oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - choix socialRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearL'idée de justice, Amartya Sen, Champs-Flammarion, 2012, lu par Valérie Saint-Genisurn:md5:2ff574b442f552d059f0a0723fbbddd22013-02-22T06:15:00+01:002013-02-23T10:10:34+01:00Jeanne SzpirglasPhilosophie politiquecapabilitéchoix socialdémocratiejusticelibertéRawlsresponsabilitéusticeégalité<p style="margin-top: 0; "><strong><em><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/fevrier/.sen_t.jpg" alt="" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0; " title="sen.png, fév. 2013" />L'idée de justice</em>, Amartya Sen, Champs-Flammarion, Paris, 2012, 558p, traduction de Paul Chemla (1ère édition, Penguin Books Ltd, 2009) Lu par Valérie Saint-Genis</strong></p>
<p>Comment réduire les injustices flagrantes? C'est ce qu'Amartya Sen s'efforce de déterminer dans cet ouvrage qui s'inspire de Kenneth et de la théorie du choix social...</p> <br />
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Une théorie de la
justice, pour Sen, ne doit pas se contenter de définir des
dispositifs institutionnels justes sans se préoccuper des sociétés
concrètes, mais doit au contraire inclure les moyens de déterminer
comment réduire les injustices flagrantes. Il s’éloigne des
théories contractualistes défendues par Hobbes, Locke, Rousseau, et
plus récemment Rawls, pour s’inspirer de Kenneth et de la théorie
du choix social. Cette tradition alternative s’appuie sur une
analyse comparative qui prend en compte les modes de vie, les
comportements concrets des individus et les interactions sociales,
afin de dégager des solutions contre les famines, les inégalités
face à la santé et l’éducation ainsi que les inégalités entre
les hommes et les femmes. Une simple évolution des lois ne suffit
pas, l’amélioration de la justice repose aussi sur l’évolution
des mentalités rendue possible par la participation de tous au
raisonnement public.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Première partie :
Les exigences de la justice</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>1. Raison et
objectivité</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il faut une analyse
objective de la justice. La raison doit jouer un rôle fondamental à
condition de ne pas réduire le choix rationnel à la prudence et à
l’intérêt personnel. L’élaboration d’un cadre public de
pensée, afin de permettre des jugements fondés sur la discussion,
dont les conclusions sont considérées comme raisonnables par un
public raisonnable, constitue la condition de l’objectivité.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>2. Rawls et au-delà</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Rawls, dans la <em>Théorie
de la justice</em> publiée en 1971, conçoit la justice comme équité,
c'est-à-dire exigence d’impartialité. Elle repose sur l’idée
de « position originelle », situation imaginaire
d’égalité dans laquelle les participants ne connaissent ni leur
identité ni leurs intérêts. Pour Rawls, chaque personne a un droit
égal aux libertés compatibles avec les libertés de tous. Les
inégalités sociales et économiques doivent être attachées à des
positions et des fonctions ouvertes à tous selon l’égalité des
chances et procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus
désavantagés de la société.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>3. Institutions et
personnes</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Les institutions font
avancer la justice mais n’en sont pas une incarnation. Diverses
institutions sont possibles, les mêmes institutions dans des pays de
culture différentes peuvent produire des résultats contraires. Seul
l’examen des situations sociales permet d’évaluer la justice des
dispositifs.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>4. Voix et choix
social</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La théorie du choix
social est une méthode défrichée par les mathématiciens du 18<sup>ème</sup>
siècle. Elle aboutit à des résultats pessimistes. La version
moderne de Kenneth Arrow montre qu’il n’existe pas de procédure
de choix social rationnelle et démocratique capable de satisfaire
les préférences individuelles. Pour Sen, il est possible de
résoudre ces difficultés en intégrant davantage d’informations.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>5. Impartialité et
objectivité</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Sen montre la nécessité
pour la justice d’avoir une portée universelle. Il identifie deux
espaces d’impartialité, un espace fermé défendu par Rawls, la
procédure de constitution des jugements est interne à une société,
un espace ouvert défendu par Smith, qui recourt à des
jugements extérieurs au groupe.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>6. Impartialité
ouverte et fermée</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le « voile de
l’ignorance » de Rawls est dénoncé comme
« provincialiste ». Les « Positions originelles »
ne garantissent pas un examen suffisamment objectif car elles restent
tributaires des conventions sociales, morales et sentimentales
locales.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Sen préfère le
« spectateur impartial » de Smith car l’évaluation de
la justice exige le regard des « yeux de l’humanité »
pour trois raisons : possibilité de s’identifier aux autres,
nos choix et actes ont un impact sur la vie d’autres sociétés, et
ce que les autres voient à partir de leur position historique et
géographique peut aider à dépasser le local</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Deuxième partie :
Formes de raisonnement</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>7. Positions,
pertinence et illusions</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Toute connaissance et
toute observation supposent un point de vue positionnel. Il est
objectif si des personnes différentes voient même chose dans la
même position. En éthique et politique, la position a du sens, par
exemple la place de parents pour comprendre les devoirs à l’égard
des enfants. Mais il faut aussi dépasser la position car il devient
contraire à l’éthique de favoriser ses enfants contre d’autres
enfants. Il faut surmonter les limites positionnelles en tenant
compte de la perception des personnes et des données extérieures.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>8. La rationalité et
les autres</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">La théorie du choix
social définit à mauvais escient la rationalité du choix comme
simple maximisation des intérêts personnels. Choisir
rationnellement consiste à fonder un choix sur des
raisonnements pouvant être maintenus après examen critique, ce qui
implique une pluralité d’options rationnelles. Or plusieurs
raisons vont à l’encontre des principes de l’amour de soi :
l’empathie, la générosité, l’esprit public. Si la prudence est
utile à l’individu, les autres vertus sont utiles à autrui.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>9. Pluralité des
raisons impartiales</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"> Il faut vérifier ce que
les autres ne peuvent rejeter, ce qui est défendable. L’homme
adopte un comportement coopératif, il cherche une norme collective
pour le bénéfice de tous. Deux voies sont possibles pour
mettre à jour cette norme : des contrats issus d’accords dont
on peut assurer le respect, et des normes sociales induisant un
comportement volontaire. Pour Sen, les obligations ne sont pas
toujours rattachées à des contrats mais naissent aussi du pouvoir.
Un pouvoir effectif crée une asymétrie et entraine des
responsabilités, par exemple de l’homme à l’égard de l’animal,
de la mère à l’égard des enfants.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>10. Réalisations,
conséquences et agence</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il propose de dépasser
l’alternative entre conséquentialistes, qui ne tiennent compte que
des résultats finaux, et déontologiste, qui ne tiennent compte que
des devoirs, en portant attention aux conséquences tout en
identifiant des devoirs de manière indépendante. Il faut
appréhender des résultats globaux qui se distinguent des résultats
finaux, en intégrant les procédures et la nature des agents et des
relations afin de prendre en compte la notion de responsabilité.
<img title="Sen Justice, fév. 2013" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/fevrier/41Hrb4zMWcL._SL500_AA300_.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Troisième partie :
Les matériaux de la justice</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>11. Vies, liberté et
capabilités</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Les critères
économiques ne sont que des moyens en vue d’une fin : aider à
construire des vies dignes d’être vécues. Il faut pas seulement
tenir compte des richesses, mais aussi de l’organisation de la
société en termes de santé publique, nature du système
scolaire, cohésion et harmonie sociale. Sen distingue la liberté
qui donne plus de possibilités d’œuvrer à nos objectifs et la
liberté du processus de choix. La capabilité ne se mesure pas
seulement à l’option choisie mais aussi à la procédure du choix.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>12. Capabilités et
ressources</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’idée de capabilité
attribue un rôle à l’aptitude réelle d’une personne à
effectuer les activités qu’elle valorise. Il met en évidence
quatre difficultés dans la conversion du revenu en modes de vie :
hétérogénéité personnelle; diversité des environnements
physiques; variété des climats sociaux; différences de perspective
relationnelle.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>13. Bonheur, bien-être
et capabilités</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le calcul utilitarisme
fondé sur le bonheur est injuste pour ceux qui souffrent de
privations permanentes et qui adaptent leurs désirs à leur
condition. En raison de la distinction entre agence et bien-être, et
entre liberté et accomplissement, la capabilité d’une personne
peut aller à l’encontre de son bien-être quand la liberté
d’action contrarie la recherche exclusive du bien-être.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>14. Egalité et
liberté</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’égalité de liberté
l’emporte sur l’égalité de capabilité car la liberté concerne
un aspect plus fondamental des vies humaines. La liberté se définit
sous trois aspects : capabilité, absence de dépendance et
absence d’ingérence. </p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>Quatrième partie</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>15. La démocratie
comme raisonnement public</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Il faut cesser de penser
la démocratie du point de vue de l’histoire européenne et
américaine, et envisager l’omniprésence de la « vie
participative » dans le temps et dans l’espace. La liberté
des médias constitue une contribution directe à la liberté
d’expression, rend possible l’esprit critique, exerce une
fonction protectrice en donnant la parole aux défavorisés et
favorise la formation de valeurs indépendantes</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>16. La pratique de la
démocratie</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’absence de démocratie
et la censure de la presse, c'est-à-dire l’absence d’un
raisonnement public et d’une libre diffusion de l’information,
sont les deux causes des grandes famines du 20<sup>ème</sup> siècle.
Les libertés politiques et les droits démocratiques sont
constitutifs du développement. La démocratie doit assurer à la
fois le pouvoir de la majorité et les droits des minorités. Elle
rend possible la formation de valeurs tolérantes</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>17. Droits humains et
impératifs mondiaux</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Le succès pratique de
l’idée de droits de l’homme contraste avec le scepticisme
théorique sur le bien fondé de cette idée. Mais la faiblesse
juridique des droits naturels ne retire rien à leur exigence morale.
Il est inutile de transformer tout droit en loi dotée d’un pouvoir
de coercition, il est plus favorable de faire évoluer les mentalités
par le débat public et des campagnes de sensibilisation.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY"><strong>18. La justice et le
monde</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Ricardo et James Mill
sont persuadés que l’Etat n’a pas d’influence sur la
souffrance des hommes alors qu’elle doit être prise en compte pour
un diagnostic de l’injustice et l’élaboration de l’action
publique.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Une théorie de la
justice complète peut nous donner un classement incomplet et
pourtant consensuel des options entre lesquelles il faut choisir. Une
approche de la justice peut être acceptable en théorie et
utilisable en pratique sans être capable de cerner les exigences
d’une société parfaitement juste. Une théorie de la justice
suppose une pratique démocratique mondiale sans Etat mondial. La
recherche d’une théorie de la justice est liée à humanité.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">L’ouvrage de Sen
présente deux avantages. Il propose une approche globale qui
renforce les liens des différentes disciplines des sciences humaines
et renoue avec une longue tradition philosophique qui aborde la
pratique comme la finalité de la théorie. Néanmoins, il convient
de s’interroger sur le sens même d’une philosophie de la justice
et sur les rapports de la philosophie et du politique. Où s’achève
la philosophie, où commence le politique ? La philosophie
peut-elle déborder le cadre de la conceptualisation pour travailler
à la mise en œuvre de critères permettant d’élaborer des
décisions en vue d’éradiquer progressivement les causes de
l’injustice ? S’il ne s’agit plus de cerner l’essence ou
les fondements de la justice, quelle expertise doit-on attendre de la
philosophie ? Que devient la spécificité d’une réflexion
philosophique si le débat est ouvert à tous et en quoi se
distingue-t-elle des autres formes de réflexion ?</p>
<p style="margin-bottom: 0cm" align="JUSTIFY">Valérie Saint-Genis</p>