Richard Dawkins, Le gène égoïste (1976, 1989), lu par Sylvain Bosselet

Richard Dawkins, Le gène égoïste (1976, 1989), Odile Jacob, 2013, lu par Sylvain Bosselet.

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Cet ouvrage de (philosophie de la) biologie a largement dépassé l’audience des spécialistes et étudiants, pour atteindre les « profanes », que son auteur vise en préface comme troisième type de public. Il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires, traduit en 25 langues. Richard Dawkins, biologiste, éthologiste et théoricien de l’évolution, y présente trois de ses principales théories : 1/ la sélection naturelle interprétée du point de vue du gène (dit « égoïste »), qu’il appelle un « néodarwinisme orthodoxe » ; 2/ sa transposition sur le plan mental avec la notion de « mème » ; 3/ le concept de « phénotype étendu ».

Résumé

Chapitre I. Pourquoi on existe ?

Darwin est le premier à pouvoir répondre à la question : « pourquoi existe-t-on ? » Dawkins définit « égoïste » et « altruiste » par le fait d’augmenter ou de diminuer ses chances de survie et de reproduction par rapport à l’autre (sans aucune connotation morale ou intentionnelle). Sa thèse est que le gène est égoïste. La théorie de la sélection par le groupe est fausse, par manque de définition extensive de la notion de groupe. Il vaut mieux parler de sélection qui porte sur le plus bas niveau de tous, le gène, unité de l’hérédité.

Chapitre II. Les réplicateurs.

La sélection naturelle est un cas particulier de la survie du stable. À l’origine, les atomes puis les molécules les plus stables se sont répandus, puis les acides aminés (bases des protéines) et les pyrimidines (bases des ADN). Enfin vinrent les « réplicateurs », molécules qui font des copies d’elles-mêmes (avec des erreurs). Ce sont les ancêtres des gènes. Les réplicateurs qui se répandent le plus sont : les plus stables, les plus féconds (qui se reproduisent le plus vite), et les plus précis (qui font le moins d’erreurs de duplication). Puis les molécules de base qui les constituent devinrent rares, d’où une « lutte pour l’existence ». Certains réplicateurs cassèrent les autres et prirent leurs molécules. Enfin, certains se firent des « machines à survie » (les cellules, puis les corps). Ce sont nos ancêtres.

Chapitre III. Les spirales immortelles

Nous sommes des machines à survie pour les mêmes types de réplicateurs : les molécules ADN. Celles-ci sont comparables à une « bibliothèque », qui contient les instructions pour fabriquer le « bâtiment » (le corps). Elles se trouvent dans chaque « pièce du bâtiment » (chaque cellule). Elles se composent de quatre types de nucléotides (A, T, C, G). Elles comportent 46 « volumes » (les chromosomes), composés de « pages » (les gènes). Elles font deux choses : se répliquer et superviser indirectement la fabrication des protéines.

En fait, ces pages sont plutôt des rouleaux de papier qu’on peut découper, avec des symboles spéciaux qui marquent les débuts et fins de messages. Le code d’une chaîne protéique, qu’on peut appeler cistron, constitue une unité, équivalente d’un gène. Ces unités se déchirent de trois manières au moins : assemblage hasardeux par crossing-over (lors de la division cellulaire sexuelle), mutation ponctuelle (erreur de copie), inversion de deux bouts de chromosomes.

L’organisme est comme une machine à survie construite par une confédération éphémère de gènes immortels. Ceux-ci sont comme des rameurs dans une équipe, qu’on sélectionne au hasard à partir d’une grande réserve de rameurs potentiels, par assemblages successifs, pour ne garder que les équipes qui vont le plus vite (qui survivent et se reproduisent le mieux).

Chapitre IV. La machine génique

La sélection favorise les gènes qui coopèrent avec les autres (pour fabriquer les muscles, les neurones qui rythment leur mouvement, les organes des sens, etc.).

Les gènes contrôlent le comportement de leur machine à survie, mais indirectement, comme un programmeur d’ordinateur. Le programme est établi à l’avance, c’est le corps qui agit dans l’immédiat. Les gènes sont des instructions générales (comme des récompenses au goût sucré, à l’orgasme, etc.), qui agissent par la synthèse de protéines, avec deux priorités : survivre et se reproduire. Ce sont des stratégies d’apprentissage.

Chapitre V. L’agression : stabilité et machine égoïste

Maynard Smith a inventé le concept de « Stratégie Évolutionnairement Stable » (SES), dérivé de la théorie des jeux. Une stratégie est une politique de comportement préprogrammée. Si elle est adoptée par la plupart des membres, elle ne peut être améliorée par une autre stratégie. Avec des modèles mathématiques, cet auteur évalue comment doit se comporter la population majoritairement, en « colombe » (évitement du combat) ou « faucon » (combat acharné). Selon la pondération des enjeux, on tombe sur la proportion 5/12èmes de colombes et 7/12èmes de faucons. En fait, ce sont les gènes faucons-colombes qui se répartissent dans le pool génique, pour atteindre un « polymorphisme stable ». Ce modèle est affiné avec d’autres comportements.

Chapitre VI. La parenté génique

Un gène égoïste aide les répliques de lui-même qui se trouvent dans d’autres corps. Un signe extérieur comme une couleur de poil est un moyen pour un gène de « reconnaître » des copies de lui-même. Les parents proches aussi.

La sélection par la parenté (dite « de parentèle ») de W. D. Hamilton se distingue de la sélection par le groupe (survie différentielle des groupes) et de la sélection individuelle. Elle représente l’altruisme intrafamilial. Plus la relation est proche, plus la sélection est forte. L’animal agit pour le bien optimum de ses gènes. Les animaux s’approchent d’une analyse idéale coût-bénéfice.

Chapitre VII. Le planning familial

Si les animaux régulaient leur natalité, la famine ne serait jamais nécessaire. Pour Wynne-Edwards, toute la vie sociale est un mécanisme de régulation de la population. À la fin d’une saison, chaque individu doit obtenir un « ticket » pour s’accoupler, sinon il s’abstient volontairement de se reproduire. La position sociale (obtenue par combats rituels) et la possession d’un territoire sont deux tickets possibles.

Ainsi, les parents pratiquent la planification des naissances, dans le sens où ils optimisent leur taux de natalité, au lieu de le restreindre pour le bien public. Ce n’est donc pas par altruisme.

Chapitre VIII. Le conflit des générations

Des écologistes ont tâché d’évaluer les coûts énergétiques dépensés dans la nature. Mais la monnaie vraiment importante n’est pas l’énergie, c’est la survie du gène. R. L. Trivers a résolu le problème avec le concept « d’investissement parental » (IP), qui se définit comme « tout investissement fait par un parent sur un enfant qui augmente les chances de survie de l’enfant (et donc son succès en matière de reproduction), tout cela au prix pour le parent de sa capacité d’investissement sur d’autres enfants. »

Il y a un conflit entre parents et enfants, l’enfant ne perd pas une occasion de tricher, mentir, tromper, exploiter. Les parents font attention à ne pas être trompés. Un compromis en sortira.

Chapitre IX. La bataille des sexes

Les parents ont en commun non pas des gènes mais 50% d’actions génétiques dans leurs enfants. Chaque parent cherche à exploiter l’autre pour le forcer à investir plus dans les enfants. Les cellules sexuelles (ou gamètes) des mâles sont beaucoup plus petites et nombreuses que celles de femelles. Toutes les autres différences en dérivent.

Dès le moment de la conception, la femelle a déjà investi plus que le mâle dans la progéniture, elle est condamnée à continuer. Le nombre de petits que peut avoir le mâle est quasiment illimité, au contraire de la femelle. La femelle est exploitée, à cause de la grande taille de ses ovocytes. Elle a alors deux stratégies possibles : du bonheur conjugal ou du mâle dominant. Dans le premier cas, elle tâche de rendre le mâle fidèle en le faisant attendre avant d’accepter la fécondation. Il doit fournir des preuves, comme une grande quantité de nourriture. Dans le second cas, la femelle ne cherche pas de l’aide, mais les bons gènes d’un mâle. Elle veut des preuves de sa capacité de survie.

L’une de ces stratégies sera favorisée par une espèce en fonction des circonstances environnementales (avec des stratégies intermédiaires), et culturelles chez les hommes.

Chapitre X. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras

W. D. Hamilton a montré qu’un troupeau est formé parce que chaque individu désire échapper aux prédateurs.

Les signaux d’alerte de danger semblent altruistes, mais peuvent sauver des parents proches, faire fuir les proches qui pourraient attirer le prédateur vers soi, s’enfuir en groupe plutôt que seul, etc. Les gazelles qui sautent plus haut devant le prédateur semblent s’exposer, mais montrent qu’elles ne sont ni vieilles ni malades.

Les insectes très sociaux comme les abeilles, guêpes, fourmis et termites semblent se sacrifier pour le groupe. Mais les ouvrières ne portent jamais de petits, tous leurs efforts sont destinés à préserver ses gènes en prenant soin des nouveau-nés avec qui elles partagent ¾ des gènes.

Les insectes sociaux ont découvert bien avant l’homme la culture de la nourriture, comme ces champignonnières des fourmis américaines, pour transformer en compost les feuilles qu’elles consomment. Les fourmis ont aussi leurs animaux domestiques, avec des pucerons qu’elles nourrissent et éduquent pour les traire.

On appelle le bénéfice mutuel entre membres d’espèces différentes : symbiose ou mutualisme. Ce type d’asymétrie mène à des SES. Dans nos cellules se trouvent de nombreux corps microscopiques, les mitochondries, qui sont des usines chimiques nous fournissant la plus grosse partie de l’énergie dont nous avons besoin. Chacun de nos gènes est une unité symbiotique. Nous sommes des colonies gigantesques de gènes symbiotiques.

Les virus sont peut-être des gènes séparés de colonies, ce sont des ADN purs, entourés d’une membrane protéique. Ce sont des parasites. Ils voyagent de corps en corps (dans les airs) au lieu de passer par les véhicules des gamètes. Les gènes conventionnels qui voyagent par les gamètes nous constituent. Nous serions donc des colonies de virus.

Il est difficile de distinguer symbiose et parasitisme.

Chapitre XI. Les « mèmes » nouveaux réplicateurs

La transmission culturelle est analogue à la transmission génétique. Il existe des cultures de mélodies (qui ne sont pas génétiquement héritées) chez les corneilles cendrées en Nouvelle-Zélande. Elles s’imitent ou inventent des chants (par mauvaise imitation).

Les modes humaines ressemblent à une évolution génétique en accéléré. Popper a comparé le progrès scientifique avec l’évolution génétique par sélection naturelle.

La culture humaine est comme une nouvelle soupe primordiale. Un « mème » y est le nouveau réplicateur. On en trouve des exemples en musique, dans les idées, la mode, les techniques. Tout comme les gènes se propagent dans le pool génique en sautant de corps en corps par le biais des gamètes, les mèmes se propagent dans le pool des mèmes, en sautant de cerveau en cerveau par imitation. Leur valeur de survie s’estime aussi avec les critères de longévité, fécondité et fidélité de copie. La transmission mémique fait aussi l’objet de fusions et mutations.

Chapitre XII. Les bons finissent les premiers

Pour Axelrod et Hamilton, les animaux et plantes sont impliqués dans des parties sans fin de « dilemme du prisonnier » à l’échelle de l’Évolution.

Si deux oiseaux coopèrent (à se retirer les tiques sur la tête), c’est plutôt bon pour les deux. Si l’un se fait épouiller sans épouiller, c’est très bon, et très mauvais dans le cas inverse. Si personne n’épouille, c’est plutôt mauvais. Donc, que l’autre l’épouille ou non, un oiseau a intérêt à déserter. Mais en réalité, il ne joue pas une seule fois, ce jeu est itéré. La confiance ou la méfiance peuvent s’établir dans le temps.

Axelrod a proposé un tournoi de stratégie à des spécialistes en théorie des jeux, où ils doivent proposer des règles programmables de réactions. Quatorze stratégies, plus une aléatoire, ont été proposées. La gagnante fut la plus simple, celle du « donnant-donnant » : elle coopère le premier coup, puis copie le coup précédent de l’autre joueur.

Ces stratégies peuvent se transposer en SES, en remplaçant les gains et pertes par le nombre de descendants. Dans la nature, il y a souvent des jeux à somme non nulle, où la nature sert de pourvoyeur des gains pour les deux joueurs. La gentillesse non envieuse et clémente l’emporte.

Chapitre XIII. La portée du gène

Le mot « phénotype » désigne les manifestations d’un gène sur le corps via le développement. Pourquoi les anciens réplicateurs se sont-ils regroupés pour fabriquer des robots-corps encombrants et si compliqués et y résider ?

Grâce à un corps, un gène ne produit pas seulement des effets sur le corps, mais sur d’autres corps et sur le monde. Les larves de mouches phryganes se fabriquent des maisons tubulaires avec des matériaux pris dans le lit du ruisseau. Ce sont des extensions du gène, par contrôle du système nerveux.

La plupart des organismes sont des bactéries. Les gènes coopèrent dans une cellule. Le groupe de cellules a l’avantage d’être plus gros, et d’avoir des cellules spécialisées, plus efficaces. Les avantages du cycle de vie (qui passe par ce goulot d’étranglement qu’est le passage par les gamètes) sont 1/ revenir à la table à dessin 2/ fournir un calendrier (une horloge) qui régule (structure et ordonne) les processus embryonnaires (l’enfance) 3/ rendre possible les mutations génétiques à chaque division cellulaire utiles pour l’adaptation.

 

Commentaire personnel

Ce livre, bien que technique, est bien vulgarisé et se lit très bien. Il fourmille d’exemples étonnants et passionnants. Dawkins nous entraîne dans une manière de voir la nature à la fois profonde et nouvelle, qui suscite la réflexion, notamment sur notre propre nature.

Ce livre a 40 ans et fait déjà partie de l’histoire. Mais les spécialistes débattent encore de la valeur de cette vision synthétique. Voir Philippe Huneman, Les mondes darwiniens, Paris, Éditions matériologiques, 2011, Chapitre 3 « Sélection », 4 « Unités et niveaux de sélection ».

Quelle que soit la valeur de ce paradigme, ce livre reste instructif, car il s’appuie sur de nombreuses théories biologiques contemporaines importantes. Quant à démasquer les mécanismes naturels à l’origine d’un altruisme seulement apparent, Dawkins m’a paru convaincant.

 

Sylvain Bosselet (11/05/2017).