oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - théorie de l évolutionRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearChristian Sachse, Philosophie de la biologie, PPUR 2011, lu par Jonathan Racineurn:md5:087db580a20094d7ad092a1e2b398f322019-07-10T06:00:00+02:002019-07-10T06:53:26+02:00Jeanne SzpirglasÉpistémologiebiologiethéorie de l évolutionépistémologieévolution<div>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: 10pt; font-family: 'Lucida Grande';"><strong><img alt="" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.41ZdGTP6tIL_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Christian Sachse, <em>Philosophie de la biologie. Enjeux et perspectives</em>, Presses polytechniques et universiraires romandes, octobre 2011 (226pages).</strong></span></p>
<p> </p>
<div>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 0; text-align: justify;"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">L’ouvrage se présente comme un manuel d’introduction à la philosophie de la biologie – domaine florissant de la philosophie contemporaine, mais pour lequel les ouvrages d’introduction sont quasiment tous en langue anglaise (il est difficile de considérer Duchesneau, </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Philosophie de la biologie</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">,</span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;"> </em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Puf, comme un manuel d’introduction).</span></p>
</div>
</div> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Tout en étant introductif, l’auteur assume le parti pris de centrer l’ouvrage sur la théorie de l’évolution, faisant sien le mot bien connu de Dobzhansky : «rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution ». Ainsi, les 9 premiers chapitres consistent-ils en une présentation générale de la théorie de l’évolution et en une explication des concepts centraux de cette théorie (</span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">fitness</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">, dérive génétique et adaptationnisme, les relations à l’environnement, le problème de l’unité de sélection, le problème de la fonction biologique). Les chapitres suivants (10-16) traitent plus spécifiquement de questions épistémologiques classiques (l’explication et la réduction), appliquées au cas de la biologie. L’auteur défend une forme de réductionnisme qu’il applique à la génétique, à titre d’étude de cas.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-tab-count:
1"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">Le chapitre 1 porte sur Darwin et son élaboration de la théorie de l’évolution. L’auteur rappelle rapidement le contexte dominé par les descriptions téléologiques de la théologie naturelle. Ces raisonnements finalistes sont mis à mal par la géologie, qui met au jour des changements continus. Comment les espèces biologiques peuvent-elles rester alors adaptées à leur environnement ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Quant à l’explication du mécanisme de l’évolution, on sait que Darwin a été inspiré par Malthus pour développer l’idée que l’environnement est sélectif. L’auteur présente l’exemple des pinsons des Galápagos et explique à partir de cet exemple les développements opérés depuis Darwin dans la théorie de l’évolution.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 2 cherche à spécifier l’évolution biologique par rapport aux autres formes de changement, de manière à compléter la définition de l’évolution biologique. Ce chapitre constitue la base des chapitres suivants, qui portent sur des concepts plus spécifiques. Selon une définition simple, le concept d’évolution biologique s’applique à tous les cas où il existe un changement dans la fréquence des gènes au sein d’une population. Il s’agit dans ce chapitre d’expliquer cette définition et d’aborder certains problèmes qu’elle pose (par exemple, dans un contexte environnemental donné, c’est surtout la <em>combinaison</em> génétique particulière d’un individu qui est essentielle pour déterminer un éventuel avantage sélectif). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 3 porte sur le concept de <em style="mso-bidi-font-style:normal">fitness</em>, ou valeur sélective – concept essentiel, puisque « la sélection naturelle ne peut pas être la cause de l’évolution d’une population s’il n’existe pas une différence au niveau de <em style="mso-bidi-font-style:normal">fitness</em> » (p. 25). Mais une explication en termes de degré de fitness n’est-elle pas tautologique ? La biologie peut-elle déterminer le niveau de fitness autrement que de manière rétrospective (ce qui enlèverait toute valeur explicative à ce concept) ? Ce sont de telles objections qui requièrent l’élaboration d’un concept plus précis de fitness, qu’examine la suite du chapitre.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 4 aborde « la dérive génétique et l’adaptationnisme » : on y relève que l’effet de la sélection naturelle sur l’évolution est variable, dans la mesure où la pression sélective dépend elle-même du contexte environnemental. Pour l’adaptationnisme, il y a un privilège fort, voire exclusif, de la sélection naturelle, alors qu’un anti-adaptionniste fera valoir l’existence d’autres mécanismes. C’est ce débat qui est ici examiné. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Les chapitres précédents conduisent naturellement au chapitre 5, sur « l’environnement, la niche et les ressources », puisque pour déterminer le degré de fitness, il faut préciser les relations entre l’organisme et son environnement.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">Le chapitre 6 se confronte à un débat essentiel pour toute la théorie de l’évolution, celui de l’unité de sélection : comment la théorie explique-t-elle des comportements désavantageux pour l’individu, mais avantageux pour le groupe, alors que Darwin a mis au centre de sa théorie les organismes individuels ? Dans ce débat, il est possible de localiser la valeur adaptative au niveau du groupe, mais aussi au niveau des gènes responsables du comportement altruiste (p. 59). Ce sont ces deux perspectives qui sont comparées dans ce chapitre.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 7 aborde la question de la définition du vivant, en rapport avec le problème de l’origine de la vie. En effet, le fait que cette origine reste inexpliquée est une des raisons qui fait que le débat sur la définition reste ouvert (avec notamment le cas limite par excellence des virus).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 8 traite de ‘l’arbre de la vie’ : celui-ci représente l’évolution des espèces, mais il s’agit justement d’examiner si cette métaphore est vraiment pertinente, en la confrontant au concept d’espèce : une des objections consiste à faire valoir qu’il existe chez les procaryotes un transfert de gènes dit ‘horizontal’ (entre des organismes qui ne partagent pas de lien de parenté direct) tandis que ‘l’arbre’ ne peut figurer qu’un transfert génétique vertical entre parents et descendants. Le problème concerne alors la notion d’espèce : l’isolation reproductive ne peut plus constituer un critère probant pour l’individuation des espèces. La suite du chapitre aborde donc le problème difficile de la notion d’espèce biologique, en se demandant notamment si les espèces biologiques peuvent être interprétées de manière réaliste.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 9, sur la fonction biologique, commence par remarquer que la théorie darwinienne a profondément bouleversé la conception téléologique des fonctions biologiques, courante dans le discours de la théologie naturelle. La notion contemporaine ne peut donc plus comporter de référence à un but ou une intention. Le chapitre examine la conception étiologique, qui définit les fonctions biologiques en se référant à leur histoire évolutive, puis l’approche systémique, qui définit la fonction biologique comme une certaine disposition causale, jouant un rôle particulier au sein de l’organisation des capacités d’un système (p. 98). Cette dernière approche implique néanmoins de savoir quelles sont les capacités objectivement pertinentes de l’organisme (afin d’évaluer quelles sont les dispositions qui contribuent à ces capacités et ainsi déterminer si elles peuvent être considérées comme des fonctions). L’auteur modifie alors l’approche systémique de manière à répondre à ce problème.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 10 rejoint des questions épistémologiques plus générales, puisqu’il porte sur les modèles d’explication – question classique en philosophie des sciences. L’auteur part d’ailleurs du modèle le plus influent, celui de Hempel, dit nomologico-déductif. Évidemment, il s’agit ensuite d’évaluer si ce modèle est pertinent pour caractériser l’explication biologique – ce qui implique de trancher la question de l’existence de lois biologiques.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 11 aborde lui aussi des questions qui se posent en dehors de la philosophie de la biologie : en traitant des bases physiques des propriétés biologiques, il mobilise des concepts également utilisés lorsqu’il s’agit d’éclaircir les relations entre l’esprit et ses bases physiques. L’auteur part ainsi de la conception du monde en strates proposée par Kim, et discute les concepts de survenance et de complétude de la physique (complétude causale, explicative et nomologique), qui sont effectivement au cœur de nombreuses discussions en philosophie de l’esprit. L’auteur conclut ce chapitre en assumant un réductionnisme ontologique : « il existe dans notre monde une seule strate ontologique » ; « les occurrences de propriétés biologiques […] sont simplement identiques à quelque chose de physique » (p. 138). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Un tel réductionnisme ontologique soulève évidemment le problème de savoir quelles relations entretiennent physique et biologie d’un point de vue épistémologique, problème qui est au cœur de la fin de l’ouvrage. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Les chapitres 12 et 13 examinent en effet l’objection classique contre une position réductionniste : la réalisation multiple des types de propriété biologique (le chapitre 12 présente le cadre général, et le chapitre 13 propose une ‘étude de cas’ à partir de la théorie neutraliste de l’évolution). En simplifiant, l’idée consiste à remarquer que deux occurrences d’un gène, par exemple, peuvent être du même type biologique (remplir la même fonction), mais de types physiques différents (ne pas être constituées des mêmes molécules). On ne peut donc pas corréler systématiquement les types de propriétés biologiques et les types de propriétés physiques. Cela a constitué un argument essentiel pour défendre l’autonomie des différentes sciences par rapport à la physique. Mais l’auteur envisage les tentatives de réductionnisme qui ont tenté de répondre à cet argument. Il proposera sa propre version d’un réductionnisme épistémologique dans les derniers chapitres.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Ainsi, le chapitre 14 (« la réduction fonctionnelle de la biologie par des sous-concepts ») présente une version de réductionnisme non éliminativiste. Pour cela, il s’agit de montrer que la réalisation multiple n’empêche pas l’établissement de liens systématiques entre les concepts fonctionnels de la biologie et des concepts physiques. L’argumentation repose sur l’hypothèse suivante : « pour chaque concept fonctionnel de la biologie, il est en théorie possible de construire des sous-concepts définis purement fonctionnellement et nomologiquement coextensionnels à des concepts physiques » (p. 167). Autrement dit, on introduit un niveau intermédiaire : un concept fonctionnel biologique peut être réduit à des sous-concepts, eux aussi définis fonctionnellement, et chacun de ces sous-concepts est coextensionnel, nomologiquement, à un concept physique : la mise en relation systématique devient donc possible. La différence entre les concepts de la biologie et les sous-concepts en question reposerait dans le degré d’abstraction : c’est le degré d’abstraction des concepts biologiques qui leur permettrait de dévoiler « des similarités pertinentes entre des occurrences de propriétés dans le monde, que la physique n’est pas capable de mettre en évidence au moyen de ses propres capacités conceptuelles » (p. 167). On a donc bien affaire à un réductionnisme non-éliminativiste.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Cette solution originale est ensuite illustrée dans les chapitres 15 et 16, qui mettent en œuvre ce réductionnisme à propos des relations entre la génétique classique (qui naît avec la redécouverte des expériences de Mendel) et la génétique moléculaire. La génétique classique est ici prise comme « exemple d’une théorie abstraite qui s’applique à des propriétés très différentes sur le plan physique et moléculaire » et qui « fournit des explications causales qui ne sont pas remplaçables par des explications physiques ou moléculaires » (p. 168). Il s’agit donc, à la fois, d’établir une relation de coextensionalité entre les concepts des deux théories, et de montrer les avantages épistémiques de la génétique classique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
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none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">Il est difficile pour le lecteur francophone d’aborder le champ de la philosophie de la biologie. Il peut certes se familiariser rapidement en lisant, par exemple, le chapitre consacré à la biologie dans le </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">Précis de philosophie des sciences</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;"> de Barberousse </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">et coll. </em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">(chez Vuibert)</span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;">.</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt; text-indent: 35.4pt;"> Le lecteur confirmé peut approfondir ses connaissances dans l’ouvrage de Duchesneau déjà cité. Mais l’ouvrage de Sachse constitue, à ma connaissance, le seul véritable manuel d’introduction à ce domaine en langue française ; constitué de chapitres courts et clairs, il remplit parfaitement les exigences du genre.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">On a déjà mentionné le parti pris de l’auteur, ce qui explique que l’ouvrage soit, dans sa plus grande partie, consacré à la théorie de l’évolution – au point, peut-être, de recouper parfois le contenu d’un simple manuel d’introduction à la théorie de l’évolution. Ce parti pris légitime (il ne saurait être question de minimiser l’importance de cette théorie) efface toutefois les tensions internes à la biologie contemporaine, qui constituent certainement un objet de réflexion très riche dans une perspective philosophique (voir par exemple les différents ouvrages de M. Morange, et notamment le premier chapitre de <em>La vie, l’évolution, l’histoire</em>, chez Odile Jacob, significativement intitulé « les deux biologies »).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
text-indent:35.4pt;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Si l’ouvrage est bel et bien une introduction, on y trouve également des passages qui pourront intéresser le lecteur déjà familiarisé en philosophie des sciences : les deux derniers chapitres, notamment, proposent une intéressante et originale étude de cas permettant d’illustrer la notion de réduction, sur un plan ontologique et sur un plan épistémologique, en examinant les relations systématiques entre les concepts et explications de deux théories génétiques. </span></p>
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<p class="MsoNormal"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande""><o:p>Jonathan Racine. </o:p></span></p>Huneman, Heams, Lecointre & Silberstein (dir.), Les mondes darwiniens, Éditions Matériologiques 2011, lu par Sylvain Bosseleturn:md5:2b0ff3e55ffd4834ad3cd67b6b468c652017-10-30T12:00:00+01:002017-10-30T15:20:11+01:00Baptiste KlockenbringÉpistémologieBiologieDarwinthéorie de l évolutionVie<p style="text-align: justify;"><strong>Philippe Huneman, Thomas Heams, Guillaume Lecointre, Marc Silberstein (dir.), Les mondes darwiniens, Paris, Éditions Matériologiques, 2011, lu par Sylvain Bosselet.</strong></p>
<figure style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;"><img alt="darwin.jpg" class="media" height="270" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.darwin_m.jpg" width="182" />
<figcaption> </figcaption>
</figure>
<p style="text-align: justify;">Ce livre est une somme de près de 1600 pages sur le darwinisme contemporain, par cinquante des meilleurs spécialistes francophones. Nous proposons dans cette première recension de résumer l’introduction, la préface et la première partie intitulée « Les notions » (chapitres 1 à 9).</p> <p style="text-align: justify;"><strong>Préface de Jean Gayon</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Ce livre porte sur la théorie darwinienne aujourd’hui, dans sa fécondité et ses controverses actives. Il suit deux axes : ses fondements théoriques et l’extension de son application.</p>
<figure style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;">
<p style="text-align: justify;"> </p>
<figcaption>
<p style="text-align: justify;"> </p>
</figcaption>
</figure>
<p style="text-align: justify;">Les deux principes de Darwin, « descendance avec modification » et « sélection naturelle », ont été étendus dans leur usage et révisés dans leurs fondements. Leur extension pose le problème de savoir s’ils peuvent sortir de leur cadre initial, qui implique la reproduction. Leur application aux sciences de l’homme ne donne pas encore de résultats avérés, mais plutôt un champ exploratoire, purement philosophique. Au contraire, sur le versant phylogénétique, on est passé d’une intuition à une méthode scientifique.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Introduction, de Thomas Heams, Philippe Huneman, Guillaume Lecointre, Marc Silberstein</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Les motifs de ce livre sont nombreux :</p>
<p style="text-align: justify;">La commémoration des 200 ans de la naissance de Darwin et des 150 ans de son livre ;</p>
<p style="text-align: justify;">L’importance unificatrice de sa théorie pour de nombreux domaines de la biologie ;</p>
<p style="text-align: justify;">Le retard français de son assimilation par les sciences humaines, qui tient à l’<em>a priori </em>d’un Homme conçu comme supérieur et distinct ;</p>
<p style="text-align: justify;">Le fait que la Théorie Synthétique de l’Évolution (TSE) semblait complète et achevée, lorsqu’une foule de découvertes sont venues la bousculer ;</p>
<p style="text-align: justify;">La nécessité de clarification face aux contempteurs et déformateurs du darwinisme.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 1, Variation, par Thomas Heams</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Tout varie chez les vivants. Darwin s’en tenait à ce qu’il voyait (les caractères), il ignorait les lois génétiques (découvertes par Mendel) et les gènes, ces déterminants physiques des variations. Les gènes se situent dans le noyau des cellules, qui contient l’ADN. Les mutations sont des modifications de l’ADN lors de sa transmission. Elles apparaissent quand les enzymes dupliquent l’ADN pour en faire une copie avant division cellulaire. La méiose (lors de la fusion des cellules sexuelles) crée des variations en très grand nombre théorique (2<sup>22</sup>).</p>
<p style="text-align: justify;">La sélection naturelle de Darwin porte sur les caractères (phénotypes) et favorise les génotypes (ensembles de gènes) qui y correspondent. Une copie différente d’un gène est un allèle. La génétique des populations étudie les variations de fréquence allélique.</p>
<p style="text-align: justify;">90% de l’ADN n’est pas codant. Une mutation a souvent un effet négatif sur la valeur adaptative d’une séquence codante, mais quand c’est positif, elle fait évoluer la lignée.</p>
<p style="text-align: justify;">Le couple variation/sélection peut s’appliquer aussi au système immunitaire, au fonctionnement du cerveau, etc.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 2, Hérédité, par Thomas Heams</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Lamarck stipule « l’hérédité des caractères acquis », approuvée par Darwin. Cette loi fut réfutée par : 1/ la découverte par Weismann de la séparation entre cellules reproductrices et autres cellules du corps ; 2/ les lois de l’hérédité découvertes par Mendel, qui postule des déterminants internes discrets (les gènes).</p>
<p style="text-align: justify;">La génétique des populations naît vers 1930. On crée le concept de « dérive génétique » (modification aléatoire de la fréquence des allèles au cours des générations). Vers 1940, Ernst Mayr établit la TSE (qui unit sélection naturelle et lois génétiques). Dans les années 1950, on découvre le support matériel des gènes, l’ADN, compatible avec les lois de Mendel. On découvre le code génétique, qui relie séquences d’ADN et protéines codées. C’est le début de la biologie moléculaire. L’ADN assure l’unité des êtres vivants et l’histoire de la vie.</p>
<p style="text-align: justify;">Il y a d’autres formes d’hérédité, hors sexualité, dont : 1/ les « transferts horizontaux » directs, notamment entre bactéries (procaryotes) et levures (eucaryotes unicellulaires) ; 2/ l’« hérédité cytoplasmique », où l’ADN est transmis dans la cellule entre ses éléments ; 3/ l’ « hérédité mosaïque » d’un organisme qui vit en symbiose avec des bactéries et autres cellules exogènes, par le lait maternel ou le sang ; 4/ l’ « hérédité épigénétique » (non mendélienne) de certains traits, notamment avec des actions chimiques sur l’ADN.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 3, Sélection, par Philippe Huneman</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Les deux idées principales de Darwin sont : 1/ descendance avec modification (qui englobe toutes les espèces dans un arbre de vie) 2/ sélection naturelle (qui explique cet arbre et sa forme) : les plus aptes survivent plus longtemps et ont plus de descendants, auxquels ils transmettent leurs traits. La sélection opère en deux étapes selon Darwin : production de la variation héritable puis test de cette variation – d’où ambiguïté de la sélection, qui englobe les deux. Est-elle un mécanisme (la deuxième étape) ou un principe explicatif qui englobe les différents processus ?</p>
<p style="text-align: justify;">Lewontin énonce en 1970 les conditions nécessaires et suffisantes pour que des entités entrent dans un processus de sélection naturelle, avec trois principes : 1/ variation (d’une espèce) 2/ hérédité (de certaines variations) 3/ <em>fitness</em> différentielle (le nombre de descendants diffère en fonction de la valeur adaptative). La rareté des ressources, que Darwin emprunte à Malthus, n’est pas nécessaire.</p>
<p style="text-align: justify;">La sélection naturelle explique plusieurs choses différentes : l’adaptation, la diversité et l’évolution. Il y a différents types de sélection : directionnelle (mutations dans le même sens), stabilisatrice, disruptive (deux traits sont sélectionnés de façon binaire, et pas leurs intermédiaires), fréquence-dépendante (un trait est sélectionné selon sa fréquence relative), sexuelle (pour les choix d’appariement entre sexes). Le type d’objets sur lesquels porte la sélection est controversé : les allèles selon Fisher, des portions intégrées de génotypes selon Wright, des organismes selon Mayr, les gènes (et non les individus) selon Dawkins.</p>
<p style="text-align: justify;">La sélection naturelle demeure problématique : d’un côté, les biologistes accumulent des preuves théoriques (par les mathématiques) et empiriques ; de l’autre, elle suscite les controverses précédentes. Quand ces problèmes seront résolus, sans doute aurons-nous une théorie générale de la sélection naturelle qui embrassera biologie, culture, économie, technologie, chimie, neurologie, etc. Dans des conditions requises, elle pourrait être universelle et s’appliquer à d’autres mondes.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 4, Adaptation, par Philippe Grandcolas</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Le mécanisme d’héritage avec modification explique la diversité des vivants, mais pas leur ajustement aux conditions de vie. Il faut ajouter la théorie de Darwin et Wallace : l’adaptation consiste dans le maintien par la sélection naturelle d’un trait nouveau. L’adaptation peut être le trait lui-même ou le processus qui l’a produit.</p>
<p style="text-align: justify;">La sélection naturelle est d’intensité variable. Les conditions environnementales sélectives sont comme un tamis, à travers lequel des individus tentent un passage (qualité de leur survie et de leur reproduction). Quand les mailles sont fines, on voit bien (l’intérêt explicatif de) la sélection naturelle, pas dans le cas inverse. Quand les traits évoluent sans grande sélection, c’est une dérive génétique neutre, ce qui ne veut pas dire que la sélection soit inopérante.</p>
<p style="text-align: justify;">Deux disciplines étudient l’adaptation, phylogénétique et biologie des populations, sur deux niveaux d’observation, taxons et populations.</p>
<p style="text-align: justify;">Cuénot apporte (en 1903) le concept de « préadaptation » pour désigner un changement de fonction. Gould propose de dire plutôt « exaptation » pour éviter l’apparence téléologique. Les plumes furent initialement thermorégulatrices ! La maladaptation (ou désaptation) concerne un organisme dont un trait a une action défavorable à la <em>fitness</em>, mais est maintenu, car hérité.</p>
<p style="text-align: justify;">Le concept d’adaptation est indispensable à la biologie de l’évolution, mais il faut notamment éviter les erreurs suivantes : confondre « ad-aptation » (aptitude plus grande) avec progrès (vers la perfection) ; croire que toute fonction a nécessairement une utilité présente, et faire preuve d’un adaptationnisme naïf (explications <em>ad hoc</em> et tautologies) ; tomber dans le finalisme, que Lewontin et Gould ont combattu avec l’exemple de l’apparent finalisme des tympans des arcs conçus pour maintenir un édifice, et qui ont servi à accrocher de grandes fresques : des organismes peuvent détourner la fonction de traits hérités des ancêtres (ce que Darwin savait déjà).</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 5, Fonction, par Armand de Ricqlès et Jean Gayon</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Le terme « fonction » se retrouve à tous les niveaux en biologie. Elle désigne ce qu’une structure fait, mais aussi ce qu’elle est censée faire (sens normatif implicite), par exemple la vision pour un œil, qu’il fonctionne ou non.</p>
<p style="text-align: justify;">Le fonctionnalisme a du succès car il semble expliquer rationnellement tout en donnant « un but » d’apparence théologique, comme les causes finales chez Aristote. Pourtant, la comparaison à la technologie (intentionnelle) du grand horloger n’est pas scientifique. Elle sort du matérialisme méthodologique, qui explique en remontant des effets aux causes (toujours antérieures), conformément à Lucrèce. L’omniprésence des adaptations naturelles semble faire admettre un fonctionnalisme de constat, sans finalisme transcendant. En pratique, les langages fonctionnaliste et finaliste ne sont pas discernables, sachant qu’on explique l’apparente finalité par le hasard des mutations et recombinaisons triées par la sélection naturelle.</p>
<p style="text-align: justify;">Le concept de « système » désigne un ensemble fonctionnel et structuré de sous-structures coorganisées, qu’il faudrait décrire en termes purement physico-chimiques. Il pose un problème de finalisme moindre. Mais cette relation structuro-fonctionnelle est complexe, car elle combine 1/ historicisme et 2/ fonctionnalisme. Le premier est diachronique, et porte sur les populations, espèces et clades. Le second relève d’une causalité synchronique, qui porte sur l’organisme vivant. Rabattre le second sur le premier entraîne un faux finalisme. Mayr distingue biologie évolutionniste (des causes historiques ou médiates) et biologie fonctionnelle (des causes prochaines ou immédiates).</p>
<p style="text-align: justify;">Dans les années 1970, Larry Wright propose une conception non finaliste, avec une théorie étiologique : la fonction d’un trait est l’effet pour lequel il a été sélectionné. Robert Cummins y répond avec une théorie systémique : seuls importent les effets qu’un système est capable de produire. Elle explique des propriétés émergentes par assemblage de structures plus petites (qui n’est pas la raison de leur existence). La première théorie est historique, c’est une biologie des causes ultimes (qui explique la présence du cœur). La seconde est mécaniste et nomologique, c’est une biologie des causes prochaines (qui explique la circulation du sang).</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 6, Caractère, par Véronique Barriel</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Les « caractères », qu’Aristote appelait « parties » et Darwin « organes », servaient à décrire et classer les espèces. Les classifications se basent sur les ressemblances entre caractères, de deux types : homologie (organes ayant les mêmes relations avec les parties voisines, indépendamment de la fonction), et analogie (identité de fonction, non issue d’un même héritage évolutif). Avec l’ordinateur, la systématique phénétique (ou taxinomie numérique) permet de traiter un nombre toujours croissant de caractères morphologiques, anatomiques puis moléculaires par la seule similitude d’un maximum de caractères, pour une classification objective, stable et reproductible.</p>
<p style="text-align: justify;">Les caractères présentent des différences entre organismes, qui sont dites « état du caractère », et servent pour les classifications. Ils n’évoluent pas tous à la même vitesse (évolution en mosaïque). Il y a distinction entre caractères d’une part intrinsèques, propres et essentiels (comme les caractères morphologiques, anatomiques, éthologiques, physiologiques ou moléculaires), et d’autre part extrinsèques (qui doivent leur apparition à un facteur environnemental, écologique, géographique ou géologique, comme des cheveux bruns). Parmi les premiers, on distingue les qualitatifs (discrets, discontinus) et les quantitatifs (continus). Les caractères moléculaires sont discrets.</p>
<p style="text-align: justify;">La reconstruction phylogénétique se fonde sur le principe de partage des caractères dérivés (les synapomorphies) dus à une ascendance commune, maximisant ainsi le signal phylogénétique, l’homologie. Seuls les clades sont retenus, qui contiennent tous les descendants d’une espèce ancestrale. Le caractère (ou l’état) présent chez le morphotype ancestral est dit « plésiomorphe » (primitif), et le caractère dérivé « apomorphe », qui indique les relations de parenté. Le problème est que toute espèce présente une répartition en mosaïque des états primitifs et dérivés.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 7, Espèce, par Sarah Samadi et Anouk Barberousse</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Linné, Cuvier et Buffon classaient les individus selon deux critères : ressemblance et descendance entre eux. Mais cette vision discontinue entre espèces fut perturbée par Darwin : les espèces changent en continu (de la naissance à la mort) et sont apparentées. L’origine de la diversité devient une question, sans Dieu pour réponse. Il faut chercher des causes matérielles.</p>
<p style="text-align: justify;">Depuis Darwin, on a une représentation en arbre généalogique. Les espèces y sont des branches du réseau généalogique, des lignées évolutives dont les organismes se reproduisent exclusivement entre eux. Cette structure en réseau dépend des processus de tris aléatoire (dérive) et sélectif (sélection naturelle). Richard Lenski a élevé des bactéries qui permettent d’expérimenter cette théorie de l’évolution. Les différenciations d’espèces en découlent. Si la séparation de membres d’une espèce est suffisamment longue, ils ne peuvent plus se reproduire entre eux. La division entre les deux branches est alors irréversible : c’est la « spéciation allopatrique » de Mayr. Les tris sélectif et par dérive tendant à uniformiser une espèce et distinguer deux espèces.</p>
<p style="text-align: justify;">Au XXe, depuis Darwin jusqu’à de Queiroz, il y a trois grands critères d’espèces : 1/ phénétique (taxonomie des caractères morphologiques qui se ressemblent) 2/ biologique (interfécondité) 3/ phylogénétique (détection de l’ascendance commune par caractères dérivés). Les hypothèses qu’on en tire, toujours réfutables, sont envoyées à un système de nomenclature, nommées, et renommées si elles sont changées.</p>
<p style="text-align: justify;">Des millions d’espèces restent à découvrir, mais on n’en décrit que 13 000 par an. Avec l’amélioration des méthodes et des techniques, notamment la mise en commun sur internet des données taxonomiques classiques et génétiques (et l’usage d’un code-barre), il sera possible d’accélérer et d’atteindre un jour l’exhaustivité.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 8, Filiation, par Guillaume Lecointre</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Darwin emploie le mot « <em>descent</em> », qui a été traduit par « descendance », mais qui signifie aussi bien « ascendance », voire « extraction », « souche » ou « filiation ». Cette dernière remplace à ses yeux la création divine. Il l’illustre avec l’image de l’arbre, qui en même temps explique le processus de diversification des espèces. Ce mot ambigu renvoie parfois à la science des processus (qui cherche des relations de causes à effets et s’appuie sur la sélection naturelle), parfois à celle des patrons (<em>patterns</em>) (qui structure des agencements entre vivants et qui n’a besoin que de la généalogie).</p>
<p style="text-align: justify;">L’homologie est le discours sur les mêmes, qui pose une hypothèse sur la filiation, selon trois paramètres : fonction (similaire ou non), forme ou structure (similaire ou non), position ou ascendance commune (présente ou non). On compare des dizaines ou centaines d’états de caractères de deux taxons, avant de leur proposer une place dans un arbre, le plus parcimonieux possible. Auparavant, on faisait l’erreur finaliste de commencer par poser un plan d’organisation.</p>
<p style="text-align: justify;">À partir de 1950, Willi Hennig a proposé des principes pour construire un arbre, notamment : ne classer qu’un échantillon précis d’espèces entre elles, ne faire un regroupement taxonomique qu’à partir des traits dérivés innovants, comparer ces derniers à un groupe extérieur… La question fondamentale est : qui est plus proche de qui ? Ensuite, on nomme les clades, c’est-à-dire chaque branche et tout ce qui est en aval.</p>
<p style="text-align: justify;">Depuis la découverte des transferts horizontaux de matériel génétique, la métaphore généalogique reste d’actualité, mais certaines parties de l’arbre théorique de la vie ressemblent à un réseau réticulé.</p>
<p style="text-align: justify;">Les naturalistes rencontrent le problème de la disparition des ancêtres, qui les contraint à distinguer « arbre phylogénétique des vivants actuels » et « arbre généalogique du vivant » (théorique et métaphorique). Les espèces ancestrales concrètes (au sens génétique) sont inconnaissables empiriquement, mais les espèces ancestrales abstraites restent indispensables théoriquement.</p>
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<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre 9, Vie, par Stéphane Tirard</strong></p>
<p style="text-align: justify;">L’auteur cherche les définitions historiques de la vie à travers la question de son origine.</p>
<p style="text-align: justify;">Quand le microscope fut inventé, on a réfléchi à la « génération spontanée » (l’animalisation de la matière). Diderot imagine une molécule inerte, puis vivante, plante, animale, dans une chaîne de transformations. Fin XVIIIe, Buffon parle de « molécules organiques » qui constituent les vivants. Au XIXe, Bernard évoque trois degrés de relation entre le vivant et le cosmos. Pasteur nie la génération spontanée.</p>
<p style="text-align: justify;">Darwin introduit le temps historique dans le vivant et une hypothèse sur l’origine de la vie dans un marre chaude avec de l’électricité. Il rejette la génération spontanée et ne définit pas le vivant. Fin XIXe, les théories de « l’abiogenèse » (formation de la vie) ne sont pas connectées à l’état que devait avoir la Terre, et s’opposent aux théories de « la panspermie » (vie venue de l’espace).</p>
<p style="text-align: justify;">Au XXe, la génétique mendélienne est reliée à l’évolution via la génétique des populations, puis son support l’ADN. Du coup, on repense l’origine de la vie avec ces nouvelles molécules et des conditions plus précises de la Terre. À partir des années 1950, on obtient des synthèses chimiques dans les conditions supposées de la terre primordiale, champ de la chimie prébiotique. C’est une approche réductionniste. En une quinzaine d’années, on a reconstitué trois étapes : synthèse de molécules organiques à partir de minéraux, production de polymères, synthèse de compartiments qui préfigurent les cellules.</p>
<p style="text-align: justify;">En 1986, Walter Gilbert propose l’antécédence de l’ARN sur l’ADN (scénario encore admis). Dans les années 1960, Cairns-Smith propose une succession de systèmes (antérieurs à l’ARN), où les entités se remplacent sans laisser de traces des précédentes. Cette période prébiologique étendrait la validité de l’explication darwinienne au-delà de la vie.</p>
<p style="text-align: justify;">Les chimistes prébiociens pensent aujourd’hui que la vie est universelle dans l’univers. Celle-ci est difficile à définir : on ne connaît son étendue ni spatialement ni temporellement. Mais le manque de définition n’empêche pas la recherche en biologie, et stimule les questions fondamentales sur le vivant.</p>
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<p style="text-align: justify;"><strong>Commentaire personnel</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Cette somme est un travail magistral et sans concessions sur l’état des recherches actuelles en philosophie de la biologie. Elle est aussi précise que complète. Son niveau conceptuel est très élevé, puisqu’elle plonge au cœur des recherches par les meilleurs spécialistes d’un domaine très exigeant. Mais la mise en perspective historique de ces recherches de pointe les rend accessibles aux lecteurs exigeants. Cette somme permet tant aux philosophes qu’aux biologistes d’affûter leurs concepts sur l’évolution, dans le cadre des retombées contemporaines de la théorie darwinienne. Truffée de connaissances techniques, elle offre un panorama indispensable à quiconque souhaite comprendre ou manier philosophiquement les éléments complexes de la biologie évolutionniste fondamentale.</p>
<p style="text-align: right;"> Sylvain Bosselet (09/06/2017).</p>