oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - infiniRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearMichel Blay, La Déchirure du penser, Belles Lettres 2020, lu par Cristina Stoianoviciurn:md5:87de2a9b39b874a836c420d2258f315e2020-10-19T16:31:00+02:002021-02-12T22:08:40+01:00Florence BenamouPhilosophie généraleinfiniouverturesciencestotalitéêtre<p style="margin: 0cm 0cm 0.0001pt; text-align: justify;"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><b><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande"">Michel Blay, <i>La Déchirure du penser. Essai sur l’Effacement du Logos,</i> éditions Les Belles Lettres, collection « Encre marine », 2020 (92 pages). Lu par Cristina Stoianovici</span></span></b></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin:0cm 0cm 0.0001pt"> </p>
<p style="text-align:justify; margin:0cm 0cm 0.0001pt"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"><img alt="" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.blay_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Ancien Directeur de recherche au CNRS en histoire et philosophie des sciences, Michel Blay est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’idée d’infini et aux transformations de l’idée de nature. </span></span></span></span></span></p> <p style="text-align:justify; margin:0cm 0cm 0.0001pt"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Son dernier ouvrage, <i>La déchirure du penser. Essai sur l’effacement du Logos</i>, montre que l’explicitation mathématique de la nature survenue au XVII<sup>e </sup>siècle s’appuie sur une approche technicienne du monde et implique de renoncer à certaines questions qui se trouvent ainsi exclues du champ de la rationalité. Cet ouvrage s’inscrit dans la lignée de son précédent travail, <i>Critique de l’histoire des sciences</i>, publié en 2017, dans lequel Michel Blay montrait que la conception de la nature a considérablement changé au cours de l’histoire. Chez les anciens, le naturel faisait sens par opposition avec l’artificiel et l’idée de nature renvoyait au monde sublunaire, soumis à la génération et à la corruption, distinct du monde supralunaire, aussi appelé sphère des fixes. Pour les modernes, la nature est tout autre : la frontière entre monde sublunaire et monde supralunaire a disparu, et la distinction entre naturel et artificiel s’estompe également, ces deux types d’être obéissant aux mêmes lois physiques. La nature des modernes est « une nature pour les mathématiques » et s’inscrit dans « l’ordre technique », ordre dans lequel un même procédé peut être mis en œuvre dans tous les domaines et dans lequel le scientifique porte un regard d’ingénieur sur la nature, ce dont Galilée est le parfait exemple. </span></span></span></span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin:0cm 0cm 0.0001pt"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman""> </span></span></p>
<p style="text-align:justify; margin:0cm 0cm 0.0001pt"><span style="font-size:10pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">C’est l’envers de cette histoire que <i>La déchirure du penser</i> retrace, montrant que d’autres formes de pensée ont existé et existent encore, pensées qui consistent à « s’ouvrir, dans le questionnement, à la totalité ». Cette expression, qui rythme l’ouvrage, nous indique que penser le monde n’implique pas de s’en retirer pour mieux en construire un modèle théorique. Il y a ouverture parce qu’un être fini ne peut embrasser une totalité traversée par un infini immanent, et c’est pourquoi le questionnement résiste. Certaines questions auxquelles il est impossible de répondre n’en sont pas moins légitimes et font même le propre de l’humanité ; on a trop vite fait de rejeter la question de l’être, de l’origine du monde et de l’infini dans le champ de l’irrationnel, au prétexte qu’elles égarent la pensée humaine. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">En l’introduction, Michel Blay montre que c’est Fontenelle qui explicite pour la première fois la déchirure du penser, dans ses <i>Eléments de la géométrie de l’infini</i>, publiés en 1727, en distinguant deux infinis. L’infini géométrique, d’une part, désigne une grandeur plus grande que toute grandeur finie, mais pas plus grande que toute grandeur, ce qui implique qu’il puisse y avoir des infinis plus ou moins grands. Cet infini géométrique est utile et ne doit pas être confondu avec l’autre infini, que Fontenelle appelle métaphysique, qui est un pur être de raison et ne peut que nous égarer. Fontenelle le définit comme « une grandeur sans bornes en tous sens, qui comprend tout, hors de laquelle il n’y a rien », l’infini métaphysique se rapproche donc de l’idée de totalité sans se confondre avec elle et se trouve rejeté hors de la sphère de la rationalité, laquelle se résout en une rationalité géométrique. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Si l’effacement du Logos est acté au XVIII<sup>e</sup> siècle, il faut remonter à l’Antiquité pour comprendre ce qu’il était originairement ; c’est l’objet du premier chapitre de l’ouvrage, consacré au Logos et à son effacement, chapitre qui nous mène d’Héraclite à Giordano Bruno. Le deuxième chapitre explique l’avènement de l’Ego, c’est-à-dire de la subjectivité objectivante consubstantielle de la physique moderne. Enfin, un troisième et dernier chapitre est dédié à la déchirure de cette rationalité positiviste : une brèche entame l’ordre technique et ouvre vers l’exister. Cette déchirure salvatrice permet de renouer avec les questions fondamentales de l’humanité, dont la poésie offre le témoignage. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><b><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Le Logos</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Le premier chapitre présente les trois moments de l’histoire du Logos : le moment héraclitéen, qui fait du Logos un concept fondamental d’intelligibilité du monde, le moment johannique, qui voit le Logos s’incarner, mais aussi paradoxalement se retirer et disparaître en tant que principe d’intelligibilité, et enfin le moment brunien, celui de l’effacement, le Logos étant devenu un intermédiaire superflu du fait même de son retrait.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Chez Héraclite d’abord, le Logos n'est ni discours, ni parole ni raison, il est à la fois ce qui lie les phénomènes entre eux et ce qui les rend compréhensibles à l’homme. Le Logos se confond alors avec Dieu, le feu et le cosmos, sans néanmoins s’y identifier. Dieu réalise l’union des contraires, tandis que le feu est l’équivalent universel, comme le rappelle le fragment 90 : « De toutes choses, il y a échange contre du feu et du feu contre toutes choses, comme des marchandises contre de l’or et de l’or contre des marchandises. » S’il est difficile au lecteur contemporain de donner du sens à ces mots, Michel Blay rappelle qu’ils ne sont pas que des mots. Nous peinons à y voir autre chose parce que le Logos d’Héraclite s’est effacé et que la rationalité contemporaine est bornée par le constructivisme et le positivisme. Le Logos d’Héraclite est ouvert sur la totalité, dans un jeu dialectique complexe où immanence et transcendance sont pensés ensemble : « le transcendant – ce qui transcende chaque être – est immanent à tous, tout en demeurant lui-même en étant toutes choses. »</span></span></span><a name="_ftnref1"><sup><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[1]</span></span></span></sup></a></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Ce cadre conceptuel se complexifie avec Platon, sans pour autant changer radicalement. La scission de l’intelligible et du sensible pose le redoutable problème de la participation, c’est-à-dire le problème de leur articulation. Dans ce cadre conceptuel, Héraclite fait figure de penseur du changement qui caractérise le sensible, par opposition à la fixité des Idées qui permettent de le penser. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Chez Plotin, intervient un troisième terme, l’Un, apparenté au Bien platonicien en ce qu’il précède et cause toute existence, sans être lui-même engendré et tout en étant ineffable. Vient ensuite l’Intellect, qui est être et vie, et enfin l’Âme, qui assure la jointure du sensible et de l’intelligible en informant le monde sensible d’après le monde intelligible au moyen des raisons (<i>logoi</i>), qui sont projetées sur la matière et qui sont des images des formes intelligibles que l’Âme reçoit. D’Héraclite à Plotin, le Logos demeure un principe d’ordonnancement et d’intelligibilité du monde.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Dans l’<em>Évangile selon Jean</em>, le cadre conceptuel change radicalement, c’est là que s’ouvre le deuxième moment de l’histoire du Logos. « Au commencement était le Logos et le Logos était auprès de Dieu et le Logos était Dieu », peut-on lire dans le premier verset. Loin d'être un principe d’intelligibilité, le Logos est rejeté dans un commencement inaccessible à l'homme, car ce premier commencement précède celui de la <i>Genèse, </i>seul commencement dont un récit nous est livré. Le Logos devient un transcendant complet, dont l’existence a précédé le monde. Dans la pensée grecque, le Logos permettait à l'homme de contempler l’intelligible, il l’ouvrait sur cette totalité qu’était le monde. Avec le christianisme, le Logos s’incarne dans une chair individuelle, celle du Christ, et cette incarnation contribue à la clôture du monde ; le salut passe désormais par le corps putrescible dont la résurrection est affirmée. « L’assujetti, le réduit et le fini caractérisent dorénavant le lieu, le monde de la vie des hommes. Là où tout se jouait entre l'homme et le cosmos, un homme dont les sens captaient les signes, où sa raison assurait leur validité et où sa parole tout comme son discours les ordonnaient, tout va dès lors se résorber et se fonder, dans la genèse biblique, sur la médiation et la révélation »</span></span></span><a name="_ftnref2"><sup><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[2]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">. La déchirure du penser vient de l’impossibilité pour l’homme de connaître l’origine et l’infini. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">L’incarnation du Logos dans un corps individuel constitue une focalisation sur l’individuel, préfigure l’avènement de l’intériorité chez Augustin et l’élaboration conceptuelle de la notion de personne à l’époque médiévale, mais elle annonce aussi la subjectivité cartésienne, subjectivité objectivante constitutive des sciences du XVII<sup>e</sup> et de l’ordre technique. Cette inaccessibilité du transcendant ouvrira aussi, d’après Michel Blay, la voie au nihilisme, car l’explication des origines, de la vie et de la vérité ne peut être qu’objet de croyance, et partant, de non-croyance.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Enfin, survient le moment où le Logos s’efface, effacement que l’auteur propose de situer dans la pensée de Giordano Bruno et en particulier dans les documents de son procès</span></span></span><a name="_ftnref3"><sup><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[3]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">. Bruno soutient l’infinité du monde et distingue différents infinis, dont deux peuvent être qualifiés d’infinis mathématiques (infinité de grandeur de l’univers et infinité de la multitude des mondes) et deux autres d’infinis selon la présence (Bruno distingue une providence universelle en vertu de laquelle tout vit, qui est présente partout, semblablement à l'âme dans le corps et Dieu qui est « en tout et au-dessus de tout, non pas comme partie, non pas comme âme, mais d’une manière inexplicable. »</span></span></span><a name="_ftnref4"><sup><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[4]</span></span></span></sup></a><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">). Les êtres et les choses sont dans une infinité immanente selon le nombre et la grandeur (le monde), mais ils existent aussi dans une infinité immanente selon la présence. L’infini divin étant immanent au monde, le Christ, qui assure l’unification des natures céleste et terrestre, devient inutile. Avec Bruno prend fin le monde clos du Logos johannique, et le monde nouveau, infini, n’a plus besoin de médiateur. C’est ainsi que Galilée peut se présenter, quelques années plus tard, comme « le messager des étoiles » dans le<i> Sidereus nuncius, </i>ouvrage qui marque le triomphe de l’infini mathématique. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><b><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">L’Ego</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">C’est ainsi qu’advient l’Ego, qui occupe le deuxième chapitre de l’ouvrage. Michel Blay montre que la perte de l’ouverture à la totalité est étroitement liée à la distinction cartésienne entre infini et indéfini, distinction qui annonce le règne de la subjectivité objectivante sur une nature mécanisée. Cette distinction est au cœur de l’argumentation cartésienne concernant l’existence de Dieu (que Michel Blay prend soin de ne pas appeler démonstration). En effet, son existence est établie en s’appuyant sur le moi, qui se connaît fini : l’idée d’infini ainsi élaborée permet de prouver que Dieu existe car elle se présente analytiquement comme le propre d’un être transcendant qui surplombe l’indéfini du monde. Cette dichotomie de l’infini et de l’indéfini équivaut à une fermeture à la totalité, notre espace de vie relevant de l’indéfini. L’idée de nature s’est radicalement transformée et se prête désormais à une explicitation mathématique, comme le montre le discrédit jeté sur les fameuses qualités secondes, qu’on peut lire chez Galilée, Descartes et Locke. Dans la continuité de ses précédents travaux, Michel Blay nous rappelle que les lois, les théories, les expériences scientifiques ne viennent pas expliquer une nature qui serait toujours identique à elle-même et se prêterait à diverses approches scientifiques. La démarche scientifique a toujours affaire à une idée de nature historiquement construite et qui est première, qui ne découle donc pas de l’approche scientifique qui en est faite mais la conditionne. Ainsi au XVII<sup>e</sup> siècle, les artifices des Anciens, les procédés techniques, deviennent la nature, celle-ci étant conçue, notamment par Galilée, comme un ensemble de mécanismes et de problèmes techniques à résoudre. La <i>res extensa</i>cartésienne est ce qui vient supporter ontologiquement le mécanisme, donnant ainsi naissance à une nature mécanico-géométrique. Et c’est ainsi qu’on peut comprendre que Descartes ait besoin d’une « fable » pour présenter sa physique dans <i>Le Monde</i>. Cette fable rejoint le fameux « comme » du<i>Discours de la méthode,</i> où l'homme est dit être «<i> comme</i> maître et possesseur de la nature ». Descartes paraît conscient de l’écart qui subsiste entre le monde réel et le monde saisi par la subjectivité objectivante, celui mécanico-géométrique de la <i>res extensa, </i>de l’étendue indéfinie. Tout le problème, c’est que pour celui qui ignore Dieu, le monde devient un néant d’être, car l’étant se dissout dans l’objet et le monde dans son ensemble se chosifie, la pensée sombrant pour sa part dans le nihilisme. </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><b><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Une déchirure vers l’exister ?</span></span></span></b></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Fort heureusement, le troisième et dernier chapitre esquisse une alternative, en montrant qu’il est encore possible de penser hors de la pensée technicienne et de « s’ouvrir, dans le questionnement, à la totalité ». Il serait vain d’espérer renouer avec le Logos héraclitéen, car cette pensée est à proprement parler trop ancienne pour qu’on puisse la faire nôtre aujourd’hui. C’est par un retour à Giordano Bruno et à l’infini selon la présence, qui est une transcendance dans l’immanence, que l’on peut peut-être introduire une faille dans le monde clos de la subjectivité objectivante, une déchirure salvatrice vers l’exister et l’ouverture à la totalité. Le Christ et le mystère de l’incarnation ne sont plus nécessaires pour s’ouvrir à l’infini, puisque l’infini est là, immanent au monde et à l’exister. C’est le poète qui sera désormais le médiateur entre l’homme et l’infini, et en particulier André Frénaud, qui explique dans sa « Note sur l’expérience poétique », publiée dans <i>Il n’y a pas de paradis, </i>que la poésie ne peut se résumer à exprimer des émotions, des sentiments, aussi bien formulés soient-ils. Elle consiste plutôt à rendre compte d’une expérience de l'être pour laquelle André Frénaud utilise à plusieurs reprises le terme de « visitation ». L’infini-là déchire le monde clos de l’indéfini et laisse surgir la possibilité d’une ouverture vers l’exister, ouverture dont la poésie s’efforce de témoigner, comme on peut le lire dans le poème intitulé <i>« </i>Sans avancer<i> » :</i></span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">« L’être patiemment se meut à travers tout.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Il éveille il s’ignore il est caché</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">De l’une à l’autre forme il ne passe pas,</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">hors quand se défont assez toutes mes prises</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">pour que remonte et sourde soudain</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">au travers du silence un éclat</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Qu’en garde-t-elle ma parole transformée ?</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Qu’en reste-t-il dans ma vie qui a repris ?</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">La faveur n’était pas durable</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Le passage s’est obstrué ».</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Le livre s’achève donc sur une lueur d’espoir : l’homme n'est pas condamné au nihilisme, car, comme Michel Blay n’a de cesse de le répéter par ailleurs et pour d’autres raisons, il ne faut pas confondre science et connaissance. La science suppose la démonstration, et celle-ci ne se réduit pas à de l’argumentation. Toute connaissance n'est donc pas scientifique et la science n’a pas l’exclusivité de la connaissance. On pourrait sans doute ajouter que toute pensée n'est pas connaissance et c’est peut-être ainsi qu’on peut comprendre le désir sans cesse répété de « s’ouvrir, dans le questionnement, à la totalité ». </span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"> </p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; text-align:justify; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">La déchirure du penser</span></span></span></i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> constitue une stimulante réflexion sur l’histoire des sciences et sur la subtile dialectique qui la lie à celle de la pensée chrétienne. Pour revenir un moment sur le titre de l’ouvrage, il convient de préciser qu’il y a, non pas une, mais deux déchirures du penser. Une déchirure est un dommage qui vient altérer la constitution originelle d’un matériau, la plupart du temps un tissu ou un papier. Elle met à mal et détruit parfois irrémédiablement ce qui se trouve ainsi déchiré. C’est <i>le penser</i>humain qui a été abîmé, l’acte même de penser, et non la faculté ou le résultat (<i>la pensée</i>) et cette déchirure apparaît dans la distinction des deux infinis et le rejet de l’infini dit métaphysique. Elle est une scission de la rationalité humaine amenant à disqualifier les questionnements qui échappent à la raison calculante et à l’explicitation mathématique. Ainsi l’énigme de l’exister, de l’origine du monde ou de son infinité sont rejetées aux rangs de questions vaines, condamnées à l’antinomie, qui sont irrationnelles parce qu’elles échappent à la raison calculante et à son efficacité. Mais une seconde déchirure existe et elle est, elle, salvatrice, elle met à mal le monde clos et indéfini de la <i>res extensa </i>construit par la subjectivité objectivante, monde dans lequel tout risque de sombrer dans la chosification. La première déchirure était une rupture, elle marquait le divorce de l'homme et du monde, de l'homme avec lui-même, avec le mystère de son exister. La seconde déchirure est une ouverture, un frémissement de l'être dont seul le poète peut être le témoin, incertain. Reste à savoir si le fait de « s’ouvrir, dans le questionnement, à la totalité » échappe au mysticisme autant que l’auteur l’affirme, sans toujours réussir à le manifester. Cette formule scande l’ouvrage et prend parfois des allures incantatoires. Il se peut que cette remarque soit un appel de la raison calculante et résulte du même ordre d’incompréhension que celle suscitée par la pensée héraclitéenne. Mais il n’empêche que ce n'est pas un hasard si André Frénaud utilise à plusieurs reprises le terme de « visitat<span style="background:white">ion » pour désigner l’événement dont la poésie est le témoignage et si nous sommes tentés, à notre tour, de convoquer l’image du salut pour désigner l’optimisme final qui clôt l’ouvrage. </span></span></span></span></span></span></p>
<p align="right" style="margin-bottom:.0001pt; text-align:right; margin:0cm 0cm 10pt"> </p>
<p align="right" style="margin-bottom:.0001pt; text-align:right; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">Christina Stoianovici</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"> </p>
<div style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt">
<hr align="left" size="1" width="33%" /></div>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><a name="_ftn1"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[1]</span></span></span></a><i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> La déchirure du penser. Essai sur l’effacement du Logos,</span></span></span></i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> Michel Blay, édition Les Belles Lettres, 2020, p.28.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><a name="_ftn2"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[2]</span></span></span></a><i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> Ibid. </span></span></span></i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">p.32.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><a name="_ftn3"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[3]</span></span></span></a><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> Giordano Bruno, <i>Documents I. Le Procès,</i> Paris, Les Belles Lettres, 2000.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"><span style="font-size:12pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><a name="_ftn4"><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">[4]</span></span></span></a><i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black"> Ibid.</span></span></span></i><span style="font-size:11.0pt"><span style="font-family:"Lucida Grande""><span style="color:black">, p.66.</span></span></span></span></span></p>
<p style="margin-bottom:.0001pt; margin:0cm 0cm 10pt"> </p>Hervé Bonnet, Blaise Pascal, éditions Sils Maria, collection Cinq concepts Lu par Caroline Forgiturn:md5:6aaa85e6a23a780bc5297ffda94c6ba32014-02-12T06:00:00+01:002014-02-12T06:00:00+01:00Florence BenamouHistoire de la philosophiedivertissementfoiinfinimoiRaison<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 12pt; text-align: justify;"><strong><span lang="EN-US" style="font-size: 10pt; font-family: 'Lucida Grande';"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier14/.blaise_pascal_t.jpg" alt="" title="blaise_pascal.jpg, janv. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Hervé Bonnet, <em>Blaise Pascal</em>, éditions Sils Maria, collection Cinq concepts Lu par Caroline Forgit</span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 12pt; text-align: justify;"><span lang="EN-US" style="font-size: 10pt; font-family: 'Lucida Grande';">Les éditions Sils Maria proposent une nouvelle collection, Cinq concepts. Chaque publication de cette collection est consacrée à une figure majeure de l’histoire de la philosophie. À chaque fois, il s’agit d’analyser la pensée d’un auteur à travers cinq concepts. L’explicitation de ces concepts constitue les cinq chapitres de l’ouvrage. Hervé Bonnet publie le premier titre de cette collection, consacré à <a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/07/01/2014/Corpus%3A-Pascal">Pascal</a>.</span></p> <p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">L’ouvrage commence par une introduction biographique
qui rappelle une date clé de l’existence de Pascal : le lundi 23 novembre 1654.
Ce soir-là Pascal fait l’expérience extatique, mystique, de la présence divine.
Cette date fait césure, il y a un « avant » et un « après » dans la vie de
Pascal. À partir de ce jour, Pascal décide de se consacrer exclusivement à la
défense et à la promotion de la religion chrétienne, d’où son projet d’une
apologie de la religion chrétienne qui nous est parvenue de manière lacunaire,
fragmentée, sous la forme des </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Pensées</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/fevrier14/21BYAFblNzL.jpg" alt="" title="21BYAFblNzL.jpg, janv. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Premier concept : le divertissement</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Hervé Bonnet commence par rappeler l’origine de ce
terme. Jusqu’au dix-septième siècle, le verbe divertir appartient
essentiellement au domaine juridique et économique et désigne une manière
frauduleuse de s’approprier des biens lors d’une succession. Divertissement
signifie donc détournement. Lorsque Montaigne parle de diversion dans les
Essais, il pense encore à cette capacité que nous avons de nous détourner du
mal lorsque celui-ci nous frappe. Mais pour Montaigne, cette diversion ressort
d’une technique dont nous pouvons user judicieusement lorsque nous voulons
éviter un mal. Faire diversion, se détourner ou se divertir, c’est à chaque
fois user d’un moyen, ruser, pour arriver à nos fins. Enfin au dix-septième
siècle, le terme de divertissement prend le sens qu’on lui connaît aujourd’hui
de distraction, d’agrément, d’amusement.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Mais ce n’est qu’avec Pascal que ce terme prend une
dimension anthropologique voire ontologique en tant qu’il est inhérent à la
condition humaine. En effet, le divertissement recouvre toute activité qui nous
détourne de la pensée de notre condition misérable (faible et mortelle). Le
divertissement ne se limite donc pas aux activités ludiques, agréables (les
conversations, la chasse, le jeu), il inclut aussi toute activité qui saura
nous occuper suffisamment l’esprit pour nous détourner de nos sombres pensées
(comme le travail par exemple). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Trois traits caractérisent le divertissement
pascalien. Tout d’abord, c’est un processus inévitable car indissociable de
notre condition. Ensuite, il s’agit d’un processus illusoire, qui repose même
sur une double illusion. Première illusion, nous nous leurrons sur le moyen et
sur la fin, nous pensons que la finalité de notre occupation est essentielle :
gagner au jeu, attraper un lièvre. Mais c’est l’inverse qui est vrai, c’est
l’occupation qui est la fin véritable. Deuxième illusion, nous ne savons pas ce
que nous faisons lorsque nous nous divertissons, nous ne voyons pas que nous
faisons tout pour ne pas penser à nous-mêmes et à notre condition. Enfin, ce
processus ne peut être totalement efficace, il y aura toujours de l’imprévu, de
l’inattendu, de la contingence, nous ne serons jamais totalement rassurés, en
paix par ce moyen. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Deuxième concept : le moi</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Hervé Bonnet souligne un paradoxe. Pascal nous enjoint
de nous connaître : « Il faut se connaître soi-même. Quand cela ne servirait
pas à trouver le vrai cela au moins sert à régler sa vie, et il n’y a rien de
plus juste » (Pensées, éd. Seuil, Lafuma, Fg 72). Et pourtant le moi est «
haïssable » (Fg 597). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Contrairement à Descartes, Pascal n’appréhende pas le
moi sous l’angle de la connaissance, du sujet qui pense, mais sous l’angle de
l’amour-propre. Le moi s’aime lui-même spontanément, naturellement. Or cet
amour-propre détourne de l’amour de Dieu et engendre l’injustice et la tyrannie
: « En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi en ce qu’il se
fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir,
car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres « (Fg
597). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">L’amour-propre engendre également la frivolité, la
vanité, le moi est en perpétuelle représentation, le paraître prime sur l’être
: « Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire et nous nous
efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et
conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable. Et si nous avons ou
la tranquillité ou la générosité, ou la fidélité nous nous empressons de le
faire savoir afin d’attacher ces vertus-là à notre autre être et les
détacherions plutôt de nous pour les joindre à l’autre. Nous serions de bon
cœur poltrons pour en acquérir la réputation d’être vaillants » (Fg 806).
Contrairement à ce que la notion d’amour-propre pourrait faire penser, le moi
n’est pas une assiette ferme, mais une fiction, une utopie, une projection de
l’imagination, et à la question « Qu’est-ce que le moi ? », Pascal
substitue la question : « Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni
dans l’âme ? » (Fg 688). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Or Pascal nous enjoint non seulement de haïr ce moi,
ou plutôt cet amour-propre, mais de le haïr en soi : « Qui ne hait en soi son
amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien aveuglé »
(Fg 617). Cela voudrait-il dire qu’il y a, en deçà du moi, en deçà de
l’amour-propre, une instance plus intime, plus souterraine, qui pourrait haïr
son amour-propre, sans être emportée par cette haine ? Pourrait-on distinguer
le moi, héraut de l’amour-propre, et le je, capable d’une connaissance de soi
qui s’ordonne à l’amour de Dieu ? Ainsi, il faudrait haïr l’amour-propre afin
de s’aimer soi-même, non pas en tant que monade isolée, mais en tant que membre
du tout, membre de Dieu : « Membres. Commencer par là. Pour régler l’amour
qu’on se doit à soi-même il faut s’imaginer un corps plein de membres pensants,
car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s’aimer,
etc. » (Fg 368). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Troisième concept : l’infini</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Avec la révolution copernico-galiléenne, non seulement
la terre ne se trouve plus au centre de l’univers mais c’est même notre
conception du monde qui change, puisque selon l’expression bien connue de
Koyré, nous sommes passés d’un monde clos à un univers infini. Ce changement de
paradigme ne pouvait que susciter un profond malaise, un sentiment d’égarement.
Le monde n’est plus géocentré ni même anthropocentré, l’homme se retrouve perdu
dans un univers infini, désert, silencieux : « Le silence éternel de ces
espaces infinis m’effraie » (Fg 201). Or si nous sommes à ce point égarés,
c’est parce l’univers n’a plus de centre, ou plutôt est saturé de centres, au
sens où un atome peut devenir, relativement à l’infini petit, un véritable
univers. Ce n’est pas l’infini en tant que tel qui effraie, mais
l’impossibilité de trouver dans l’univers un point fixe à partir duquel le
visible et l’invisible s’ordonneraient. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Il y a donc une disproportion entre l’homme et
l’univers, c’est pourquoi la raison humaine est condamnée à errer lorsqu’elle
cherche à connaître la nature ou la matière. La pensée de l’infini ruine les
prétentions de la raison : « Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté
; notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences : rien ne
peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient » (Fg
199). La pensée de l’infini déstabilise l’ordre des corps (nous sommes un point
dans l’univers) et l’ordre des esprits (la raison découvre son
impuissance). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Mais il y a un troisième ordre, l’ordre du cœur, de la
charité. Or lorsque l’on passe à l’ordre de la charité, la nature de l’infini
s’en trouve modifiée : « la distance infinie des corps aux esprits figure la
distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est
surnaturelle » (Fg 308). Pascal introduit donc des distinctions de grandeur au
sein de la notion d’infini puisqu’il y a une « distance infinie » et une
distance « infiniment infinie ». S’il y a bien trois ordres, il y a en quelque
sorte deux groupes, au sens où les corps et les esprits forment un groupe, dont
la charité se démarque infiniment, car surnaturellement. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Quatrième concept : la raison</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">La pensée de l’infini nous a permis de comprendre les
limites de la raison qui ne pourra jamais percer à jour les secrets de
l’univers. Pourtant, il ne s’agit pas pour Pascal d’exclure la raison, mais de
montrer qu’elle doit se fonder sur une instance qui lui est supérieure,
l’instance du cœur. Il s’agit de pousser la raison jusqu’à sa « dernière
démarche » qui est de « reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la
surpassent » (Fg 188). La raison doit rester dans son ordre, elle ne doit pas
chercher à tout démontrer ni à tout prouver. Elle doit se soumettre, en
reconnaissant ce qui la surpasse, mais il s’agit là d’un acte réfléchi. Elle
n’est pas soumise, elle se soumet, activement et positivement. La raison sait
ce qu’elle fait lorsqu’elle s’incline devant ce qui lui est supérieur, l’ordre
de la foi, de la charité. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Il y a donc un bon usage de la raison qui relève d’une
typologie : « Soumission. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut,
en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la
raison » (Fg 170). Il y a une distinction des ordres à respecter. Dans l’ordre
de l’esprit, la raison peut s’exercer (« assurer »), avec ses limites. Dans
l’ordre de la charité, elle doit se soumettre. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Cinquième concept : la foi</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Sans surprise, la foi est définie par opposition à la
raison : « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que
la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison » (Fg 424). La foi relève d’un
sentiment, d’un « sentir », elle est la passivité du cœur qui reçoit l’amour de
Dieu. Puis, à nouveau : « La foi est un don de Dieu. Ne croyez pas que nous
disions que c’est un don de raisonnement » (Fg 588). L’accent est mis, là
encore, sur la passivité du cœur qui reçoit un don, un présent. C’est Dieu, et
Dieu seul, qui a l’initiative de la grâce. Or, si la foi relève d’un don de
Dieu, on peut s’interroger sur la légitimité du projet pascalien : quel sens
cela a-t-il de faire l’apologie du christianisme ? Quel sens cela a-t-il de
vouloir convaincre de la supériorité de la religion chrétienne ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Pour comprendre le bien-fondé du projet pascalien, il
convient de distinguer deux dimensions de la foi. Car il y a foi et foi : « Et
c’est pourquoi ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment de cœur sont
bienheureux et bien légitimement persuadés, mais ceux qui ne l’ont pas nous ne
pouvons la donner que par raisonnement, en attendant que Dieu la leur donne par
sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine et inutile pour le salut »
(Fg 110). Il est donc possible et même légitime de s’attacher à convaincre, par
le biais du raisonnement, ceux qui ne sont pas touchés par la grâce. Il n’en
reste pas moins qu’il faut distinguer une foi « humaine » et « inutile pour le
salut » et une foi qui est don de Dieu, grâce divine. Cette dernière est
surnaturelle et ne peut s’acquérir par le raisonnement. Le discours
apologétique est donc clairement préparatoire, en attendant la volonté divine,
seule à même de dispenser la grâce. Et si la foi humaine est inutile pour le
salut, elle ne l’est pas pour la cité, puisqu’en pariant sur l’existence de
Dieu, on s’accoutume à devenir « fidèle, honnête, humble, reconnaissant,
bienfaisant, ami, sincère, véritable … » (Fg 418). </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:12.0pt;text-align:justify;text-justify:
inter-ideograph;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:
none"><span lang="EN-US" style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:EN-US">Cet ouvrage propose une bonne synthèse des principaux
concepts pascaliens. On peut éventuellement regretter que la philosophie
politique de Pascal ne soit pas présente, mais Hervé Bonnet a dû faire des
choix et ceux-ci sont légitimes. On émettra une réserve un peu plus nette quant
au style de l’auteur. En effet, le projet de la collection se veut didactique,
pédagogique. Or l’auteur a manifestement le goût des phrases extrêmement
longues, qui se déroulent en de multiples circonvolutions. Son propos perd
parfois en clarté. Quel contraste avec la belle langue dépouillée et ascétique
de Pascal !</span></p>
<p>
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