oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - cynismeRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearÉtienne HELMER, Diogène le Cynique, Les Belles Lettres, Paris 2017, lu par Matthieu Guyoturn:md5:2950c648c81207d0cb8ca42e20cdc10b2017-06-26T06:00:00+02:002017-07-04T18:12:49+02:00Romain CoudercHistoire de la philosophiecosmopolitismecynismeDiogèneéthique<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><img alt="https://static.lesbelleslettres.com/data/cache/ProductPicture/picture/main/4/d/11199.jpg" src="https://static.lesbelleslettres.com/data/cache/ProductPicture/picture/main/4/d/11199.jpg" style="height: 300px; width: 197px; float: left; margin-left: 3px; margin-right: 3px;" /><strong>Étienne Helmer, <em>Diogène le Cynique</em>, Glossaire, notices biographiques, bibliographie et index, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Figures du savoir », 2017, 216 p.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Dans l’importante collection « Figures du savoir », Étienne Helmer, auteur de plusieurs ouvrages sur les questions économiques et sociales dans la pensée antique, propose aujourd’hui un livre dense et novateur qui est à la fois une présentation du cynisme et un plaidoyer en faveur de cette philosophie parfois méprisée. S’appuyant sur des études récentes et pour certaines inédites, l’auteur s’efforce en effet de montrer que malgré son apparente pauvreté théorique et ce qui peut être perçu comme une pose provocatrice, le cynisme est bien une philosophie digne d’intérêt et riche d’enseignements. Pour cela il en étudie les différents pans, en prenant à rebours certains contresens traditionnels et en montrant comment la pensée de Diogène peut résonner en notre temps.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;"> La première partie de l’ouvrage est consacrée au « philosopher » de Diogène ». É. Helmer montre que celui-ci ne s’enracine pas, comme on a pu le croire, dans un anti-intellectualisme et encore moins dans un irrationalisme. Le cynisme est une philosophie du <em>logos</em> mais qui se refuse à cultiver la connaissance pour elle-même : le <em>logos</em>, simplement, doit être au service du bien vivre (« Il ne cessait de répéter que si l’on veut être équipé pour vivre il faut de la raison ou une corde » ; Diogène Laërce VI, 24) et le philosophe, inversement, ne mérite vraiment ce nom que si sa vie est en accord avec le <em>logos</em>, et c’est avant tout le défaut d’une telle adéquation entre le parler et l’agir que Diogène pointait par exemple irrévérencieusement chez Platon (voir p. 37 et 117).</p>
<p style="text-align: justify;"> Il n’en demeure pas moins que la philosophie cynique présente un caractère paradoxal et très singulier au regard de la tradition antique. Concentrée sur ses effets pratiques, elle en vient à délaisser toute théorie psychologique ou ontologique (voir p. 79, 100), et, appelant une incarnation de la pensée, elle se tient toujours au bord du silence, se contentant souvent d’enseigner par une brève réplique (en grec : les <em>chries</em> ), voire par un simple geste qui entend court-circuiter des bavardages théoriques finalement suspects de couvrir de simples faux-fuyants.</p>
<p style="text-align: justify;"> Dans la deuxième partie, l’auteur examine l’éthique de Diogène en corrigeant, là aussi, quelques idées trop facilement répétées. On présente en effet souvent le cynisme comme une philosophie qui rejetterait la civilisation et appellerait à un retour à un état de nature originel. Là-contre, É. Helmer montre que la position de Diogène est plus nuancée et que c’est en fait à la simplicité (<em>euteleia</em>) qu’il nous enjoints, une simplicité qui vise à réduire les « médiations sociales, économiques ou politiques » (p. 84) qui séparent nos désirs de leur réalisation, mais suffisamment puissante pour composer avec les acquis de la culture : Diogène vit dans les cités, use des artefacts de la civilisation et ne souhaite pas la disparition de la loi ou de l’État. La simplicité a en effet pour mérite de nous libérer, en <em>toutes</em> circonstances et quoi que nous oppose la Fortune, y compris au sein des cités, donc, de ce qui nous asservit, et au premier chef des désirs qui nous soumettent aux aléas du sort et au bon vouloir d’autrui.</p>
<p style="text-align: justify;"> Posant un diagnostic dont se souviendra en particulier Épictète qui en fera une figure du sage stoïcien (voir <em>Entretiens </em>III, 22 et IV, 1), Diogène met en effet en lumière le lien qui unit la servitude psychologique et la domination sociale : « Entre mon désir et moi, l’autre – individu ou société – s’immisce comme pourvoyeur d’un plaisir dont cet homme risque, s’il n’est pas lui-même cynique, de devenir le seul maître effet et moi, de ce fait, le parfait esclave » (p. 82). Pour rompre conjointement ces deux servitudes, Diogène pratique et prescrit donc une ascèse, à la fois physique et psychologique, une habituation à la frugalité qui favorise la plus grande autarcie possible et, en me détachant des objets et des différentes formes de valorisation sociale (gloire, pouvoir…), me libère des autres sujets.</p>
<p style="text-align: justify;"> Ce souci, sinon cette obsession, de l’autarcie individuelle, et la rudesse souvent insultante dont fait preuve Diogène envers ses interlocuteurs font-ils de lui, comme on l’a cru encore, un penseur apolitique, voire hostile à la vie en société ? La troisième partie de l’ouvrage montre qu’il n’en est rien et que c’est même peut-être sur ce plan que la philosophie de Diogène a le plus à dire aux lecteurs d’aujourd’hui. Si le cynisme doit avoir des effets curatifs sur la cité, simplement, ce n’est pas en agissant de façon verticale, par une modification du régime politique ou des gouvernants, mais de façon horizontale et, pour ainsi dire « par en bas » : « loin d’être une alternative à la politique, dit É. Helmer, la pensée éthique de Diogène débouche plutôt sur une politique alternative qu’on peut résumer de la façon suivante : en incitant chacun à atteindre la liberté et l’autosuffisance par la maîtrise vertueuse de ses appétits et l’adoption d’une vie simple, Diogène propose de mettre un terme à la violence engendrée dans la cité par les appétits les plus courants, en particulier le désir d’avoir plus, la recherche du plaisir sans frein, et toutes les formes d’asservissement véhiculées par les valeurs dominantes » (p. 110-111). C’est dans la même perspective que doit se comprendre sa <em>Politeia</em> (pour autant que nous puissions nous en faire une idée à partir de ce qui en a subsisté), et son célèbre « cosmopolitisme » : celui-ci désigne non une condamnation des États en place et des institutions sociales, mais une « appréhension rationnelle et neuve du local à la lumière des circonstances, au nom de la finalité de l’éthique cynique » (p. 142), qui fait de chaque lieu « un monde où tout peut être au sage » (p. 144). De son exil, Diogène tire l’occasion d’une décision philosophique, de son tonneau (ou « jarre », comme traduit moins conventionnellement É. Helmer), il fait une maison, de l’agora un espace ouvert aux activités regardées comme privées (manger, faire l’amour)… La formule « Tout est au sage », fragment de sa <em>Politeia</em> conservé par Diogène Laërce, doit en effet se comprendre non comme l’expression d’un droit à tout s’approprier mais comme l’effet de la simplicité du cynique et de la capacité qu’elle lui confère de trouver son bonheur partout dans le <em>kosmos</em>, en tout lieu et en toute situation sociale.</p>
<p style="text-align: justify;"> Dans la dernière partie de cet ouvrage, enfin, l’auteur examine la postérité de Diogène. Il se penche d’abord sur les échos du cynisme chez Épictète, Diderot et surtout Nietzsche (en particulier à la fin de « Schopenhauer éducateur » et dans le fameux § 125 du <em>Gai savoir</em> sur « Le dément » qui annonce la « mort de Dieu ») et Foucault (dans ses leçons sur « Le courage de la vérité », où ce dernier médite notamment la liberté de parole – <em>parrhèsia</em> – des cyniques).</p>
<p style="text-align: justify;"> De façon peut-être inattendue, l’auteur souligne également que la réflexion de Diogène peut éclairer les débats les plus contemporains : en choisissant la mendicité, il conduit à redonner sa positivité au point de vue des exclus, qui ne se définit pas de manière purement négative (comme privation d’intégration sociale) mais comme une altérité positive ; aux sociétés de consommation, sa frugalité appelle à évaluer les choses en fonction de leur valeur réelle et non de leur prix marchand, à la poursuite de la croissance érigée en indicateur du bonheur des sociétés, il rétorque par sa parole et son exemple que ce dernier peut progresser en désirant moins et non en produisant et en possédant toujours plus.</p>
<p style="text-align: justify;"> Tout au long de cette analyse, É. Helmer montre finalement, sur un plan historique, que Diogène n’est pas, comme il peut sembler de prime abord, un penseur individualiste. Mais, au-delà, il suggère avec lui que l’éthique individuelle peut bien constituer une des réponses, au moins, aux problèmes politiques (inégalités, rivalités, violence, frustration) qui affectent et affligent les sociétés d’aujourd’hui comme celles de l’Antiquité.</p>
<p style="text-align: right;">Matthieu Guyot</p>D. Lorenzini, A. Revel et A. Sforzini (dir.), Michel Foucault : éthique et vérité, lu par Jonathan Racineurn:md5:6bea40f145dc279c685dac32d068346a2014-12-10T06:00:00+01:002014-12-10T06:00:00+01:00hmullerHistoire de la philosophiealéthurgiealéthurgie décolonialeaveucynismeFoucaultmanagementparrêsiaperfectionnisme moralPères de l’Egliserégime de véritéSubjectivitééthique<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>D. Lorenzini, A. Revel et A. Sforzini (dir.), Michel Foucault : éthique et vérité. 1980-1984. Vrin, 2013</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Ce recueil d’articles
vise à faire le point sur l’ultime étape de la pensée de
Foucault, au moment où la publication des cours aux Collège de
France arrive à son terme<sup><a class="sdfootnoteanc" name="sdfootnote1anc" href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/10/12/2014/D.-Lorenzini%2C-A.-Revel-et-A.-Sforzini-%28dir.%29%2C-Michel-Foucault%C2%A0%3A-%C3%A9thique-et-v%C3%A9rit%C3%A9.-1980-1984.-Vrin%2C-2013#sdfootnote1sym"><sup>1</sup></a></sup>.
On sait, en lisant les deux derniers volumes publiés de <em>L’histoire
de la sexualité</em>, que cette dernière étape est marquée par un
travail de lecture important des auteurs antiques, et par le
déploiement du thème de l’éthique. Mais précisément, l’ouvrage
que nous présentons vise à dépasser une vision trop simpliste qui
réduirait le dernier Foucault à la seule notion de souci de soi,
empruntée aux anciens.</p> <p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Après une introduction
générale, qui remet en contexte les cours au Collège de France et
qui opère un premier repérage des problématiques nouvelles de
Foucault dans les années 80, l’ouvrage est composé de trois
parties : la première partie, « Le tournant des années
80 », approfondit ce qui n’est qu’esquissé dans
l’introduction quant à la nouveauté des thèmes et des concepts
de la pensée foucaldienne. La deuxième partie, « Foucault et
la philosophie antique », se penche sur l’usage des
références à l’Antiquité dans la pensée de Foucault. La
troisième, « la <em>parrêsia</em> et l’attitude critique »,
s’intéresse à la dimension critique de ces textes des dernières
années, en particulier à travers le thème du courage de la vérité.
Enfin, la quatrième et dernière partie, « Usages du dernier
Foucault », propose des prolongements, des usages possibles,
des concepts mis en place et étudiés dans les parties précédentes<img title="livre_foucault.jpg, nov. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="http://blog.crdp-versailles.fr/oeildeminerve/public/Decembre_2014/livre_foucault.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Introduction :
« actualité du dernier Foucault »</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’introduction
souligne d’abord l’importance des cours, dans la mesure où il
s’agirait, notamment à partir de 1978, du « véritable
laboratoire des expérimentations foucaldiennes ». A partir de
cette date, les cours ne sont en effet plus seulement un compte-rendu
public de ses recherches : « le temps de la recherche ne
précède plus le temps de l’exposé oral, mais s’entrelace
essentiellement à lui » (p. 11).
</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Puis
les auteurs relèvent trois champs de notions qui traversent son
projet philosophique de 1978 à 1980 : le premier axe à
explorer est le déplacement du regard de Foucault vers l’Antiquité
– pas seulement l’Antiquité gréco-latine, mais aussi et
peut-être surtout le christianisme. Cette référence à l’Antiquité
permet à Foucault de construire une nouvelle généalogie, la
généalogie de la subjectivité occidentale – et c’est le
deuxième axe. Cette question de la subjectivité est posée dans des
termes nouveaux, notamment à partir du concept de gouvernement :
« le concept de gouvernement permet de mieux rendre compte du
caractère productif des régimes de savoir et pouvoir. Les relations
de gouvernement ne se réduisent pas à leurs effets répressifs
d’assujettissement, mais engendrent des formes spécifiques et
multiples de discours, d’action, de rapport à soi, et constituent
dès lors un champ ouvert où se joue la possibilité d’inventer et
de construire des pratiques politiques inédites » (p. 15). La
question des techniques de gouvernement de subjectivation est
étroitement liée au thème d’une généalogie des pratiques de
vérité (troisième axe) : le problème de la vérité est
abordé en dehors de toute perspective épistémologique, mais en
rapport avec le pouvoir : « la force du pouvoir n’est
pas indépendante de quelque chose comme la manifestation du vrai, et
bien au-delà de ce qui est simplement utile ou nécessaire pour bien
gouverner » (<em>Le gouvernement des vivants</em>, p. 10) –
manifestation du vrai ou <em>aléthurgie</em>. Cette problématique de
l’aléthurgie est ensuite « reprise et approfondie à travers
le concept de <em>parrêsia</em>, qui est au cœur des deux derniers
cours » (p. 17). On peut alors constater une
« intensification progressive des valeurs existentielles et
pratiques de la vérité ».</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Première
partie : « Le ‘tournant’ 1980 »</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 1 : Le
cours </strong><em><strong>Du gouvernement des vivants</strong></em><strong> dans la
perspective de l’</strong><em><strong>Histoire de la sexualité</strong></em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Dans ce chapitre,
M. Senellart rappelle l’objet de ce cours : non pas les
mécanismes de contrôle et de régulation s’exerçant sur le
corps-espèce (perspective biopolitique), mais le gouvernement des
hommes par la vérité ; non pas la prise en charge par le
pouvoir de la vie des populations, mais les actes de vérité propres
au christianisme des premiers siècles. Quels rapports alors avec la
problématique de <em>L’histoire de la sexualité </em>?
« L’analyse du ‘régime de vérité’ chrétien se
présente-t-elle comme une contribution à l’histoire de l’éthique
sexuelle chrétienne ? Peut-elle se lire comme la reprise du
projet inauguré par <em>La volonté de savoir</em> ou le témoin du
tournant conduisant aux <em>Aveux de la chair </em>? » (p.
31). L’objet de ce chapitre est de mettre au jour un tel lien, qui
n’a rien d’évident : la thèse est que ce cours constitue
un volet essentiel de l’histoire de la sexualité.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Pour la défendre,
l’auteur opère dans un premier temps de précieux rappels sur le
contexte de rédaction du cours, à savoir les recherches de
Foucault, à partir de 1977, sur les Pères de l’Eglise, dans la
perspective de la rédaction des <em>Aveux de la chair</em> (qui devait
constituer le second volume de l’<em>Histoire de la sexualité</em>).
Il est ainsi en mesure de proposer des hypothèses sur la manière
dont le livre en projet s’articule au cours. Ce qui apparaît
essentiel, c’est la distinction d’un pôle de l’aveu et d’un
pôle de la foi.
</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Dans
un second temps, pour saisir l’originalité de la démarche de
Foucault et de cette distinction fondamentale, il restitue le projet
foucaldien dans le champ général de l’histoire de la sexualité.</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Enfin,
pour résoudre la question de l’articulation de l’aveu et de la
chair, l’auteur rappelle l’importance de Tertullien dans
l’analyse de Foucault et pourquoi il constitue un tournant décisif
dans la pensée chrétienne.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 2 : Vers
l’éthique. La notion de ‘régime de vérité’ dans le cours </strong><em><strong>Du
gouvernement des vivants</strong></em></p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">On
s’intéresse en particulier au déplacement qu’opère cette
notion de ‘régime de vérité’ par rapport à la problématique
‘savoir / pouvoir’, un déplacement qui s’inscrit dans une
réflexion éthique, dans la mesure où il « permet de remettre
au cœur du comportement moral le problème du vrai » (p. 54).
L’article souligne que ce qui s’élabore dans ce cours, avec ce
concept, n’est pas une simple esquisse de l’éthique ultérieure.
En effet, celle-ci tend peut-être à oublier cette question du
rapport à la vérité pour insister sur le souci de soi.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 3 : la
fin de l’herméneutique de soi</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Pourquoi Foucault
entreprend-il de se consacrer à la philosophie antique à partir des
années 80 ? L’auteur relève que « Foucault ne fut pas
un antiquisant comme les autres, car il ne renonça jamais à son
principe de partir toujours d’un problème dans les termes où il
se pose actuellement et d’essayer d’en faire la généalogie »
(p. 68). Quel est le problème en question ? Le fait que, du
christianisme primitif jusqu’à la médecine et la psychiatrie
contemporaine, la pratique de l’aveu a envahi notre vie. Or, cette
pratique était étrangère à la philosophie antique, et la thèse
de l’auteur est alors que Foucault « lit la philosophie
antique pour faire émerger des alternatives au joug de
l’herméneutique de soi, pour nous montrer qu’une alternative
concrète a existé » (p. 73). En cela, les cours sur la
philosophie antique rejoignent l’attitude critique telle qu’elle
peut être développée dans la conférence <em>Qu’est-ce que la
critique ?</em></p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Deuxième
partie : Foucault et la philosophie antique</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 4 :
</strong><em><strong>Subjectivité et vérité : </strong></em><strong>quelques
concepts inédits</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le cours
<em>Subjectivité et vérité </em>contient de nombreuses analyses qui
ont été reprises dans <em>L’usage des plaisirs </em>et <em>Le souci
de soi</em>. Dans cet article, F. Gros se penche sur le cas du mariage
romain, mariage dont les stoïciens font l’éloge, pour pointer
deux concepts qui semblent absents de <em>L’histoire de la
sexualité </em>: celui de ‘dédoublement du sexe’ en un
sexe-statut et un sexe-affectif, et celui de redoublement de soi sur
soi, c'est-à-dire l’idée d’un contrôle permanent de son désir
(p. 85). C’est avec cette nouvelle structure, le couple stoïcien,
romain, que la sexualité devient « une dimension permanente de
la subjectivité ».</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 5 :
Economie antique et souci de soi de Xenophon à Foucault</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Cet article érudit de
C. Natali n’est pas entièrement consacré aux analyses de
Foucault : il s’agit plutôt d’une présentation du thème
de l’<em>oikonomia</em> grecque et de sa réception (celle de Marx
par exemple), ce qui permet de contextualiser la position de
Foucault. L’article se termine sur une comparaison entre les
traités ‘économiques’ grecs et les traités chinois.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 6 :
Foucault et sa vision du cynisme dans </strong><em><strong>Le courage de la
vérité</strong></em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’article
commence par rappeler ce que Foucault a pu trouver dans le cynisme :
un souci de soi-même hérité de Socrate, qui implique une mise à
nu de soi, un dire-vrai, un courage de la vérité, un véritable
mode de vie, ou encore une esthétique de l’existence. Dans un
second temps, l’auteur, en s’appuyant sur ses propres travaux sur
le cynisme (cf. par exemple M.-O. Goulet-Cazé, <em>L’ascèse
cynique</em>), apporte quelques précisions sur ce courant, et
rectifie quelques biais présents dans la lecture de Foucault. En
effet, celle-ci reproduit parfois certains préjugés, notamment en
ce qui concerne le bagage théorique des cyniques, la dimension
soi-disant rudimentaire de leur pensée, ou encore à propos de deux
formes de cynisme, un cynisme respectable, véritablement
philosophique, et un cynisme scandaleux.</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Troisième
partie : La </strong><em><strong>parrêsia </strong></em><strong>et l’attitude
critique </strong>
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 7 :
</strong><em><strong>Askêsis, êthos, parrêsia </strong></em><strong>: pour une
généalogie de l’attitude critique</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L. Cremonesi
relève que « c’est au même moment que Foucault a commencé
à élaborer son idée de critique et sa lecture du monde antique »
(p. 127). Il s’agit dès lors de « montrer que certains
concepts et pratiques que Foucault repère dans l’Antiquité
classique ont joué un rôle positif dans sa définition de la
critique en tant que tâche de la philosophie »</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Ainsi, la notion de
critique est étroitement liée à celle de gouvernement, dans la
mesure où la critique est définie comme une réponse à l’explosion
des pratiques de gouvernement. Or, pour comprendre la notion de
gouvernement, il faut prendre en compte l’inclusion des techniques
de soi dans le domaine des relations de pouvoir, ce qui constitue un
fil conducteur de l’analyse foucaldienne de l’Antiquité.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Après avoir précisé
la notion de critique, la fin de l’article rapproche cette attitude
du mode de vie cynique.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 8 :
Dramatiques de la vérité : la </strong><em><strong>parrêsia</strong></em><strong> à
travers la tragédie attique</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Dans cet article,
A. Sforzini se concentre sur l’usage foucaldien des tragédies
d’Euripide, considérées comme « lieu génétique de la
notion de <em>parrêsia</em> ». Cela lui permet d’aborder le
débat concernant les rapports entre tragédie et politique (des
rapports pointés dans les années 70 notamment par Vernant et
Vidal-Naquet). Le problème qui semble essentiel est celui de la
place de la vérité par rapport au pouvoir, du dire-vrai en
démocratie, et le rôle fondamental attribué par Foucault à la
tragédie comme aléthurgie, manifestation de vérité.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 9 :
Promenades, petits excursus et régimes d’historicité</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">J. Revel
s’intéresse dans cet article à deux excursus de Foucault, l’un
concernant une histoire du cynisme depuis l’Antiquité jusqu’à
nous (<em>Le courage de la vérité</em>, 1984), l’autre commentant
le texte de Kant <em>Qu’est-ce que les Lumières ?</em> (<em>Le
gouvernement de soi et des autres</em>, 1983).</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Le premier texte éveille
la curiosité de l’auteur dans la mesure où l’idée d’un
cynisme transhistorique semble impliquer une rupture dans l’analyse
de Foucault, qui repose pourtant sur une périodisation rigoureuse.
C’est le statut d’une telle trans-historicité qu’il s’agit
de comprendre. L’auteur opère alors une confrontation avec
l’attitude critique kantienne, qui semble bien manifester, dans
l’analyse de Foucault, le même type de « décrochage radical
par rapport au travail d’historicisation » (p. 171).</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Quatrième
partie : Usages du dernier Foucault</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 10 :
Foucault, éthique et subjectivité</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Selon l’auteur,
notre culture morale, dans la mesure où elle est le lieu d’une
confrontation entre tradition et modernité, manque d’un espace
pour penser véritablement la vie humaine. La réponse apportée par
des penseurs comme Singer à une conception de la vie humaine
enracinée dans un arrière-plan théologique revient, selon lui, à
détacher « entièrement le travail accompli par la réflexion
morale du champ de l’expérience qui prend place dans les domaines
de la vie humaines ; ils le détachent donc de toutes les
circonstances, de toutes les attitudes et de tous les concepts
humains qui font que donner la vie, être enceinte, mourir, sont
quelque chose d’important et de marquant pour nous »
(p. 181) ; le fait d’être humain, la forme de la vie
humaine, serait insignifiant, moralement parlant.
</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Une
telle réponse est, pour l’auteur, insatisfaisante : nous
aurions obtenu la liberté, mais perdu le sens de ce que nous
devrions faire avec elle (p. 183). Il pense que « nous avons
besoin d’élaborer des voies à travers lesquelles notre
subjectivité puisse s’exprimer », et c’est pourquoi il
recourt à la pensée de Foucault, dans la mesure où celui-ci « nous
invite à penser les pratiques qui rendent possible la constitution
de la subjectivité ».</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 11 :
</strong><em><strong>Satyagraha </strong></em><strong>: une aléthurgie décoloniale</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Après un rappel
sur les concepts de <em>parrêsia</em> et d’aléthurgie, sur
l’attitude critique présente notamment dans le cynisme qui, comme
on l’a vu précédemment peut se manifester sous une forme
transhistorique, cet article s’interroge sur la possibilité de
transposer ces analyses foucaldiennes en dehors du cadre occidental –
plus précisément à propos de civilisations qui ont croisé les
sociétés occidentale dans l’expérience du colonialisme ?
Autrement dit, il s’agit de « vérifier si le questionnement
que le cynisme analysé par Foucault véhicule peut faire apparaître
des aspects inédits de la décolonisation » (p. 209). Cette
problématique posée, l’auteur se penche sur la notion de
<em>satyagraha</em>, introduite par Gandhi, et qui peut être traduite
comme ‘force de vérité’. Il y aurait bien chez Gandhi « un
travail d’élaboration éthique de soi en fonction de la résistance
au pouvoir colonial », illustration d’une aléthurgie
décoloniale.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 12 :
Anarchéologie du management</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’auteur part
d’un lieu commun de la littérature managériale récente –
l’insistance sur la préparation éthique à la fonction de
dirigeant – pour s’interroger sur une éventuelle
instrumentalisation de la pensée de Foucault par des chercheurs en
sciences de la gestion. Après des rappels sur la notion de souci de
soi, l’auteur aboutit à la question suivante : « on
peut se demander si le parallèle avec l’Antiquité est légitime
et n’aboutit pas à un anachronisme plutôt naïf consistant à
reprendre des schémas de subjectivation anciens […] pour décrire,
contrer ou dépasser les formes de subjectivation des sociétés
contemporaines ». Cette question (que l’on est en droit de
trouver elle-même un peu naïve) est l’occasion d’une analyse de
la rationalité gouvernementale contemporaine qui refuse d’y voir
un bloc homogène : « elle se caractérise par la présence
simultanée de plusieurs rationalités divergentes, ayant des
origines, des modes de développement, des temporalités
différentes » (p. 225). L’auteur repère ainsi plusieurs
paradigmes dans les théories contemporaines du management : un
paradigme du management-gestion, qui « suit de près un mode de
développement proche de celui d’un régime de vérité
scientifique », et un paradigme du leadership, qui renverrait
plutôt au régime de vérité de la direction de conscience
chrétienne. Une telle rationalité fragmentée, conclut l’auteur,
est « affectée par toute une série de contradictions […]
qui sont autant de chances pour la construction de formes de riposte
individuelles et collectives » (p. 237)</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre 13 :
Ethique et politique de nous-mêmes : à partir de Michel
Foucault et Stanley Cavell</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’auteur
s’intéresse au perfectionnisme moral, et pose la question
suivante : comment faut-il concevoir le rapport entre dimension
éthique et politique à l’intérieur d’une pensée qui considère
le travail ‘spirituel’ de soi sur soi comme le cœur du travail
philosophique ? (p. 240). Dans un premier temps, à partir
de Cavell et de sa lecture de Platon, il explore l’hypothèse que
la politique serait une expression de l’éthique. Dans un second
temps, l’auteur revient sur la <em>parrêsia</em>, dont il a été si
souvent question dans ce volume, en s’interrogeant sur sa place
dans la démocratie athénienne : suite à la critique des
élites à l’égard de la démocratie, la <em>parrêsia</em> perd son
sens exclusivement politique, pour s’orienter vers l’<em>êthos</em>.
Mais deux voies sont alors possibles : dans la tradition
platonicienne issue de l’<em>Alcibiade</em>, la <em>parrêsia</em> est
le signe extérieur d’une excellence éthique qui nous garantit
l’accès à la vérité (p. 247) ; mais si on part du <em>Lachès</em>,
on découvre une autre forme de <em>parrêsia</em> qui s’exprime
notamment dans le cynisme en se faisant manière de vivre. Or, avec
cette <em>parrêsia</em> cynique s’opère « une transfiguration
radicale du sens même de ce qui est politique », dont
l’auteur, dans un dernier temps, analyse les prolongements chez
Thoreau et Emerson.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Commentaires</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Un recueil
d’articles suscite toujours un intérêt inégal selon la qualité
des articles et selon ce que recherche le lecteur. Concernant la
qualité, le lecteur trouvera toujours un contenu riche en
informations. S’il cherche des analyses lui offrant une vue
d’ensemble de ce qui s’opère dans la pensée de Foucault dans
les cours des dernières années, c’est finalement l’introduction
du volume qui lui sera le plus utile. Les analyses précises
qu’offrent les trois premières parties constituent souvent une
invitation stimulante à (re)-lire ces cours. Quant à la quatrième
partie, le lecteur découvrira des perspectives originales en tant que prolongements de la pensée de
Foucault.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><a class="sdfootnotesym" name="sdfootnote1sym" href="http://blog.crdp-versailles.fr/#sdfootnote1anc">1</a>
Le cours de 1981, <em>Subjectivité et vérité</em>, vient de
paraître. Quant aux autres cours qui nous intéressent ici,
relevons le cours de 1980, <em>Le gouvernement des vivants, </em>paru
en 2012 ; le cours de 1982, <em>L’herméneutique du sujet</em>,
est paru en 2001 ; et les cours des deux dernières années,
sur <em>Le gouvernement de soi et des autres</em> et <em>Le courage de
la vérité</em>, sont parus en 2008 et 2009</p>