Pour moi, elle, c’est une adolescente aux cheveux bruns coupés aux épaules, à la peau légèrement blanche, aux yeux verts avec les reflets gris de Tristesse, qui semblaient attendre la seule chose qui viendrait forcement.

Elle était partie. Elle avait quitté son toit à la fin de l’après midi, et personne n’avait protesté. Elle avait quitté le confinement et son père. Elle avait quitté une mesure sans aucun sens pour elle et un homme ravagé par une tristesse que sa femme ne pourra plus jamais ressentir, victime d’une épidémie qui semble trop loin ou trop proche.

Elle marchait maintenant dans la rue, somnambule éveillée dans un monde endormi. Elle allait là où ses pas la portaient, vers un lieu qui avait été un enfer pour elle, sans même y penser. Ses larmes ne coulaient toujours pas. Elle avait essayé, franchement… mais les larmes ne venaient pas. Elle avait perdu sa mère, bordel ! Elle devait pleurer, c’était normal ! Qu’est ce qui n’allait pas chez elle ; elle se dégoûtait. Une larme tomba, puis une autre et encore et encore… Il pleuvait.

Elle dépassa la grille du lycée, fracturée par des squatteurs il y a longtemps, avança jusqu'à l’entrée de verre brisé du hall. Elle marchait, regardant les murs autour d’elle. Timide, pour ne jamais gêner d’un regard, elle avait fixé les murs plutôt que les visages. Les visages étaient magnifiques lorsqu’elle avait besoin de s’estimer, ignoble lorsqu’elle avait besoin d’un monde beau.

Elle était maintenant devant l’endroit le plus beau du lycée, sanctuaire sauvage au milieu du béton. Vous savez, ce petit coin près du stade, ombragé par des cerisiers, où l’on se pose calmement en humant un air joyeux. Les cerisiers, là étaient la réponse. Son rêve de les voir fleurir avait guidé ses pas… Les bourgeons n’avaient pas encore éclos, il faudrait attendre quelques jours… Mais la beauté mérite patience ; elle attendrait.

Elle s’assit sur un des bancs en arc de cercle, d’habitude toujours occupés par foules d’élèves bruyants. Elle se disait qu’elle aurait dû rencontrer Faim, Froid, au moins Fatigue. Mais comme Tristesse, tous l’avaient abandonnée… Elle n’était plus humaine ! C’était une coquille vide dont le seul sentiment était Détresse de se voir ainsi et Attente de fleur dont la beauté ne lui ferait probablement rien. La nuit brillait maintenant sans qu’elle puisse dormir, regardant désespérant les étoiles. Elle voyait en chacune d’elles une personne qu’elle avait connue, ou plutôt qu’elle avait vue… Les gens venaient vers elle, parfois, avec leurs belles âmes de partage, de vie… Elle les avait fuis, par peur de… elle ne savait même pas quoi ! Les étoiles, c’étaient les âmes. Un des plus beau et terrible spectacle de l’univers eu lieu devant ses yeux : une étoile mourût.

Au matin, comme au bon vieux temps, elle regardait un mur. Pas qu’elle fût entourée de personnes, mais que sa tête, en tombant au sol, s’était inclinée ironiquement vers ce qu’elle avait toujours regardé jusque là.

Pour moi, elle, c’est une adolescente aux cheveux bruns coupés aux épaules, à la peau légèrement blanche, aux yeux verts avec les reflets gris de Tristesse, qui semblaient attendre la seule chose qui viendrait forcement : la mort.

Par élève de seconde, lycée Viollet-le-Duc (Villiers Saint Frédéric)