oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - bourreauRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearLa Question du mal. Ethique, politique, religion comparée, sous la direction d’Aurélie Renault et Patricia Reynaud, Classiques Garnier, 2014, lu par Patricia Doukhanurn:md5:44b667569a81a78b9243d28f335f365c2014-12-08T06:00:00+01:002014-12-08T06:00:00+01:00Cyril MoranaÉthiquebourreaudouchdouleureichmannmoimoralereligionrévélationsacrétransgressionéthique<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><strong><span style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"><img title="Mal, déc. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.21R5NJZA-cL_t.jpg" />La Question
du mal. Ethique, politique, religion comparée</span></em></span><span style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">, sous la
direction d’Aurélie Renault et Patricia Reynaud, Classiques Garnier, rencontres
73, Paris 2014</span></span><br /></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family: Calibri;">Cet ouvrage
reprend un ensemble de conférences données à l’université Georgetown au Qatar
en mars 2012. Les quinze interventions sont regroupées en quatre grandes
parties : « Approches sacrales du mal : le mal en
Dieu ? », « Vers une dialectique ami/ennemi », « L‘origine
ordinaire du mal radical » et « Pour une poétique de la
transgression ».</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Dans une
première grande partie intitulée <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">« Approches
sacrales du mal : le mal en Dieu ? »,</strong> la conférence en
anglais de <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Patrick Laude</strong> s’appuie
sur une théologie mystique dans laquelle, si le divin est au-delà de toute
réalité et de toute différenciation, il doit englober également le mal. <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Good
beyond good and evil »</em></strong> a pour sous-titre <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« insights from mystical
theology ».</em></strong> Le Bien, comme Idée séparée et absolue, dans une
perspective néo-platonicienne doit être distingué du bien dans sa relation au
mal. Si les mystiques juive, soufie ou hindoue ne sont pas des panthéismes,
comment toutefois comprendre l’apparente contradiction qui place le Bien et le
Mal comme relatif, au sein même d’un absolu transcendant, le Bien, qui semblerait
recéler, en lui-même, une puissance créatrice du mal ? P. Laude s’appuie
sur les trois mystiques (kabbale juive, shivaïsme hindou et soufisme) dans
lesquelles la racine du mal est logée au sein même d’un Bien pensé en tant que
Réalité suprême et les oppose à la théologie rationnelle et à la croyance
populaire religieuse qui excluent le mal comme antithèse du Bien.<span style="mso-spacerun:yes"> </span>P. Laude rappelle que ces doctrines ont
toujours une finalité pratique et sont des outils en vue de la méditation et de
l’élévation de l’âme. Elles visent moins à fonder et démontrer leurs
affirmations d’un point de vue théorique qu’à transcender les antinomies dans
une perspective existentielle et spirituelle. Quatre points sont à
dégager : 1) La Réalité ultime en tant que Bien absolu transcende la
polarité bien /mal. 2) L’individuation comme principe de séparation du tout
ouvre l’espace nécessaire au surgissement du mal. Celui-ci réside en germe au
sein de la réalité elle-même. 3) L’Absolu comprend en lui-même la possibilité
de la manifestation, de la projection et de l’émanation du mal, en puissance,
mais aussi en acte. 4) L’homme est libre de réduire, racheter ou au contraire
accroître le mal par ses pensées et ses actes. Pour finir, P. Laude souligne
que l’élévation du mal au niveau de la Réalité ontologique et cosmologique
s’oppose à sa relativisation. Mais dans le même temps, le refus du dualisme
empêche toute réification de celui-ci. L’approche empirique du mal est
contestée par ces mystiques qui récusent son existence. Seul demeure un Réel
identifié au Bien absolu comme horizon de la volonté humaine qui tend à sa
dépersonnalisation. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">Pour un <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Regard croisé sur deux enseignements
spirituels : l’émir Abd Al-Kader et Shaykh Yahyâ Abd Al-Wâhid »</em></strong>
est la 2è conférence de <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Djeradi LARBI</strong>.
D. Larbi commence par l’analyse du Mal en terme de Dualité universelle telle
qu’elle est analysée par René Guénon dans les traditions hindoue, taoïste et
grecque. Mais le dualisme fréquent est dépassé par une non-dualité ou une unité
principielle très présente dans l’ésotérisme musulman. La question du mal
serait moins ontologique qu’éthique, sociale ou politique. Elle a une fonction
dans la société et dans les relations humaines. En revanche, dans l’ordre
métaphysique, le Mal ne peut être pensé sans s’opposer à l’unicité divine. La
polarité du bien et du mal est première et distincte de la dualité Satan - homme.
La réalité peut être contradictoire, incohérente et en désordre apparent.
L’esprit de l’homme est trop faible pour la saisir et comprendre le tout et l’Unique.
Dieu serait donc créateur du bien et du mal. Le parallèle est fait avec les
textes védiques dans lesquels l’ordre supérieur intègre les contradictions
apparentes. L’ésotérisme musulman de ces deux maîtres relie l’action à la
connaissance et relativise la question du bien et du mal. Le vrai combat est
celui « du « Soi » divin et principiel<span style="mso-spacerun:yes"> </span>contre le Moi psychique et empirique. ».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La conférence en anglais <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">d’Ori
Z. SOLTES</strong> s’intitule : <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Revelation, interpretation, language
and human responsability. The Problem of Evil from Genesis 6 :5 To
Contemporary Acts of Terror ».</em></strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">La
définition et la connaissance de ce qu’est le mal provient de Dieu. Mais elles
dépendent de la compréhension par l’homme du message divin. Comment celui-ci
est-il transmis ? Quelle interprétation l’homme en a-t-il ? Ori
Soltes, dans la 2<sup>nde</sup> intervention en anglais se penche sur l’exégèse
biblique. L’opacité de la parole divine, les nuances et variations sémantiques
observables dans les Ecrits saints supposent un déchiffrement par l’homme. Plus
encore, les intermédiaires comme les prophètes rapportent une parole qui ne se
donne pas immédiatement mais s’écoute, se transmet et s’infléchit ou se
radicalise et prend une forme écrite des années après, et ce, dans les trois
grands monothéismes. Plus encore, les canons de chaque religion, tout comme le
statut et la valeur accordée aux textes apocryphes sont le fruit d’une
histoire. La complexité des traditions écrites et orales, reposant sur une
transmission, n’est évidemment pas propre aux religions abrahamiques mais est
présente également dans l’hindouisme et les croyances orientales. A cela,
s’ajoute les difficultés de traduction que Soltes choisit d’écarter
volontairement dans son intervention. Quelle est la transgression d’Adam et
Eve ? Pourquoi les hommes devraient-ils disparaître, à l’exception de Noé
et sa famille ? La constitution même du concept de péché originel, dont les
générations suivantes héritent, est propre au christianisme et n’est pas
partagé par le judaïsme et l’islam. La faute à laver par le déluge n’est pas
explicite. Face à l’opacité de la parole divine, la responsabilité humaine ne
s’efface pas. Au contraire, d’une certaine façon, la liberté de la volonté est
d’autant plus affirmée que, dans le cas contraire, le châtiment deviendrait
incompréhensible, voire injustifié. O. Soltes analyse des passages d’Amalek et
de Job dans la Genèse, ainsi que des sourates du Coran et les met en relation
avec les questions sur la théodicée. Il interroge également les réponses et
réactions que les fidèles pensent devoir apporter aux agissements des
infidèles. Si le mal peut se manifester par la désobéissance, il s’incarne
aussi dans la non-reconnaissance de la parole divine ou le non respect de
celle-ci. Ainsi un individu peut engager toute sa communauté. <em style="mso-bidi-font-style:normal">In</em> <em style="mso-bidi-font-style:normal">fine</em>,
le terrorisme moderne mêle inextricablement la volonté de Dieu, ce que les
hommes interprètent être le commandement divin, ce qu’ils veulent croire être
leurs devoirs ou nécessités, tant religieuses que politiques ou sociales. Il est
rappelé pour finir que la philosophie de Kant à Sartre, en passant par
Nietzsche et Camus insiste sur la responsabilité de l’homme, y compris dans
l’interprétation qu’il donne des textes sacrés et ce qu’il entend par Bien et
Mal. Le Mal n’est plus une entité métaphysique, sa laïcisation le sépare du
diable pour l’inscrire dans les actions des hommes. La responsabilité, comme la
liberté ne sont-elles pas des interprétations également à questionner ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">Cette partie se clôt par l’exemple du théâtre. Un des objectifs de
celui-ci est, selon <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Élyse</strong> <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Dupras</strong>, de « <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">Mettre en scène l’incarnation du
mal, fonder la haine. D’une fonction des personnages de diables sur la scène
médiévale française</em></strong>. »</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Alors que
l'écrit ne touche que les lettrés, le théâtre, populaire et accessible à tous,
n'est pas qu'un divertissement mais édifie le peuple et construit l'imaginaire
collectif. Au XIIIe siècle, le personnage du diable devient une figure récurrente
sur laquelle sont projetés la haine, la cruauté, la violence etc. Elyse Dupras,
à partir de l'étude de pièces de théâtre du XIII au XVI siècle, va mettre en
lumière l'identification de l'autre comme incarnation du mal. E. Dupras
commence par rappeler les caractéristiques du théâtre médiéval et des diables. Tout
comme le théâtre n'est pas séparé de la vie, les citoyens pouvant jouer le rôle
de personnages du spectacle, la société médiévale n'est pas encore désenchantée,
selon l'expression de Max Weber. Les phénomènes naturels ou les maladies sont
interprétés comme l'action du diable. Celui-ci est d'un autre ordre et peuple
l'enfer. Il séduit en vue de mener au péché. Il est associé à<span style="mso-spacerun:yes"> </span>l'étranger qui cacherait ses mauvaises
intentions derrière de bonnes manières. Religion et superstition sont mêlées.
Le monde est séparé en chrétiens et non chrétiens coupables de leur ignorance.
Les juifs, musulmans et païens sont séparés dans la société depuis le IVe
concile de Latran (XIIIè), le théâtre prolonge et légitime cette exclusion en
les associant aux diables. A remarquer que les musulmans, mal connus, sont
associés aux païens. Le vrai, le droit et le juste par les hommes de Dieu
s'opposent au faux et à la cruauté des suppôts du diable. Le juif déicide et
magicien est soupçonné de vouloir la destruction des chrétiens à partir du
XIIe. Il est l'Antéchrist. Le théâtre tourne en ridicule ces figures et les dégrade
dans l'imaginaire populaire. Le rire sert à la fois à disqualifier le diable et
ses alliés et à unifier la communauté des fidèles. Ainsi les préjugés sont
perpétués et le mal prendra la figure de l'autre et restera une menace dans
l'opinion publique longtemps après la disparition des bûchers.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">Le deuxième paradigme déplace le mal, de la théologie vers
l’humanité. Il serait produit soit par l’homme lui-même, soit par la société.
La deuxième partie commence par <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« La théologie politique
contre-révolutionnaire et l'héritage de l'Age axial »</em></strong> de <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Renaud Fabbri</strong>.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">La
conférence commence par une présentation du concept d'âge axial de Karl
Jaspers. La période qui va du VIIIe siècle avant notre ère au IIe siècle voit
s'affirmer l'opposition à l'immanence du sacré dans le monde. La transcendance
instaure une rupture entre le sacré et le profane, entre les valeurs et la
réalité empirique du monde. Dans ce contexte le politique émerge, affirmant un <em style="mso-bidi-font-style:normal">nomos</em> distinct de la société des hommes.
La théologie politique naît de cette rupture avec l'unité originaire
pré-axiale. La pensée contre-révolutionnaire<span style="mso-spacerun:yes">
</span>sera au centre de la réflexion, de Joseph de Maistre à Donoso Cortés jusqu'à<span style="mso-spacerun:yes"> </span>Carl Schmitt. À partir des critiques
adressées à une modernité désenchantée, au libéralisme, à l'esprit de 1789, les
contre-révolutionnaires sont passés, d'un point de vue politique, d'un principe
légitimiste à un décisionnisme autoritaire et<span style="mso-spacerun:yes">
</span>finalement au ralliement aux pires formations politiques du XXème
siècle. Il est tout d'abord question du mal pensé comme révolte contre
l'autorité de la religion et surtout du Créateur. Le mal absolu serait le péché
originel. La théologie catholique de Joseph de Maistre comprend la révolution
dans le prolongement de ce mal radical. De même<span style="mso-spacerun:yes">
</span>chez Donoso Cortés, toute la modernité illustre cette faute par laquelle
l'homme se détourne de Dieu et de la seule source de légitimité du droit.
Lorsque l'autorité est contestée, le chaos domine sous la forme de l'anarchie
et du socialisme. Le communisme impose un panthéisme et réunit ce qui devrait
être séparé. Carl Schmitt prolonge cette critique de la modernité. Celle-ci ne
peut que séculariser des concepts théologiques. Quelle vision de l'homme ? Pour
Schmitt, dans le prolongement de Donoso Cortés, il est mauvais par nature. A
s'éloigner de l'Eglise catholique, l'histoire européenne se dégrade. Le déclin
selon Schmitt est constant de la monarchie absolue à l'Etat libéral, pour
déboucher sur la société et le règne des intérêts privés. La conception
agonistique de la politique place la dualité ami/ennemi au cœur de l'autorité.
Pas de réconciliation possible pour Schmitt qui place la décision, ici la
discrimination, comme principe d'identification. "Je connais mon ennemi,
donc je suis". Là où les libéraux aspirent à des rapports pacifiés,
Schmitt interprète une confusion entre l'ami et l'ennemi, et entre bien et mal.
Contre le déclin inéluctable de l'Europe, Schmitt voit en Hitler un <em style="mso-bidi-font-style:normal">Katechon</em>, c’est-à-dire un retardateur
survenu pour empêcher l'avènement de l'Antéchrist. Renaud Fabbri poursuit en
montrant que la dissolution du principe légitimiste a supprimé tout critère de
discernement entre bien et mal. Les contre-révolutionnaires, comme D. Cortés,
optent pour la dictature plutôt que pour la souveraineté populaire. Face au
déclin des monarchies de droit divin et à la remise en cause de l’autorité
religieuse, Cortés invoque l’autorité politique. Dès lors, le projet devient
anti-démocratique, ultraréactionnaire, « national religieux », par
exemple l’Espagne franquiste, le Portugal de Salazar, certains pays d’Amérique
latine. Obsédés par le mal, Schmitt, Maurras et Evola se rallieront à une
sécularisation dénoncée auparavant comme mal du siècle et soutiendront les pires
politiques du XXe siècle. Renaud Fabbri qualifie de mutilée la théologie
politique qui en découle. Du fait même qu’il existe, tout pouvoir politique est
bon, et tout ce qui est susceptible de l’affaiblir est mauvais. La foi, qui
mènerait le fidèle à intérioriser sa relation à la transcendance et à se mettre
à distance de la politique, est suspecte. Pour finir, la modernité sociale et
politique semble empêcher toute transcendance dans ce domaine et condamner les
tentatives politico-religieuses à échouer dans leurs fins et à devenir des
menaces pour la religion elle-même. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Patricia
Reynaud</span></strong><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;
mso-hansi-theme-font:major-latin">, Coorganisatrice du colloque, choisit de
s'intéresser dans <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:
normal">« L'odyssée ambiguë dans L'art français de la guerre »</em></strong>
au roman d'Alexis Jenni, <em style="mso-bidi-font-style:normal">L'art de la
guerre</em> (2011) dans lequel les actions les plus sombres sont mises sur le
compte des circonstances politiques et ne sont pas imputées aux officiers et
acteurs des guerres menées par la France entre 1942 et 1962. Sur fond d'analyse
schmittienne en terme d'ami/ ennemi, de souveraineté née de l'opposition à
l'autre, de cohésion issue du conflit, le roman met en scène la rencontre entre
un jeune homme spectateur des guerres de la fin du XXe siècle et un ancien
soldat qui a fait celles de la France entre 1942 et 1962. L'art de la guerre
qui inspire le titre du roman est un traité chinois du VIe siècle avant notre
ère. Il est question ici de techniques politiques et militaires, mais aussi de
techniques picturales. L'odyssée sera celle de Victorien Salagnon, nouvel
Ulysse dont le prénom évoque la victoire mais au prix de guerres sales, comme
le suggère son nom. Dans la lignée de Simone Weil, le vrai sujet de l'Iliade
est la force, l'efficacité et le courage seront à l'œuvre, mais il n'est plus
question de bien, de juste et d'ordre dans ce dispositif qui interprète la
seconde guerre mondiale à la lumière de la mythologie grecque. Par opposition à
l'officier nazi des <em style="mso-bidi-font-style:normal">Bienveillantes</em> de
Littell qui ne s'habitue pas aux atrocités commises qui le rendent malades,
Salagnon, comme son oncle, figure tutélaire et voix de la conscience, défendent
leur pays menacé et sortent victorieux de la seconde guerre mondiale. La
réinterprétation et la lecture officielle de ces événements dans
l'entre-deux-guerres sont des fictions nécessaires. Après la lecture homérienne
de la seconde guerre mondiale, la guerre d'Indochine est rapportée à la guerre
de cent ans. Là aussi, il y est question de vérité. La torture selon Douch
produisait environ 20% de résultats fiables mais elle est poursuivie. Des qualités
sont attribuées à l'autre : la bienséance au Tonkin, la fourberie à l'Arabe
pour justifier les pratiques des bourreaux. L'art du pinceau et son
apprentissage doit supplanter pour l'ancien soldat l'art de la justification
coloniale. Maîtriser le trait pour apporter de la netteté et de la finesse à
ces pratiques sanglantes et épaisses. L'art de la peinture chinoise en écho à
l'art de la guerre et à l'art oratoire de la politique. La dernière partie
porte sur la guerre d'Algérie. Au terme de la décolonisation française et à son
paroxysme aussi, l'armée coloniale élimine les "ennemis" de la France
et torture comme si la vérité était encore une valeur. Dans ce roman, il est
question de pureté et de souillure, d'identité et d'altérité. Comment conserver,
protéger des valeurs et éviter toute contamination ? Inspirée par S.Weil, P.
Reynaud nous rappelle que nos conflits prennent corps sur fond d'abstraction :
le sang, la race, la nation etc. Les définir adéquatement permettrait de sauver
des vies. Pour reprendre le titre d'un article de Serge Koulberg, " les
mots et les maux du colonialisme" sont indissolublement liés. In fine, les
protagonistes choisissent des voies divergentes, l'ami s'engage dans un groupe
sectaire d'auto-défense, Salagnon opte pour l'ataraxie des stoïciens. Mais
peut-on se retirer indemne de ces défaites et transposer l'art de la guerre en
art de la peinture ? Bien et mal se confondent dans l'imaginaire français de la
fin de la seconde guerre mondiale et la décolonisation. Des réserves sont
apportées quant à la confusion des valeurs après ces défaites subies par la
France de 45 à 62. Qui sont les vainqueurs, les vaincus ? Peut-on encore être
de droite ? Quid de la décadence et perte des valeurs ? Il est ici davantage
question de dénonciations que de solutions ou de propositions. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Guy Auroux</span></strong><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin"> prend comme œuvre <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Prikaz d'André Salmon »</em></strong>
pour traiter <span style="mso-spacerun:yes"> </span><strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« La révolution et la
question du mal politique ». </em></strong>En s'appuyant sur la révolution
russe, le poème épique <em style="mso-bidi-font-style:normal">Prikaz</em> pose la
question de la légitimité et du fondement d'un pouvoir politique qui abolit
toute religion mais aussi toute valeur. La liberté est-elle possible à
n'importe quel prix ? Quelles limites pour le nouveau pouvoir ?L'analyse
commence par un inventaire du mal : l'effervescence révolutionnaire à Saint-Pétersbourg
est propice aux viols et aux crimes de droit commun. Dans ce tumulte, le poète
semble ne pas juger. Le mal peut-il être évalué ? Le renversement de l'ordre
établi va de pair avec désordre et anarchie. Derrière les faits divers
crapuleux, affleure la vengeance comme désir de justice populaire. Guy Auroux
se livre à une analyse stylistique du poème qui révèle comment l'injustice a
mené à faire table rase de l'ancien régime et de ses valeurs. En allant plus
loin, G. Auroux invoque à travers les personnages de Raskolnikov et Lafcadio,
le mal inhérent à l'homme. La révolution russe passerait, dans l'esprit de
Salmon, des débuts enthousiastes de nature dionysiaque, à une phase de soupçon
sur le régime qui se met en place. Le terme russe <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Prikaz</em> comprend deux sens, « commandement » ou « ordre »
d'un point de vue politique mais aussi "arrêt" et
"sentence" dans le domaine judiciaire. Le pouvoir politique, dans son
essence, comporterait cette tentation du mal. La violence légitime des opprimés
cède la place à la dictature d'une bureaucratie dans laquelle l'individu,
autant que la responsabilité, sont dilués. En l'absence de justice humaine,
l'homme ne peut plus que se tourner vers Dieu. La violence de chaque régime, ainsi
que ses dérives semblent équilibrer la balance et par conséquent Salmon reste
attaché à l'anarchie. Guy Auroux montre ainsi comment la poésie est au plus
près de la vie humaine et pleinement en capacité de révéler la vérité des
processus historiques.<img title="Mal, déc. 2014" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/21R5NJZA-cL.jpg" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La deuxième partie se clôt sur l’intervention <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal">d’Yves Clavaron</strong> sur <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Le postcolonial et la question du
Mal »</em></strong>. Dans un monde laïcisé, le mal vient des hommes, plus
précisément, dans une perspective post colonialiste, il a pris la forme de
l’aliénation et de la négation de l’autre, tant culturelle, qu’identitaire. Le
projet d’Yves Clavaron est de prendre conscience du risque de manichéisme et de
la tentation d’une vision binaire tendant soit à diaboliser l’Europe, soit à ne
voir en l’Afrique qu’un continent de violence et de conflit. Le discours
postcolonial s’est construit par opposition systématique au discours colonial,
à son racisme et à ses valeurs impérialistes. La critique de l’ethnocentrisme
et du rationalisme des Lumières s’est accompagnée d’un refus des valeurs dites universelles
qui ne seraient qu’Européennes. L’opposition Bien / Mal s’inscrirait
historiquement dans le conflit entre un Sud dominé et un Nord dominant. Cette
opposition ou réduction systématique tend à être surmontée par des écrivains,
notamment maghrébins, qui dépassent ce clivage. Dans ce contexte, la réflexion
sur le bien ou le juste semble relever des valeurs européennes et universelles
et ne sont pas reprises telles quelles par la littérature postcoloniale qui se
veut maintenant contextuelle et particulière. Y. Clavaron illustre son propos
par des exemples littéraires (<em style="mso-bidi-font-style:normal">African
Psycho</em> d’Alain Mabanckou, <em style="mso-bidi-font-style:normal">Allah n’est
pas obligé</em> d’Ahmadou Kourouma). Dans ces deux romans, le langage est <em style="mso-bidi-font-style:normal">pharmakon</em>, à la fois poison car produit
de la violence, mais aussi remède en ce qu’il met à distance et contient
celle-ci. L’esclavage et la traite négrière sont le mal absolu de la modernité,
abordés ici à travers deux récits : <em style="mso-bidi-font-style:normal">The
Middle Passage</em> de V.S.Naipaul et <em style="mso-bidi-font-style:normal">The
Atlantic</em> <em style="mso-bidi-font-style:normal">Sound</em> de Caryl Phillips.
Les Antilles sont dans l’imitation des valeurs occidentales, tout jugement
étant relatif à la culture dominante. Le questionnement porte ici sur la
mémoire, son traitement et la construction d’un avenir hérité de ces hommes
déracinés et aliénés. L’accent est mis sur l’identité à construire, mais aussi
sur la spécificité de ce passé qu’on ne peut rabattre de façon réductrice sur
l’autre figure du mal absolu qu’est l’Holocauste. Pour finir, Y. Clavaron
résume l’originalité de la littérature postcoloniale, s’appuyant sur l’esclavage,
le crime contre l’humanité et l’aliénation pour dire le mal. L’antihumanisme
débouche sur une esthétique de l’obscène, de la vulgarité ou du grotesque. La
violence et les tragédies de l’Afrique jalonnent un processus historique fait
d’identification et de refus de l’occident.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">La troisième
partie, « L’origine ordinaire du mal radical »</span></strong><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin"> commence par <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">« La fin
de l’homme ».</strong> La difficulté à<span style="mso-spacerun:yes">
</span>dire l'innommable est au cœur de l'intervention d'<strong style="mso-bidi-font-weight:
normal">Inès Oseki-Dépré</strong>. À travers trois œuvres, <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Le Depleupleur</em> de Samuel Becket, <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Si c'est un homme</em> de Primo Levi et <em style="mso-bidi-font-style:
normal">W ou le souvenir d'enfance</em> de Georges Perec, elle met en
perspective la menace d'une perte d'humanité, non pas momentanée mais le risque
pour l'homme de perdre ce qui constitue cette humanité. Les trois œuvres présentent
des mondes clos<span style="mso-spacerun:yes"> </span>dans lesquels les hommes
sont enfermés. Le texte de Beckett ne fait pas référence explicitement aux
camps, pourtant en citant à deux reprises <em style="mso-bidi-font-style:normal">"si
c'est un homme",</em> on ne peut que penser à l'auteur italien. La deuxième
partie de <em style="mso-bidi-font-style:normal">W ou le souvenir d'enfance</em>,
décrit un camp de "sport" dans lequel chaque athlète dépérit peu à
peu. L'arbitraire des règles, le règne des lois de la nature, de la force et de
la violence en font un lieu infernal. Enfin le récit autobiographique de Primo
Levi n'est plus à présenter. Ces trois textes adoptent un ton distancié, qui se
veut objectif et neutre. Inès Oseki-Dépré y voit une posture ethnographique ou
sociologique. Les descriptions et classifications se font aussi précises que
possibles, tant en ce qui concerne les populations présentes dans le camp chez
Lévi, qu'entre les épreuves sportives chez Pérec. Cette mise à distance
contribue à éloigner l'homme dans sa singularité. Dans les trois récits, il se
voit nié dans son individualité. Les hommes, d'interchangeables, deviennent des
numéros, puis une masse informe et grouillante. Les procédés littéraires, à
chaque fois, nous font sentir cette déshumanisation, le non-lieu contenant des non
hommes. Cette lecture de trois textes conclut, dans la lignée de Georges
Bataille, " la littérature permet de voir le pire" (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Entretiens</em>, 1958). On regrettera que le
va-et-vient permanent entre ces trois textes ne donne pas davantage matière à
une réflexion philosophique sur ce qui est véritablement perdu dans cette
déshumanisation.<span style="mso-spacerun:yes"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Laurent
Camerini</span></strong><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;
mso-hansi-theme-font:major-latin"> se penche sur <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« Marguerite Duras :
douleur, mal et intelligence ».</em></strong> La douleur est perçue comme
première et intrinsèque à toute existence. La vie commence avec un cri et se
finira de même. L. Camerini circule dans les textes de Duras, y puise une même
expérience, vécue, éprouvée, racontée, rapportée et témoignée. Du mari déporté
à la jeune juive dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">La Douleur</em>, de
la femme qui enfante à l'enfant qui naît, les <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Aurélia Steiner</em>, ou <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le
Ravissement de Lol V. Stein</em>, Duras décrit un monde apocalyptique où la
violence est le fonds commun sur lequel la vie s'épanouit avant de retourner à
cette même douleur comme à son destin. La douleur, on pourrait même ajouter le
mal, ne sont pas des épiphénomènes dont on pourrait se défaire ou auxquels on
pourrait échapper. Ce ne sont pas des concepts. Ils sont inscrits dans le
corps. Un rapprochement avec Romain Gary est fait ici. Le mal est quelque chose
d'humain, tant par la capacité de l'homme à souffrir que par son potentiel à
faire souffrir. La réflexion s'inscrit dans le prolongement des analyses de
Kant ou de Freud, l'humanité est une et non duale. Il n'y a pas des gentils
d'un côté et des méchants de l'autre. Le mal n'est pas dans une altérité
absolue. Au contraire, il s’enracine en chacun de nous. La violence est
inhérente à l'homme. Le bourreau n'est pas d'une autre étoffe. Référence ici
est faite à Hannah Arendt et à Primo Levi, la banalité du mal et la normalité
du bourreau. Il faut donc admettre d'une part que le mal est humain et non d'un
autre ordre, d'autre part, qu’il est enraciné en chacun. L. Camerini
s'interroge alors sur le lien que Duras établit entre éros et thanatos. L'amour
peut-il mener à tuer l'être aimé ? Plus dérangeant encore, quelle osmose entre
dominant et dominé, entre maître et esclave, entre bourreau et victime ? La
réponse de Duras serait de ne pas interpréter la violence comme l'effet de
circonstances contingentes (éducation, milieu social, conditions de vie) mais
bien plutôt comme ce qui touche indifféremment la bourgeoisie ET les banlieues
défavorisées, les familles unies ET les individus isolés. La possibilité du
mal, en étant intrinsèque à l’homme, va ou non s'exprimer en fonction des
circonstances. Mais celui-ci n'est pas le résultat de celles-ci, mais bien
plutôt ce qui est toujours là et surgira à l'occasion de tel événement. Il
n'est donc plus possible de juger comme si le juge était exempt de ce qu'il
examine. <em style="mso-bidi-font-style:normal">La maladie de la mort</em> met en
scène le mal en tant qu'impossibilité à aimer et la communauté née de la
proximité à la douleur de l'autre. La conférence s'achève sur une conception
socratique de la douleur comme ce qui est en soi et dont il faut accoucher.
Comment quitter une vision morale, possiblement binaire pour, à partir du fait
premier de la douleur, trouver la paix et la tranquillité sans ignorer cet
axiome fondamental ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La question : <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« La figure du bourreau. Eichmann et
Douch, des hommes effroyablement ordinaires ? »</em></strong> clôt cette
troisième partie. <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Aurélie Renault</strong>, coorganisatrice
de ce colloque s'interroge sur la figure du bourreau telle qu'elle est pensée
par Hannah Arendt et établit une comparaison entre Eichmann et Douch. Cet
article est complété par un entretien avec François Bizot, ethnologue arrêté
par les Khmers et prisonnier de Douch durant 3 mois en 1971. Aurélie Renault
travaille en parallèle sur les récits autobiographiques (livres et films de
François Bizot et Rithy Panh), sur des œuvres de fiction (<em style="mso-bidi-font-style:
normal">Les bienveillantes</em> de Jonathan Littell) et sur des textes
philosophiques (<strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Eichmann à Jérusalem</strong>
d'Hannah Arendt), l'idée étant de dévoiler la vérité par une approche à la fois
historique, littéraire et philosophique. La banalité du mal dans le projet
Khmer conduit à revenir sur trois questions : le positivisme juridique peut-il fonder
une nouvelle<span style="mso-spacerun:yes"> </span>morale ?<span style="mso-spacerun:yes"> </span>Autrement dit, peut-on délibérément inverser
les valeurs ? Le bourreau peut-il se penser comme agent du bien ? Enfin quelle
responsabilité pour l'acteur d'un système totalitaire ? A. Renault établit un
parallèle entre la déshumanisation des juifs par les nazis et l'avilissement
des gens du "nouveau peuple" par les khmers. Dans les deux cas,
l'autre est, au mieux instrumentalisé, quand il n'est pas simplement nié,
chosifié ou animalisé. Il est traité comme une vermine après que la langue le
désigne comme nuisible. L'être disparaît derrière l'apparaître. F. Bizot,
traité comme agent de la CIA semble affublé d'une nouvelle identité. Notre
attention est éveillée par le terme d'auto-génocide khmer. S'agit-il d'un
oxymore, d’un paradoxe ? Avant d'être nié physiquement, l'existence de l'autre
est niée symboliquement. La langue khmère, comme celle du IIIème Reich, rend
compte de cette déshumanisation. Elle est envahie d'un vocabulaire guerrier,
toute action étant vue comme belliqueuse. Les hommes, comme les lieux, sont
désignés par des matricules ou des numéros (camps M13, S21). La langue est
transformée comme le peuple doit être purifié : fantasme d'une race pure d'un
côté, utopie d'un monde égalitariste sans pauvreté de l'autre. La vérité n'est
plus hors du langage, la langue façonne l'imaginaire collectif en donnant vie à
des mythes. La question que pose A. Renault est celle de la responsabilité du
bourreau. On connaît la défense d'Eichmann invoquant l'impératif kantien, Douch
de son côté, semble fusionner communisme et bouddhisme dans une pratique
ascétique de désindividualisation. Mais ce processus n'est jamais reconnu en
tant que tel et Douch revendique ne servir que l'idéologie. La religion est
l'opium du peuple, mais l'homme du Kampuchéa démocratique doit beaucoup à
l'anachorète et au mode de vie des moines bouddhistes comme l'a montré F. Bizot
dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le portail</em>. Le bourreau est-il
un homme comme un autre ? Tout homme peut-il devenir bourreau ? Si oui, alors
seules les circonstances seraient responsables de l'avènement des grands
bourreaux de l'humanité. C'est ce que semble penser F. Bizot, à rebours de
Rithy Panh qui refuse de déresponsabiliser l'individu. Ce dernier rejette cette
lecture et ce qui est pour lui "un sentiment contemporain que nous sommes
tous des bourreaux en puissance." (Rithy Panh, <em style="mso-bidi-font-style:
normal">L'élimination</em>). L'homme est-il, selon le terme de F. Bizot un
"équarrisseur" voué à "mettre en pièces" ses semblables, ou
peut-on encore croire en lui ? La liberté des bourreaux manifestée par la
possibilité d'une attitude humaine voire ponctuellement<span style="mso-spacerun:yes"> </span>altruiste, est postulée pour juger les
acteurs des systèmes concentrationnaires. Si Douch comme Eichmann ont été jugés
coupables, c'est bien parce qu'ils ne peuvent se dessaisir de cette responsabilité.
Leur condamnation restaure, en partie, l'idée d'une justice qui résiste à tout
relativisme. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">Dans l’entretien qu’il a accordé à Aurélie Renault, François Bizot
revient sur les thèmes abordés dans ses ouvrages autobiographiques. Dans une
perspective proustienne, non seulement des situations ou des émotions peuvent
faire ressurgir des souvenirs, mais également des sensations ou des objets sont
à l'origine de réminiscences, F. Bizot évoque une pensée actuelle ancrée dans
un passé substantialisé. Loin d'une mémoire volontaire rationnelle, la
réapparition de Douch en 1999 a fait surgir des émotions et des sensations
physiques de 1971. C'est à partir de celles-ci que Bizot est allé témoigner sur
l'ambivalence de l'homme qu'il avait rencontré au camp M13, devenu le bourreau
de S21. Il décrit comment des "écailles" lui sont tombées des yeux en
comprenant les khmers dans un rapport dominant/dominé inversé par rapport à son
ancien statut de conservateur du site d'Angkor. La connaissance qu'il avait de
ses voisins avant la guerre civile n'était pas plus véritable ni authentique
que celle qu'il a acquise des khmers rouges dans le camp M13. Le génocide n'est
pas une simple parenthèse dans laquelle œuvreraient des hommes qui ne seraient
plus conscients, car ils ne sont pas moins eux-mêmes lorsqu'ils pensent
reprendre en main leur destin après 1975, que lorsqu'ils vivaient auparavant
dans une paix assurée par l'occident. F. Bizot rappelle le piège des grandes
causes collectives et la force du conformisme. L'individu doit faire effort
pour disparaître derrière sa cause, et il sera d'autant plus méritant aux yeux
du groupe qu'il surmontera sa répugnance à accomplir certaines actions, tel le
jeune garçon chargé de tuer des nouveaux-nés en les toquant contre des arbres.
Intégrer l'impossibilité de résister à un groupe sans s'en exclure de fait
n'est pas pour Bizot une déresponsabilisation de l'individu. L’anthropologue décrit
également comment la culture bouddhiste a constitué un terreau fertile pour la
révolution communiste de l'Angkar. Il raconte le choc, voire le traumatisme
qu'a constitué la prise de conscience de se penser le double de Douch,
l'intimité née de leurs échanges. Il s'agit également de reconnaître avec
honnêteté qu'on n'aurait sans doute pas soi-même résisté au groupe et que les
crimes de l'Angkar ne sont pas simplement le fait d'individus prenant plaisir à
tuer, mais d'hommes fragiles, hésitants, et devant composer avec leurs forces
et leurs faiblesses. Contre une fonction cathartique de l'écriture, F. Bizot
atteste au contraire une plongée dans les méandres de l'âme humaine dont on ne
ressort pas indemne. Enfin, il est rappelé avec force que la recherche de la
vérité n'est pas au cœur de la torture puisque la victime est prête à avouer
n'importe quoi pour que la souffrance cesse et qu'elle sait être condamnée à
mort. La torture vise à fédérer le groupe contre un ennemi, désigner celui-ci comme
une menace, et à séparer bien et mal. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La quatrième partie, <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">« Pour
une poétique de la transgression »,</strong> est selon nous, la moins
philosophique. Elle comprend deux interventions. La première de <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">Salah Degani</strong> s’intitule <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« La
représentation du mal à travers une réécriture du mythe. Cas du mythe du
Saint-Graal dans </em>Le Roi pêcheur<em style="mso-bidi-font-style:normal"> de
Julien Gracq ».</em></strong> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">L’objectif
annoncé par S. Degani est d’illustrer une idée gracquienne : le Mal est
une attitude humaine. Il a rapport à la passivité et à l’aliénation
intellectuelle dans la vie moderne. <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le
Roi pêcheur</em> de Gracq est une réécriture du mythe datant de 1942-43. Ici la
quête du Graal est « toute terrestre », selon les mots de Gracq, et
esthétique. La religion, le salut et l’angoisse face au mal sont retirés de
cette réécriture qui sera considérée par André Breton comme « une œuvre
entièrement surréaliste ». Le Mal n’a plus de rapport avec le Diable ou
une quelconque transcendance. S. Degani compare les mythes du Graal dans la
littérature médiévale et la réécriture par Gracq et souligne également ce que
l’auteur du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Roi pêcheur</em> doit au <em style="mso-bidi-font-style:normal">Parsifal</em> de Wagner. Mais contrairement à
la dimension magique et chrétienne du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Parsifal</em>,
le dénouement dans la version gracquienne n’apaise pas le spectateur. Au
contraire, la présence du mal est inhérente à l’existence humaine. De ce fait,
elle ne peut prendre fin et est appelée à toujours renaître. Le salut de
l’homme n’est plus une question religieuse. Il est lié à sa condition humaine
et à son désir, autrement dit à son agir et à son parler. C’est là que réside
sa capacité à transgresser les frontières. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La dernière conférence, par <strong style="mso-bidi-font-weight:normal">François-Emmanuel
Boucher</strong>, s’intéresse à l’art moderne : <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« La transgression comme
allégorie de la pratique du mal. Quand Philippe Muray rencontre Jean
Clair ».</em></strong></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">La
perspective ici est immédiatement sociale et normative. Le mal n’est pas logé
dans le déséquilibre d’un ordre cosmique ou religieux. Ici, il prendra la forme
d’une rupture dans l’ordre établi par les pratiques artistiques. Dans quelle
mesure la liberté artistique peut-elle s’exprimer par la profanation ? Le
second aspect est le risque de banalisation de ces pratiques qui de
subversives, sombreraient dans le conformisme. Ce sera le cœur de cette
conférence. Lorsque la transgression devient la norme, le subversif devient
inoffensif. F-E. Boucher analyse, à l’aide de Ph. Muray, les origines de la profanation
standardisée qu’il situe dans les médias et la scène publique. Exemple est pris
de l’avant-garde artistique aux côtés du pouvoir socialiste, dans les années
80, l’esprit soixante-huitard érigeant en modèle la transgression et la lutte
contre la bourgeoisie, la critique des valeurs devenant la nouvelle valeur. Jean
Clair analyse cette standardisation de l’avant-garde inconsciente de son
devenir et dans l’ignorance de la disparition de ce contre quoi elle s’est
édifiée. Lorsque les tabous sautent, la transgression devient une fin en soi,
une mode et le monde de l’art devient la proie des marchés financiers
internationaux. La société moderne, parce qu’elle accepte, voire tolère la
transgression, ne peut être déstabilisée ou touchée par celle-ci. L’art, loin
de la représentation, veut à tout prix être subversif ou révolutionnaire. Plus
d’opposition à une société qui n’existe plus, pas de vraie révolte contre une
autorité qui a disparu, les œuvres d’art sont le summum de la normalité. On
finit par se demander où se situe le mal et s’il n’a pas disparu du champ
artistique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:Calibri;mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:
major-latin">La conclusion <strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">« A l’origine de la violence : le
troisième paradigme »</em></strong> est assurée par <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal">Bruno Viard</strong>. A rebours d’une Europe chrétienne qui place, dans le
péché originel, l’irruption du mal dans le monde, les Lumières ont déplacé la
racine du mal de l’homme à la société. Bruno Viard met dos à dos une vision
individualiste de la psychanalyse et holiste de la sociologie pour leur opposer
une troisième voie. A partir du <em style="mso-bidi-font-style:normal">2<sup>nd</sup>
discours</em> de Rousseau jusqu’à René Girard, en passant par Hegel, le désir de
reconnaissance est au cœur de l’action humaine. Rousseau tient le juste milieu
entre l’individu et le tout. Il hérite des moralistes une attention
particulière à l’amour-propre qui est au cœur des relations humaines. Mais
Rousseau rompt avec le fardeau du péché originel en réhabilitant l’amour de
soi. La violence n’est pas première en l’homme, elle se construit par la
relation à l’autre. Le mal n’est pas simplement social, analysé dans le second
paradigme, il trouve une disposition en l’homme dans sa propension à entrer
dans des luttes de pur prestige. Mais Bruno Viard souligne également les
conséquences de la condamnation rousseauiste de l’amour-propre qui substitue au
péché originel un nouveau visage du mal. Est-il fondamentalement
condamnable ? Selon B. Viard, la vulnérabilité de l’homme le situe entre
l’animal et le divin, sujet fragile qui réagit à l’adversité par le déploiement
d’agressivité et de violence. Ce troisième paradigme ruine, selon B. Viard
l’illusion d’un commerce pacificateur des mœurs. En outre, il permet de
comprendre l’échec des marxismes au XXè siècle. Il tend même à fournir une
grille de lecture de toute violence dans le monde. Le désir mimétique et la
vulnérabilité de l’homme sont-il de meilleurs outils pour comprendre le terrorisme
et les conflits au XXIè siècle ou le mal ne demeure-t-il pas insaisissable dans
son essence, nous condamnant à déployer des interprétations décrivant ses
manifestations ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin">Pour finir,
remarquons que selon les thèmes abordés, l’attention du lecteur philosophe sera
plus ou moins retenue. Il n’en demeure pas moins que la diversité des approches
livre une somme riche et plaisante à parcourir qui offre des décryptages tour à
tour anthropologiques, historiques, littéraires et religieux.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="mso-fareast-language:
FR;mso-no-proof:yes">Patricia Doukhan<br /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-family:Calibri;
mso-ascii-theme-font:major-latin;mso-hansi-theme-font:major-latin"><span style="mso-spacerun:yes"> </span></span></p>