oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - StoïcismeRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearDimitri El Murr (dir.), La Mesure du savoir, Vrin 2013, lu par Catherine Rezaeiurn:md5:bed18216e86f87ef7b993d8e999a646e2019-06-25T06:00:00+02:002019-06-25T06:00:00+02:00Karim OukaciHistoire de la philosophieconnaissanceIdéePlatonStoïcisme<p style="text-align: justify;"><strong><img alt="" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.the_e_te_te_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Dimitri El Murr (dir.), <em>La Mesure du savoir : études sur le <u>Théétète</u> de Platon</em>, collection Tradition de la Pensée Classique, Vrin, août 2013 (432 pages). Lu par Catherine Rezaei.</strong></p>
<p style="text-align: justify;"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> Un ouvrage riche et stimulant, qui invite à une relecture personnelle et active du <em>Théétète</em>.</span></p> <p style="text-align: justify;"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Le <em>Théétète </em>de Platon traite à première vue la question : « Qu'est-ce que la connaissance ? » ; il examine successivement trois définitions que propose le jeune Théétète, avant que Socrate ne conclue sur un constat d'échec. L'ouvrage dirigé par Dimitri El Murr bat en brèche cette apparente simplicité. La première partie, intitulée « Commentaires », propose des lectures analytiques des différents épisodes du dialogue, mais surtout en interroge la dimension aporétique, pour l'expliquer ou la relativiser, selon des perspectives variées, voire contradictoires. La deuxième partie, nommée « Prolongements », traite de manière historique et comparative des interprétations et retentissements de la<span style="mso-spacerun: yes"> </span>lecture du <em>Théétète</em>, depuis l'Antiquité jusqu'à Montaigne. Un ouvrage riche et stimulant, qui invite à une relecture personnelle et active du <em>Théétète</em>.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>En premier lieu, Théétète définit la connaissance par la sensation. C'est pour Socrate l'occasion de convoquer la thèse relativiste de Protagoras de « l'homme mesure de toutes choses ». Dans cette perspective, la vérité ne peut être qu'un phénomène individuel. M.A. Gavray se penche sur l'herméneutique que propose Socrate du fragment de Protagoras. De fait, restituer les conditions d'une lecture juste et d'une discussion féconde avec son auteur Protagoras présente pour le <em>Théétète </em>un double enjeu. D'une part, la possibilité même de la philosophie est mise en question par la thèse de Protagoras. Dès lors que le point de vue de chacun vaut celui de tout autre, toute discussion au sujet de la vérité devient vaine, définir la connaissance perd son sens. D'autre part, si l'interprétation que déploie Socrate parvient à dépasser le niveau de l'opinion concernant la thèse de son interlocuteur, accédant au raisonnement qui y conduit, il réamorce aussitôt le processus dialectique, dans le cadre même de l'examen de la position relativiste de Protagoras. Ce moment inhérent à l'exégèse philosophique, qui consiste à restituer l'intérêt philosophique de la thèse adverse, est une étape nécessaire afin de parvenir finalement à la réfutation du relativisme. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Revenons rapidement sur ce cheminement tel que l'analyse Gavray. Socrate commence par rapprocher la thèse de Protagoras de la doctrine d'autres penseurs, en particulier Héraclite, pour buter sur les apories d'une thèse formulée par les plus grands savants, et qui semble pourtant condamner l'existence même du savant. Il formule alors des objections ironiques sur le mode rhétorique. Pourtant,<span style="mso-spacerun: yes"> </span>remarque-t-il, Protagoras lui-même peut lui objecter que ce procédé est bien peu philosophique. C'est alors qu'il ressuscite, pour ainsi dire, Protagoras, afin de donner à son discours l'occasion de se justifier selon ses raisons internes, et non en le confrontant à des critères extérieurs. Protagoras introduit alors la définition du savant, en substituant à la différence vrai/faux, une gradation du pire au meilleur selon chaque situation. Parvenu au principe de la thèse de Protagoras, Socrate oppose à la valeur contextuelle de l'utile, la valeur objective du bon, appelant la distinction du vrai et du faux. Ainsi, ce sont les questions que l'on pose à un texte en une optique dialogique et non hostile, qui permettent une attitude philosophique à son égard et, sur ce fondement, le déploiement d'une pensée philosophique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>La réfutation de la première définition de Théétète se structure autour de la distinction au sein de la perception entre la sensation, assumée par les organes des sens, et l'examen des communs, qui appelle l'intervention de l'âme. Cette deuxième faculté ne relève pas d'un don de la nature, mais d'un long effort. C'est à ce moment du dialogue que le terme de <em>paideia</em> est convoqué. S. Delcomminette s'y arrête, afin de mettre en lumière le rôle de l'éducation au sein du dialogue. Il dévoile ainsi un thème souterrain mais essentiel du <em>Théétète</em>. Platon y thématise, en effet, la distance qui sépare l'éducation selon Protagoras, et sa propre conception. Approfondissant la réflexion sur l'éducation menée dans la <em>République</em>, il préciserait le rôle de l'éducation dans la perception. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Pour Protagoras, tout <em>logos</em> est et ne peut être que l'expression de la sensation éprouvée ; et, à l'inverse, toute sensation éprouvée conduit nécessairement à la formulation de la <em>doxa</em> qui l'exprime. Éduquer consiste alors, par des discours, à modifier les opinions de l'élève, afin de produire la transformation de sa perception. Or, pour Socrate, l'identification de ce que l'on perçoit et que formule l'opinion ne relève pas de la sensation. Dans la formule : « ceci est mou », c'est l'âme qui introduit le « est ». Percevoir l'objet <em>comme</em> mou est déjà le fruit d'un jugement, et non plus l'effet de la sensation. Quelle éducation est-elle dès lors requise ? Il ne s'agit plus comme pour Protagoras de substituer à une sensation une autre sensation qui y serait préférable mais, comme la <em>République</em> l'indique, de détourner l'âme du sensible pour l'orienter vers l'intelligible. Pourtant, la <em>République</em> pense un effet en retour de l'éducation sur la perception, dans la mesure où celui qui a contemplé la lumière de l'intelligible est plus apte à la reconnaissance des ombres. Introduisant la distinction entre la sensation et l'apparence (fruit du jugement de l'âme), le <em>Théétète</em> précise pourquoi il est nécessaire de ne pas en rester à la sensation, et décrit l'effet de l'éducation sur la perception. Si elle n'en constitue, certes, pas la finalité, l'éducation se trouve aux deux extrémités du parcours éducatif. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>En second lieu, Théétète définit la connaissance comme opinion vraie. M. Narcy commence par montrer que l'emploi du terme <em>doxazein </em>par Théétète, en réponse à la recherche que Socrate formule en 187a, témoigne de l'incompréhension du jeune homme. Socrate indique que la science est à chercher "sous le nom, quel qu'il soit, que porte l'âme, quand elle a affaire elle-même par elle-même aux réalités". Les explications de Socrate tendent à caractériser le jugement. Néanmoins, la <em>doxa</em> mentionnée par Théétète ne désigne pas une telle activité, mais plutôt la croyance. Ce choix est l'indice que Théétète n'a pas compris Socrate. C'est pourquoi, selon Narcy, le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Théétète</em> procède à un long détour par l'analyse de la <em>pseudes doxa</em>. Les cinq hypothèses successives pour en rendre compte ont dans cette perspective une visée exclusivement maïeutique : Socrate tente de permettre à Théétète de mettre au jour une conception authentique de la science. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Qu'est-ce qui échappe à Théétète ? Premièrement, il ne parvient pas à penser des degrés ente le savoir et l'ignorance. Ensuite, il ne réussit pas à concevoir la distinction entre le non-être absolu et le non-être relatif. Le <em>Sophiste</em> explique clairement que le faux ne consiste pas à dire ce qui n'est pas, mais à dire de quelque chose ce qu'il n'est pas. Socrate suggérait la solution en 188d, évoquant deux façons de dire le non-être, avant de démontrer l'impossibilité de penser le non-être en soi. En ne s'emparant pas de l'alternative, Théétète manifeste les limites de sa réflexion. De même, lors de la troisième hypothèse, celle de l'<em>allodoxia</em>, c'est-à-dire du quiproquo, il ne conçoit la confusion qu'entre deux sujets, et non entre deux prédicats. Or, seule la prise en compte de la structure du jugement propositionnel permet d'expliquer l'erreur. La métaphore du bloc de cire, qui envisage la possibilité de l'erreur dans le rapport entre la sensation présente et la mémoire, semble d'abord féconde en ce qu'elle s'applique à l'erreur de perception, mais reste inopérante pour l'erreur de raisonnement. Enfin, la métaphore de la volière ne porte pas son fruit, car Théétète, de nouveau, est incapable de penser la coexistence du savoir et de l'ignorance lors du processus d'apprentissage et de recherche. Ainsi, à travers ces cinq hypothèses, Socrate tenterait de faire accoucher Théétète d'une conception adéquate de l'erreur, et partant de la connaissance. L'aporie, en dépit de cet effort répété, ne relèverait pas d'une incapacité de Socrate, mais de l'incompréhension de Théétète. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Les études suivantes de la première partie abordent les problèmes soulevés par la troisième définition de la connaissance proposée par Théétète : l'opinion vraie accompagnée du <em>logos</em>. Faut-il la considérer comme une réponse satisfaisante aux yeux de Platon ? Plus massivement, cette interrogation amène l'enjeu des rapports entre l'opinion et la connaissance. La définition platonicienne du savoir inclut-elle l'opinion ? M. Dixsaut et D. El Murr excluent catégoriquement cette voie.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>M. Dixsaut fonde son article "Du <em>logos</em> qui s'ajoute à l'opinion au <em>logos</em> qui en libère" sur une relecture de <em>République V</em>.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Platon y établit que l'opinion (<em>doxa</em>) et le savoir (<em>gnomé/gnosis</em>) constituent deux puissances distinctes. La puissance se définissant par son objet et ses effets. Or, les objets de l'opinion et du savoir se distinguent, ainsi que leurs résultats.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Dès lors, l'opinion n'est pas un degré de la connaissance inférieur ; elle n'est pas une connaissance du tout. Elle est définie comme une puissance intermédiaire entre savoir et ignorance, qui porte sur l'objet intermédiaire entre l'être pur et l'absolu néant. M. Dixsaut revient alors au <em>Théétète</em>. Le <em>logos</em>, quel que soit le sens qu'on lui donne, ne peut rien ajouter à l'opinion vraie pour la transformer en connaissance. Dans un dernier temps, M. Dixsaut s'intéresse à la leçon du <em>Ménon</em>. Elle insiste sur la différence entre la troisième définition de la science du <em>Théétète</em> et celle proposée dans le <em>Ménon</em> (l'<em>aitias logismos</em>). Dans le <em>Ménon</em>,<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>la fonction de la réminiscence est cruciale. Par sa médiation, le savoir se substitue à l'opinion droite dont l'âme, par elle-même, se libère. En quel sens le <em>logos</em> assure-t-il ce passage ? L'<em>aitias logismos</em> désigne un raisonnement mené par l'intelligence. Si l'opinion peut être droite au moment où, de manière accidentelle, elle rejoint la vérité, elle ne peut prétendre être vraie, dans la mesure où elle reste irrationnelle.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Il ne peut y avoir ajout du savoir à l'opinion droite grâce au lien du raisonnement. L'aporie persistante du <em>Théétète</em> provient donc de l'absence de distinction entre science et opinion.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>D. El Murr parvient à la même conclusion. Son article se présente comme une discussion de la thèse du commentaire anonyme au <em>Théétète</em>, selon lequel la solution de l'aporie du <em>Théétète</em>se trouverait dans le <em>Ménon</em>. Le <em>Ménon</em> poserait la définition de la connaissance comme « l'opinion droite liée par la cause du raisonnement ». L'<em>aitias logismos</em> constitue-t-il la condition supplémentaire que désigne le <em>logos</em> à la fin du <em>Théétète</em>? Dès lors, Socrate validerait-il la continuité de l'opinion droite à la connaissance dans le <em>Ménon</em> ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Contrairement à M. Dixsaut, El Murr remarque une progression entre les trois sens du <em>logos</em> mentionnés à la fin du <em>Théétète</em>. L'énumération des éléments envisage l'objet comme totalité structurée mais ne permet pas de le reconnaître. L'énoncé de la différence caractéristique permet d'isoler l'objet dans sa réalité singulière, mais n'apporte pas la stabilité qui caractérise la connaissance. La définition du <em>Ménon</em> viendrait-elle approfondir et achever cet effort ? Suffit-il d'ajouter le lien causal à l'opinion droite pour accéder à la science ? Le texte du <em>Ménon</em> semble ambigu, car le lien du raisonnement rend compte à la fois de la manière dont les opinions droites deviennent (<em>gignontai</em>) des connaissances, et de ce par quoi l'opinion droite<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>diffère (<em>diapherei</em>) de la connaissance. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Pour El Murr, la thèse de l'anonyme n'est pas acceptable, car elle n'échappe pas à l'argument circulaire sur lequel s'achève le <em>Théétète</em> : il est absurde de définir la connaissance comme opinion droite à laquelle viendrait s'ajouter la connaissance de la cause. El Murr montre alors que le lien causal ne porte pas sur le rapport de l'opinion à sa cause, mais de l'âme à son objet. Il génère une interrogation, par laquelle l'âme, mue par le désir de connaître, se libère de ce qu'elle considère comme un savoir et se retrouve unie à l'objet du savoir comme intelligence. Il reste donc incompréhensible en dehors du processus de la réminiscence.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>L'<em>aitias logismo</em>s du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Ménon</em> n'ajoute pas un <em>logos</em> à l'opinion, mais institue le rapport de l'âme purifiée à la vérité. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>La thèse de C. Rowe s'oppose à la position de M. Dixsaut et d'El Murr. La dernière définition de la science comme <em>doxa</em> vraie accompagnée de <em>logos</em> serait "la définition préférée de la science" pour Platon. Il n'est pas nécessaire de recourir aux formes intelligibles, ni de séparer science et opinion comme deux facultés entièrement distinctes portant sur des objets absolument indépendants, pour accéder à la définition de la science.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Autrement dit, l'opinion n'est pas à éliminer de la définition platonicienne de la science. Le point de vue de Rowe interprète plus globalement Platon dans une perspective fidèle au socratisme, maintenant la distinction entre la science telle que les hommes peuvent l'atteindre et la science qui serait celle des dieux. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">À cette fin, il s'engage à une relecture de <em>République V.</em><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Son argumentation consiste à distinguer plusieurs types ou degrés d'opinions, plutôt que d'opposer l'opinion, prise comme un concept indifférencié, à la science. Le genre d'opinion de l'amateur de sons et de spectacles n'a ni le même fondement, ni le même objet que l'opinion que soutient par exemple Socrate, lorsqu'il dit « je pense ». Rowe considère également que toute opinion dans l'analyse de la <em>République</em> se réfère à une forme. Du fait de la participation, les objets des <em>doxai</em> sur la beauté, quoiqu'elles la confondent avec les choses belles, ont à voir avec la beauté véritable. Du côté des facultés comme de celui des objets, il n'y a pas de rupture absolue entre science et opinion. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Cette explication permet seule selon Rowe de rendre compte de l'opinion vraie, comme du progrès dialectique vers la science. Parce que l'opinion n'est jamais complètement étrangère à la science, l'ajout d'un <em>logos</em> à une opinion vraie est susceptible de définir la science.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>L'article de F. Teisserenc cherche non pas à surmonter, mais à comprendre la nécessité du caractère aporétique du dialogue. Le <em>Théétète</em> n'aboutit pas, parce que la question soulevée est une fausse question. Il n'y a aucune définition possible de la science. Teisserenc démontre l'absurdité d'une forme de la science à l'origine de la connaissance. Or la démarche de Théétète reflète ce qu'il nomme une « confusion de direction intentionnelle ». Il ne porte jamais attention à l'objet à connaître, pour ne s'attacher qu'aux opérations psychiques que sa rencontre suscite. Le <em>Phédon</em> cependant pense la constitution du savoir non comme la recherche d'une science en soi, mais comme l'exercice d'une démarche dialectique à propos de l'objet. Si définir la connaissance peut avoir un sens, ce n'est pas en termes essentialistes, comme une réalité autonome, mais en termes méthodologiques, comme un ensemble de techniques. Le <em>Théétète</em> préviendrait donc la confusion entre la définition de l'objet de la science et la définition de la science. Dans le premier cas, il s'agit de cerner une essence, dans le second, de dresser le programme de l'acte de connaître. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>M. L. Gill propose une relecture qui surmonte<span style="mso-spacerun: yes"> </span>le caractère aporétique du dialogue. Elle montre que, si chacune des définitions de la science proposée n'est pas acceptable, leur combinaison permet une définition satisfaisante. La définition de l'argile proposée par Socrate au début du dialogue sert de fil de lecture à la compréhension du texte, mais aussi de clef pour envisager la solution. La définition restitue les composantes de l'argile. C'est selon M. L. Gill la raison pour laquelle Théétète commence par définir la connaissance comme perception de l'objet à connaître. Ce serait, en effet, le point commun entre tous les experts. Cette définition serait moins erronée qu'incomplète. À partir du texte, tout en dépassant la lettre du texte, M. L. Gill esquisse une distinction entre l'opinion et la science. L'opinion vraie est un jugement qui relie un prédicat à un sujet. La connaissance requiert en plus une explication qui s'appuie sur une perception de la réalité, afin d'accéder à l'essence de l'objet. Les trois définitions de Théétète conjuguées permettraient donc de penser sans circularité la connaissance.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>La deuxième partie de l'ouvrage, intitulée « Prolongements », examine les thèses que le <em>Théétète </em>a permis de féconder, ainsi que les problèmes qu'à travers l'histoire il a suscité.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Tarrant éclaire l'importance du <em>Théétète</em> avant Thrasylle. Il revient sur son impact dans la constitution du platonisme sceptique d'Arcésilas, mais aussi sur son rôle comme instrument de lutte pour la réfutation des thèses stoïciennes. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>A. Macé se concentre sur l'introduction par Clément d'Alexandrie d'un incorporel qui n'appartient pas à la liste canonique formulée par les Stoïciens, <em>l'energeia</em>, l'activité. Il s'appuie sur le constat que les deux thèses de l'inexistence des actes et d'une réduction de l'existence à ce qui peut être touché se conjuguent aussi bien chez Clément que pour les disciples de Protagoras de la première partie du <em>Théétète</em>. L'apport de cette réflexion est de souligner les difficultés de la théorie stoïcienne à penser l'altération. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">A. Macé commence par mettre en avant la particularité des doctrines de la causalité présentée dans le <em>Théétète</em> et proposée par Clément, par rapport à la thèse platonicienne. Pour Platon, tout pâtir est la conséquence d'un agir. Selon Clément, la causalité est réciproque, voire partagée. Par exemple, « faire des progrès » n'est plus le résultat de l'action du maître sur l'élève, mais se conçoit comme l'acte commun que l'élève et le maître se donnent mutuellement. Ainsi, les corps engendrent conjointement des effets jumeaux, les causes et les effets cessant de constituer des séries linéaires. Dans le <em>Théétète</em>, cette thèse n'a pas d'impact ontologique, car tout est mouvement. Clément introduit une rupture ontologique entre les agents, qui sont des corps, et le pâtir, qui cesse de l'être. Dans la doctrine stoïcienne classique, les corps sont causes de prédicats. Le prédicat est un dicible, appartenant donc aux incorporels. Clément continue de faire de l'effet un incorporel, mais ne le considère plus comme un simple dicible. Il le tient pour un évènement du monde. De fait, il paraît difficile de considérer les effets simplement comme des choses dites, et non comme des événements parmi les choses du monde. Cette inflexion pourrait être une trace du <em>Théétète</em> dans la doctrine de Clément, mettant en évidence la difficulté des Stoïciens à penser les modifications physiques des corps. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Sedley s'attache à mettre en valeur un fragment de papyrus récemment identifié, datant de la fin du IIème siècle, dont Thrasylle est vraisemblablement l'auteur. Thrasylle est le savant à l'origine de la disposition tétralogique des dialogues de Platon, qui s'est par la suite imposée. Le papyrus retrouvé présente l'intérêt de proposer une lecture du <em>Théétète</em> qui se fonde sur son intégration à la deuxième tétralogie, comprenant en outre le <em>Cratyle</em>, le <em>Sophiste</em>, et le <em>Politique</em>. Si la première tétralogie se consacre à la question du mode de vie philosophique, la deuxième est centrée sur la logique. L'ensemble de la tétralogie traiterait donc de la méthode permettant l'acquisition de la connaissance philosophique. La fonction du <em>Théétète</em>, dialogue « peirastique », serait dans ce contexte de mettre à l'épreuve les conceptions fausses de la connaissance. Seul l'ordre tétralogique permettrait donc d'appréhender l'objectif fondamental du dialogue, qui y resterait latent. Ainsi, le motif central du <em>Théétète</em> ne serait pas la question explicite : « qu'est-ce que la connaissance ? », mais la méthode définitionnelle développée dans le <em>Sophiste</em> et le <em>Politique</em>, dont, sur le mode négatif, il introduit la possibilité.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>M. Bonazzi se consacre à l'étude du <em>Théétète</em> par le commentateur anonyme. Dans quelle mesure le <em>Théétète</em> peut-il être considéré à la fin de l'Antiquité tardive comme « une clef d'accès privilégiée à la vérité de Platon » ? L'approche du commentateur anonyme consiste à envisager l'œuvre de Platon de manière unitaire et systématique. Seules les stratégies d'argumentation varient, les doctrines formant un ensemble cohérent. Dès lors, comment rend-il compte de l'échec de la définition de la connaissance ? Selon lui, l'absence des Idées n'est pas en cause, car le dialogue ne porte pas sur la matière de la connaissance, mais sur son essence. L'inaboutissement du dialogue résulte de la stratégie argumentative choisie par Platon. La dimension maïeutique du <em>Théétète</em> exige l'absence d'une définition positive. Selon l'anonyme, la définition de la connaissance est évidente pour les lecteurs de Platon, dans la mesure où elle est formulée dans le <em>Ménon </em>: le <em>Théétète</em> s'arrêterait au seuil de la définition vraie, le <em>Ménon</em> complétant la dernière réponse, en ajoutant à l'opinion vraie la cause du raisonnement. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">La deuxième thèse originale de l'anonyme consiste à repérer la présence implicite de la réminiscence dans le <em>Théétète</em>. Si, pour Socrate, c'est par le savoir que les savants deviennent savants (145d), cela signifie que devenir plus savant, c'est récupérer une connaissance préalable dont la vision des Idées a laissé une trace en nous. L'objet de la connaissance n'est pas ainsi la réalité empirique, mais l'Idée de la chose sensible dont nous avons une notion naturelle. L'appel à la réminiscence est ainsi l'occasion de réfuter, en s'appuyant sur le texte de Platon, la compréhension stoïcienne des idées communes, dans le cadre du débat autour de la connaissance des choses qui oppose à l'époque hellénistique Stoïciens et Académiciens. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Dans ce cadre, et c'est le troisième intérêt de sa réflexion, le commentateur anonyme permet une réconciliation des Platoniciens. Les Stoïciens rendent compte du changement par des critères purement sensibles. Or, les Académiciens se présenteraient plus comme des anti-empiristes dans leur réfutation des Stoïciens, que comme des sceptiques radicaux. En établissant qu'une propriété matérielle ne peut résoudre le problème de l'identité, ils ouvriraient la voie à la thèse positive que soutient l'anonyme : seul l'aspect intelligible des choses rend compte du changement. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">Si les thèses de l'anonyme sont peu partagées aujourd'hui, elles ont le mérite de rappeler l'importance de la méthode maïeutique dans l'approche de l'œuvre de Platon, mais aussi de réconcilier les Platoniciens de son époque, sans pour autant nier la diversité des points de vue. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>S. Magrin s'intéresse d'un point de vue spéculatif à la fécondité du <em>Théétète</em> pour Plotin. Elle soutient que l'exposé de la doctrine secrète vient nourrir la doctrine plotinienne de l'impassibilité de la matière, Plotin attribuant à la seule matière les propriétés que les initiés accordent à la réalité dans son ensemble. Ce détour serait pour lui le moyen d'en venir à l'explication du changement qualitatif et quantitatif, et finalement de résoudre le problème soulevé par l'argument sur la croissance.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Enfin, B. Sève se propose de synthétiser et d'explorer les enjeux des références, implicites et explicites, au <em>Théétète</em> dans les <em>Essais</em> de Montaigne. Il commence par rappeler la perspective de Montaigne, dans le cadre d'une écriture foncièrement hypertextuelle : l'emprunt n'a pas vocation à restituer fidèlement la position d'un auteur, ni même à soutenir une argumentation, mais bien à nourrir, par une appropriation la plus personnelle, la réflexion d'un humaniste. Certes, le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Théétète</em> nourrit le scepticisme de Montaigne, intervenant dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">l'Apologie de R. Sebond</em> à plusieurs reprises. Pourtant, l'apport du <em>Théétète</em> se manifeste essentiellement dans l'élaboration de la figure du philosophe. B. Sève analyse avec précision la reformulation par Montaigne de l'anecdote de Thalès et de la servante thrace. Chez Montaigne, la servante provoque la chute de Thalès. De plus, ce qui est reproché à Thalès absorbé par la contemplation du ciel n'est pas de ne pas regarder "devant" soi, mais de ne pas "savoir être à soi". La reformulation déplace donc le sens de l'anecdote. Elle devient l'occasion pour Montaigne d'affirmer la précellence de la connaissance de soi. Cependant, cette thèse est immédiatement intégrée par Montaigne à une réflexion plus large. Il rappelle<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>l'impossibilité de se connaître soi-même comme de connaître toute chose, tout en affirmant le devoir pour l'homme de s'y efforcer. Il tire ainsi une double leçon du texte de Platon, sceptique et éthique, qui en était absente. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande"">B. Sève montre encore comment le texte du <em>Théétète</em> vient éclairer le statut de la vie philosophique, lui permettant de distinguer trois attitudes possibles : les hommes qui mènent de front vie publique et vie philosophique ; les hommes qui volontairement se retirent des affaires pour se consacrer à l'amélioration de soi, décrits par Socrate dans le <em>Théétète</em>, objets de la risée populaire mais dignes de respect ; les pédants, philosophes de son temps, que leur savoir tout de surface, sans effet sur la vie de l'âme, rend méprisables et incapables de tout. Montaigne remaniant ainsi le texte de Platon en fonction de sa réflexion chaque fois présente, éclaire en retour ses infinies possibilités.<span style="mso-spacerun: yes"> </span></span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""><span style="mso-spacerun: yes"> </span>Ces contributions, proposant des voies de lecture du <em>Théétète</em> très diverses, constituent un outil de lecture excellent à ce dialogue complexe, ainsi qu'un fondement très suggestif pour appréhender les querelles d'interprétation qu'il a nourries par le passé et continue d'alimenter. </span></p>
<p> </p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"> </p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> Catherine Rezaei (12/11/2014)</span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR" style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:
12.0pt;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>Jean-Claude Fondras, Santé des philosophes, philosophes de la santé, ENCD, 2014. Lu par Marine Fronteraurn:md5:7f693be66342e6e7d99d28cd673444602015-09-04T06:00:00+02:002015-09-04T06:00:00+02:00Karim OukaciÉthiqueMaladieMédecineSantéStoïcisme<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph">
<span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR"><img title="fondras, juil. 2015" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/avril/.fondras_t.jpg" />« J’ai étudié
consciencieusement la maladie d’un point de vue philosophique. Il me semble que
ce que j’ai lu ne m’a rien appris. Ne m’a rien permis de comprendre. Ne m’a
prévenue de rien. En matière de souffrance, la philosophie est d’un piètre
secours ». </span><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Ce propos de Claire Marin,
philosophe atteinte d’une grave maladie, pourrait nous détourner d’un ouvrage
philosophique sur la santé comme celui de Fondras, intitulé <em style="mso-bidi-font-style:normal">Santé de philosophes, philosophes de la
santé</em>. </span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Du moins, ce livre garderait une pertinence pour ceux qui ne
souffrent pas d’une maladie incurable et qui, ayant un goût pour une certaine
manière de philosopher, se plaisent à interroger les évidences. En effet, dès
qu’on rencontre quelqu’un, la politesse veut qu’on lui demande comment il se
porte ; et la formule la plus générique qu’on prononce avant de boire un
verre en famille, entre amis ou entre collègues n’est autre que
« Santé ! ». Ces lecteurs philosophes aiment aussi se livrer à
une entreprise d’hygiène du langage et constatent aisément la pluralité des
attributs qu’on associe à la santé : on dit en effet « avoir la
santé », « craindre pour sa santé » comme si la santé obéissait
à la loi du tout ou rien. A l’inverse, dans d’autres occurrences, on parle
d’une petite santé<span style="mso-spacerun: yes"> </span>ou au contraire
d’une grande santé, d’une belle santé ou d’une santé chétive. La santé n’est-elle
qu’une absence de maladie ou de souci somatique, auquel cas elle n’admet qu’une
définition négative, ou bien est-elle au contraire la vigueur du corps et
l’attention joyeuse à sa propre puissance, auquel cas elle est une variable
quantitative et qualitative ? Mais dès lors, l’extension du concept de
santé risque d’être immaîtrisable car bien trop vaste.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">On pourrait objecter à
l’auteur que la pratique médicale n’a pas attendu de réponses à cette question
pour naître et demeurer, et on pourrait alors lui demander : à quoi bon
une philosophie de la santé si ce n’est pour satisfaire certains amateurs de
philosophie ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Peut-être pour deux raisons.
La première se formule comme suit : l’existence de « sensations de
santé » conduit Fondras à chercher une définition positive de cette
dernière. Mais si la santé ne se réduit pas à l’absence de problème corporel,
serait-elle alors l’optimisation des capacités humaines ? Si oui, la
médecine risque de devenir une anthropotechnie où la visée première
d’Hippocrate est perdue, où l’objectif n’est plus de répondre à une souffrance
corrélée à un état physiologique mais de dépasser les limites de l’espèce
humaine.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">La seconde raison légitimant
une philosophie de la santé est la suivante : si la philosophie est d’un
piètre secours pour Claire Marin, elle parvient néanmoins à aider quelques
autres personnes pourtant aussi très malades. Fondras ne fait jamais allusion à
Claire Marin. En revanche, il cite à plusieurs reprises une philosophe
britannique, Havi Carel, souffrant d’une maladie au diagnostic fatal et qui,
nourrie du stoïcisme, se soucie de trouver le bonheur à même la maladie. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">On argumente en faveur ou
contre des thèses, pas en faveur ou contre des témoignages, à plus forte raison
peut-être quand il s’agit de témoignages où il est question de souffrance.
Robert Antelme décrit, dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">L’Espèce
humaine</em>, la liberté intérieure qui demeure chez un prisonnier des camps
d’extermination ; or, son témoignage contredit celui de Primo Levi dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">Si c’est un homme</em>. Personne ne peut se
permettre de dire que l’un a raison ou que l’autre a tort, personne ne peut
dire que le discours de Claire Marin est pertinent au rebours de celui de Havi
Carel. Mais si la philosophie n’aide pas nécessairement en toute occasion, elle
peut être parfois d’un grand soutien, c’est ce que montrent les quelques
grandes figures de la philosophie occidentale dont Fondras a choisi de faire
l’esquisse. Son livre se compose, en effet, de deux grandes parties que l’auteur
veut complémentaires et s’éclairant l’une l’autre. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:FR" lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Alors que dans le second
moment de son ouvrage, l’auteur traite de problématiques contemporaines, le
premier temps de cette œuvre est une galerie de portraits non exhaustive allant
de Platon à Nietzsche. Pourquoi cette sélection ? Ce sont les grands
classiques qui ont marqué particulièrement Fondras<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>et qui ont pensé la santé avant la révolution médicale du
milieu du XX° siècle. Sur le thème qui nous importe, il y a beaucoup plus de
continuité que de rupture entre ces philosophes. Comme jusqu’au XX° siècle la
thérapeutique est peu développée, il s’agit, pour ces penseurs, de trouver des
moyens afin de se maintenir en bonne santé et faire face à la maladie. Or il
n’y a peut-être pas mille façons d’affronter cette dernière. Fondras expose
leurs thèses en les émaillant d’anecdotes concernant leur vie personnelle,
comme si l’on ne pouvait réfléchir sur la santé qu’à travers l’expérience que
l’on en a. Toute œuvre philosophique est une biographie involontaire dirait
Nietzsche, <em style="mso-bidi-font-style:normal">a fortiori</em> une œuvre
philosophique sur la santé. Montaigne déploie, peut-être plus qu’aucun autre,
une définition positive de la santé. Descartes propose une «
instinctothérapie » à la princesse Élisabeth, dans l’attente d’une
médecine digne de ce nom soignant parfaitement le corps mécanique : à côté
de la morale par provision, il y aurait chez Descartes une médecine par
provision, le temps que la science connaisse les progrès nécessaires. Kant, de
son côté, distingue bien la santé objective, objet du savoir médical et la
santé subjective qui apparaît dans l’expression « se sentir en bonne
santé ». Au-delà des caractéristiques qui leur sont propres, les analyses
de ces grands philosophes présentent trois grands points communs :
l’aspiration à être médecin de soi-même, la référence au Stoïcisme et la
distinction entre malade et maladif.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">De Platon à Nietzsche, les
grands auteurs se réunissent autour d’une méfiance à l’égard des médecins et
des apothicaires qui se veulent scientifiques alors qu’ils ne le sont pas
encore. Ils soignent tous les maux par des saignées et des diètes sévères, faux
remèdes qui aggravent le mal plus qu’ils ne le traitent. Ce faisant, ces grands
penseurs s’emploient à être leur propre médecin en prévenant et en évitant la
maladie alors très difficile à soigner.<span style="mso-spacerun: yes">
</span>Aussi se prescrivent-ils des règles d’hygiène de vie, pour n’en citer
que deux : un régime alimentaire qui, pour une fois, met Kant et Nietzsche
d’accord dans leur rejet de la cuisine allemande jugée trop lourde à
digérer ; et la nécessité de la promenade déjà chère à Aristote et à
Montaigne. Être médecin de soi-même est un écho au Stoïcisme. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">En effet, la fameuse
distinction qui ouvre le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Manuel</em> d’Épictète
sépare « ce qui dépend de nous de ce qui n’en dépend pas ». La
maladie ne dépend pas de nous dans une certaine mesure, mais il est en notre
pouvoir d’avoir une vie saine favorisant la santé. Quand la maladie survient,
il dépend de nous d’exercer une force d’âme pour lui faire face, même et
surtout si elle est incurable. Sur la question de la santé, Montaigne, Descartes,
Spinoza, Kant, Nietzsche, <em style="mso-bidi-font-style:normal">etc.</em> :
tous se réfèrent au Stoïcisme soit pour l’épouser comme c’est le cas de Kant ou
de Nietzsche, soit pour s’en détourner comme Montaigne qui demeure néanmoins
fasciné par cette philosophie antique selon laquelle le mal n’est pas dans la
maladie mais dans le jugement qui lui est associé. Face à la maladie de la
pierre qui le fait tant souffrir, Montaigne aimerait être un sage stoïcien qui
poursuit sa lecture quand on l’opère sans anesthésie des varices, mais rien n’y
fait : « si ma santé est florissante et le temps beau et clair, me
voilà un honnête homme ; si j’ai un cor au pied, me voilà renfrogné,
ronchon et fuyant.» </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Malgré cela, Montaigne parle
de ces individus qui ont « souvent une pierre dans l’âme avant de l’avoir
dans les reins » et reprend à son compte un héritage du stoïcisme, celui
qui consiste à différencier le malade du maladif. Le Stoïcisme montre qu’on ne
peut pas lutter contre la maladie en ce sens qu’on ne décide pas d’être malade,
en revanche on décide quel malade l’on est. On peut être un malade combatif ou
un malade maladif. Et comme le montre Kant qui nous confesse être atteint
d’hypocondrie, on peut être maladif sans avoir une maladie avérée. Ces neuf
illustres philosophes recommandent tous de prendre soin de soi sans être aux
petits soins avec soi-même. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Ce stoïcisme ou plus
précisément cette éthique stoïcienne qui réunirait (parfois avant l’heure)
Platon, Aristote, Épicure, Sénèque, Montaigne, Descartes, Spinoza, Kant et
Nietzsche peut-il encore être d’un certain secours aujourd’hui, à notre époque
où la santé est devenue un véritable problème théorique ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:FR" lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">La deuxième partie de
l’ouvrage aborde ainsi diverses problématiques contemporaines. La première
consiste en une définition de la santé. Fondras oppose d’une part une
conception naturaliste de la santé selon laquelle on peut déterminer
objectivement la santé et la maladie indépendamment de l’évaluation qu’en fait
l’individu ou le groupe, et d’autre part une conception normativiste selon
laquelle ces deux états, loin d’être naturels, sont des constructions sociales
liées à une norme dictant ce que devrait être la santé, à laquelle on donne une
valeur positive, à l’inverse de la maladie. Cette opposition rejoint en partie
le binôme posé par Kant « santé objective / santé subjective » et
aurait pu faire débattre Descartes et Nietzsche, Bernard et Canguilhem. Mais
pour bien la cerner, Fondras choisit de mettre en regard les théories du
philosophe américain Boorse et de son adversaire suédois Nordenfelt pour les
dépasser vers une thèse hybride défendue par Wakefield sur la maladie mentale. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Pour Boorse, la maladie est
une « dysfonction biologique », autrement dit « un état interne
qui réduit une (ou plusieurs) capacité fonctionnelle au-dessous de son niveau
habituel d’efficacité ». Le problème de cette définition de laquelle doit
découler celle de la santé est qu’elle ne prend pas en compte la souffrance du
patient. En outre, à la suivre, un yogi qui travaille à avoir un pouls ralenti
serait malade. Nordenfelt s’attaque à cette conception et propose de partir de
la santé pour définir par la suite la maladie, la santé est alors, sous sa
plume, un équilibre entre capacités et objectifs. Nordenfelt a le mérite de ne
pas réduire la santé à une question biologique, mais celle-là semble, ce
faisant, errer parmi les notions vagues comme celle du bien-être.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Fondras prend alors le parti
d’une thèse qui associe le normativisme et le naturalisme, celle du philosophe
new-yorkais Wakefield qui caractérise la maladie mentale comme étant un
« dysfonctionnement préjudiciable » ; le
« dysfonctionnement étant un vocable relevant de la biologie
évolutionniste, « préjudiciable » étant un terme évaluatif se
rapportant aux conditions jugées négatives selon les standards socioculturels.
La maladie mentale n’est pas juste un comportement marginal rejeté par la
société comme aurait tendance à le dire le constructivisme, mais elle n’est pas
non plus qu’un ensemble de symptômes répertoriés qui rendent inutile la
considération de l’histoire du patient. Par exemple, une tristesse est préjudiciable
pour l’individu mais elle n’est pas nécessairement un dysfonctionnement ;
toute tristesse même tenace n’est pas une dépression. Fondras souligne la
pertinence de cette définition et propose de l’étendre à toute maladie s’il
semble rester réservé sur une définition de la santé. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Fondras déclare alors que
rechercher le contenu du concept de santé n’est pas la seule manière de
philosopher sur la santé, une autre manière serait par exemple de se
demander : « qu’est-ce que faire l’expérience de la santé ? ».
C’est notamment l’occasion pour l’auteur de critiquer la fameuse citation de
René Leriche, chirurgien de la première moitié du XX° siècle : « La
santé est la vie dans le silence des organes ». Dans la maladie, le corps
se ferait bruit et se rappellerait à nous. Pourtant, on peut être très malade
sans que la maladie ne fasse, du moins dans les premiers temps, de bruit. En
outre, on peut avoir des « sensations de santé » comme les dépeint
Camus dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">Noces à Tipasa</em>. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Suit un chapitre où l’auteur
aborde la question du rôle de l’état face à la santé et discute l’expression de
« droit à<span style="mso-spacerun: yes"> </span>la santé ».
Puis, Fondras se concentre sur les problèmes pouvant découler d’une conception
positive de la santé à laquelle pourtant il se rallie dans le sillage de Montaigne
et de Camus. Il traite alors du Transhumanisme selon lequel la médecine a pour
tâche d’améliorer les fonctions biologiques de l’espèce humaine qui pourrait
peut-être un jour se passer de sommeil sinon dormir très peu et dont les
capacités intellectuelles pourraient être améliorées. Fondras s’élève contre
une humanité devenue cyborg, devenue plus intelligente grâce à un implant
cérébral mais du même coup plus contrôlable, voire plus maîtrisable par un
biopouvoir thématisé par Foucault. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">Enfin, Fondras aborde un autre
aspect découlant d’une conception positive de la santé : le lien entre la
santé et le bonheur. C’est alors l’occasion de souligner deux grandes
différences qui éloignent notre époque de celle des grands classiques de la
philosophie. La première est qu’auparavant la santé était considérée comme un
élément du bonheur, alors qu’aujourd’hui le bonheur est un moyen pour la santé.
Nous avons fait nôtre cette phrase de Voltaire : « Je me suis mis à
être gai parce qu’on m’a dit que cela est bon pour la santé ». On assiste
à présent – et l’auteur le déplore –<span style="mso-spacerun: yes">
</span>à une sacralisation de la santé qui engendre une dilatation du médical.
L’autre grande différence entre notre époque et celles qui l’ont précédée,
Fondras la formule à partir d’un témoignage, celui de Havi Cavel qui souffre
d’une très grave insuffisance respiratoire<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>et qui, contrairement à la logique aristotélicienne, pense
qu’on peut être à la fois en bonne santé et malade, plus précisément qu’on peut
avoir des moments de santé dans la maladie. Il n’y a pas que la maladie qui
apparaît par épisodes, la santé aussi. Mais on aurait alors envie de demander à
l’auteur s’il ne s’agit pas d’une santé subjective qu’on pourrait encore
appeler dans la lignée stoïcienne : « santé de l’âme » ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-ansi-language:FR" lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";
mso-bidi-font-family:Times;mso-ansi-language:FR" lang="FR">On pourrait regretter que cet
ouvrage passionnant et très documenté ne soit pas davantage systématique. Mais
le lecteur est prévenu dès l’introduction : l’ambition de l’auteur,
anesthésiste et docteur en philosophie, est de « dresser un panorama des
idées marquantes, de suggérer des pistes de réflexion et d’en tirer quelques
conclusions ». Fondras défend, en définitive, la définition de la maladie
comme « dysfonctionnement préjudiciable » et souhaiterait une
définition positive de la santé qu’il ne semble pas parvenir à formuler
clairement. Face aux problèmes découlant d’une santé positive, il en appelle au
Stoïcisme : on ne peut pas tout faire contre la maladie, tout ne dépend
pas de nous malgré les progrès incessants de notre technique. La maladie, comme
la mort et peut-être comme l’amour, est le signe d’une finitude qui colle à la
peau de notre humanité, d’une humanité qui peut encore espérer avec les
Stoïciens, être heureuse malgré et dans la maladie. <br /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph">Marine Frontera</p>