens qu’on possède être plus grands et plus estimables qu’ils ne sont, et ignorant ou ne s’arrêtant pas à considérer ceux qui manquent, que d’avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, et qu’on devienne plus triste. […] Mais […] voyant que c’est une plus grande perfection de connaître la vérité, encore même qu’elle soit à notre désavantaage, que l’ignorer, j’avoue qu’il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance. Aussi n’est-ce pas toujours lorsqu’on a le plus de gaieté, qu’on a l’esprit plus satisfait ; au contraire, les grandes joies sont ordinairement mornes et sérieuses, et il n’y a que les médiocres et passagères, qui soient accompagnées du ris ».

 Lettre à la princesse Elisabeth du 6 octobre 1645, Descartes.

 

 

 

 

 

Culture

  La diversité des cultures humaines à la surface du globe nous conduit à nous poser cette question : comment concilier le fait que l’espèce humaine possède un équipement biologique et cognitif sans grande variation interne  avec le constat qu’elle emploie cet équipement de manière extrêmement variable ? L’ethnologue Marcel Mauss a bien montré par exemple qu’on ne marche pas, qu’on ne court pas, qu’on ne se sert pas d’un percuteur de la même façon selon les lieux et les milieux où on a appris ces techniques. Ces techniques ont été intériorisées comme des schèmes corporels et ils sont perçus au premier abord, à tort, comme tout à fait naturels. Et la diversité est bien sûr plus grande encore en matière d’institution collective ; les règles de mariage, les formes de l’autorité, les types légitimes ou illégitimes d’expression de la violence, les hiérarchies de statut, les normes de l’échange et de la circulation des biens matériels tout cela se présente à nous comme un tableau d’une étourdissante variété. Une étourdissante variété des cultures humaines repose donc sur un même équipement biologique et cognitif. La tâche de l’anthropologie et de l’ethnologie  est de mettre au jour des régularités dans ce foisonnement de particularismes. Elle va rechercher des invariants anthropologiques mais qui ne sont pas des universaux. En somme qu’il y ait des règles dans l’espèce humaine est universel mais les règles elles-mêmes sont particulières.

   La culture désigne donc ici alors  des coutumes et croyances d’un peuple, d’une ethnie. Elle correspond à une réalité complexe qui articule ensemble une langue, des croyances, des habitudes, des coutumes, des valeurs, des représentations du monde. L’ethnologue est le chercheur qui va,  dans un travail méthodique et après une longue immersion au sein du groupe social particulier, dégager cette structure complexe..

L’ethnologie est la science sociale qui s’intéresse à la diversité culturelle. Ce sens du mot culture pose des questions spécifiques, comme :

-       La pluralité des cultures est-elle un obstacle à l'unité du genre humain? Ou  encore, la prise en compte des différences culturelles vous paraît-elle remettre en question l'existence de valeurs universelles ? Affirmer des droits de l'homme universels, est-ce méconnaître la diversité des cultures ? dans cette première série d’interrogation, on se demande en quel sens la prise en compte de la différence ne risque pas de nuire à l’idée d’une unité du genre humain.

-       Mais il faut au préalable être capable de percevoir la différence de la culture éloignée de la mienne. Or puis-je comprendre une culture éloignée de la mienne ? Comment éviter l’ethnocentrisme ? Quelles sont les qualités nécessaires à l’ethnologue ?

La question que l’on peut se poser est de savoir comment comprendre ces différences culturelles sans porter de jugement de valeur, et sans rejeter hors de l’humanité des hommes sous prétexte que leur culture est différente de la nôtre. Au moment de la découverte du  Nouveau Monde,  les Espagnols ont chargé des commissions d’enquête de déterminer si les indigènes possédaient une âme. Les indigènes, quant à eux, immergeaient des cadavres de prisonniers blancs pour vérifier si leur corps était sujet à la putréfaction et déterminer s’ils étaient oui ou non des dieux.

Dans un autre  sens du mot culture, on dit des hommes qu’ils ont une culture. On entend par là que les hommes possèdent une « bonne »  culture « générale » c’est-à-dire l’ensemble des connaissances et savoirs qu’une personne peut acquérir. Elle désigne ainsi la fréquentation des œuvres de l’esprit par un individu. Une personne cultivée est une personne qui a une connaissance des arts (littérature, poésie, musique, peinture, etc.) et des sciences. Une personne cultivée est une personne qui a de la culture, une personne inculte, une personne qui n’en a pas. La culture en ce deuxième sens désigne la culture de son âme, le souci porté à son âme en s’intéressant au monde de la culture qui englobe toutes les œuvres de l’esprit humain qui ont traversé les siècles. Se cultiver revient ainsi à contempler le passé humain mais aussi à comprendre le monde et son âme, car chacune des œuvres est l’occasion d’un ravissement et d’une expérience esthétique qui révèle en nous de nouvelles émotions.

 On peut dès lors se demander ce qui distingue la culture (générale) de la « culture » (populaire), appelée aussi « culture » de masse. Existe-t-il des critères fiables de distinction ? Ou bien faut-il accepter toutes les productions  « culturelles » d’une société en avançant l’idée que tout se vaut, et que les goûts et les couleurs ne se discutent pas ? Bref faut-il exporter le concept de relativisme culturel de la culture au sens ethnologique vers la culture au sens de culture générale ?

 

Le dernier sens du mot culture est celui que l’on retrouve dans l’opposition nature / culture. L’homme se présente dans la tradition philosophique comme un être de culture qui s’est arraché à la nature, à son animalité. Par le travail et la technique notamment l’homme serait devenu un homme et aurait quitté le monde animal. Le mythe de Prométhée raconte cet arrachement. L’homme, oublié de la nature et d’Epiméthée, va compenser sa faiblesse naturel en se dotant d’un équipement technique et plus généralement d’un esprit technique. L’homme serait plus « homo faber » qu’ « homo sapiens », un homme qui fabrique des outils plutôt qu’un homme qui sait. L’opposition entre nature / culture renvoie à une autre distinction celle entre la régularité naturelle d’un côté et celle de la diversité des sociétés humaines de l’autre. La nature serait ordonnée, elle serait partout la même au sens où elle obéit à des lois (les lois de la nature) ; la culture serait l’expression de la liberté humaine, ainsi elle serait diverse. Mais cette opposition est elle-même culturelle. De nombreuses sociétés humaines ne disposent pas du concept de nature. 

 

 

 

Technique

 

La technique est une réalité ambivalente. D’un côté elle caractérise nos sociétés modernes plus que tout autre valeur, mais d’un autre, nous la méprisons en ne lui accordant pas de place au sein du monde de la culture, c’est-à-dire du monde des significations. Ce qui nous caractérise le plus aux yeux des autres peuples est un impensé de notre culture. Nous considérons les objets techniques comme de simples moyens en vue de satisfaire certaines fins. Nous nions ainsi l’essence même de la technique. Les objets techniques ont une histoire complexe et ils modifient notre représentation du monde et détermine également les relations humaines. On ne peut les considérer comme de simples moyens dont nous pourrions librement disposer.

 En reconsidérant l’importance de la technique dans nos sociétés, nous remarquons que nous vivons dans des milieux techniques. Nous sommes entourés de techniques (certaines mêmes collent à notre peau) mais nous ne les voyons plus. Il suffit qu’elles fonctionnent pour passer inaperçues. C’est lorsqu’il y a une panne que le monde de la technique se révèle à nous.

 

  La technique se définit d’abord comme ce par quoi l’homme à transformer la nature pour l’adapter à ses besoins. La technique révèle la maitrise par l’homme de la nature. Descartes dit que l’homme devient « comme maitre et possesseur de la nature ». L’homme capte la puissance de la nature et la transforme en énergie pour ses machines. Mais la technique semble finir par échapper à la maitrise humaine. Tout se passe comme si ce par quoi l’homme maitrisait la nature finissait par échapper à la maitrise de l’homme. Il y a en effet un développement de la technique qui semble autonome, un processus aveugle. Le progrès technique est réalisé par des savants et des ingénieurs, mais ils semblent en même temps, les spectateurs de leurs inventions qui finit par leur échapper, comme le raconte l’histoire de Frankenstein. Tout se passe comme si le développement technique suivant le commandement suivant : «  tu peux donc tu dois ». Le seul fait de pouvoir faire une chose conduit à sa réalisation. Ainsi la Bombe atomique, parce qu’elle était techniquement réalisable, elle le fut. Et ensuite il est impossible de détruire ce qu’on a créé. Le savoir-faire technique est indestructible. Ainsi la technique devient l’élément hostile à l’homme, alors que la nature jouait ce rôle précédemment. De même, la mutation écologique qui nous a fait entrer dans l’Anthropocène montre que la technique s’oppose à l’humanité. L’activité humaine, en ce qu’elle suppose l’utilisation d’un grand nombre de machines, constitue une menace pour l’humanité elle-même notamment en raison du changement climatique. On en vient ainsi à se demander si le progrès de l’humanité se réduit au progrès technique ?