oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - SadeRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearPierre-Henri Castel : Pervers, analyse d’un concept, suivi de Sade à Rome, Paris, éditions Ithaque, 2014, lu par Fabrice Jamboisurn:md5:715e8e5267764d60e056667bb3075b282014-11-30T06:00:00+01:002014-12-03T14:14:07+01:00Michel CardinÉthiquemalmoraleperversionSade<p><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Cet essai sur le Mal rassemble deux textes, brefs et denses, qui constituent le point d’aboutissement de la recherche d’anthropologie et de psychologie historique sur l’action humaine menée par Pierre-Henri Castel depuis une quinzaine d’années. </span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"> </span></p> <p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"> Les deux volumes
consacrés aux obsessions et à la contrainte intérieure, parus en 2011 et 2012,
exploraient, dans le cadre d’une méditation sur l’émergence de l’individualisme
occidental, les formes de fragilisation de l’agir causée par le déploiement
d’un espace de réflexion dans l’interstice entre intention et action :
culpabilité, extrême « scrupulosité », « embarras de
l’action », obsessions, compulsions, crainte de perdre le contrôle de soi.
<em>Pervers, analyse d’un concept</em> et <em>Sade à Rome</em> prolongent cette
étude en déplaçant le champ d’investigation à l’autre pôle,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>du côté de l’agir étrangement infaillible du
pervers : « […] dans notre monde moral, l’idée qu’il pourrait exister
des agents qui, eux, arrivent à leurs fins, des agents dont la volonté est
telle qu’ils se sentent pleinement être eux-mêmes en agissant et qu’ils vont au
bout de leurs intentions sans subir aucune crise interne (ils imposent au
contraire cette crise à leurs victimes, qu’ils angoissent et qu’ils paralysent
dans un filet de contradictions perversement disposées), tout cela constitue un
mythe extraordinairement séduisant. Il faut lui donner toute son envergure
anthropologique » (p. 75). En d’autres termes, l’individualisme et
l’auto-contrôle de l’agent par lui-même qu’il implique n’ont pas seulement pour
« coût psychique » des pathologies de la volonté : ils motivent
une fascination pour le Mal. Le pervers apparaît en effet comme l’individu le
plus achevé, celui qui, parce qu’il s’affranchit des liens de la coopération
sociale et de demandes qui ne proviennent pas de lui, coïncide pleinement avec
lui-même et se constitue en sujet autonome et en auteur complet de ses actes.
L’acte pervers, ligne de fuite hors de la société, exprime paradoxalement les
traits particuliers d’une société qui place l’individu au-dessus d’elle-même,
en même temps qu’il esquisse un horizon de libération à l’égard de
l’auto-contrainte. Les deux volets de l’essai de Pierre-Henri Castel, noués
l’un à l’autre, se proposent d’établir qu’« il y a du sens à parler d’un
Mal absolu » et que, loin de renvoyer au délire ou à l’irrationalité, ce
Mal, appréhendé à partir du prédicat « pervers », relève aussi de
l’exercice de la raison. La qualité de psychanalyste de l’auteur pourrait
laisser attendre une approche psychanalytique des perversions. Il s’agit
pourtant d’un livre de philosophie morale à part entière, où les propositions
de Freud et Lacan ne sont retrouvées qu’au terme d’un parcours argumentatif
serré dont chaque pas est commenté, justifié et situé théoriquement. </span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><strong><em><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Pire que mal</span></em></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>La « sécheresse conceptuelle »
revendiquée par l’auteur ne nuit pas à son propos : l’analyse conceptuelle
conduite dans ces pages donne une idée de la clarté et de la rigueur auxquelles
peut atteindre un travail philosophique entièrement maîtrisé. Pierre-Henri
Castel emprunte sa méthode logico-grammaticale à la philosophie analytique du
langage issue de Wittgenstein, l’enjeu étant de cerner le contenu conceptuel du
mot « pervers », qui apparaît dans des énoncés juridiques,
psychiatriques, psychanalytiques, moraux : ce mot admet-il un usage
rationnel et reçoit-il une consistance conceptuelle, ou ne renvoie-t-il qu’à
des croyances vagues et des zones d’indétermination des pratiques et des
savoirs qui le mobilisent ? Le concept de « pervers », qu’il
s’agit de définir, est donc étudié en amont des catégories apparemment
anhistoriques de perversions déjà constituées que convoquent la psychiatrie, la
psychanalyse, le droit ou la criminologie et qui déterminent diverses figures
de déviants : les perversions sont secondes car elles indiquent une
substantialisation d’intentions, d’actes ou de désirs que l’on dit
« pervers ». <em>Pervers, analyse d’un concept</em> entreprend de produire
méthodiquement un concept consistant de cette notion de « pervers »
avant sa substantialisation. Sous le mot « pervers », nous visons,
au-delà des comportements seulement mauvais et préjudiciables, une forme de
malfaisance délibérée, de mal pour le mal - comme on parle d’art pour l’art -
ou de Mal extrême. Nous sommes spontanément portés à inscrire la cause de ces
actes incompréhensibles dans le registre surnaturel du diabolique (le Mal
procèderait alors d’une cause transcendante et irrationnelle) ou à la
naturaliser en déterminant le pervers comme une entité psychiatrique (le Mal
serait alors circonscrit à certains individus que leur conformation placerait
en marge de l’espèce humaine). Non moins que la religion, les sciences de
l’esprit accomplissent un geste de mythification en confinant l’usage du mot
pervers à la désignation de certains êtres moralement monstrueux et prédisposés
à faire le Mal en vertu d’une propriété logée dans leur cerveau. </span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Rationaliser l’usage du terme
« pervers », penser le Mal radicalement et le démythifier suppose que
l’on remette en cause l’épistémologie des dispositions et notamment la notion
de « disposition intrinsèque » censée rendre compte de la perversité
et selon laquelle le pervers actualiserait sa nature perverse lorsqu’une
occasion extérieure s’y prête (de même que la solubilité du sucre s’explique par
sa disposition intrinsèque - sa structure cristalline particulière - et
s’actualise lorsqu’on l’immerge dans un milieu aqueux). La disposition à agir
perversement serait plutôt extrinsèque, comme la visibilité ou la
fragilité : « Elle n’est pas définissable en fonction des seules
propriétés internes du pervers (pas plus qu’un objet n’est visible ou fragile
« par lui-même »), mais en fonction des interactions entre les êtres
du monde où la perversité s’actualise » (p. 20). </span><span style="font-family: Calibri; font-size: 15px; text-align: start;">Perversité et dangerosité ne sont donc pas séparables de la vulnérabilité ou de la fragilité de certains êtres et l’agir pervers enveloppe nécessairement une dimension relationnelle</span><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"> :
le pervers est d’abord celui qui détecte les vulnérabilités et tire une
jouissance de l’angoisse qu’il instille. Mais réciproquement, si l’on accepte
avec Pierre-Henri Castel d’éliminer le recours à la base catégorielle d’une
disposition intrinsèque en considérant qu’elle n’est qu’une « base
imaginaire », « reflet en miroir de l’action perverse
manifeste », le pervers ne pourra lui-même être dévoilé comme tel que dans
le jeu intersubjectif d’une confrontation avec un jury populaire attentif à la
qualité de l’agir du pervers, au raffinement des moyens mis en œuvres par lui
pour maximiser le mal. De ce point de vue, la compétence de l’expert
criminologue censé mettre à nu objectivement la racine de l’agir
pervers n’est plus fondée : « Le travail judiciaire s’apparente alors
moins à l’enregistrement d’un fait objectif (« Monsieur X est
pervers ») qu’à un réajustement collectif de nos croyances, de nos
valeurs, de nos émotions, afin de mesurer le degré d’éloignement d’un d’entre
nous par rapport à tous les autres » (p. 74). L’auteur admet qu’une telle
position est « contre-intuitive » et que le lecteur doit vaincre sa
tendance à ramener l’intention ou l’acte pervers à une disposition interne. On
pourra en effet objecter que, manifestement, nous n’agissons pas tous de façon
perverse et que les actes pervers sont la signature de certains individus en
lesquels il est tentant de supposer un pouvoir d’agir singulier qui fait d’eux
des pervers. Tout l’effort de Castel consiste à démontrer que l’interprétation
substantive de « pervers » (certains individus sont intrinsèquement
prédisposés à faire le mal) ne résiste pas à une critique logico-grammaticale
et à consolider l’interprétation adverbiale de « pervers » :
ainsi, les locutions « perversement » ou « avec une malignité
perverse » renvoient dans les énoncés qui les comportent à un lien
intrinsèque avec l’action et à l’évaluation de l’effet de celle-ci (par exemple
dans l’énoncé suivant : « <em>Avec une malignité perverse</em>,
Monsieur X a non seulement assassiné l’enfant, mais il l’a violé et
torturé ») tandis que l’usage substantif du terme « pervers »
dans des énoncés semblables (« C’est un pervers » ou « Ce
pervers de Monsieur X… ») pointe en direction d’une explication de l’effet
et substantialise la perversité. Reformuler des énoncés selon un usage
adverbial de « pervers », qui modalise des phrases d’action, présente
l’avantage d’économiser toute analyse de type phénoménologique de la volonté
perverse (en se demandant par exemple ce que ressent le tortionnaire) :
« « Pervers », en ce sens, rompt les dernières amarres avec ce
qui restait d’individuel, et donc de volontaire, et par suite de conscient,
dans la notion de sujet pervers. Dans l’action perverse, ce qui compte, ce
n’est pas <em>ce que veut tel agent pervers en tant qu’individu</em>, et qui se
communiquerait de lui à son action. C’est l’intentionnalité <em>de l’action
prise comme un tout</em>. » (p. 72). Ces analyses, dans le détail
desquelles nous ne pouvons pas entrer ici, nous semblent déterminantes pour
clarifier l’approche des institutions perverses et des crimes collectifs où se
signale une intentionnalité irréductible à des volontés conscientes
individuelles (cas de « l’expérience Pitesti », centres de torture,
camps de concentration, ...).</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Pourtant, si d’après l’analyse adverbiale
« pervers » ne se rapporte plus à une prédisposition subjective mais
à des séquences d’actions descriptibles ou à des effets évaluables et devient
un prédicat impersonnel, comment savoir <em>qui</em> agit perversement ? La
thèse principale de Castel est que « pervers » a pour équivalent
sémantique « pire que mal » : l’agir pervers radicalise le mal,
s’oriente vers un Mal absolu (<em>evil</em>) qualitativement distinct du mal
ordinaire (<em>bad</em>). Cet absolu doit être inclus dans l’échelle du mal car
la possibilité logique d’agir perversement appartient à l’action humaine. Le
domaine du « pire que mal » commence là où notre imagination morale
est prise en défaut : « On ne lit pas sur l’échelle du mal comme sur
les graduations d’un thermomètre éthique. On découvre, en situation, que le mal
atteint des degrés dont la possibilité était jusque-là pour nous abstraite.
Passé un certain degré, maintenir des relations de proportionnalité cohérentes
entre ce qui est mal et ce qui est pire à des degrés inférieurs de l’échelle
morale de mesure nous force à considérer, si j’ose dire, que le thermomètre est
cassé. Vraiment, c’est « au-delà de tout » » (p. 29). Le seuil
qualitatif d’un tel « au-delà de tout » est-il alors
assignable ? Castel avance qu’il ne s’agit pas d’un seuil fixe
objectivement déterminable, mais plutôt d’un « point de rebroussement
potentiel à chaque degré de l’échelle du mal au mieux, et du mieux au bien. Là
où il y a du mal, donc du « moindre mal », et donc un mieux relatif,
il y a en puissance et en sens inverse du pire que mal » (p. 43). En découle la
possibilité de descendre indéfiniment dans la zone hadale cette échelle éthique
du Mal, si bien que « « Pervers » est […] un horizon de l’action
mauvaise, même s’il faut déjà avoir atteint un certain degré du mal pour que
cet horizon se découvre. Il suit de là que <em>ni nous ni le pervers ne sommes
jamais certains que le Mal a été atteint</em> » (p. 72). Castel rappelle
alors l’attachement obsessionnel du pervers à « <em>faire croire</em> qu’il
a réussi à toucher au Mal » (p. 73) et suggère qu’« il se pourrait
bien que ce soit justement un tour « pervers » de la perversion que
d’affoler ceux qui l’examinent et, dans le brouillard où elle égare, de
parvenir insidieusement à nous persuader qu’elle existe […] » (p. 30).
N’est-ce pas finalement revenir à la notion d’un Mal impensable et
mythique ? L’intérêt de la définition de « pervers » comme ce
qui est « pire que mal » est justement de viser un au-delà du mal et
de permettre d’évaluer des « perfections négatives » dans
n’importe quel monde moral possible au lieu de renvoyer à une grille de lecture
morale soudée à un contexte socio-historique déterminé : l’argumentation de
Castel dépasse le relativisme éthique en traitant le concept de pervers comme
un « concept fin » à valeur prescriptive ou évaluative, et non comme
un « concept épais » à teneur cognitive, descriptive et dogmatique.
Le concept de « pervers » obtenu au terme de l’analyse, ce
« pire que le mal » dont l’auteur note qu’il reprend peut-être ce que
désigne le concept freudien de « pulsion de mort », loin de
déréaliser le Mal, se réfère pratiquement à la fois à la réalité de l’« implacable
agonie » dans laquelle est entrée la vie morale de notre temps et à celle
du mythe collectif et spectaculaire d’un acte libérateur où se lit le
« triomphe de l’égoïsme cynique ».</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"> </span><strong><em><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Faire le Mal jusqu’au
bout</span></em></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Le second volet de l’essai de Pierre-Henri
Castel, <em>Sade à Rome</em>, propose une lecture philosophique de <em>Juliette ou
les prospérités du vice</em>. Il s’efforce d’en extraire les éléments d’une
« contre-éthique » et d’une ontologie compatibles avec la réalisation
intégrale d’un Mal absolu (« <em>ontologisation de la malfaisance</em> »),
c’est-à-dire avec l’épuisement effectif de tous les degrés possibles du Mal.
L’œuvre de Sade constitue selon Castel un système de pensée et univers cohérent
à l’intérieur duquel se vérifie l’équation entre « pervers » et
« pire que mal ». De même qu’il s’agissait de conceptualiser et de
rationaliser la notion de « pervers » dans <em>Pervers, analyse d’un
concept</em>, il s’agit ici de prendre au sérieux le projet sadien de réaliser
rationnellement un Mal intégral, pensé à partir de lui-même et voulu pour
lui-même, et de découvrir dans <em>Juliette</em> les ressources pour en enrichir
le concept. D’où la nécessité préalable de congédier les interprétations qui ne
cessent de maintenir Sade dans l’ordre de la déraison et de minorer
l’originalité de son concept de Mal. Castel s’épargne la tâche stérile des
répéter ou réorchestrer les interprétations de Klossowski, Blanchot ou Deleuze
(p. 79 : « poussons de côté ces vieilleries »). Son hypothèse de
lecture est que l’univers sadien est un monde possible et que <em>Juliette</em>
contient les clés de sa réalisation : « […] il nous faut lire non pas
un texte sur la perversion, et la jouant, voire la surjouant, mais un texte
pervers en soi, dont l’ambition explicite est de déclencher chez son lecteur
une « effervescence » où l’excitation érotique n’est qu’une
préparation attirante et savoureuse au crime » (p. 83). De même que les
pamphlets antisémites de Céline entraînent un effet de contagion corruptrice
réel en combinant virtuosité stylistique et appel au meurtre des Juifs, les
romans de Sade sont conçus pour mettre leurs lecteurs en situation réelle de
recevoir une éducation libertine, c’est-à-dire une éducation au Mal : en
échauffant leurs sens et les disposant à l’onanisme qui enferme les individus
dans un plaisir égoïste, « Sade place exactement sur le même plan les
personnages que sa fiction met en scène et ceux qui se les représentent »
(p. 87) et « favorise une lecture passionnée » (p. 90).
L’arrière-plan philosophique de cette « interaction corruptrice » est
un épicurisme que Sade transpose et déploie dans son projet selon ses fins
propres : « décrire le rapport inégal des voluptés » (p. 88).
Castel examine successivement les discours des personnages de <em>Juliette</em>
(la Délbène, Noirceuil, Saint-Fond, Clairwill, Braschi), dont chacun représente
un degré logique sur l’échelle du Mal, son degré le plus haut étant contenu
dans le discours du pape Braschi. L’auteur y repère trois thèses qui sont
l’occasion de développements brillants sur Malebranche, l’épicurisme et la
contingence des lois naturelles avant de centrer son analyse sur le problème de
la liberté dans l’agir sadien. L’amoralisme de Sade, à qui Castel laisse la parole
pour clore son essai, s’enracine dans une ontologie où le Mal est déjà réalisé
puisque le réel a pour texture le Mal lui-même : « On voit la limite
vers laquelle tend Sade. Ce n’est pas d’affirmer que le Mal est réel. C’est
d’entrevoir que <em>le réel, c’est le Mal</em> - du moins le réel dont nous avons
l’indice sensuel le plus distinct (à défaut du plus clair), celui du <em>jouir à
mort</em> » (p. 117). Le « jouir à mort », qui implique
indivisiblement<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>la consumation sans
reste de l’objet par le sujet et du sujet par soi-même, a pour principe
l’« intentionnalité féroce d’une pure visée prédatrice ». L’auteur
indique, sans doute trop brièvement mais en promettant de développer ce point
dans un livre à venir, que son essai sur Sade « est, en réalité, un commentaire
du chapitre génial qu’Eduardo Viveiros de Castro a consacré à la
« métaphysique cannibale » des indiens d’Amazonie » (p. 117).
Dans les séances de décembre 2013 et janvier 2014 de son séminaire de
psychanalyse (dont les enregistrements sont accessibles sur son site internet
personnel), en principe consacrées à l’étude de la <em>Traumedeutung</em>,
Pierre-Henri Castel avait longuement exposé la reconstruction du perspectivisme
amazonien, centré sur l’idée d’une intentionnalité prédatrice et d’une
cosmologie de chasseur, par Viveiros de Castro. Au terme d’un exercice
d’analyse de grammaire des attitudes propositionnelle visant à dégager
l’originalité de l’intentionnalité du désir, il montrait que l’horizon ultime
de cette intentionnalité était la « projectivité nue » en vertu de
laquelle les Tupi-guaranis se rapportent en tant que pulsion prédatrice au
monde ambiant. Doit-on conclure du parti-pris de faire un commentaire crypté du
perspectivisme amazonien à l’intérieur d’un essai sur Sade que c’est dans le
projet sadien de réaliser un Mal intégral que se trouve le mieux captée dans
notre culture occidentale la vérité de l’intentionnalité du désir ? Une
discussion des thèses développées par Deleuze et Guattari dans <em>L’Anti-Œdipe</em>,
où l’on rencontre à la fois une tentative d’élaboration conceptuelle de la
perversion, la construction d’un modèle de transfert (ou projectivité) original
et une définition du réel comme désir tirée de l’interprétation de Sade par
Klossowski (la dialectique de la conscience sadienne forme le soubassement principal
du premier tome de <em>Capitalisme et schizophrénie</em>), ne serait peut-être
pas moins directement éclairante que le détour exotique par les
« métaphysiques cannibales », dont le pouvoir de fascination qu’elles
exercent sur certains penseurs est manifeste.</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><span style="mso-spacerun: yes;">
</span><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Fabrice
Jambois</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><strong><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;"><br /></span></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><strong><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Plan :</span></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><strong><em><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Pervers, analyse d’un
concept</span></em></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">1. Position du
problème : vers une critique conceptuelle de la notion de perversion</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">2.
« Pervers » : une analyse dispositionnelle et ses conséquences</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">3. Pervers, c’est
« pire que mal »</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">4.
« Pervers » : une analyse adverbiale et ses conséquences</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">5. « Pire que
mal » : défense de la lecture forte<span style="mso-tab-count: 1;"> </span></span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">6. Y a-t-il un sujet
pervers ? Les arguments <em>pro</em></span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">7. Y a-t-il un sujet
pervers ? Les arguments<em> contra</em></span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">8. Du refus du sujet
pervers à la mise en lumière de la fragilité de l’agir humain</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><strong><em><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">Sade à Rome</span></em></strong></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">1. Le philosophe
dangereux</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">2. La Delbène :
l’excitation de la lecture</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">3. Noirceuil : de
la nature en nous à la nature « trop au-dessus de nous »</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">4. Saint-Fond, le détour
par la magie noire et l’objection de Clairwil</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">5. Le discours de
Braschi : les trois prémisses de la métaphysique sadienne du Mal</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">§1. Deux motifs-clés de
la philosophie de Malebranche</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">§2. Du néo-épicurisme</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">§3. La contingence des
lois de la nature</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">6. Cosmologie de
l’anéantissement universel : le meurtre selon Braschi</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">7. Sur l’incompatibilité
des doctrines de Saint-Fond et Braschi</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">8. Quelle volonté
préside à l’agir sadien ?</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify; line-height: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; font-size: 12pt;">9. L’ « éthique des
vertus » offre-t-elle une parade à l’amoralisme sadien ?</span></p>
<p style="margin: 0cm 0cm 10pt;"><span style="font-family: "Times New Roman";"> </span></p>