oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - républiqueRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearMichel Chabot, Réflexion sur Qu’est-ce que les lumières ?, Bréal 2017, lu par Eric Delassusurn:md5:83be37080f9406815121b0b4678a4a162019-04-09T19:49:00+02:002019-04-20T09:09:36+02:00Michel CardinPhilosophie politiquedémocratieKant Qu est-ce que les Lumièresréforme et révolutionrépublique<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><strong><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif"><img alt="" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.51IPotMaywL_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Michel Chabot, Réflexion sur <em>Qu'est-ce que les Lumières ?</em> de Kant, collection Réflexions (im)pertinentes, éditions Bréal, 2017 (158 pages). Lu par Éric Delassus.</span></span></span></strong></p>
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<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Loin d’être un commentaire de l’opuscule de Kant, le livre de M. Chabot se veut être une réflexion sur notre situation contemporaine à partir de la pensée de Kant. </span></span></span></p> <p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"> </p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Si <i>Qu’est-ce que les Lumières ?</i> est un texte daté qui fut rédigé dans un contexte historique et politique bien précis, peut-être est-il néanmoins en mesure de nous aider à mieux penser notre présent ? C’est d’ailleurs ce qui fait toute la puissance d’un texte que de pouvoir dépasser les conditions historiques de son élaboration pour nourrir une réflexion sur des questions qui ne sont pas de son époque.</span></span></span></p>
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<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">La première partie du livre présente les grandes lignes de la position kantienne.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">La question, qui est au cœur de ce livre, est celle de la manière dont un peuple peut accéder à la démocratie, car le problème est que trop souvent les peuples qui se révoltent contre des tyrans abandonnent un peu trop vite la liberté pour laquelle ils se sont soulevés en installant un pouvoir autoritaire à la place du précédent, remplaçant ainsi un despote par un autre. Ne faut-il pas voir dans ce paradoxe la conséquence, non seulement d’une précipitation dans la conquête de la liberté, mais aussi et surtout d’un manque de « lumières » chez ces peuples qui auraient certainement dû être plus à l’écoute du message kantien et faire preuve d’une plus grande prudence ? La prudence que M. Chabot présente d’ailleurs comme le leitmotiv de la pensée politique de Kant.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">S’initiant dans une période de despotisme éclairée, cette pensée a dû subir les contraintes d’une certaine censure lorsque la Prusse est revenue vers un absolutisme plus affirmé. S’efforçant sans relâche de combattre l’obscurantisme, il lui a fallu affronter l’opposition à l’idéal des Lumières du <i>Sturm und Drang</i> qui remettait en cause l’universalisme et la puissance de la raison. La complexité des conditions dans lesquelles se construit la pensée politique de Kant est certainement l’une des raisons expliquant la prudence dont il fait preuve dans ses écrits sans pour autant faire de concessions au sujet des valeurs qu’il défend.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Kant est en effet un philosophe des Lumières, c’est-à-dire un penseur qui s’oppose à l’obscurantisme, en d’autres termes, à la domination des hommes par des « tuteurs » qui les maintiennent dans l’ignorance, dans une cécité intellectuelle que seule la culture de la raison peut empêcher. M. Chabot souligne d’ailleurs que le terme allemand d’<i>Aufklärung</i> exprime mieux que celui de Lumières en quoi consiste ce mouvement puisqu’il évoque non seulement l’idée d’éclairer les esprits, mais aussi de les élever dans une dynamique de progrès consistant dans la sortie de l’état de tutelle. La principale tutelle à laquelle s’attaque Kant est celle des autorités religieuses qui entretiennent l’obscurantisme, c’est-à-dire le maintien du peuple dans l’ignorance pour mieux le dominer. Or, le peuple n’a pas besoin d’être guidé par une élite qui lui imposerait de croire en un dogme, en revanche tous les hommes sont dotés de dispositions naturelles qu’il faut cultiver pour leur permettre d’accéder à la raison et de développer leur autonomie de jugement. C’est ici le rôle du philosophe d’être cet éducateur, non pour imposer une pensée, mais pour enseigner à chacun ce que signifie penser par soi-même.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot insiste ici sur le fait que, pour Kant, les facultés humaines, et principalement la raison qui est source de liberté, ne sont pas données achevées, mais doivent être cultivées par l’éducation. On comprend donc mieux ce qui conduit Kant à blâmer ceux qui, au nom de la religion, maintiennent leurs ouailles dans un état de minorité. Ils vont, en effet, à l’encontre de la destination naturelle de l’homme, c’est-à-dire de la volonté divine ou de la Providence qui destine l’homme à la liberté. On comprend mieux ici ce qui peut apparaître comme un paradoxe dans la pensée politique de Kant qui, s’il pose comme horizon l’idéal républicain, considère cependant la monarchie éclairée comme une étape nécessaire dans l’accession du peuple à la majorité. Il y a donc une prudence kantienne en politique qui repose sur l’idée qu’à vouloir aller trop vite sur le chemin de la liberté, on risque fort de remplacer un despotisme par un autre régime autoritaire, autrement dit de recourir à un remède pire que le mal lui-même. L’intérêt que porte Kant à la monarchie éclairée relève donc d’une prudence qui n’est pas celle du philosophe qui craint la censure, mais celle du sage qui a compris que le chemin pour accéder aux Lumières est ardu et qu’en conséquence, il faut avancer à petits pas vers la république et la démocratie. Aussi, tout en préconisant le respect de la liberté d’expression de la part de ceux qui exercent le pouvoir, Kant recommande-t-il au peuple de toujours respecter, autant qu’il est possible, la loi de l’Etat. Car la difficulté pour avancer vers les Lumières n’est pas seulement due au caractère despotique des pouvoirs en place, elle procède également de ces deux défauts inhérents à la nature humaine que sont, selon Kant, la paresse et la lâcheté qui pourraient conduite à un mauvais usage des libertés. Les hommes semblent préférer être sous la domination d’un tuteur plutôt que de penser par eux-mêmes. D’où la fameuse formule introduisant l’opuscule « <i>sapere aude </i>». Il faut donc inciter les hommes à faire usage activement de leur liberté dans le domaine politique. Il s’agit, certes, de penser et agir par soi-même, mais avec et pour les autres, c’est pourquoi le meilleur antidote aux préjugés est la liberté d’expression et la confrontation des idées.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot souligne l’apparente contradiction qui semble caractériser la pensée de Kant qui, tout en affirmant la nécessité de rendre les hommes plus libres, se refuse à réclamer que cette liberté leur soit donnée d’emblée. En effet, Kant fait l’apologie de la sortie de l’état de tutelle, mais tout en soulignant que le danger de sortir d’un tel état « n’est pas si grand », il manifeste une certaine réticence à l’idée que le peuple, peu ou mal éclairé, puisse bénéficier d’une plus grande liberté. Alors qu’il juge que l’opinion qui prétend que certains peuples ne sont pas mûrs pour la liberté n’est qu’un alibi pour différer la fin de toute tutelle, il répète à l’envi que la nature humaine n’est pas spontanément disposée à la vie démocratique.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Selon M. Chabot, ces paradoxes sont levés dès que l’on prend conscience que le maître-mot de la pensée politique de Kant est la prudence. Il faut éclairer progressivement le peuple pour parvenir à l’instauration d’une république stable et durable. Kant serait donc plus réformiste que révolutionnaire, car il prendrait le terme de révolution dans son sens astronomique et craindrait qu’un tel mouvement ramène à son point de départ et n’aboutisse qu’à remplacer un despotisme par un autre. Il faudrait donc d’abord éclairer le peuple pour qu’il puisse ensuite s’émanciper. Mais, pour cela, il faudrait franchir les obstacles qui empêchent le progrès des Lumières et, principalement, l’action de certains tuteurs qui maintiennent le peuple dans l’ignorance pour arguer ensuite de son incapacité à se gouverner lui-même. Aussi, s’il faut amener le peuple lentement à la démocratie par l’éducation, la question se pose des modalités d’un tel progrès. Ici, Kant fait jouer aux philosophes un rôle déterminant, celui d’éclairer les puissants. D’où la nécessité de pouvoir rendre leur propos public, afin qu’ils puissent atteindre l’oreille des dirigeants politiques. Reste à savoir si ces derniers sont disposés à les entendre.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">L’accès aux Lumières relève donc d’un processus difficile dans un monde que les esprits éclairés, bien que minoritaires, doivent marquer de leur présence en faisant entendre leur voix. Mais l’espoir réside dans la présence de ces quelques hommes pensant par eux-mêmes qui peuvent éveiller la disposition naturelle des hommes au progrès et à la liberté. Cet éveil doit, selon Kant, précéder la naissance de droits nouveaux, faire l’inverse en politique serait « mette la charrue avant les bœufs ». L’humanité se caractérise donc par une certaine ambivalence. Son aspiration à la liberté se trouvant étouffée par un certain goût pour la servitude. M. Chabot y reconnaît l’influence de Rousseau pour qui la perfectibilité humaine peut être tout autant cause de progrès que de régression. Les despotes sont des hommes et possèdent cette capacité de penser par soi-même qui peut les conduire à vouloir accompagner leur peuple sur le chemin de la liberté, mais ils ont le plus souvent tendance à faire un mauvais usage de cette liberté pour satisfaire leur goût du pouvoir. Chez les puissants et dans le peuple, le goût pour la liberté a du mal à s’exprimer, les uns et les autres préférant la facilité, celle de gouverner un peuple d’ignorants pour les premiers, celle de se laisser guider par d’autres pour le second. M. Chabot établit d’ailleurs, à ce sujet, un parallèle avec le prisonnier de la caverne qui se révolte contre son libérateur. De même, pour Kant, ce n’est pas tant la force répressive du pouvoir politique qui fait obstacle aux Lumières que la résistance de ceux qu’il faut libérer. Néanmoins, chez certains esprits, les Lumières font leur chemin et l’on peut espérer qu’ils soient suffisamment convaincants pour essaimer auprès d’un public de plus en plus large et pour ouvrir l’esprit de quelques dirigeants politiques ou religieux. Seul cet essaimage est porteur d’espoir, ce qui explique la lenteur du processus qui nécessite, aux dires de Kant lui-même, « une durée indéfinie ».</span></span></span></p>
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<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Tandis que la première partie du livre de M. Chabot s’achève sur ses considérations d’un optimisme plutôt limité, la seconde partie aborde l’actualité du texte de Kant.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Il voit d’abord, dans le texte de Kant, un remède nous garantissant de toute forme de démocratie ou de théocratie. Kant refuse d’admettre qu’une élite puisse, sous prétexte qu’elle détiendrait le seul vrai savoir, prétendre exercer un pouvoir sur les esprits et sur les corps et se considérer en droit de diriger les autres hommes. De nombreux exemples montrent malheureusement qu’aujourd’hui cette tentation n’a pas disparu et que nous sommes encore confrontés à des forces dont le projet est d’imposer la primauté du religieux sur le politique. Cela est vrai de certains Etats qui se disent ouvertement théocratiques, mais cela menace aussi les démocraties à l’intérieur desquelles de telles forces voudraient s’imposer en refusant, par exemple, de respecter les lois de l’Etat sous prétexte qu’elles seraient contraires aux lois de Dieu.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">La démarche de M. Chabot ne consiste pas, bien évidemment, à plaquer de manière anachronique le texte de Kant sur l’actualité et d’en faire le modèle explicatif de notre présent. Il s’agit plus modestement de montrer en quoi ce texte peut nous fournir des éléments de réflexion en en dégageant des enseignements qui sont encore d’actualité. Parmi ces enseignements, la nécessité de cultiver chez chaque individu et citoyen le goût de la réflexion personnelle en instaurant les conditions d’un débat public fécond est considérée comme fondamentale. Sans cela, les hommes, empêchés de faire un usage personnel de leur propre raison, sont enfermés dans la minorité, ce qui constitue un « crime contre la nature humaine ». Cela vaut tant dans le domaine des croyances religieuses que dans celui des opinions politiques, d’autant que, le plus souvent, le maintien des hommes dans l’hétéronomie sur le plan religieux sert de tremplin pour s’opposer à l’autonomie politique. Aussi, si l’on ne peut faire de Kant un défenseur de la laïcité, on peut néanmoins considérer qu’il lui ouvre la voie en défendant la primauté du politique sur le religieux. M. Chabot retient donc de Kant cette idée qui est au cœur du mouvement des Lumières, idée selon laquelle les peuples ne sont maintenus dans la servitude que par l’ignorance et l’obscurantisme et ne peuvent conquérir leur liberté qu’en osant penser par eux-mêmes et faire un usage public de leur propre entendement. Reste à définir les modalités d’accession aux Lumières. Comment éveiller à la raison ceux qu’un pouvoir autoritaire maintient plus ou moins insidieusement dans l’ignorance et la soumission ?</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot souligne qu’en la matière la voie du paternalisme n’est pas celle que Kant préconise, celle-ci ayant le défaut de considérer les membres d’un Etat comme des enfants que seule une autorité paternelle est en mesure de protéger d’eux-mêmes, ce qui équivaut à les maintenir dans un état de minorité. Il voit dans cette opposition un message à transmettre à ceux qui pourraient de nos jours céder à la tentation de laisser le pouvoir à un chef providentiel qui prétendrait détenir les solutions de tous les problèmes que rencontrent nos sociétés.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Le problème soulevé ici est finalement celui de savoir s’il faut attendre qu’un peuple soit mûr pour la liberté pour lui permettre d’y accéder ou si, au contraire, c’est en lui accordant cette liberté qu’il parviendra à cette maturité. La difficulté se trouve d’ailleurs soulignée aujourd’hui par le fait que des peuples, étant parvenus à la démocratie parfois depuis de nombreuses années, n’hésitent pas à porter aux plus hautes responsabilités des personnages dont on peut dire que les respects des libertés fondamentales n’est pas leur souci majeur. La progression, ces dernières années, de ces régimes que certains appellent « démocratures » est une source de réelle inquiétude renouvelant la problématique soulevée par la pensée kantienne. Selon M. Chabot, les réflexions de Kant sur l’éducation comme cheminement progressif vers les Lumières pourraient nous offrir des pistes de solution. Peut-être est-ce oublier que notre époque est celle où les instances éducatives se trouvent concurrencées par un pouvoir médiatique disposant d’une force de séduction avec lequel le discours rationnel a du mal à rivaliser.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot revient donc ensuite sur la question de la prudence dans le domaine du changement politique en traitant de l’alternative entre réforme et révolution. Contre la tendance à vouloir instaurer la démocratie à marche forcée, qu’il qualifie de démocratisme, et qui n’est jamais à l’abri de retourner vers un type de régime proche de ceux que l’on a renversé, il voit dans la pensée kantienne un appel à la prudence et au réformisme. Si l’on peut parfois douter qu’il y ait toujours une appétence des peuples pour la démocratie et si l’on peut malheureusement constater que les révolutions enfantent trop souvent de nouvelles dictatures, la position réformiste n’en est pas moins problématique dans la mesure où elle suppose que celui qui exerce un pouvoir autoritaire accepte de voir celui-ci se réduire progressivement. Cette question mériterait d’être abordée de manière plus développée dans ce livre.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Michel Chabot s’interroge donc sur les raisons des difficultés qui jalonnent le chemin vers la république et la démocratie et qui les menacent toujours, même lorsqu’elles sont instituées de longue date. Or, si l’on peut à juste titre incriminer une minorité qui cherche à exercer le pouvoir afin de satisfaire ses seuls intérêts particuliers, il faut également prendre en considération cette tendance des peuples « à préférer se donner des chefs plutôt que des maîtres », pour parler comme Rousseau. Comme l’a bien souligné Kant, des défauts comme la lâcheté et la paresse ont tôt fait de jeter les peuples dans les bras de la servitude volontaire.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot manifeste cependant une certaine réticence dans le recours à la notion de peuple qui reste assez floue dans la mesure où elle recouvre une telle diversité d’individus et de conditions qu’elle a tendance à gommer les tensions qui peuvent la traverser. Cette diversité peut néanmoins être un avantage, si, dans le peuple, se développe une élite éclairée susceptible d’éveiller les esprits aveuglés par ceux qui les maintiennent dans l’obscurité. Il souligne même l’ambivalence de cette notion qui, lorsque l’on élude son hétérogénéité, peut désigner une masse indistincte dont il est aisé ensuite de prétendre qu’elle doit être dirigée de manière autoritaire. Il faut donc tenir compte de la diversité d’un peuple et du fait que ceux de ses membres peu cultivés n’en sont pas moins éducables et qu’en eux peut être éveillés ce que Kant nomme « le penchant à la pensée libre ». Si ces germes de liberté ne sont pas cultivés en amont, le risque est grand, après une révolution, de voir ceux que le despotisme a maintenu dans l’ignorance amener au pouvoir des dirigeants tout aussi peu sensibles à la démocratie que les précédents. Et M. Chabot de citer de nombreux exemples empruntés à une actualité plus ou moins récente.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">On pourrait rétorquer à M. Chabot que la tentation de se jeter dans les bras d’un pouvoir fort n’est pas le « privilège » des peuples soumis à la dictature et qu’elle concerne aussi nos démocraties dans lesquelles elle gagne du terrain. A cela, il répond que cette attirance vers l’avènement d’un pouvoir fort tire également son origine d’une certaine ignorance partagée par de nombreux citoyens, celle qui concerne l’économie, dont certes Kant ne parle pas, mais qui selon M. Chabot occupe une place déterminante dans la vie politique contemporaine. Ainsi, de nombreux citoyens, peu éclairés en ce domaine, peuvent se laisser abuser par les promesses intenables de nombreux démagogues.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">M. Chabot souligne d’ailleurs la difficulté que rencontrent pour se maintenir les démocraties naissantes, lorsqu’elles ne parviennent pas à répondre rapidement aux aspirations matérielles d’une population trop longtemps spoliée par ceux qui l’ont dirigée auparavant. Il n’y a pas, selon lui, de vertu miraculeuse de la démocratie et il ne suffit pas de l’instaurer pour que les individus se transforment en citoyens libres et soucieux de l’intérêt général. L’augmentation de l’abstentionnisme, tant dans les démocraties installées de longue date que dans celles à peine sortie du totalitarisme, semble confirmer ce jugement.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Il semble donc, à lire M. Chabot, qu’en ce qui concerne l’avènement de la démocratie, le principe du « tout, tout de suite » ne soit pas toujours porteur d’effets positifs.</span></span></span></p>
<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Pour que la démocratie fonctionne, il est nécessaire qu’elle s’appuie sur les principes de la république, d’où la nécessité de distinguer ces deux termes que l’on a parfois tendance à confondre, la république se définissant comme une démocratie éclairée à l’intérieur de laquelle tous seraient égaux devant la loi. Cela passe principalement par l’éducation à la citoyenneté qui seule est en mesure de vaincre la paresse et la lâcheté dénoncées par Kant chez ceux qui se complaisent dans l’état de tutelle, mais qui se confronte trop souvent soit à l’inertie de despotes plus ou moins éclairés, soit aux valeurs que promeut la société de consommation et qui tendent à transformer la démocratie en dictature de l’opinion. Ce que M. Chabot diagnostique comme un déclin du respect pour les principes républicains le conduit d’ailleurs à quelques considérations plutôt pessimistes au sujet de l’avenir des démocraties.</span></span></span></p>
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<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif">Toute la difficulté tient en ce que les hommes ne sont pas spontanément citoyens et la problématique de ce livre tient dans la tension entre la dénonciation kantienne de l’argument des despotes qui prétendent que leur peuple n’est pas mûr pour la liberté, alors qu’ils le maintiennent dans un état de tutelle, et la tentation révolutionnaire d’instaurer immédiatement la démocratie, au risque que le terme de révolution ne se résume alors à son sens astronomique et n’aboutisse qu’à un retour au point de départ. Ce que décrit et analyse ici M. Chabot, c’est le chemin difficile situé sur la ligne de crête séparant la tentation révolutionnaire et le réformisme sans cesse freiné, quand il n’est pas étouffé, par les tenants du pouvoir en place soucieux de maintenir l’ordre établi.</span></span></span></p>
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<p style="margin:0cm 0cm 0.0001pt; text-align:justify"><span style="font-size:12pt"><span style="line-height:normal"><span style="font-family:"Liberation Serif",serif"> Eric Delassus</span></span></span></p>Catherine Kintzler, Penser la laïcité, Minerve 2014, lu par Anne Beilinurn:md5:88ec1bade155d4ef670f3816f1e652172017-07-17T06:00:00+02:002017-07-17T10:44:12+02:00Florence BenamouPhilosophie politiquelaiciténeutralitérépublique<p align="center"><strong>Catherine Kintzler, <em>Penser la laïcité, </em>Minerve, 2014 (220 p.). Lu par Anne Beilin. </strong></p>
<p style="text-align: justify;"><img alt="index.jpg" class="media" height="274" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/index.jpg" style="float: left; margin-left: 8px; margin-right: 8px;" width="186" />Signataire en 1989 de la <em>Lettre ouverte à Lionel Jospin </em>qui demandait l'interdiction des signes religieux au sein de l'école publique, Catherine Kintzler n'a cessé depuis de prendre la laïcité comme objet philosophique. Elle approfondit ici bien des points développés dans son précédent ouvrage, <em>Qu'est-ce-que la laï</em><em>cité?, </em>publié en 2007. Le positionnement de l'auteur est bien connu : il n'est ni nécessaire ni souhaitable de « toiletter » la laïcité et d'y apposer un adjectif – « ouverte », « apaisée », « raisonnable », «positive ». La laïcité se suffit à elle-même, à condition toutefois d'en penser le concept de manière à ce qu'il livre toutes ses propriétés et ses effets. L'ambition de Catherine Kintzler est de poursuivre ici une saisie philosophique du concept, qui permette d'éclairer les problèmes contemporains dans leurs aspects concrets.</p> <p style="text-align: justify;">C'est donc le concept de laïcité qui intéresse l'auteur dans le premier chapitre. L'approche ne sera pas historique : si la laïcité ne peut se saisir en dehors de toutes conditions historiques, son concept ne s'y réduit pas. C'est pourquoi il est moins question ici de Ferdinand Buisson que de Locke ou Bayle. Au commencement même de la pensée on rencontre Locke, et sa proposition selon laquelle les incroyants ne peuvent prendre part à l'association politique. Car il n'y a ni engagement ni promesse possibles alors. Ainsi, à partir de Locke, l'auteur saisit les rapports du politique et du religieux dans le moment fondateur de l'association politique. Or c'est précisément sur ce point que se rencontre la distinction entre le concept de laïcité et celui de tolérance, terme auquel l'auteur préfère celui de <em>toleration</em>, afin de distinguer la tolérance comme modalité psychologique de la relation entre des individus et la tolérance en tant que concept juridique et politique offrant un modèle d'organisation de la coexistence des libertés. Dans les régimes de <em>toleration</em>, la constitution de l'association politique requiert la forme modélisante du lien religieux. Il y a un moment théologique du politique, qui est celui de la fondation de la communauté. En témoigne la réalité historique américaine où, dans le moment du consensus, l'expression d'un lien dont la modélisation est religieuse va de soi. La laïcité peut alors se définir, par distinction, comme l'évitement de la transcendance dans le moment politique fédérateur. C'est donc l'abandon de toute référence et de toute modélisation religieuses pour penser et construire le lien politique qui caractérise de manière minimaliste la laïcité (et non, comme on l'entend souvent, la séparation de l'église et de l'Etat). La laïcité est cet évitement : l'association politique est alors auto-constituante : le lien politique, pour être pensé et exister, n'a pas besoin d'une référence à une forme préalable de lien religieux. La laïcité est comme un « point zéro ». Or la faiblesse du concept ainsi défini, et sa pauvreté au regard du concept de <em>toleration</em>, deviennent paradoxalement sa force. Une association laïque requiert de trouver un lien entre les êtres individuels – les atomes qui composent le corps social – qui assure une liberté et donc une déliaison maximales. Il s'agit d'une « classe paradoxale » : la force du modèle laïque tient précisément au fait que les individus sont déliés ; ils ne sont liés que parce qu'ils sont déliés. Ils ont suspendu leurs qualités particulières pour se constituer comme sujets politiques. Une République laïque assure d'abord le « vivre séparément » pour assurer le « vivre ensemble ». Un Etat de droit est constitué d'individus et non de groupes. S'il faut reconnaître les singularités et l'expression d'un droit à la différence, en revanche le communautarisme politique est par là incompatible avec la République laïque. Les communautés peuvent coexister en régime laïque – elles le peuvent d'autant plus que le seul but de l'association est la préservation et l'extension des droits et des libertés de chacun – mais non le communautarisme politique. Ainsi l'autorité publique est assujettie à une rigoureuse abstention en matière de religion, et les libertés sont garanties partout ailleurs.</p>
<p style="text-align: justify;">Mais si l'abstention religieuse ne s'impose en régime laïque qu'à l'autorité politique, qu'en est-il de l'école ? C'est l'objet du deuxième chapitre. Comment penser une forme d'inclusion des élèves du primaire et du secondaire dans le domaine de l'autorité politique, inclusion qui seule légitime l'interdiction des signes ostensibles au sein de l'école publique ? Cela est possible, s'il l'on songe que l'école est le lieu même de l'apprentissage d'une liberté des sujets de droit, liberté en construction. C'est dans l'apprentissage de cette liberté naissante que prend racine l'autorité républicaine elle-même. L'école est <em>par</em> la République et non <em>pour</em> la République ou la société. Car elle serait alors placée et pensée sous un régime d'hétéronomie. L'école doit être placée sous un régime d'autonomie. C'est en ce sens que les élèves sont inclus dans l'autorité politique et son exigence de neutralité. C'est aussi la raison pour laquelle les étudiants, dont on peut penser qu'ils ont déjà fait l'apprentissage de cette liberté, ne peuvent être soumis à la même exigence. L'essentiel à l'université reste la liberté des contenus d'enseignements, qui doit être garantie. Il est donc fondamental de circonscrire le champ d'application de la laïcité.</p>
<p style="text-align: justify;">C'est pourquoi dans le troisième chapitre l'auteur s'appuie sur deux faits précis qui sont, au regard de la définition de la laïcité, de fausses questions laïques : l'affaire du gîte d'Épinal et la loi (légitime à ses yeux) interdisant le port du Niqab dans l'espace public sont l'occasion de dénoncer un mésusage du concept de laïcité. En effet, l'extension de l'abstention du religieux à l'espace public dans son ensemble conduit à un extrémisme laïque. Prétendre ainsi neutraliser l'espace commun, c'est réduire la liberté d'expression au cercle de l'intime ; et cela est tout à fait opposé au régime de laïcité. L'interdiction du port du Niqab quant à elle ne doit pas comprise comme une occurrence du concept de laïcité. Porter le Niqab, c'est refuser délibérément d'être identifié par le visage (la référence à Lévinas est ici explicite). C'est se dépersonnaliser, revendiquer l'indifférenciation. Or la personne sans visage est au-dessous ou au dessus de la loi. Ces questions sont l'occasion pour l'auteur de rappeler l'importance des libertés formelles. Car l'abolition des libertés formelles au nom de la liberté réelle, à la manière d'un Burke ou d'un Marx, est en réalité la condition de l'abolition de toute liberté substantielle. Il faut donc défendre la liberté formelle au nom même de la liberté philosophique dont elle est la garantie.</p>
<p style="text-align: justify;">Le quatrième chapitre est consacré à un autre écueil qui procède tout à l'inverse du précédent : ici l'autorité politique devient asservie au principe de libre expression religieuse en lieu et place du principe d'abstention, et ce au nom d'accommodements prétendument nécessaires. Mais pour Catherine Kintzler, la laïcité adjectivée suppose à tort que la laïcité (tout court) est le contraire d'une laïcité ouverte et raisonnable, et qu'elle serait hostile à la pluralité des opinions. Or si le régime de laïcité est tout à fait incompatible avec l'idée de religion civile, il suppose au contraire la liberté d'expression des croyances et de l'incroyance. Le principe de séparation du religieux et du politique implique que les religions constituées ne fassent pas immixtion dans le domaine de la loi, civile ou religieuse. Mais il laisse intact le cœur doctrinal de toutes les religions, et garantit leur protection. L'Etat doit-il pour autant participer au financement des cultes ? L'auteur sur ce point entend maintenir la distinction du cultuel et du culturel. La liberté fondamentale est la liberté de conscience ; la liberté de culte est un droit-liberté et non un droit-créance. Ainsi l'Etat n'a pas le devoir de financer les cultes, comme il a le devoir de financer des clubs de sport ou des écoles. Car la religion ne relève pas de l'intérêt public, exprimé par la volonté générale, à la différence des seconds.</p>
<p style="text-align: justify;">Le chapitre cinq est consacré à la question d'une possible extension du principe de l'abstention par une association ou une entreprise. Le cas de la crèche Baby Loup est ici paradigmatique puisqu'il permet d'interroger la légitimité pour une entreprise d'imposer la même neutralité que l'Etat exige de ses agents à ses employés. Pour l'auteur, si une entreprise estime que son activité requiert la neutralité philosophique ou religieuse, comme moyen et non comme fin, elle peut la revendiquer au titre d'<em>analogon </em>de la laïcité pratiquée par l'Etat. Ce que l’État <em>doit</em> faire, une entreprise le <em>peut</em>. Et puisqu'il existe des entreprises dites « de tendance », qui demandent à leurs employés, et cela est de droit, de partager leurs engagements philosophiques et religieux (c'est le cas par exemple des établissements privés confessionnels), alors il est légitime que des entreprises aient la liberté de fonctionner sur le principe de la neutralité religieuse.</p>
<p style="text-align: justify;">Le dernier chapitre est consacré à la culture en régime laïque, aux humanités et à leur enseignement. Qu'implique, du point de vue de l'instruction, le refus de la transcendance a priori ? De ce point de vue, Catherine Kintzler se montre méfiante à l'égard de l'enseignement des <em>valeurs</em>, trop souvent amenées comme objets de culte et non comme principes rationnels qu'il faut toujours repenser. La laïcité instaure par définition un espace critique commun, condition de possibilité de la liberté de pensée et d'expression. La pratique du doute et la compréhension de l'erreur, caractéristiques d'une conception <em>adogmatique</em> de l'instruction, permettent l'autonomie de la pensée de chacun. De chacun comme individu et non comme groupe : la République n'unit pas des proches, des « potes », des collections identitaires ; elle unit des individus. Autrui est donc moins ici mon prochain que mon concitoyen. A trop vouloir défendre nos frères on exclut de la fraternité ; et la diversité se fait alors exclusive, paradoxalement. L'enseignement moral doit donc s'adresser à chacun, croyant ou incroyant. Et s'il faut combattre les inégalités sociales ou politiques, il faut en revanche accepter les inégalités de compétences et de talents. Car l'apprentissage de la liberté et l'appropriation des savoirs par l'individu est à ce prix. </p>
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<p style="text-align: justify;">L'ambition de l'auteur, exprimée dans le titre de l'ouvrage, permet de définir clairement et distinctement la laïcité, par distinction de la tolérance. Le parti-pris philosophique, qui n'exclut pas quelques références historiques, permet d'enrichir la compréhension d'un débat public devenu incontournable. L'auteur se saisit des arguments des uns et des autres, et les discute au regard des fondements posés dans les deux premiers chapitres. A l'évidence le propos permet de mieux s'orienter et de mieux concevoir les positionnements des uns et autres, qu'il s'agisse de «l'extrémisme laïque » ou de son opposé, qui alimentent l'un et l'autre une confusion sur le principe de laïcité et sa reprise par l'extrême-droite, et une stigmatisation des croyants musulmans. Pour autant, la position de l'auteur sur l'extension du principe de neutralité à des entreprises privées est moins convaincante, puisque le propos avant et après consiste bel et bien en un rappel du champ d'application de la laïcité comme principe, à savoir la sphère du « public » entendu ici comme autorité politique. </p>
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<p style="text-align: justify;"> Anne Beilin.</p>
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<p style="text-align: justify;"> </p>Nicolas Roussellier, La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France XIXe – XXIe siècles, Gallimard, 2015 lu par Bruno Hueberurn:md5:4956a74a1d8395b9a2fef383f8d5ee652016-11-22T19:12:00+01:002016-11-22T19:12:00+01:00Florence BenamouPhilosophie politiqueexécutiflégislatifpouvoirrépublique<p><strong>Nicolas Roussellier, La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France XIXe – XXIe siècles, Gallimard, 2015 lu par Bruno Hueber</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Parmi les nombreux ouvrages qui s'attachent à disserter sur les évolutions institutionnelles des sociétés démocratiques en général et de la nôtre en particulier, celui de Nicolas Roussellier mérite indubitablement de retenir l'attention. Fruit d'un travail patient, d'une érudition maîtrisée, bien loin de l'emballement en matière de publications d'auteurs « reconnus », cet ouvrage est un livre d'histoire au sens le plus précis et le plus respectable du terme : énoncer les faits que l'on aura établis en affrontant avec scrupule des collections d'archives et une vaste documentation parfois dispersée, les éclairer en les articulant en un récit, trouver la formulation adéquate pour nous aider à dépasser l'émiettement des événements, et cela tout en se défiant de l'esprit de parti ou de « système », bref nous délivrer les éléments nécessaires à un jugement éclairé, réfléchi et responsable. Un livre d'histoire, qui par son objet et sa qualité intrinsèque, devrait donc aussi bien intéresser le spécialiste que le citoyen et le philosophe. Le projet ou le fil conducteur de cet ouvrage d'histoire politique est en fait triple.</p>
<p style="text-align: justify;"> <img alt="http://t3.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSWbqlPye-HGuIvINRRcxazWuJ-xKSEW-elNs83OGaoi1zUAFIwzSyzYgU" src="http://t3.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSWbqlPye-HGuIvINRRcxazWuJ-xKSEW-elNs83OGaoi1zUAFIwzSyzYgU" /><br />
Il s’agit tout d'abord de montrer combien la culture républicaine de la France doit être appréhendée comme étant en fait double, mais non pas tant d'une dualité jouant sur l'opposition entre tradition libérale et tradition socialiste que reposant sur deux visions du fonctionnement des institutions. La première se réclame avant tout du parlement : une pensée républicaine première qui se construit donc comme rejet explicite de la tradition monarchique, c'est-à-dire par une défiance profonde à l'endroit de l'exécutif, et cela au nom de la souveraineté nationale qu'incarne ce parlement donc, que représentent les élus, ce collectif qui peut se targuer d'être sans « visage », dépersonnalisé, fier de ses débats libres, fier de la confiance de ses mandants, refusant tout ce qui pourrait s'apparenter à un quelconque césarisme. La seconde est la pensée républicaine de gouvernement et aussi bien de la Présidence : un exécutif qui, décomplexé quant à sa légitimité, prétend pouvoir au nom de l'intérêt général qu'il « connaît », comprend et incarne, agir avec force, réactivité, continuité, et le plus possible indépendamment des atermoiements des législateurs ou bien au-dessus des clabauderies et des tractations « sordides » des partis.<br />
Le second fil conducteur de l'ouvrage est que le basculement de la première façon d'entendre l’idée de République vers la seconde s'est jouée sans aucun doute entre 1870 et 1920, peut-être les années 30 aussi, sous le coup de différentes dynamiques, circonstances, impératifs historiques ou du moins considérés comme tels et sur lesquels nous allons revenir. Et ce qui s'ensuivit ne fit en quelque sorte, avec les deux autres constitutions, qu'entériner, exploiter, perfectionner et porter à son point le plus haut cette période de bascule. L'exécutif peu à peu, inexorablement, aura cessé de n'être qu'un simple exécutant. Au terme de cette évolution, avec la Ve République, et surtout le point d'orgue de 1962, nous voici donc ainsi rendus à une « démocratie exécutive », le moment où l'Etat semble l'emporter définitivement sur la nation « assemblée », où le pouvoir exécutif, « présidentialisé », a constitutionnellement jugulé, neutralisé et réduit le législatif, si ce n'est parfois le judiciaire, au maximum de ce que semble pouvoir admettre une constitution qui prétend se dire républicaine, si ce n'est véritablement démocratique.<br />
Le troisième et dernier fil est que ce basculement n'aurait jamais été, selon l'auteur, en dépit de la conscience ou des infléchissements de la pratique de certains, véritablement intellectuellement, culturellement, anticipé par les républicains attachés à la première idée de la République. C'est que ceux-ci attestent non seulement d'une identité forgée par-delà les querelles ou les sensibilités autour d'un refus, parfois chèrement payé, du modèle de l'Ancien régime ou de l'Empire, mais aussi bien du partage d'un idéal qu'ils veulent prioritaire : celui, avant toute problématique constitutionnelle, d'un progrès social, certes selon eux « raisonnable » ou « de bon sens » mais qui serait à même d'accomplir les promesses d'un principe initial d'égalité hérité des Révolutions.<br />
Pour restituer sommairement et clarifier quelque peu le déroulé proposé par l'auteur de la montée en puissance de l'exécutif au détriment d'une première culture républicaine beaucoup plus « parlementariste », il peut être utile de distinguer dans l'avénement de cette redistribution des cartes institutionnelles, d'une part les nécessités, d 'autre part, les modèles, et enfin les acteurs de cette dramaturgie.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">Et tout d'abord, de quelles « nécessités » en fait, parle-t-on ? Eh bien, ce sont d'abord celles liées à l'exécution même d'une loi, aussi capable d'expertise et autonome qu'ait été en amont le Parlement. Une loi peut être le fruit heureux et éclairé de la Nation assemblée, produit d'une délibération collective portant en elle-même sa recevabilité ; encore faut-il que le pouvoir, fût-il en principe un simple acteur sans volonté, en assure l'exécution et que l'administration en établisse les modalités de son application, avec l'épreuve de réalité et la force que cela suppose.<br />
Ainsi, pour exemple, de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat, qui ne doit que très peu, selon l'auteur, au gouvernement, mais dont le devenir réglementaire va permettre à l'exécutif d'affirmer très concrètement son importance.<br />
Certes, c'est bien ici le Parlement qui non seulement a véritablement l'initiative de la loi, mais qui va réussir, avec le talent de son rapporteur A. Briand (1862-1932), sous le gouvernement de Maurice Rouvier, à la soutenir jusqu'à sa consécration par sa promulgation au journal officiel du 11 décembre. N'en déplaise à un indéniable antiparlementarisme d'hier et d'aujourd'hui, et qui n'est pas toujours exempt d'arrières-pensées, la représentation nationale aura su faire là la preuve aussi bien de son initiative que de son expertise et de façon plus générale de sa pertinence ou de son sérieux, et cela avec l'aide de partis politiques qui ne sont pas encore devenus uniquement, en cette troisième république, des machines à sélectionner et porter des candidats à la Présidence de la République. Il ne restait plus alors, donc, en principe qu'à assurer l'application de cette dite loi.<br />
Or c'est bien là que les choses auraient pu s'envenimer considérablement si l’exécutif, dans les mois qui suivirent, ne s'était pas montré à la hauteur de la crise engendrée par sa promulgation. On le sait, le fameux article 3 sur l'inventaire des biens du clergé, qui « passe » au parlement dans une indifférence presque générale, va se transformer en grenade dégoupillée, dès lors qu'un texte malencontreux du 2 janvier 1906, signé conjointement du ministre des finances et du directeur de l'Enregistrement et des Douanes stipule, « que les agents chargés de l'inventaire demanderont l'ouverture des tabernacles ». Les échauffourées autour des églises vont se répandre avec une rapidité inquiétante : de Sainte-Clotilde à Paris le premier février et qui fait des blessés, jusqu'à un manifestant tué à Boeschepe, le 6 mars, dans le nord. On croirait bien revivre les prodromes d'une sorte de chouannerie.<br />
Cela étant, s'il y a bien eu une bévue de la part du rédacteur d'une circulaire, on peut aussi constater, nous dit N. Roussellier, que le Parlement en la matière n'aura guère su anticiper ou prendre acte tout de même, et de la sensibilité réelle d'une certains partie de l'opinion catholique, et de la sensibilité d'une Eglise qui avait bien du mal à se reconnaître dans les modalités « égalitaires » d’une « association cultuelle ». Bref, le Parlement, n'écoutant que ses convictions, avait oublié la société. Et se contentant de la loi, générale, il ne semblait pas capable de prendre en charge l’intelligence nécessaire à son application, qui signifie en fait ni plus ni moins son acceptation. Quand bien même doit-on prendre acte certes, en aparté, de l'art de souffler sur le feu du pape Pie X qui ne produit pas moins de trois encycliques (18.02.1906, 14.08.1806, 6.01.1907) contre cette audace du Parlement de la « fille aînée de l'Église ».<br />
Dans les faits donc, si le Parlement a bien porté et « réussi » sa loi, c'est le gouvernement et son administration, par leurs directives, par une « politique des circulaires », confidentielles ou non (on appréciera ici par exemple le rappel de celle adressée aux préfets par Clemenceau en date du 18 mars 1906) qui vont savoir lui donner réalité, obviant ainsi à la coupure des législateurs d'avec le « pays réel », sachant aussi bien donc négocier, adapter et accommoder la loi pour qu'elle s'inscrive dans le corps de la société<br />
Par-delà les problèmes structurels liés à l'application d'une loi, à son insertion efficace dans le corps de la société il y a bien sûr aussi les nécessités liées à l'insécurité et aux crises internationales. Or celles-ci ne sont pas sans, la plupart du temps, renforcer grandement les gouvernements, « démocratiques » ou non, avec les dangers divers pour les libertés que l'on devine aisément.<br />
Retenons simplement ici combien pour Roussellier, le début des événements de 1914, montre comment, à ne pas vouloir ou savoir penser véritablement la place de l'armée au sein des institutions, se contentant tout au plus, si l'on peut dire, d'une idée de la nation armée chère à Jaurès, la France s'est trouvée confrontée à un exécutif presque impuissant à l'endroit d'un grand quartier général qui prend en charge la mobilisation nationale, et sous la houlette de Joffre semble reconduire le repliement de l'institution militaire sur ses certitudes et ses intérêts dont on avait pu apprécier les conséquences possibles lors de l'affaire Dreyfus. Et il faudra toute la faillite de la doctrine arrogante et si grande massacreuse de «l'offensivisme » de Joffre, doctrine maintenue aussi bien pour des raisons précisément politiques que stratégiques et éthiques, pour que l'exécutif réassure sa main-mise sur la conduite de la guerre. In fine, c'est bien Clemenceau, le Président du Conseil, qui sera appelé la « père la Victoire » et non pas le général en chef. Et si le général de Gaulle, par la suite, imposera une culture organisationnelle à la militaire dans l'exécutif, c'est en comprenant aussi dès le temps de la France Libre combien la guerre moderne, par ses nécessités, ne peut être désormais qu'une affaire dirigée véritablement par le politique, et non plus abandonnée aux seuls ou « purs » militaires. Si la guerre, en général, peut redorer le blason d'une armée, pour ce qui concerne les deux guerres mondiales elle a surtout servi à raffermir l'exécutif, tant à l'endroit de l'armée elle-même qu'à l'endroit d'un parlement impuissant ou inexistant devant les urgences du moment<br />
Ce sont enfin les crises économiques, financières ou monétaires ainsi que les crises et réformes sociales qui ont aussi de leur côté produit de la « nécessité » gouvernementale. Si ces dernières donnent crédit à un exécutif qui se fait soit concepteur, soit acteur, soit garant d'un progrès social, on peut s'interroger néanmoins, à la lecture de l'ouvrage, sur la nature des problèmes économiques, qui soudain dans les déclarations et prétentions de l’exécutif, hier et aujourd'hui, semblent acquérir parfois quasiment le même statut d'urgence et d’intérêts vitaux que les problèmes de sécurité relevant du militaire. Alors même, qui plus est, que l'on ne sait jamais lorsqu'il s'agit d'économie, si le problème ou l'urgence que va évoquer l'Etat est lié à la nécessité de pallier les limites d'un marché de fait incapable de s'auto-réguler ou au contraire à celle « d'organiser » paradoxalement un « surcroît » de dérégulation au nom de la croissance ou d'une compétitivité apparentée, en son âpreté et ses enjeux, à une situation que d'aucuns qualifieront de « guerre » commerciale.<br />
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Qu'en est-il ensuite des modèles qui ont servi d'ordonnateurs des réponses à ces diverses « nécessités », auxquels on a cru devoir se conformer et par lesquels ajouterions-nous le politique s'est peut-être laissé intellectuellement et pratiquement phagocyté.<br />
Nul doute ainsi, pour l'auteur, que la haute fonction publique qui trouve son accomplissement avec la mise en place à la sortie de la Seconde Guerre mondiale de l'E.N.A, sous la houlette de M. Debré, soit en continuité par bien des traits avec la longue tradition française du droit administratif, quelles qu'en soient d'ailleurs les différentes « philosophies », celle d'un Maurice Hauriou (1856-1929) comme celle d'un Léon Duguit (1859-1928). Qu'il s'agisse de ces juristes ou des hauts fonctionnaires, la tendance serait donc bien la même : construire un espace de décision et d'action légalisé, mais le plus indépendant possible du contrôle du Parlement et du droit ordinaire. Et c'est bien ainsi que tous ces fonctionnaires qui vont investir les ministères, parfaitement assurés de leurs compétences et de leur désintéressement, sauront voir dans la pratique des décrets-lois, des lois-cadres, des ordonnances que mettent en œuvre les politiques autorisés par les différentes constitutions, autant de procédures, de stratégies de normes à tout le moins aussi légitimes, sinon bien davantage, que la loi républicaine issue du Parlement.<br />
Nul doute aussi que le modèle industriel et « managérial » ait joué et joue encore aujourd'hui un grand rôle. L'œuvre de F. W. Taylor (1856-1915), relayé en France par des plumes célèbres (on pense bien sûr à celle d'Henri Fayol) a su trouver chez nombre d'acteurs un exemple qu'il était urgent d’introduire dans la pratique ordinaire de l'exécutif. On ne peut ici au demeurant se défendre du sentiment qu'un ouvrage plus circonscrit à notre passé récent aurait sans doute insisté sur les prodromes de la montée en puissance, au travers par exemple d'une fameuse R.G.P.P ou de ses successeures, du développement d'une culture de l'évaluation se posant comme l'acmé de la rationalisation efficiente et dont on est loin d'avoir précisément évalué le sens et les conséquences exacts.<br />
Pour l'heure, ne vit-on pas par exemple, selon notre auteur, un Léon Blum (1872-1950), en pleine période de Front populaire, semblant s'occuper avant tout de cette réorganisation de l’exécutif, soucieux d'un organigramme, d'un « planning room » œuvrant à la mise en place d'un « modèle Matignon », installant un « secrétaire général » qui pouvait en imposer aux ministres eux-mêmes, contribuant heureusement ainsi par exemple à la réduction des querelles ou indifférence entre le Quai d'Orsay et la Rue Saint-Dominique. Et comment un homme capable, devant la possibilité d'une véritable guerre civile, de faire voter en deux jours par la Chambre, le 11 et 12 juin 1936, les contrats collectifs, les congés payés, la semaine de quarante heures, n'aurait-il pas été soucieux d'imposer le rythme des nécessités politiques, de défendre les prérogatives de l'exécutif à une Assemblée avide de « discussions trop souvent stériles » qui incarne moins à ses yeux le peuple que le parti qui est à l'origine de son gouvernement. ?<br />
Enfin, on s'en doute, le « militaire », pour d'aucuns, s'est révélé comme le modèle que devrait reproduire en son fonctionnement un Etat conforté aux urgences d'une action, ou simplement à un fonctionnement efficace, et qui ne pouvait plus prétendre dépendre des discussions ou bavardages interminables des partis occupant les bancs de l'Assemblée. La première guerre mondiale, le gouvernement de Vichy, l'action du gouvernement de la France libre, les différents gouvernements face à la guerre se sont ainsi continûment reconnus dans le projet d'une organisation efficace, unifié, stable, capable avant tout d'agir, avec la conclusion logique de ce type de modèle, à savoir la nécessité d'un chef, et non pas seulement d'un arbitre, bien loin de l'image d'un exécutif sans volonté propre, ce simple « commis » dont parlait Robespierre lui-même en son temps ou cet « intendant de la démocratie » selon Gambetta.<br />
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Si nécessités, et modèles pour y répondre il y a, l'histoire ne serait rien sans les acteurs qui décident ou non de prendre acte de celles-là, d'adopter et d'intégrer ceux-ci et qui possèdent les marges de manœuvre pour ce faire.<br />
Le premier personnage de la dramaturgie de cette « démocratie exécutive » de la république, fut sans doute, on peut le dire ainsi, le Parlement lui-même, en révélant son art assez discutable d'organiser son propre discrédit. Un parlement, qui selon l'auteur n'aura pas su saisir le vent de la rationalisation managériale entre les années 30 et 60, laissant s'échapper de ses mains les capacités d'expertise dont il avait su témoigner en ses débuts. Désormais ce sont bien les les « organes experts » de la haute administration, réactifs et créatifs, comme l'entendait bien ainsi d’ailleurs le Général de Gaulle, qui prendront en charge les grands desseins nationaux et l'organisation de la société.<br />
Et N. Roussellier de proposer ainsi le récit étonnant de la façon dont ce parlement sut voter sans grande résistance les lois-cadres ou les pleins pouvoirs, accepter un calendrier des sessions qui réduisait son contrôle à la portion congrue, n'être là parfois que pour dire que le parti offrait sa majorité comme soutien à un gouvernement qui apprenait à faire plus ou moins sans, nous laissant quelque peu gagnés par la conviction que les gardiens de la souveraineté nationale, pour des raisons diverses, parfois bassement électoralistes ou en dépit de circonstances atténuantes, auront fâcheusement manqué à leur mission. Avec Doumergue, Laval, Blum, Chautemps ou les décrets-lois à jet quasi continu de la « dictature Daladier », de 1938 à la guerre, l'Etat tire profit des crises économiques que le pays subit, de la nécessité de rétablir la confiance, de lutter contre la spéculation, de planifier, sous le regard ambigu des experts, pour asseoir son emprise. Toute la volonté du projet de M. Debré qui est en charge de préparer le texte de la Constitution de la Cinquième République, sera de transformer dans la IVe République ce qui était encore exceptionnel ou dérogatoire en un fonctionnement ordinaire et légitime, en déconnectant définitivement pour ce faire la temporalité de l'exécutif de celle du parlement, permettant par exemple la promulgation d'ordonnances, aussi « générales » qu'elle soient, dans les intervalles des sessions parlementaires.</p>
<p style="text-align: justify;"> Les acteurs véritables, il faut donc les chercher, bien évidemment du côté de l'exécutif. Ce fut bien sûr de la IIIe à la Ve République, le comportement des différents Présidents du Conseil ou et Présidents de la République. Car ce sont d'abord, bien sûr, les premiers, et non des moindres, qui voient la nécessité de rationaliser et de développer l’exécutif. Mais ce sont en revanche les seconds qui, passant d'une simple « politique cérémonielle » lancée par Sadi-Carnot, avec les voyages dans les provinces si populaires que l'on connaît, commencent de leur côté à sortir de leur rôle d'arbitre ou d’autorité impuissante pour s'exprimer sur la politique. Ce sont bien eux, qui en s'informant, « recevant », et en voyant d'ailleurs le personnel et le budget qui leur sont dévolus s'étoffer ou grossir de plus en plus, devenir peu à peu une oreille incontournable dans certains domaines, avant de jouer parfois un rôle certain. On pense ici à R. Poincaré (1860-1934), Président de la République de 1913 à 1920, et à son action aussi réelle que feutrée dans le remplacement de Joffre par Nivelle à la tête du grand Etat Major durant la guerre de 14-18. D'une fonction purement honorifique, d'un arbitre qui « s'arrête sur le seuil de la décision » à une oreille incontournable, jusqu'à un Président qui est le véritable chef du gouvernement et qui prétend incarner l'Etat, l'intérêt général, la patrie elle-même, bien mieux que le parlement rongé par les luttes stériles des partis, fier de la légitimité démocratique que lui donne en 1962 son élection au suffrage universel, la « démocratie exécutive » s'accomplit par le triomphe du Présidentialisme, c'est-à-dire d'une personnalité, d'un visage qui conduit la nation, à rebours de toute une culture républicaine d'antan.<br />
Enfin, on aurait tort de négliger le rôle de cette chose étrange que l'on appelle aujourd'hui la société civile. Cela étant, si celle-ci, et Pierre Mendès France (1907-1982) le reconnaissait en son temps, est une nouvelle actrice du jeu politique qui permet peut-être avant tout de saper la légitimité du Parlement ou d'émousser sa crédibilité, si elle est sollicitée, si elle est présentée comme le vivier des « forces vives » de la nation (syndicats, associations), si elle s'inscrit dans une dynamique de paritarisme, cette société civile n'a certes pas un droit de regard réel sur la politique au sens fort du terme ou sur ce qui devient concrètement alors le plan. Quoi qu'il en soit de son acte de naissance et des attendus de son baptême, avec celle-ci, nous tenons là cependant un concept, sinon une réalité, qui est au cœur des problématiques politiques actuelles, se nourrissant des échecs ou insuffisances démocratiques aussi bien du parlement d'une part, de ce que l'on se plait à appeler la gouvernance d'autre part, que de la légitimité démocratique de l'exécutif enfin que l'élection du Président de la République au suffrage universel avait cru cependant assurer.</p>
<p style="text-align: justify;"> Voici donc un ouvrage précieux qui fait honneur tant à son auteur qu'à une certaine idée de la culture universitaire et qui augure très bien du prochain auquel il est fait allusion en conclusion. Et si le style n'est pas celui d'un Jacques Bainville, du moins évite-t-il les ridicules d'aucuns qui non contents de leurs titres ou de leur érudition, voire arguant de ceux-ci, voudraient pouvoir se considérer comme de véritables écrivains.<br />
Certes on pourra regretter dans cet ouvrage, qui ne pouvait certes dépasser un format raisonnable, quelques oublis ou évitements qui pourraient exprimer une sous-évaluation discutable de certains éléments du problème. Si l'armée est évoquée avec précision, on y parle très peu du rôle et du statut de la police, des problèmes ou des tentations qu'elle représente pour tout exécutif inquiet de son exercice, de sa puissance quotidienne d'action, ainsi que des liens complexes et délicats par lesquels le législatif et le judiciaire peuvent observer ou contrôler son action. Or c'est là sans doute désormais un problème tout aussi important dans une société démocratique confrontés aux défis que l'on connaît que celui de l'existence, de l'insertion, des missions et du contrôle politique d'une armée. Mais il est vrai que ce corps, en la matière, n'a toujours pas trouvé son Lyautey, son Jaurès ou son De Gaulle. On regrettera aussi l'absence de l'examen d'une institution comme celle de l'Education Nationale, qui au moins par l'entremise de ses programmes, propose tout de même toujours une certaine idée du civisme, des institutions et de leurs rapports, et qui a pu jouer donc un rôle certain dans l'accompagnement de cette culture de la légitimation d'un exécutif fort et indépendant, capable de « porter » l'idée et les images de la grandeur nationale. On regrettera enfin que parmi les facilitateurs de ce basculement, ne soient pas plus évoqués en fait de véritables déficits démocratiques, qui générant frustrations, déceptions ou résignations, favorisent les attentes à l'endroit d'un pouvoir qui prétend réagir et coller à l'actualité, aux « problèmes des français », et qui peuvent causer de bien mauvaises surprises électorales, y compris dans les démocraties qui sembleraient les mieux installées. Là encore Jaurès, en son temps, face au boulangisme, avait bien vu les dangers que doit représenter pour le devenir d'une république une trop grande négligence à l'endroit d'un programme d'accomplissement social de l'idée d'égalité.<br />
Qu'une partie des républicains ait parfois été tentée, devant un monde ouvrier qui s'organise, de confondre revendications sociales et menées séditieuses ou « collectivistes », de miser sur la poigne d'un Clémenceau si fier de se faire appeler le « premier flic de France », c'est là un aspect de l'histoire de la pensée républicaine qui est loin d'être forclos.</p>
<p style="text-align: justify;"> Faut-il donc, pour le citoyen d'aujourd'hui, diaboliser cet exécutif et ses prérogatives dont se firent les desservants ou les instigateurs en leur temps aussi bien des hommes de droite que de gauche, un Léon Blum qu'un Michel Debré : un pouvoir, quelle qu'en soit sa provenance, hanté par une hybris « naturelle », et qui le pousserait nécessairement à se désintéresser de sa légitimité démocratique dès lors que la légalité institutionnelle joue en sa faveur ? On le devine, ce n'est aucunement l'enseignement de cet ouvrage tant celui-ci se garde bien d'afficher la nostalgie d’une République du Parlement idéalisée, de se précipiter vers la sacralisation moderne de la société civile et encore moins d'évoquer la logique historique d'un Bertrand de Jouvenel ou d'afficher une défiance libérale irréductible à l'endroit de l'Etat .<br />
<br />
Il n'en reste pas moins, alors même que l'ouvrage ne se veut aucunement programmatique comme peut l'être explicitement celui de P. Rosanvallon (Le bon gouvernement) traitant, quoique dans une perspective élargie, à peu près le même problème et sorti au éditions du Seuil la même année, que la leçon de philosophie politique qui s'en dégage est assez claire. Pour nos démocraties, le danger ne vient pas toujours de leurs détracteurs déclarés, mais bien plutôt de leur fonctionnement institutionnel établi par un socle constitutionnel relativement précis, des nécessités du moment plus ou moins hypostasiées ou instrumentalisées, parfois de certaines personnalités infléchissant de plus ou moins bonne foi ces institutions censées œuvrer pour l'intérêt général, parfois aussi d'un étiage civique trop bas du peuple et des élites ou d'un Parlement trop indifférent aux limites de sa représentativité, de ses missions ou de sa fonction.<br />
La question est alors de savoir, si face à ces éléments souvent par trop déceptifs, il suffirait d'espérer ou d'appeler de nos vœux d'autres acteurs, un autre personnel politique, un renouveau de l'esprit citoyen, ou s'il est nécessaire et urgent de penser à de nouvelles institutions, pour autant qu'on veuille éviter que le désenchantement régnant finisse par saper durablement le crédit des idées de république ou démocratie ou à tout le moins le désir et la force de défendre un vivre-ensemble qui prétend pouvoir s'en réclamer.</p>
<p style="text-align: justify;"> Bruno Hueber<br />
</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>Le spiritualisme du XIXe en France : une philosophie pour l’éducation ? Laurence Loeffel (Vrin. Coll. Philosophie de l’éducation. 184 pages) Lu par Damien Auvrayurn:md5:41d583ed0512256f870ad0d8bc971d942016-01-11T06:00:00+01:002016-01-11T06:00:00+01:00Florence BenamouHistoire de la philosophielibertérépubliquespiritualismeéducation<p>
<strong><span style="Lucida Grande";
mso-fareast-mso-ansi-language:EN-US;mso-fareast-language:
FR;mso-bidi-language:AR-SA" lang="EN-US">Le spiritualisme du XIXe en France : une
philosophie pour l’éducation ? Laurence Loeffel (Vrin. Coll. Philosophie de
l’éducation. 184 pages) Lu par Damien Auvray</span></strong>
</p>
<p class="MsoNormal"><span style="Lucida Grande";
mso-fareast-mso-ansi-language:EN-US;mso-fareast-language:
FR;mso-bidi-language:AR-SA" lang="EN-US"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier_16/.2711625664_t.jpg" alt="" title="2711625664.jpg, janv. 2016" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Qu’on ne s’y méprenne pas : le spiritualisme
dont il est ici question n’est pas cette philosophie qu’on trouve chez un
Bergson ou un Lavelle et qui met en avant l’irréductibilité de la vie
spirituelle (psychologique, morale ou métaphysique) à ses conditions
matérielles, mais un courant moins connu, essentiellement politique, moral et
pédagogique, qui fait de l’émancipation de l’homme intérieur -spirituel donc -
la condition de toute réforme politique. Courant méconnu, et qui est pourtant
très largement à la source de ce que nous connaissons : le système
scolaire laïc tel qu’il s’établit au XIXe siècle ; en effet, contrairement à ce
que nous pouvons croire, celui-ci ne fut pas bâti par des penseurs athées,
matérialistes, antireligieux, mais par ce courant théiste, spiritualiste,
religieux, il est vrai dans un sens très particulier, puisqu’il est aussi un
courant libre-penseur, laïc, anticlérical ! </span>
</p>
<p class="MsoNormal"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US">
<span style="font-family:"Lucida Grande";
mso-fareast-mso-ansi-language:EN-US;mso-fareast-language:
FR;mso-bidi-language:AR-SA" lang="EN-US">C’est cette philosophie paradoxale que l’ouvrage de
Laurence Loeffel nous fait découvrir, dans une synthèse qui nous en expose les
constantes et les différences depuis son origine chez Victor Cousin, qui fonde
les bases de l’enseignement à partir de 1830, jusqu’à son aboutissement chez
Ferdinand Buisson, qui devait tout à la fois inspirer les réformes scolaires
comme directeur de l’enseignement primaire sous Jules Ferry, conseiller Combes
pour la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, et être
cofondateur de la Ligue des droits de l’Homme !</span>
<br /></span></p>
<span style="Lucida Grande";
mso-fareast-mso-ansi-language:EN-US;mso-fareast-language:
FR;mso-bidi-language:AR-SA" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span></span> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US">Le premier
chapitre de l’ouvrage nous montre que le spiritualisme répond à une exigence à
la fois historique et intellectuelle : il s’agit de reprendre et de
défendre l’idéal de la Révolution française, l’affirmation de la liberté,
individuelle et collective, mis à mal par la Restauration et,
intellectuellement, par les grands penseurs traditionalistes de l’autorité
comme de Bonald ou de Maistre. Cette défense de la liberté implique un travail
de fondation, que Victor Cousin va assurer en faisant de la liberté de
l’individu la pierre angulaire du monde moderne, mais de l’individu pensé comme
être intérieur, spirituel, qu’il faut émanciper, comme préalable à toute action
extérieure, politique, institutionnelle. Le spiritualisme, aussi socialiste
qu’il devienne chez un Buisson, se marquera toujours par cette idée : si
l’on veut changer l’homme, c’est d’abord la liberté individuelle qu’il faut
accomplir. Par cette affirmation de la liberté spirituelle de l’individu, le
spiritualisme veut aussi souligner la place des idéalités que l’homme découvre
en son esprit, l’amour du vrai, du bien et du beau, par opposition à une
philosophie de l’utilité, qui réduirait la liberté à la promotion et au calcul
de l’intérêt. Le spiritualisme est, comme son nom l’indique, une philosophie de
l’Esprit et de l’intériorité.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span>Mais cette idée d’intériorité n’est
en rien abstraite. Elle reçoit une forme morale, inspirée du kantisme, comme
morale de l’autonomie d’une part et de la responsabilité vis-à-vis d’autrui
d’autre part, morale des droits et des devoirs. Pour réellement devenir
concrète, la morale va passer par la pédagogie et le développement de l’école.
C’est par l’école que doivent se réaliser les idéaux de la Révolution : la
liberté passe par le savoir, la raison, la morale. Naît ainsi un pédagogisme
laïc qui va structurer l’action publique, par opposition à l’œuvre des écoles
chrétiennes. Victor Cousin crée ainsi sous la Monarchie de juillet l’École
primaire, les Écoles normales, et met en place le système universitaire qui
doit en être le couronnement (et l’Agrégation, en premier lieu, celle de
philosophie !).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span>Cependant le réformisme de Cousin
reste limité : politiquement d’abord, puisque comme Hegel avec qui il est
en lien, il défend la monarchie constitutionnelle. Pédagogiquement, puisque
l’école est conçue comme un système de filtrage, où il s’agit de faire sortir
de la masse ceux qui peuvent pleinement s’émanciper et qui accéderont à l’Université.
De ce fait, Cousin, tout en étant rationaliste, redonne toute leur place aux
religions instituées, et en particulier au catholicisme : la religion
contiendrait sous forme imagée tout ce qui est nécessaire à la vie morale,
tandis que les élites pourraient accéder à une moralité réfléchie et
rationnelle.<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier_16/2711625664.jpg" alt="" title="2711625664.jpg, janv. 2016" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span>Au contraire, le spiritualisme qui
suit la pensée de Cousin, le spiritualisme évolué, va être beaucoup plus
radical. C’est un spiritualisme républicain, anticlérical et à vocation plus
populaire, plus universaliste. Il s’agit donc d’œuvrer dans le sens d’un
élargissement de l’école. Or paradoxalement, tout en étant anticlérical, ce
spiritualisme va être plus religieux que celui de Cousin ! De là, le deuxième
chapitre, sur le lien entre morale et religion. La question qui se pose est
récurrente au XIXe : comment donner sa force et sa stabilité à la liberté
lorsqu’on a renoncé à une autorité extérieure, hétéronome ? Question que Cousin
a résolue par la limitation de la liberté et finalement le conservatisme. Pour
le spiritualisme évolué, c’est la religion qui donne à la morale un fondement
absolu, mais une religion purifiée de tout dogme et de tout autoritarisme. La
religion donne en effet à la morale sa dimension pratique, plus qu’une
philosophie spéculative ne peut le faire, et lui donne son assise puisqu’elle
implique l’idée d’un sujet capable de dépasser son intérêt et d’obéir à un
idéal. Ainsi, pour Paul Janet, il y a une dimension religieuse de l’homme parce
qu’en son essence, la religion est cette part du cœur humain qui nous fait
communiquer avec l’absolu. Mais, paradoxalement, ce lien se découvre dans
l’autonomie, puisque c’est en lui-même que l’homme découvre des valeurs qui
fondent son humanité et constituent ce monde de l’idéal dont il n’est pas le
maître, fond religieux inscrit en tout homme. Il s’agit cependant d’une
religion renouvelée, rendue à sa dimension authentique, tel qu’elle se donne
par exemple dans le message évangélique initial, en deçà de toutes les
religions instituées qui se sont détournées de cette source. Religion comme
fond commun de toutes les religions, de l’athéisme même, affirmation de la
nature absolue et idéale de l’esprit. On ne s’étonnera pas que cet appel à une
religion purifiée se rencontre chez des penseurs marqués par le protestantisme
(Pécaut, Steeg, Barni, le premier traducteur de Kant, Edgard Quinet, Jules
Simon, Buisson…), mais d’un protestantisme libéral débarrassé de tout dogme,
même celui de la divinité du Christ. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span>Le troisième chapitre aborde
l’éducation morale, en tant que celle-ci est nécessaire pour une véritable
liberté intérieure. Il montre que le courant spiritualisme<span style="mso-spacerun:yes"> </span>a cherché à élaborer un fondement
philosophique à l’éducation, en appuyant la formation des futurs enseignants
sur l’étude d’une psychologie philosophique appliquée à l’éducation, qui
analyse la nature de l’âme et son irréductibilité à la matière. Mais cette
éducation morale passe aussi par la détermination d’un contenu concret de cette
morale afin d’échapper au formalisme, contenu qui doit être enseigné aux élèves
des Écoles normales pour qu’eux-mêmes puissent le transmettre plus tard aux
élèves du primaire. Vont ainsi apparaître un certain nombre de manuels qui
définissent les droits et les devoirs, devoirs envers soi-même, envers autrui mais
aussi devoirs religieux au sens où la religion est entendue comme le fondement
et l’horizon des exigences morales. Cette réflexion sur l’éducation morale est
ainsi un effort pour donner un contenu empirique à une morale de l’autonomie
d’inspiration kantienne.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span><span style="mso-spacerun:yes"> </span>Le dernier chapitre montre que loin du
conservatisme du premier spiritualisme de Cousin, le spiritualisme rénové
s’inscrit dans un projet républicain : c’est par l’éducation et en
particulier par l’éducation morale que l’école pourra former les citoyens. Le
projet pédagogique doit permettre de résoudre le problème posé par la
Révolution entre l’affirmation de la liberté et son bon usage : en formant
l’enfant, en émancipant l’humanité en chaque homme par le savoir et la morale,
l’éducation donne la condition d’une démocratie authentique et apaisée.
L’éducation est ainsi animée d’une vision prophétique puisqu’elle est la voie
pour accomplir « l’homme nouveau » suivant l’expression que F.
Buisson reprend de St Paul.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> </span>On pourra trouver quelque peu désuète
la problématique du spiritualisme et ne voir dans l’ouvrage de Laurence Loeffel
qu’un intérêt historique en ce qu’il permet de connaître ce qui fut le
soubassement philosophique de la révolution éducative du XIXe siècle. Mais on
peut y voir plus que cela. Le spiritualisme, quoi que l’on pense de son contenu
idéologique, pose d’excellentes questions. En particulier, il rappelle la
question du lien entre liberté et éducation : la liberté ne peut se
contenter de la simple reconnaissance du droit des enfants, mais elle passe par
une formation qui lie le savoir à la découverte des exigences morales.<span style="mso-spacerun:yes"> </span>Il montre ainsi que l’éducation ne peut se
contenter de simples pratiques pédagogiques mais qu’elle ne peut se passer d’une
philosophie de l’éducation : quel individu cherchons-nous à former ? Il
permet enfin de s’interroger sur la place de la religion dans l’éducation et
sur la manière de l’enseigner, question renouvelée aujourd’hui par la nécessité
d’un enseignement du fait religieux. L’intérêt du livre de Laurence Loeffel
n’est donc pas seulement historique, mais bien philosophique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;line-height:18.0pt"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-tab-count:1"> Damien Auvray </span></span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="Lucida Grande"" lang="EN-US"><span style="mso-spacerun:yes"> </span></span></p>Sylvain Bosselet, On ne parle pas de politique à table, Ed. Bréal, 2011 (lu par Jean-Jacques Sarfati)urn:md5:d6060a4ada1a06bff6279701eb1cf39a2013-01-17T05:37:00+01:002013-01-17T08:49:04+01:00Cyril MoranaPhilosophie politiqueculturepolitiquepsychanalyserépublique<p style="margin-bottom: 0cm; " align="JUSTIFY"><span lang=""><strong><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier/.politique1_t.jpg" alt="" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0; " title="politique1.png, janv. 2013" />Sylvain Bosselet, <em>On ne parle pas de politique à table</em>, Éd. Bréal, 2011, 126p. </strong></span></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; " align="JUSTIFY"><span lang="">Dans ce texte, Sylvain Bosselet, se propose d’interroger la chose politique en nous offrant une relecture de la pensée philosophique et psychologique, de Platon à Freud, souhaitant ainsi recréer le lien (souvent rompu) entre philosophie, psychanalyse et politique.</span></p> <p style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="mso-ansi-language:#007F" lang="">Son projet est notamment d’interroger la raison
d‘être des deux blocs (droite et gauche) qui structurent la vie politique
européenne depuis de nombreuses années, mais aussi de comprendre – en
psychologue qu’il est en plus d’être philosophe – <em><span style="font-family:Times">« les mécanismes inconscients qui correspondent
à ces deux positions politiques » </span></em>(p. 16).</span></p>
<p style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="mso-ansi-language:#007F" lang="">Après avoir - à juste titre - rappelé que les
fondements théoriques des idées contemporaines du politique trouvaient leurs
sources en Platon et Aristote, S. Bosselet rappelle fort justement que ces
questions de droite et de gauche n’existaient pas chez les Anciens. Ce clivage
trouve son origine avec l’avènement de la Modernité. Pour notre auteur, en
effet, entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, autour des Révolutions
anglaises, la droite trouve-t-elle ses fondements, avec un siècle d’avance sur
la gauche dont les conceptions se développeront à l’approche de la Révolution
française. (p. 47) </span></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><span lang="">Dans un
chapitre IV, qu’il intitule «</span><span lang=""><em> le
Grand fossé </em></span><span lang="">» - auquel, en lecteur
avisé des aventures d’Astérix, il entend sans doute nous ramener
- il estime en effet que la différence qui, en Occident, séparerait
droite et gauche, se situerait dans une interprétation différente
de l’état de nature. En effet pour lui, la gauche interpréterait
celui-ci comme un bonheur originel fait de liberté absolue et
d’égalité alors que la droite le percevrait comme :</span></p>
<p style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">
Malheur initial, guerre permanente et aliénante,
égalité ressentie comme injuste et impossibilité de jouir des
biens. (p. 53)</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">En conséquence,
la gauche verrait ainsi, selon lui, la propriété et les richesses
comme mauvaises alors que la droite les apprécierait. En revanche,
la première citée trouverait naturelle la fraternité et la
solidarité là où la droite, plus méfiante envers ses semblables,
chercherait plutôt à encadrer le lien social dans une hiérarchie.
La vision de la justice de ces deux pôles différeraient également,
la gauche voyant celle-ci comme préventive et la droite considérant
que la justice devrait s’évaluer à l’aune du mérite et du
travail, le tout dans le respect du contrat social (p. 55). Etre
responsable n’aurait donc pas le même sens pour ces deux blocs de
pensée et de culture.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">L’auteur
poursuit son travail de recherche sur le clivage droite/gauche en
l’analysant ensuite sous le regard de la psychanalyse freudienne.
La gauche serait ainsi du côté de la mère, dans un amour du moi
par le Surmoi alors que la droite se situerait plus en proximité
avec celui-ci qui, toujours méfiant, récompenserait néanmoins
celui qui apporterait le plus de substances à la communauté (p.
77).</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Poursuivant cette
idée, il rappelle ainsi que la droite se méfierait des hommes alors
que la gauche craindrait surtout les productions de ces derniers,
voulant toujours rendre propre le petit enfant. Pour lui, en effet :<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier/.on-ne-parle-pas-de-politique-a-table_s.jpg" alt="" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em; " title="on-ne-parle-pas-de-politique-a-table.jpg, janv. 2013" />
</p>
<p style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">
La droite craint la pulsion de mort, la gauche le
caractère anal. (p. 84).</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Une fois le
politique scruté par la philosophie et la psychanalyse - dans une
conjonction trop rare de nos jours pour ne pas être saluée - et une
fois ces analyses opérées, Sylvain Bosselet tente ensuite une
approche critique du clivage politique contemporain afin de le
dépasser.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Pour lui, la
gauche se tromperait ainsi en ne retenant que le côté amoureux de
la nature humaine, mais la droite également en ne voyant en elle que
son côté agressif (p. 94). L’homme serait double, selon lui,
tantôt l’un et tantôt l’autre. En conséquence, pour sortir
d’un homme soit loup soit Dieu, il conviendrait de le voir tel
qu’il serait et ainsi de penser une politique qui tiendrait compte
de cette dualité.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Pour y parvenir,
un jugement avisé, une connaissance de l’humain serait chose
désormais indispensable pour le politique. De ce fait, seule la
science pourrait permettre de résoudre les difficultés et
autoriser un juste gouvernement des hommes. Souhaitant donc
approfondir les liens entre savoir et pouvoir, il appelle ainsi de
ses vœux, la constitution d’une équipe gouvernementale de chercheurs issus de
nombreuses disciplines…car personne ne saurait prétendre posséder
seul les fabuleuses connaissances actuelles. La science atteint un
tel niveau de développement que même un spécialiste ne peut plus
connaître à lui tout seul l’ensemble des avancées de sa
discipline (p. 117).
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Critiquant la
professionnalisation du politique et l’emprise de la bureaucratie
technocratique sur celle-ci, il s’affirme ainsi, en conclusion,
défenseur affirmé de la théorie du<span lang=""> chercheur
roi en lieu et place d’un bureaucrate roi (p. 126),</span> afin de mettre
en adéquation théorie et pratique, connaissance et action.<span lang=""> Le texte se
termine donc par une heureuse re-visitation du Mythe de la </span><span lang=""><em>République
</em></span><span lang="">de Platon. Le philosophe-roi de Socrate -
épris de vérité, ayant surmonté les épreuves en restant droit –
est ainsi remplacé par un chercheur travaillant en équipe et
soucieux de transversalité.</span>
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Le texte de
Sylvain Bosselet mérite donc que l’on s’y arrête. Il rappelle
les liens trop oubliés qui unissent politique, droit, philosophie et
psychanalyse et il met ainsi fort justement en évidence le fait
qu’il existe une culture de droite et un culture de gauche, l’une
et l’autre ne se faisant pas la même idée du mot « responsable ».
Il rappelle également les bienfaits de la culture transversale qui
ouvre sur autrui.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Pour aller dans
le sens de l’auteur de ce texte, chacun peut comprendre que le
responsable devient parfois très rapidement le coupable pour celui
qui n’a pas fait le travail de distinction nécessaire que
requièrent ces deux concepts.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><span lang="">Freud a
d’ailleurs étudié les liens qui existaient entre culpabilité et
société dans le </span><span lang=""><em>Malaise dans la culture</em></span><span lang="">.
Ceci nous amène peut-être à nuancer le clivage gauche/droite par
certains aspects car il y a une gauche qui travaille sur elle-même
et une droite qui fait de même. </span>
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Toutefois, il est
indéniable qu’une certaine droite trouve fréquemment son coupable
idéal chez l’intellectuel et l’étranger ; là où une
certaine gauche trouve celui-ci chez l’entrepreneur et chez celui
qui a un certain souci de l’excellence. Certains aussi, à droite
comme à gauche, s’en prennent aux uns et aux autres conjointement
et le pire dans ce cas est de se situer entre les deux en étant
coupable pour certains de n’avoir pas assez de culture et de faire
« nouveau riche » et, pour d’autres, d’être au
contraire trop cultivé. Freud l’a fort brillamment rappelé ; le
pire cependant avec la culpabilité c’est qu’elle finit par
pénétrer celui qui est accusé qui devient ainsi allié de son
impropre bourreau.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Remplacer nos
gouvernants souvent bureaucratisés ou/et « aparatchiquisés »
par des membres de la gente culturelle risque peut-être donc de
n’être pas suffisant pour résoudre la tendance de certains de nos
concitoyens à voir un coupable potentiel chez qui est différent de
soi.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">N’est-on pas
toujours « fautif » aussi avec elle, lorsqu’elle nous
reproche : nos fautes de goût, nos fautes d’orthographe, de
syntaxe, de grammaire, etc. ? L’alliance actuelle de la culture et
de l’informatique n’a-t-elle d’ailleurs pas aggravé les choses
puisque nous risquons désormais de faire aussi des fautes de frappe,
d’introduire des virus, de mal manipuler tel code… ?</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><span lang="">Que dire
aussi de la souffrance actuelle qui touche nos sociétés, n’a-t-elle
pas accru un rejet contemporain de la culture par une certaine partie
du « peuple » tout en augmentant, par une logique de
cercle vicieux, la haine d’une certaine « culture-peuple » ?
Freud, n’écrivait-il pas d’ailleurs, dans l’</span><span lang=""><em>Avenir
d’une illusion</em></span><span lang=""> :</span></p>
<p style="margin-left: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">
Lorsqu’une culture n’est pas parvenue à dépasser
l’état de satisfaction d’un certain nombre de participants et
qu’elle présuppose l’oppression de certains autres…il est
alors compréhensible que ces opprimés développent une hostilité
intense à l’encontre de la culture elle-même …aux biens
desquels, ils n’ont qu’une part trop minime (Trad. A. Balseinte,
Puf, 1995 p. 13).</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">La solution du
dilemme n’est donc pas simple car la culture - parfois remède -
peut cependant devenir poison pour celui qui voit en elle l’alliée
de ce qui l’opprime tout autant que pour celui qui se protège
derrière ses remparts afin d’éviter une saine rencontre avec soi.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY" lang="">Avec elle, sans
doute, c’est également à un certain souci de la rencontre qu’il
faut que nos politiques reviennent peut-être afin que cesse une
certaine confusion de la responsabilité de chacun avec la
culpabilité de quelques uns que l’on rejette ainsi simplement
parce qu’ils sont « culturellement » différents de
nous.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">
<span lang=""><strong>Jean-Jacques Sarfati</strong></span></p>
<br />