Je m’appelle Luna.

 


  Nous étions le 16 mars. Apparemment nous ne devions pas avoir cours ce jour-là car le collège était désert. Je n’étais pas au courant : ma famille et moi étions totalement coupées du monde et nous n’avions pas entendu parler de confinement, ni de rien du tout en ce qui concernait le collège. Nous habitions loin de celui-ci et mon père m’avait déposé rapidement car il était en retard pour un rendez-vous avec son patron. J’étais dans la cour et j’attendais. Je ne savais même pas ce que j’attendais. Je faisais des allers-retours dans la cour sans but précis. J’aurais pu bien sûr utiliser mes dons d’enchanteresse mais j’avais peur que quelqu’un ne m’aperçoive, car il y avait parfois des passants dans la rue. Ah oui ! Je ne vous ai pas dit ? Dans ma famille nous sommes tous des enchanteurs. Bien sûr personne ne le sait à part nous. Pour rien au monde nous ne risquerions d’être démasqués ; cela pourrait entraîner des désastres incontrôlables qui ne nuiraient pas qu’à nous mais aussi à tous les humains.
  Si vous vous le demandiez, oui mon prénom a un rapport avec mon statut d’enchanteresse : je suis née une nuit de pleine lune. Luna, en latin, langue des enchanteurs, veut dire lune. Chez les enchanteurs c’est exceptionnel d’être née une nuit comme celle-ci. Grâce à cela, je suis dotée des pouvoirs les plus puissants, comme par exemple déplacer des objets, ressentir la magie dans un endroit ou chez quelqu’un, déclencher des tornades ou des incendies, etc. Ce jour-là, je ressentis une force dans le bâtiment du collège. Une force magique ; ce qui aurait dû être impossible vu que j’étais la seule enchanteresse du collège. Enfin c’est ce que je pensais jusqu’à ce moment.

 

 

  Une ombre s’est dressée derrière moi. J’ai senti une présence dans mon dos. J’essayais de me retourner mais je n’y arrivais pas. J’avais le souffle coupé et j’avais l’impression qu’on m’étranglait mais personne ne me touchait. Je n’arrivais plus à respirer. Je sentais que j’allais m’évanouir quand une main puissante me frappa le visage et je redevins consciente. Je me relevai péniblement et je vis d’abord ses iris noir d’encre puis ses cheveux blonds, son sourire mauvais. Elle portait un sweat rouge bordeaux, un jean bleu marine et des vieilles Adidas noires.
  Eris. Elle était dans ma classe depuis le CP et nous étions ennemies depuis bien longtemps. Son prénom lui allait bien : Eris est la déesse grecque de la discorde. Je m’étais toujours posée des questions sur elle : elle était méchante et partout où elle allait une catastrophe se produisait. C’était pareil pour sa sœur Hela, ce qui était logique puisque son prénom était celui de la déesse nordique de la mort. Eris vint vers moi et me demanda :

« _ Que fais-tu là ? Tu devrais savoir que depuis que ces stupides humains sont en confinement, les Cours Pour Enchanteurs et Créatures Surnaturelles des Ténèbres ont lieu ici. Or d’après mes dons je vois que tu n’es pas Ténèbres, tu n’as donc rien à faire là.

- Les Cours Pour Enchanteurs et Créatures Surnaturels des Ténèbres ? Mais qu’as-tu comme pouvoirs ?demandais-je. Je n’ai jamais réussi à savoir si tu étais une enchanteresse et dans ces cas-là, quels pouvoirs tu avais.

- Je suis une Electi, autrement dit, je suis comme toi mais en version Ténèbres, m’expliqua-t-elle. Un de mes dons est de cacher mes pouvoirs aux Donum lunae qui, comme toi, sont trop curieux de les connaître. Je deviens donc une personne normale à vos yeux. Tu es maintenant ma prisonnière et tu feras tout ce que je veux. Les Persuadent, ceux qui contrôlent le monde, travaillent beaucoup pour persuader tous les humains qu’il y a une pandémie. Viens avec moi, puisque tu es ici tu serviras au sacrifice dont nous avons besoin.

- Quoi ?! C’est VOUS qui l’avez créé ? Des gens souffrent à cause de ce virus, me suis-je indignée.

-  Pas tout à fait, m’a corrigé Eris. Les Persuadent ont juste mis dans la tête des personnes qu’il y avait un virus. Bien sûr, ils ont dû en éliminer quelques-uns pour que ce soit plus convaincant, comme ça nous pourrions avoir le collège pour nous tous seuls, sans avoir peur que des humains viennent nous déranger. Donc techniquement ils ne souffrent pas d’un virus. »

J’étais horrifiée. Mes parents m’avaient souvent décrit les horreurs que les enchanteurs des Ténèbres commettaient, mais jamais ils n’avaient commis des horreurs pareilles.

« Mais pourquoi venez-vous dans ce collège en particulier ? demandai-je

 -  Nous sommes là pour planifier l’éradication de l’espèce humaine et des enchanteurs de la lumière. Nous y apprenons à déployer nos dons, afin de pouvoir le faire sans perdre aucun de nos membres. C’est pour cela que nous avons besoin d’un sacrifice ; en conséquence toi. Et puis, tes parents ne t’ont pas dit ? Dans ce collège, il y a les Chemins.

Voyant mon regard interrogateur, elle leva les yeux au ciel puis poursuivit :

 - Ce sont des passages sousterrains qui relient les villes des enchanteurs des ténèbres entres elles. C’est donc plus pratique pour rentrer chez nous le soir et pour rendre visite aux plus puissants qui restent chez eux, afin qu’ils nous apprennent leur magie. Un jour ou l’autre, il faut bien l’apprendre la vraie magie des Ténèbres. 

- Maintenant, dit sa sœur Hela, qui venait juste d’atterrir  nous allons te conduire là où personne ne te trouvera ! Il ne faudrait pas que quelqu’un te trouve et te sacrifie trop tôt ! » ajouta-t-elle avec un sourire mauvais. 


***
 

  Eris et sa sœur Hela me conduisirent dans une salle de classe où un professeur humain et une autre élève du collège étaient enfermés. Hela me poussa dedans et ferma la porte avec un sortilège que je ne connaissais pas. Toutes les issues étaient fermées par des sorts, il était impossible de sortir. J’étais désespérée. Je fis le tour de la pièce et je sentis une faiblesse de magie dans un des murs. Cela voulait dire qu’il y avait peut-être une issue !

  C’est alors que j’eus un dilemme. Soit j’utilisais mes pouvoirs pour me sortir de là mais ces deux humaines me verraient, alors que je n’avais aucune confiance en elles. Ou alors je restais là et je risquais de me faire brûler vive par le feu glacial des Ténèbres. Bien sûr, je choisis le premier choix, malgré le risque.

 Je me suis concentrée et mes pouvoirs se sont déployés. Je sentis leurs forces dans mes mains et je pensai vraiment que cela marcherait et j’espérai. Mes pouvoirs retombèrent tout aussi rapidement. Ce fut une grande déception. Le pouvoir Ténébreux présent dans cette pièce était trop fort et trop présent pour que je puisse utiliser les miens. Il me fallait l’aide de quelqu’un.

« Moi je peux t’aider. » Je faillis faire une crise cardiaque. Une voix chuchotait dans ma tête ! C’était un pouvoir de Susurro, un chuchoteur. Un Susurro est une personne qui peut lire dans les pensées et qui peut vous parler dans votre tête. La fille dans la classe esquissa un sourire complice. C’était elle. Je repris espoir : enfin une autre enchanteresse !


 

***


 

Ensemble nous arrivâmes à briser le sort d’enfermement. Nous nous apprêtions à sortir en nous « téléportant », quand nous nous souvînmes du prof. Celui-ci n’avait rien dit depuis le début et semblait flotter au-dessus du sol. Son regard était vide. Soudain il commença à parler d’une voix ténébreuse et ses yeux commencèrent à tourner sur eux-mêmes :

« - Les enchanteurs de la lumière ne sortent pas d’ici sans payer le prix.

 - Qu-qu-quel prix ? » demanda l’autre fille

Le prof ne répondit pas et tomba par terre.

« - Ce n’est pas un vrai, me rassura la fille c’est une espèce d’hologramme enchanteur. Les enchanteurs des ténèbres l’auront imaginé pour nous effrayer. Et puis c’est sûrement vrai : à tous les coups, nous devrons payer un prix ; mais nous le payerons plus tard. Sauf si nous les tuons avant, ajouta-t-elle avec un rictus un peu effrayant. »


 

***


 

Nous nous sommes donc « téléportées ». Nous nous sommes retrouvées chez moi. Mon père était déjà rentré et nous a regardées avec des yeux ronds. Après nous avoir demandé ce que nous faisions là à une heure pareille, nous lui avons tout raconté.

« Malheureusement, nous ne pouvons rien faire contre eux, me dit mon père, ils sont trop puissants. 

 -  Ils sont plus puissants mais nous sommes plus nombreux. On pourrait les vaincre facilement. Ça a déjà été démontré : trois enchanteurs de la lumière gagnent toujours contre un enchanteur des ténèbres. Nous sommes quatre fois plus nombreux qu’eux : ça devrait aller ! »

***

Deux heures plus tard tous les enchanteurs de la lumière qui vivaient près de chez nous (et que nous connaissions) sont arrivés par « téléportation ». Nous sommes arrivés au collège avec un plan bien établi. Le combat a duré deux jours. Nous y avons combattu sans relâche. Après ces deux jours le collège était sens dessus dessous : il manquait des tuiles sur le toit, les arbres étaient arrachés... Mais nous les avions tous vaincus. Certains étaient morts, d’autres nous suppliaient de les pardonner. Eris et Hela étaient étendues toutes les deux côtes à côtes, mortes. Un enchanteur qui avait combattu avec nous me rejoint.

« - Tu sais, elles, elles n’étaient pas vraiment méchantes : elles ont été influencées par leur famille. Elles ont essayé de résister mais c’était encore pire. À la fin elles le sont vraiment devenues.

- Comment le savez-vous, demande-je, suspicieuse.

- Je suis leur frère. J’ai essayé de les ramener à la raison mais c’était trop tard. C’est sûrement mieux pour elles qu’elles soient mortes. Leurs parents ne les feront plus souffrir. »


 

Certains d’entre nous voulaient éliminer tous les enchanteurs des ténèbres survivants, mais c’est alors qu’une voix s’éleva:

« - Si nous les éliminions, nous serions alors comme eux : c’est ce qu’ils voulaient faire aussi. »

Nous avons alors pris la décision de leur laisser la vie sauve et de renoncer à la classification « Lumière » et « Ténèbres », car cela déchirait des familles entières. Nous avons donc restauré le collège ensemble. Voir des enchanteurs des deux camps travailler ensemble m’a semblé étrange au début, mais je m’y suis vite habituée.

 

***
 

 

   Tout ceci s’est passé il y a trois semaines. Ne plus avoir d’enchanteurs des ténèbres s’est avéré être une bonne idée. Et ne plus avoir d’enchanteurs de la lumière aussi. Il n’y a pas de Noir sans une touche de Blanc ni de Blanc sans une touche de Noir. « C'est facile de considérer le monde entre le Bien et le Mal ! Le blanc et le noir. Alors que tout se passe dans la zone grise. * » Autrement dit nous ne pouvons être uniquement Lumière ou uniquement Ténèbres, nous sommes tous un peu des deux.

* Olivier Norek




par Clémence, élève de 5ème au collège Notre-Dame du Bel-Air (Montfort-l'Amaury)