oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - réélRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearAlain Sournia, Une courte histoire du réel, philosophie sauvage. Editions Publibook, 2007. (Lu par Valérie Saint-Genis)urn:md5:cdb020083888a175c6d2f154986cdac92013-01-06T00:50:00+01:002013-01-06T00:50:00+01:00Jeanne SzpirglasPhilosophie généraleoccidentorientréél<p style="margin-bottom: 0cm; " align="JUSTIFY"><strong><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier/.histoirereel_t.jpg" alt="" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0; " title="histoirereel.png, janv. 2013" />Alain Sournia, <em>Une courte histoire du réel</em>, philosophie sauvage, Publibook, 2007.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; " align="JUSTIFY">Cet essai s’attaque aux interrogations fondamentales, mais toujours sans réponse, de l’humanité, résumées à la question servant de fil conducteur à l’auteur : qu’est-ce que le réel ? Le but est d’écrire une histoire de la pensée qui recense les diverses réponses chronologiques à cette question en mettant l’accent sur des penseurs oubliés par la philosophie officielle. </p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L'auteur affirme
une préférence pour les matérialistes, les empiristes et les
nominalistes et s'efforce de réhabiliter l’Orient contre
l’Occident. Après avoir décrit vingt siècles d’errements de la
philosophie, il propose un nouveau paradigme : « toute
pensée est un système penseur-pensé », solution simple et
évidente qui devrait permettre de résoudre l’ensemble des apories
auxquelles se heurte la connaissance du réel</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Qui a posé la
question ?</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Ces questions sont posées
dès le 6<sup>ème</sup> siècle et la philosophie commence avec les
présocratiques, thèse qu’il a développée dans un ouvrage
précédent : <em>Voyage en pays présocratique </em><span style="font-style: normal">(</span>Publibook,
2007). L’interrogation sur le néant, l’existence de la matière
ou d’un principe spirituel, le questionnement sur l’origine, la
méfiance à l’égard des sensations et le rôle du doute, ainsi
qu’une réflexion sur la logique et le langage, sont présents bien
avant Platon, Aristote ou Descartes.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Une réponse radicale</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Platon distingue les
Idées éternelles, immuables et absolues des réalités quotidiennes
et sensibles. Cette bipartition du monde serait empruntée au
présocratique Epicharme, vétérinaire, poète, moraliste et
dramaturge. S’ensuit une critique du mythe de la caverne qui place
le feu à l’extérieur de la caverne rompant l’analogie entre le
soleil et le feu sur laquelle repose le sens de ce récit.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Divergences,
récupération, confiscation</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Sournia évoque la
création d’institutions par Platon et Aristote, respectivement,
L’Académie et le Lycée, et rappelle le foisonnement d’écoles
apparaissant entre le 4<sup>ème</sup> et le 5<sup>ème</sup>
siècle : les Cyniques et les Cyrénaïques, les Sceptiques, les
Epicuriens, les Mégariens et les Stoïciens qui se distinguent par
la réponse qu’ils apportent à la fiabilité des sens, à la
possibilité de connaitre ou non le réel. Notons que pour Epicure
les adjectifs « naturels et nécessaires » servent à
qualifier et distinguer les désirs et non les sensations. Il
s’intéresse plus particulièrement aux sceptiques dont la
tradition aurait oublié la diversité. </p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La naissance du
christianisme constitue un changement d’ère puisque la quête du
réel qui était la mission des intellectuels devient l’affaire de
la religion. La philosophie laïque et démocratique devient la
servante de la théologie jusqu’au 18<sup>ème</sup> siècle. La
philosophie arabe connait la même destinée, elle s’inspire de
Platon et d’Aristote et tente de concilier la foi et la raison.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Un rebondissement</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il faut se débarrasser
de l’idée reçue qu’il ne s’est rien passé au Moyen-âge.
L’intérêt des universités pour la dialectique et la logique
permet de poser à nouveau la question du réel et du statut des
universaux. Les réponses se partagent entre réalisme et
nominalisme, approche défendue par Guillaume d’Occam dont la
philosophie consolide et lègue à la postérité quelques
distinctions essentielles entre philosophie et théologie, foi et
raison, signifiant et signifié. L’aptitude du langage à rendre
compte de la pensée et de la réalité est mise en cause.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier/.3313R_s.jpg" alt="" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0; " title="3313R.jpg, janv. 2013" />Philosophies de
l’ombre</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La quête du réel
n’étant ni le monopole de la philosophie rationnelle, ni celui des
courants dominants des grandes religions, il souhaite réhabiliter la
gnose, l’hermétisme et l’alchimie.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il dresse une liste
importante de gnostiques et résume leur vision du monde : le
monde que nous voyons n’est pas le vrai, il est créé par un
mauvais dieu, nous ne pouvons rien dire du vrai dieu, l’esprit est
prisonnier de la matière et l’âme du corps. Par la Connaissance,
l’homme accédera au monde réel et à la plénitude.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il prouve l’impossibilité
de séparer ces trois approches des autres formes de connaissances en
montrant qu’elles sont pratiquées par les mêmes penseurs :
Saint Albert-le-Grand, évêque, théologien, botaniste et
alchimiste ; Bacon, philosophe, scientifique et aussi
alchimiste.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Un demi-millénaire de
philosophie occidentale</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Sournia traverse à
grands pas, peut-être trop grands, cinq siècles de philosophie
occidentale en se méfiant des philosophes trop connus et reconnus.
Il se débarrasse d’abord de Descartes qui juge inutile de définir
les termes : pensée, existence, certitude, puis de Leibniz dont
la monadologie est assimilée à une entreprise fantastique et
contradictoire. Il accorde plus d’importance aux empiristes :
Locke, Berkeley et Hume. Il rencontre des difficultés avec Kant.
L'auteur suppose en effet que les catégories à priori de
l’entendement représentent la réalité et voudrait qu’elles
proviennent de l’expérience, par où elles deviendraient
légitimes, lecture qui dénote une méconnaissance du projet de <em>La
Critique de la raison pure</em>. La présentation de Hegel souffre des
mêmes approximations et l’auteur admet que « les citations
étant bien connues, il n’est pas nécessaire de remonter aux
sources ». Il faudrait pourtant remonter au texte même pour
tâcher de rendre compte d’une pensée qui ne peut être ignorée
sous le prétexte qu’elle est illisible, même si le refus de
comprendre un certain nombre de philosophes est un choix délibéré
de l’auteur, ainsi qu’il l’énonce pour Heidegger
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>« On
n'ontologise plus ! »</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La philosophie analytique
et positiviste de la 2<sup>ème</sup> moitié du 20<sup>ème</sup>
siècle considère le langage comme arbitre du vrai, instaure une
méthode commune aux sciences et à la philosophie, privilégie la
logique contre la psychologie et la métaphysique. Il existe un monde
réel, des représentations subjectives indécidables et un monde
construit fruit des connaissances objectives vérifiables.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Faisons le point</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L'auteur pose à nouveau
les questions du réel et de l’être : existe-t-il différentes
pensées correspondant à différents mondes ? Existe-t-il
différentes sortes d’êtres ? Il insiste encore sur les
limites de la connaissance et du langage, et se demande si les
progrès de la neurobiologie pourraient expliquer les règles
logiques dont il montre l’insuffisance.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Regards vers l’Orient</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il existe un parallélisme
méconnu entre les pensées occidentales et orientales qui concerne
aussi bien les penseurs que leurs démarches, même passage d’un
monde révélé à un monde pensé, même classification des idées,
même recherche des états de la matière, même partage entre
monisme et dualisme, même confrontation entre la philosophie et la
religion. La philosophie orientale est souvent en avance sur la
philosophie occidentale, elle est plus drôle et développe des
stratégies plus ouvertes.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Nouvelles pistes</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La théorie de
l’information et la notion de système applicables à tous les
domaines de la connaissance rendent possible une nouvelle approche
quantifiable du réel. On passe de la représentation du réel à la
création du réel. Les notions de rétroactions et d’interactions
doivent être appliquées à l’ontologie et à l’épistémologie.
Il faut une relecture des concepts physiques contemporains pour
éviter une vulgarisation qui donne une image faussée du monde, par
exemple l’incertitude devenant hasard. On doit mettre en évidence
l’ancrage biologique de la pensée.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Un système
penseur-pensé</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’auteur invente un
paradigme, tellement simple que la plupart des philosophes refuse de
l’admettre, et qui résout tous les conflits et les cloisonnements
de la philosophie : toute pensée est un système penseur-pensé.
Six points doivent être respectés pour sa mise en œuvre :
rassembler tous les éléments, respecter les niveaux d’organisation
et leurs emboitements mutuels, l’ensemble doit être correctement
ficelé, décider si le système est ouvert ou fermé, être attentif
au risque de collusion entre la pensée et le cerveau, utiliser des
outils oubliés comme le rêve, le rire, les figures rhétoriques,
les paradoxes, les œuvres enfantines et les comportements
pathologiques. Tous les progrès de la pensée sont conditionnés par
la mise en œuvre de cette méthode qui unifie l’homme et la
nature, l’esprit et la matière, la philosophie et la physique, et
qui suppose l’abandon des règles de la logique classique</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><em>Manifeste de
philosophie sauvage</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Ce dernier chapitre est
l’épilogue de cet ouvrage et des deux autres traités du même
auteur : <em>Voyage en pays présocratique</em> et <em>Mini-traité
du moi</em> qui résume en 27 points les grands courants de l’histoire
de la pensée. Cette philosophie sauvage s’oppose à la philosophie
traditionnelle, il reconnait à cette dernière le monopole de la
méthode mais lui dénie l’accès à une réalité objective.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’auteur s’est
largement prémuni contre toute critique en reconnaissant par avance
la possibilité d’erreurs, de lacunes, de choix arbitraires, en
refusant de jouer le jeu de la philosophie académique, en admettant
que ses idées n’obéissent pas toujours à un ordre délibéré,
choix cohérents en effet chez un auteur qui veut pointer les limites
de la logique. Mais on note également une tendance à
l’autosatisfaction, en dépit d'une insistance sur la modestie de
sa philosophie, montrant combien ses points de vue sont novateurs,
courageux, appréciables et échappant à l’ennui des questions
oiseuses de la métaphysique. Si l’auteur s’amuse indéniablement,
on peut toutefois s’interroger sur la portée d’un tel essai.
Rappelons que Bréhier dans son <em>Histoire de la philosophie</em>
publiée dès 1931 reconnaissait déjà le rôle des présocratiques
et de la philosophie orientale sans se targuer d’une quelconque
originalité. Si les qualités de candide de l’amateur peuvent
servir de révélateur, les erreurs importantes dues à un manque
d’analyse approfondie des grands textes nuisent à la démarche. On
ne peut comprendre une pensée à partir de citations
présélectionnées par d’autres ou tirées de résumés destinés
à des encyclopédies. Quant à la solution évidente proposée par
Sournia, on ne laisse pas finalement de s'interroger sur son sens et
son contenu et de continuer à ne pas très bien saisir ce qu’est,
par exemple, « un ensemble bien ficelé ».</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Valérie Saint-Genis</p>