Laurence Devillairs, Les 100 citations de la philosophie, Que sais-je, 2015, lu par Alexandra Barral

http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcRzeEEMkSzf2xO4qZe4AG7jlCbw9g16GHC4EDp3yhn2x9KW4kzhLaurence Devillairs, Les 100 citations de la philosophie, Que sais-je, 2015

Ce petit livre de 124 pages paraît aux éditions PUF dans la collection des « Que sais-je ».  Il a pour objectif de rassembler les citations les plus connues de l’histoire de la philosophie et de donner une explication concise à ces formules. Le format est strict : un page d’explication pour chacune des citations, ce qui a pour double conséquence la nécessité d’être très synthétique dans les explications et de ce fait relativement bref et clair d’une part ; et de l’autre de  passer sous silence des explications plus exhaustives et plus approfondies.

Après un bref avant propos, les citations sont déclinées par ordre chronologique, en commençant par Héraclite d’Éphèse, et en terminant par Sloterdijk. Dans l’avant propos, l’auteur rappelle que la philosophie, même si elle n’est pas littérature, peut être belle, et les formules de langage trouvées par les philosophes, riches, vibrantes, fécondes et heureuses. Les philosophes veulent aussi toucher la pensée par la formule et de se contentent pas simplement de concepts et de démonstrations

La difficulté de l’écriture de cet ouvrage consiste dans le choix toujours délicat de l’interprétation littérale de l’expression et de ce que la tradition en a fait. Le format extrêmement compact ne permet pas toujours de faire les deux. Pour Hobbes, par exemple, la citation « l’homme est un loup pour l’homme » ne rend pas compte de la totalité complexe de la phrase prise hors contexte. En revanche, l’interprétation fausse est prise en compte lorsqu’il s’agit de Blaise Pascal et de la phrase célèbre : «  le cœur a ses raisons que la raison ignore »

La difficulté de la recension d’un tel livre est qu’elle ne peut pas restituer une par une les citations et leur commentaire au risque de faire un simple doublon de l’ouvrage. Le parti pris est donc d’analyser quelques citations parmi les plus célèbres. Ceci sera fait également de manière chronologique.

 

« Connais-toi toi-même » Socrate

Cette phrase inscrite sur le fronton du temps d’Apollon à Delphes est reprise par Socrate pour exiger de lui-même et de chacun de nous, non de faire sur soi-même de la psychologie et encore moins de la psychanalyse mais d’inviter tout un chacun, chaque citoyen, à connaître la part de divin qui est en lui. La connaissance de soi est la condition sine qua non de la possibilité d’administrer la cité des hommes de façon harmonieuse.

« Ôte toi de mon soleil » Diogène de Sinope

La formule est tellement célèbre qu’on en oublie l’auteur. C’est ce que dit pourtant Diogène de Sinope à Alexandre le Grand venu le voir car la célébrité de Diogène était parvenue jusqu’à l’empereur. Fasciné par le personnage, Alexandre demande à Diogène ce qu’il souhaite, pour l’exaucer. Diogène, affalé au soleil, lui demande, de cesser de lui faire de l’ombre. Par cette formule, Diogène montre qu’il se désintéresse des biens matériels, qu’il n’a pas peur de la mort, car Alexandre aurait pu le passer par le fil de son épée, et qu’il refuse la hiérarchie sociale, le fait de devoir respect aux puissants sous prétexte qu’ils sont puissants.

« L’homme est par nature un animal politique » Aristote

L’homme est un animal qui vit en cité et dont la destination la plus haute est l’activité politique. C’est elle qui distingue un homme de tout autre animal grégaire vivant en société. Le politique par l’usage de la parole (logos) et ce qui donne à l’homme son humanité réelle, et il ne saurait y avoir d’humanité en dehors de cette cité. L’homme qui vit hors de la cité est soit un Dieu soit un monstre.

« Vanités des vanités, tout n’est que vanité » L’Ecclésiaste.

L’auteur a choisi, à juste titre, d’insérer cette citation qui n’est pas à proprement parlé philosophique, mais qui est fort connue, qui a été reprise et pensée par les philosophes (Montaigne ou Rousseau par exemple) et dont la postérité est grande. Le livre de L’Ecclésiaste entend montrer par cette formule que l’existence n’a pas de sens hors la présence de Dieu. Le mot « vanité » sera repris pour définir un courant pictural qui se situe essentiellement au XVIIème siècle et qui montre l’absurdité de la vie terrestre, le fugitif de l’existence et qui nous rappelle que nous sommes mortels.

« Aime ton prochain comme toi-même » Évangile de Matthieu

Commandement de Jésus Christ pour remplacer la loi des Juifs : aimer de façon inconditionnelle ceux qui ne méritent pas nécessairement d’être aimés. C’est pour cela qu’il commande également d’aimer ses ennemis. L’amour que l’on doit à l’humanité commence à partir de soi, puisque de soi jaillit l’amour pour s’étendre au «  prochain » mais aussi au lointain. Ce à quoi Kant répondra que l’amour ne se commande pas et que seul le respect se commande.

 « Que sais-je » Michel de Montaigne.

Cette phrase de Montaigne a donné son nom à la célèbre collection du même nom. Il est donc difficile de ne pas l’évoquer ici. Montaigne invite à faire preuve de scepticisme et à ne pas prendre pour acquis ce que l’on croit savoir. Il ne s’agit pas de dire que tout savoir est impossible. Il faut suspendre son jugement, mais continuer à chercher la vérité.

«  Cogito ergo sum » ( Je pense donc je suis ) Descartes

Traduction tardive malheureuse qui donne l’impression que cette première vérité est une déduction, alors qu’elle consiste à saisir dans l’immédiateté de la vérité l’identité de la pensée et de l’existence. On lui préfèrera donc cette phrase : « ego sum, ego existo ». Cette première vérité sur laquelle on tombe littéralement lorsque l’on a remis en cause tout ce qui pouvait être douteux, consiste à sortir du scepticisme pour trouver une vérité dont on ne peut pas douter et commencer ainsi à déduire rationnellement tout ce qu’il est possible de connaître.

 « L’homme est un loup pour l’homme »Hobbes

L’expression, que Hobbes reprend de Plaute, prend chez le philosophe anglais un sens particulier. Dans l’état de nature l’homme n’a pas d’alliés,  il n’a que des ennemis et chacun est en concurrence avec chacun pour la survie, la possession, la satisfaction des désirs. En l’absence de contraintes imposées de l’extérieur, rien de constructif n’est possible et la vie des hommes est solitaire et brève. La phrase de Thomas Hobbes est toujours pourtant citée de façon tronquée, ce que l’auteur de l’ouvrage ne mentionne pas, à savoir : « s’il est  vrai de dire que l’homme est un loup pour l’homme, il est aussi vrai de dire que l’homme est un Dieu pour l’homme ». L’entièreté de la citation nous oblige à la regarder sous un jour nouveau.

«  Le cœur a ses raisons que la raison ignore » Pascal

Cette phrase fort célèbre est aussi fort mal comprise. On interprète le cœur comme l’organe du sentiment et plus particulièrement du sentiment amoureux. On lui fait ainsi dire que l’amour est aveugle et insensible aux voies de la raison et qu’il suit sa propre course. En fait, pour Pascal, le cœur est un organe de connaissance. Le cœur connait de manière intuitive et non démonstrative des vérités inaccessibles à la raison, permet la connaissance des évidences mathématiques indémontrables, mais aussi permet l’accès à Dieu pourvu qu’on ait la grâce. Cœur et raison ne constituent donc pas un dialogue de sourds, mais sont complémentaires.

« Si le nez de Cléopâtre eut été plus court, la face du monde en aurait été changée. » Pascal

A la suite de Pascal, on a pu s’interroger sur le fait de savoir si Cléopâtre avait un grand nez. Or Pascal prend cet exemple non pas du tout comme un fait historique, mais pour montrer que l’imaginaire des hommes et l’histoire qui en découle peut se fixer, se cristalliser sur un élément parfaitement anodin et sans importance. Des facteurs dérisoires peuvent bouleverser les choses.

« L’homme n’est pas un empire dans un empire » Spinoza

L’homme se croit libre et s’ignore déterminé. Le libre arbitre, que Spinoza critique dans cette phrase, consiste à dire que si l’homme accepte volontiers l’idée de déterminisme dans la nature, il le refuse pour lui-même, prétendant être indépendant de la nature dans laquelle est pourtant partie prenante. L’homme est dans un empire (l’ordre de la nature) et penserait fait exception pour lui-même de ce règne auquel il appartient et se prendre pour un roi, roi de son propre corps, de ses propres volontés et de ses propres désirs.

« Ce monde est le meilleur des mondes possibles » Leibniz

Le monde tel que Dieu l’a créé est un monde dans lequel l’imperfection ou le mal n’est pas absent. L’univers ainsi créé n’est pas le meilleur. Il est celui qui est optimal par rapport à tout ce qui est et à la combinaison de tous les possibles. Lorsque Dieu choisit de créer ce monde, il combine la diversité et l’ordre. Ainsi, du point de vue de Dieu, le monde créé est le meilleur possible compte tenu des possibilités et des incompatibilités des choses entre elles. Du point de vue de l’homme qui ne voit pas l’ensemble, il s’attarde sur ce qui lui semble un mal, ce qui ne peut être relativisé et surtout compris que du point de vue de l’ensemble de l’univers.

 

« L’homme est né libre et partout il est dans les fers » Rousseau

Comment l’homme, né libre dans l’état de nature, devient-il asservi dans l’état social ? L’asservissement issu de la socialisation des hommes touchent les dominés mais aussi les dominants, dépendant d’une société corrompue par le raffinement des mœurs, synonyme de dénaturation. Si le retour à la liberté naturelle est impossible, il s’agit alors de dénaturer l’homme totalement pour lui offrir une nouvelle liberté, politique cette fois. Seule la fabrication de lois issues de la volonté générale peut rendre à nouveau l’homme libre, puisque, en se soumettant à tous, il ne se soumet à personne.

« Rien de grand ne s’est produit dans le monde sans passions » Hegel

L’histoire des hommes n’est pas le résultat d’un hasard contingent. Elle est le résultat d’une logique qui peut être saisie par l’esprit humain. Les hommes jouent un rôle dans l’avènement de cette histoire. Ils suivent des buts particuliers et égoïstes, mais l’histoire se sert de leur passion pour réaliser des structures qui dépassent le but conscient des hommes. La passion dont parle Hegel est une pulsion de vie quasi animale qui fait qu’un être humain met toute sa force vitale, au service d’un but personnel, qui réalise, à travers un grand homme, le bien commun. 

« La religion est l’opium du peuple » Marx

La religion, inventée par les hommes, est considérée par Marx à la fois comme une production à un certain moment de l’histoire, par besoin et consolation, mais est aussi une justification de la condition misérable des hommes qui la produise. En ce sens, elle est un analgésique, c'est-à-dire un remède qui empêche la souffrance et qui pourtant ne guérit pas le mal. Il ne sert donc à rien de lutter contre la religion. Il faut changer la société qui, parce qu’inégalitaire, produit la religion.

« Dieu est mort » Nietzsche

Le poète Pindare fut semble-t-il le premier à employer cette expression. La mort de Dieu n’est pas simplement pour Nietzsche la remise en cause du christianisme. La mort de Dieu est aussi la remise en cause des normes et valeurs absolues, de la recherche de la vérité comme idéal qui apparaît dès l’origine de la philosophie et se perpétue dans les croyances modernes. Il s’agit pour Nietzsche de montrer ce qu’est une vie d’homme après la mort de Dieu, c’est-à-dire, vivre en l’absence de tout sens.

« Le moi n’est pas maitre dans sa propre maison» Freud

L’homme qui se pense maître de lui-même, être rationnel et transparent, est mis à mal par Freud et l’invention de la psychanalyse. L’homme ne se définit plus simplement comme conscience, mais surtout et avant tout comme inconscient, qui produit en nous des actes et des pensées, dont nous ignorons la genèse et que nous ne maîtrisons pas. L’homme peut donc apparaître comme un étranger dans son propre corps, lorsque le « ça », réservoir pulsionnel et primitif, cherche à s’exprimer et à se satisfaire, contre toute morale et bienséance.

 « L’homme est condamné à être libre » Sartre

La liberté définit l’homme de façon absolue. Elle n’est pas une possession, une contingence dont l’homme pourrait se débarrasser. Être un homme et être libre sont synonyme. La conséquence est que la liberté peut apparaître comme un fardeau, parce que je ne peux jamais cesser d’être libre. Je suis responsable de chacun de mes actes et de chacune de ses conséquences en permanence. Cette liberté vertigineuse provoque l’angoisse chez l’homme qui cherche à la fuir, en faisant preuve de mauvaise foi, c’est-à-dire en cherchant à avoir l’identité et la constance des choses. C’est pourquoi il se donne des rôles, des identités, des masques sociaux, pour tenter d’alléger ce fardeau.

« L’enfer, c’est les autres »Sartre

Phrase de la pièce Huis Clos, trois personnages se retrouvent en enfer pour l’éternité, chacun vivant sous le regard de l’autre. L’enfer est le fait de vivre sous le regard et la dépendance d’autrui. Les relations à autrui ne sont pas toutes viciées puisqu’autrui est aussi celui qui me révèle à moi-même. Mais lorsque la relation à l’autre, inévitable, indépassable devient viciée, alors c’est l’enfer. 

                                                             Alexandra Barral