oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - rationalitéRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearKurt Flasch, Introduction à la philosophie médiévale, lu par Simon Rochereauurn:md5:50d92e80aaca18612d9d87acd1a6748c2014-10-15T06:00:00+02:002014-10-15T06:00:00+02:00hmullerHistoire de la philosophiedébatsfoihistoirerationalité<strong><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/octobre_2014/.9782204072199FS_t.jpg" alt="" title="9782204072199FS.gif, sept. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Kurt Flasch, <em>Introduction à la philosophie médiévale</em>, deuxième édition, traduit de l’allemand par Janine de Bourgknecht, Ruedi Imbach et François-Xavier Putallaz, Préface de Ruedi Imbach, François-Xavier Putallaz éditions du Cerf</strong>.<div><br /><div>L’ouvrage de
Kurt Flasch entend contribuer à la réhabilitation de la philosophie
médiévale, en la présentant de manière originale, non comme une
<em>histoire de la
philosophie médiévale</em>
traditionnelle, mais comme une mise en scène de grandes <em>disputes</em>
qui ont jalonnées l’époque médiévale, replacées dans leur
contexte. Il ne saurait être question de séparer les questions des
circonstances historiques qui les ont fait naître et leur donne sens
car « le savoir était souvent une réponse aux problèmes
concrets de la politique et de la morale ». Afin d’éclairer
sa démarche, Kurt Flasch enrichit son introduction aux grands débats
médiévaux de fréquents retours réflexifs sur sa méthode,
notamment sur la manière dont s’articulent philosophie et
histoire.</div></div> <p align="JUSTIFY"><em><br />Préface </em>de
Ruedi Imbach et François-Xavier Putallaz</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">I
– Citer et insérer : la Renaissance carolingienne</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">II
– Délimiter les frontières : l’Occident latin contre la
Rome orientale. La rationalité carolingienne face au culte byzantin
des images</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">III
– Autodétermination ou prédestination : Érigène contre
Godescalc</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">IV
– Chose ou signe : Béranger de Tours contre Lanfranc</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">V
– Insensé ou empiriste : Anselme de Cantorbéry contre
Gaunilon</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">VI
– Liberté ou servitude à l’égard de la politique et de la
culture : Manegold de Lautenbach contre Wolfhelm de Cologne</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">VII
– Science traditionnelle ou renouveau : les traditionalistes
contre Abélard</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">VIII
– Scepticisme et piété ou métaphysique et science :
Avérroès contre Al-Ghazali</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">IX
– L’immortalité individuelle ou le retour à l’esprit
universel : Albert le grand contre Avérroès</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">X
– La cité de Dieu ou la paix sur terre : la réhabilitation
de la philosophie politique dans sa lutte contre la suprématie
politique de la papauté</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">XI
– Conciliation ou critique : les objections de Lutterell
contre Guillaume d’Ockham</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">XII
– Semence du diable ou philosophie de la filiation divine : la
défense de maître Eckhart devant le tribunal de l’Inquisition</p>
<p align="JUSTIFY">XIII – Savoir
ou docte ignorance : Jean Wenck contre Nicolas de Cues</p>
<p align="JUSTIFY"><strong>Lecture</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/octobre_2014/.9782204072199FS_m.jpg" alt="" title="9782204072199FS.gif, sept. 2014" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" />I
– Sous l’impulsion de Charlemagne, qui s’appuie notamment sur
Alcuin d’York, une culture carolingienne naît et se déploie dans
la deuxième moitié du VIII<sup>e</sup>
siècle. La philosophie d’Alcuin cherche à donner une cohérence
et un fondement chrétien à l’Empire après une période de
troubles et d’affrontements. Le pouvoir (<em>potestas</em>)
requiert la sagesse (<em>sapientia</em>)
et c’est le rôle de la philosophie d’éclairer et de délimiter
la foi chrétienne qui doit unifier l’empire. En appliquant les
règles de la logique aux Écritures, Alcuin intègre l’héritage
grec des catégories et la théologie augustinienne.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">II
– Du point de vue de la méthode, il convient d’étudier la
philosophie médiévale, non comme l’anticipation incomplète d’une
philosophie postérieure (thomiste ou kantienne) mais dans le
contexte où elle est née. Ainsi, le projet philosophique d’Alcuin
ne saurait être compris indépendamment du projet de consolidation
de l’unité de l’Empire germanique dont la philosophie est un
instrument. Il faut affirmer son identité et sa puissance non
seulement par les armes mais aussi sur le plan doctrinal, par des
arguments. C’est pourquoi Charlemagne encourage les <em>Libri
carolini </em>à prendre
position contre Byzance dans la <em>querelle
des images. </em>L’Occident
s’affirme ici – sur un fondement qu’elle veut rationnel - et
revendique sa supériorité politique et intellectuelle, contre les
supposées superstitions grecques et byzantines.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">III
– Lorsque la culture carolingienne se stabilise au IX<sup>e</sup>
siècle, surgissent en son sein même les premières querelles
doctrinales, à l’image de celle qui oppose Godescalc à Jean Scot
Érigène à propos de la liberté individuelle et de la
prédestination. Il convient (contre l’historiographie
contemporaine) d’éclairer cette querelle dans son contexte même
et d’unir la philosophie et l’histoire. La lecture attentive des
textes tardifs d’Augustin par Godescalc conduit à fissurer le
socle doctrinal établi depuis Alcuin. La condamnation de ses thèses
par Jean Scot Érigène, loin d’éteindre l’incendie, installe
une querelle durable et complexe dans laquelle s’affrontent des
interprétations divergentes d’Augustin.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">IV
– Les querelles <em>apparemment
</em>dogmatiques
recouvrent de puissants enjeux éthiques et politiques. Au XI<sup>e</sup>
siècle, sur l’Eucharistie, s’affrontent notamment Lanfranc (le
pain est <em>substance </em>du
Christ<em>)</em>
et Béranger de Tours (le pain est <em>signe</em>
du Christ et il faut maintenir <em>la
rationalité de la foi</em>).
Le Concile de Latran (1059) condamne Béranger, clos (provisoirement
du moins) la querelle et contribue à affirmer la primauté de la
papauté sur les pouvoirs régionaux et l’Empire.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">V
– A la fin du XI<sup>e</sup>
siècle, Anselme de Cantorbéry, pourtant élève de Lanfranc,
approfondit la dimension rationnelle de la foi, cherche à démontrer
que la croyance est une nécessité de la raison, contrôlable par la
logique et que l’on peut apporter des <em>preuves</em>
de l’existence de Dieu. Le débat s’instaure avec Gaunilon pour
qui l’<em>insensé</em>
(l’athée) pourrait bien être un empiriste et les <em>preuves</em>,
des <em>mots</em>
qui ne correspondent pas à une connaissance réelle. Anselme oriente
l’Église dans cette direction rationnelle et définit un nouveau
rapport entre l’homme et Dieu.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">VI
– A côté d’Augustin de nombreux auteurs, moins connus, comme
Macrobe, avaient tissé des liens avec les anciens (Platon, Cicéron).
A la fin du XI<sup>e</sup>
siècle, la philosophie reste un champ protéiforme qui va des
sciences naturelles à la rhétorique en passant par la grammaire et
les mathématiques. L’Empire et la papauté s’affrontent à
travers des débats théoriques dans lesquels chaque partie veut
asseoir sa suprématie. Manegold de Lautenbach - qui place le pape au
dessus de l’empereur - prend ses distances avec le néoplatonisme
et la philosophie car le Créateur « nous veut pauvres en
esprit », il s’oppose à Wolfhelm de Cologne, fidèle à la
tradition de Macrobe et soutien de l’empereur.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><br />VII
– Esprit ouvert, Abélard déploie au XII<sup>e</sup>
siècle une nouvelle conception de la science qui laisse place au
doute, à la recherche de la vérité par le débat et à une
interprétation des textes. Il engage un dialogue avec les juifs et
voue un examen attentif à l’Islam. Il se heurte aux
traditionalistes, notamment Bernard de Clairvaux, se voit reprocher
un rationalisme excessif qui dissipe tout mystère et une conception
hérétique de la Trinité. Il reçoit la condamnation de deux
conciles, mais participe à l’essor de la société bourgeoise et
commerçante du XII<sup>e
</sup>siècle.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">VIII
– Le monde arabe, particulièrement avancé en mathématique et en
astronomie, comme dans la connaissance d’Aristote, connaît
lui-aussi ses querelles. Al-Ghalazi réfute Aristote, Al-Farabi et
Avicenne. Il encourage un scepticisme propice à la piété contre la
philosophie qui tend à transformer en objets réels ce qui relève
de la subjectivité (le temps par exemple). Son approche est
critiquée dans le courant du XII<sup>e
</sup>siècle, par
Averroès qui cherche à rendre à la métaphysique sa fonction
scientifique en poursuivant Aristote et à montrer la compatibilité
de l’Islam et de la philosophie. Toutefois, la cosmologie
d’Averroès, afin d’assurer l’intelligibilité du monde, place
la rationalité dans ce qui est <em>éternel
</em>et contribue à
retarder le développement des sciences naturelles. Sa condamnation
par le calife et le triomphe des théologiens ennemis de la
philosophie, referme durablement un champ de recherche scientifique
et philosophique dans le monde arabe.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">IX
– La condamnation d’Abélard n’avait pourtant pas eu les mêmes
retombées en occident dont l’essor était trop avancé pour être
stoppé. La pensée d’Aristote, laissée de côté à l’époque
où elle était indissociable du savoir médical et philosophique du
monde gréco-arabe, est réhabilitée. La science peut être pensée
comme une activité humaine et non comme une révélation. Averroès
publie un commentaire décisif pour la postérité du <em>Traité
de l’âme</em>
d’Aristote au début du XIII<sup>e</sup>
siècle. Les ordres mendiants reçoivent l’autorisation
d’enseigner. Albert de Cologne lance une dispute sur l’âme et
s’oppose à Averroès. Il adopte une structure scolastique, part
des acquis d’Aristote et des arabes qu’il cherche à corriger de
manière rationnelle. Son influence est considérable.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">X
–Aux XIII<sup>e</sup>
et XIV<sup>e</sup>
siècles, l’héritage d’Aristote conduit à l’émergence d’une
philosophie politique qui se fonde non sur la théologie mais sur
l’État comme expression de la nature sociale de l’homme. Nature,
société et politique se trouvent sécularisés. C’est la
naissance du monde moderne. A la suite d’Aristote, Thomas d’Aquin
donne un fondement biologique et anthropologique à la politique et à
l’autorité politique, tout en cherchant à préserver l’autorité
du pape. La politique, qui cherche le bonheur ici-bas, est ordonnée
à la béatitude dans l’au-delà. Les hommes sont soumis au roi et
les rois, au pape. Sans exclure une soumission spirituelle au pape,
Dante prône une plus grande autonomie du champ politique et place la
source de l’autorité politique au dessus du pape, en Dieu :
il convient que l’Église renonce au projet d’instaurer une cité
de Dieu sur terre pour espérer la paix que réclame l’humanité. A
son tour, Marsile de Padoue, défenseur de la paix, s’efforce de
libérer la politique de la tutelle de l’Église, de défendre la
souveraineté populaire et l’autonomie de la philosophie.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">XI
– Au XIV<sup>e</sup>
siècle, les ordres fixent des doctrines, ce qui n’empêche pas
leur contestation. Franciscain, Guillaume d’Ockham ébranle
l’édifice conceptuel de l’Église tout entière et s’oppose à
la papauté. Se réclamant d’Aristote, Ockham critique les
abstractions du langage. Il ouvre la voie d’une nouvelle
rationalité et d’une nouvelle méthode : connaître ne
consiste pas en une illumination, ni même à retrouver une nature
universelle, mais à construire de manière rigoureuse et cohérente
des concepts dont le point de départ est l’expérience de
l’individu. La science n’est pas une copie du cosmos – livre
visible écrit par Dieu - mais une production humaine qui collecte
des faits. Les idées ne donnent pas accès à l’essence des
choses.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">XII
– Maître Eckhart, qu’on ne saurait réduire à un mystique,
entreprend d’expliquer la foi et les deux Testaments par « les
raisons naturelles des philosophes » et d’unifier ainsi
philosophie et théologie, à partir de la philosophie. Son
affirmation de la filiation divine de tout homme, ainsi que la
plupart de ses thèses sont condamnées.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">XIII
– Au XV<sup>e </sup>siècle,
Jean Wenck de Heidelberg s’oppose à Nicolas de Cues, héritier de
Jean Scot Origène et Maître Eckhart (tous deux condamnés en leur
temps), sur la nature de la connaissance et l’héritage d’Aristote.
Pour Nicolas de Cues, sans expérience directe et critique des degrés
du savoir, « la science a perdu toute vie et est devenue
inutile aux hommes ». Seul un savoir du non-savoir, une <em>docte
ignorance</em> peut
réformer la science.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">POSTFACE
– L’auteur répond aux critiques que la publication de l’ouvrage
avait pu susciter et précise son intention et sa méthode. La
dimension réflexive qui parcourt l’ouvrage se trouve ainsi isolée
et thématisée.
</p>
<p align="JUSTIFY"><strong>Commentaire</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’approche
originale de Kurt Flasch conduit à appréhender une histoire de la
philosophie médiévale <em>en
mouvement</em> qui rend
compte des tensions, des divergences d’interprétations, des
échecs, des ambiguïtés et des évolutions que la philosophie
médiévale a rencontrés. Conscient de l’inconvénient d’aborder
les grands auteurs, « par le côté qui se trouve précisément
contesté », mais désireux, avant tout, de restituer une
pensée vivante et mouvante, Kurt Flasch nous permet d’entrer de
plein pied – sans connaissances préalables - dans quelques grands
débats caractéristiques d’une époque qui se dessine
progressivement sous nos yeux et dont on mesure l’importance pour
les siècles à venir. Affranchi du souci d’exhaustivité, il
parvient à éclairer les enjeux de débats qui sembleraient purement
théoriques et stériles sans leur contexte. Nous voici en effet
<em>introduit</em>s,
non dans un panthéon de doctrines figées, mais au cœur du
déploiement d’une pensée médiévale multiple et protéiforme.
</p>