oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - MontaigneRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearArlette Jouanna, Montaigne, Gallimard 2017, lu par Bertrand Vaillanturn:md5:efa5525e79d8db1e60a6fd6ab415d0be2018-03-16T18:49:00+01:002018-04-12T12:58:13+02:00Florence BenamouHistoire de la philosophieexpériencesintrospectionjugementlibertéMontaignepolitique<figure style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;"><img alt="A1Z3Mmgk7pL.jpg" class="media" height="252" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.A1Z3Mmgk7pL_m.jpg" width="173" />
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<p><strong>Arlette Jouanna, <em>Montaigne</em>, coll. “Biographies NRF”, Paris, Gallimard, 2017, lu par Bertrand Vaillant.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Un pays divisé par les haines partisanes et le fanatisme religieux, une vie prisonnière des obligations sociales, le choix douloureux entre compromis politique et constance des convictions, le poids des mille soucis de la vie quotidienne qui fait obstacle aussi bien au repos qu’à l’activité de l’âme : les maux de Montaigne ne nous sont pas étrangers. Plus de quatre cents ans après sa mort, le “gentilhomme périgourdin” nous fascine encore par son actualité. C’est paradoxalement cette actualité qui transparaît de l’admirable travail que fournit Arlette Jouanna pour replonger Montaigne dans son temps, au cœur des jeux d’alliance nobiliaires, des guerres de religion et du tumulte politique de la France du XVI° siècle. Dans cette biographie passionnante, l’auteur trace avec nuance et clarté le portrait de celui qui a consacré son œuvre à se peindre lui-même, en suivant les lignes entrecroisées d’un parcours à la fois familial, social, politique et intellectuel.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p> <p style="text-align: justify;">L’ouvrage s’ouvre sur une invitation à l’étonnement (p.9) : pourquoi Montaigne, âgé de trente-huit ans seulement et en pleine possession de ses moyens, décide-t-il de quitter ses charges publiques et de se retirer dans son domaine ? Pourquoi fait-il peindre la déclaration de cette décision sur le mur de son cabinet, en la datant du jour de son anniversaire, comme s’il s’agissait d’un second acte de naissance ? Cette retraite annonce-t-elle une vie recluse dédiée à l’étude, ou au contraire une libération intérieure qui soutiendra l’action publique ? Ce sont quelques unes des questions soulevées par cette décision, dont le livre d’Arlette Jouanna s’efforce de retracer la genèse et de déployer les conséquences, en distinguant dans la vie de Montaigne trois grands moments.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>1. Montaigne devient Montaigne</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Dans la première partie, on assiste à la “lente naissance à soi-même” (p.17) de Montaigne, de sa naissance en 1533 à la décision de sa retraite en 1571. On y découvre l’étroit réseau des liens de parenté et de clientélisme à l’intérieur duquel prend place, dès sa naissance, la vie d’un gentilhomme de moyenne condition et de noblesse récente comme Michel Eyquem, futur seigneur de Montaigne. C’est au milieu de ces liens de dépendance - qui usurpent le beau nom d’amitié - que mûriront à la fois son désir de liberté et la conviction que celle-ci se trouve dans une indépendance intérieure, qui n’exclut pas de tenir son rôle mais permet de le faire avec assez de distance critique pour échapper à la servitude. La lecture du <em>Discours de la servitude volontaire</em>, dont les <em>Essais</em> se voudront d'abord un simple ornement, sera bien sûr essentielle dans cette maturation. L’amitié partagée (quelques années seulement) avec son auteur Étienne de la Boétie, la rencontre avec les “sauvages”, des indiens Tupinamba du Brésil, un accident qui lui fait croire sa mort prochaine et la confrontation aux certitudes dogmatiques de Raymond Sebond sont autant de moments cruciaux analysés par l'auteur qui permettent à Michel de devenir Montaigne: un homme chérissant à la fois la vie et la modération, un inlassable chercheur de vérité méfiant envers toute certitude, mais aussi un homme blessé par la perte d’un ami dont il ne retrouvera jamais l’égal. Cet ami digne de lui, il ne désespérera pourtant pas de le trouver parmi ses lecteurs, en adressant au monde le portrait intime des <em>Essais</em> comme une invitation à la conversation. Comprendre la lente et complexe genèse du projet de Montaigne constitue ainsi une clé de lecture précieuse pour en saisir le sens et la portée, et engager la discussion à laquelle ils nous invitent.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>2. Essayer son jugement</strong></p>
<p style="text-align: justify;">La deuxième partie du livre suit Montaigne de 1571 à 1581, période inaugurée par sa retraite et qu’il va consacrer aux “essais” de son jugement. “La décision de vivre désormais chez lui n’a nullement représenté pour Montaigne une césure brutale, un repli dans sa tour d’ivoire, écrit l’auteur. Elle n’est que le signe extérieur d’un retournement intérieur, d’un basculement de son regard du “dehors” vers le “dedans”, non pour s’y enfermer, mais pour y observer avec curiosité le jaillissement de la réflexion au contact du monde environnant.” (p.121). C’est en effet l’un des grands mérites de ce livre que de nous montrer Montaigne vivant, s’occupant de son domaine, mettant tous ses efforts au service de la paix civile au beau milieu des guerres de religion, tâchant de jouer un rôle à la cour d’Henri III sans succomber à la servitude des courtisans, voyageant du Nord de la France jusqu’en Italie en passant par la Bavière et l’Autriche, résistant aux assauts de la maladie... On ne peut comprendre le projet introspectif des <em>Essais</em> sans un aperçu clair des multiples rencontres, expériences et confrontations qui sont la source de tant de pensées de Montaigne. Son introspection apparaît alors pour ce qu’elle est : un regard libre et détaché sur le monde, les coutumes, les croyances, les hiérarchies humaines, et non une narcissique obsession pour soi. Pour essayer son jugement, il ne faut pas se reclure mais “frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui” ( Essais I, 26) en toute occasion, dans les conversations amicales, les obligations sociales ou les voyages.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>3. La liberté à l’épreuve de l’histoire</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Enfin, c’est au “service désenchanté du bien commun” (p.235) que Montaigne consacre la dernière partie de sa vie. Élu maire de Bordeaux alors qu’il aspirait à la place plus importante et plus discrète de conseiller auprès du roi, pris entre les factions protestantes de la Navarre toute proche et les ligueurs ultracatholiques, Montaigne doit jouer de sa modération et de ses amitiés dans les deux camps pour favoriser une paix qui semble sans espoir. Les édits contradictoires se succèdent, tolérant et interdisant tour à tour le culte réformé, et les efforts d’un gentilhomme estimé mais provincial et de moindre lignage pèsent bien peu dans la balance de l’histoire. Ce récit donne tout leur poids aux pensées de Montaigne sur la relativité des lois humaines et la fragilité des sociétés, et alimentent son désir d’une véritable retraite sans lui en laisser le loisir. Le beau chapitre IX d’Arlette Jouanna, “Penser la liberté”, articule de manière éclairante l’enfermement de Montaigne dans ces drames politiques et sa pensée de la liberté, liberté intérieure mais incarnée, qui ne sépare pas le dedans et le dehors mais consiste à la fois à se plier avec lucidité aux nécessités de la vie politique, à se juger soi-même avec acuité – et souvent avec ironie, et à vivre pleinement la vie qui nous est offerte : “Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors.” écrit-il ainsi, ( Essais III, 13) éloignant de nous l’image d’un homme soucieux de se scruter au point d’en oublier de vivre.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Conclusion : la vie et l’œuvre</strong></p>
<p style="text-align: justify;">La biographie d’Arlette Jouanna s’adresse à tout lecteur curieux : à ceux qui ignorent tout de Montaigne, elle fournit une belle introduction à la lecture des <em>Essais</em>, en redonnant chair à leur auteur, aux joies, aux servitudes et aux déchirements qui ont été la source et l’objet de son œuvre entière. À ceux qui connaissent l’œuvre, elle offre un complément bienvenu qui ne prétend pas en être un commentaire, mais qui donne à voir l’homme derrière son autoportrait, et le replace dans un contexte historique dont on ne saurait faire entièrement abstraction. Son travail de biographe est précis sans ennuyer par des excès de technicité, nuancé sans affadir le si vivant Montaigne, et prend soin d’exposer quand il y a lieu les hypothèses impossibles à départager, ou ses divergences avec d’autres biographes. Loin d’alourdir le récit, ces divergences parfois surprenantes donnent à voir la multiplicité des vies de Montaigne, les images parfois très différentes qu’a retenues de lui la postérité, et les zones d’ombre qui obscurcissent encore sa vie. Sans jamais prétendre se substituer à la lecture des <em>Essais </em>mais en éclairant la radicale originalité de leur projet à la lumière de la vie de leur auteur, Arlette Jouanna réussit le pari de donner à lire une biographie passionnante en elle-même, mais qui ne manquera pas de susciter chez le lecteur le désir de se plonger ou de se replonger dans le texte de Montaigne.</p>
<p style="text-align: justify;">Bertrand Vaillant</p>
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</div>Laurence Devillairs, Les 100 citations de la philosophie, Que sais-je, 2015, lu par Alexandra Barralurn:md5:41abadca18ae048834e70c55f459b61d2016-11-11T06:00:00+01:002016-11-11T06:00:00+01:00Romain CoudercPhilosophie généralecitationsDiogèneEvangileHobbesL EcclésiasteMontaignenez de CléopâtreSocrate<p><strong><img alt="http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcRzeEEMkSzf2xO4qZe4AG7jlCbw9g16GHC4EDp3yhn2x9KW4kzh" src="http://t2.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcRzeEEMkSzf2xO4qZe4AG7jlCbw9g16GHC4EDp3yhn2x9KW4kzh" style="width: 150px; height: 228px; float: left;" />Laurence Devillairs, Les 100 citations de la philosophie, Que sais-je, 2015</strong></p>
<p>Ce petit livre de 124 pages paraît aux éditions PUF dans la collection des « Que sais-je ». Il a pour objectif de rassembler les citations les plus connues de l’histoire de la philosophie et de donner une explication concise à ces formules. Le format est strict : un page d’explication pour chacune des citations, ce qui a pour double conséquence la nécessité d’être très synthétique dans les explications et de ce fait relativement bref et clair d’une part ; et de l’autre de passer sous silence des explications plus exhaustives et plus approfondies.</p>
<p>Après un bref avant propos, les citations sont déclinées par ordre chronologique, en commençant par Héraclite d’Éphèse, et en terminant par Sloterdijk. Dans l’avant propos, l’auteur rappelle que la philosophie, même si elle n’est pas littérature, peut être belle, et les formules de langage trouvées par les philosophes, riches, vibrantes, fécondes et heureuses. Les philosophes veulent aussi toucher la pensée par la formule et de se contentent pas simplement de concepts et de démonstrations</p> <p>La difficulté de l’écriture de cet ouvrage consiste dans le choix toujours délicat de l’interprétation littérale de l’expression et de ce que la tradition en a fait. Le format extrêmement compact ne permet pas toujours de faire les deux. Pour Hobbes, par exemple, la citation « l’homme est un loup pour l’homme » ne rend pas compte de la totalité complexe de la phrase prise hors contexte. En revanche, l’interprétation fausse est prise en compte lorsqu’il s’agit de Blaise Pascal et de la phrase célèbre : « le cœur a ses raisons que la raison ignore »</p>
<p>La difficulté de la recension d’un tel livre est qu’elle ne peut pas restituer une par une les citations et leur commentaire au risque de faire un simple doublon de l’ouvrage. Le parti pris est donc d’analyser quelques citations parmi les plus célèbres. Ceci sera fait également de manière chronologique.</p>
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<p><strong>« Connais-toi toi-même » Socrate</strong></p>
<p>Cette phrase inscrite sur le fronton du temps d’Apollon à Delphes est reprise par Socrate pour exiger de lui-même et de chacun de nous, non de faire sur soi-même de la psychologie et encore moins de la psychanalyse mais d’inviter tout un chacun, chaque citoyen, à connaître la part de divin qui est en lui. La connaissance de soi est la condition <em>sine qua non</em> de la possibilité d’administrer la cité des hommes de façon harmonieuse.</p>
<p><strong>« Ôte toi de mon soleil » Diogène de Sinope </strong></p>
<p>La formule est tellement célèbre qu’on en oublie l’auteur. C’est ce que dit pourtant Diogène de Sinope à Alexandre le Grand venu le voir car la célébrité de Diogène était parvenue jusqu’à l’empereur. Fasciné par le personnage, Alexandre demande à Diogène ce qu’il souhaite, pour l’exaucer. Diogène, affalé au soleil, lui demande, de cesser de lui faire de l’ombre. Par cette formule, Diogène montre qu’il se désintéresse des biens matériels, qu’il n’a pas peur de la mort, car Alexandre aurait pu le passer par le fil de son épée, et qu’il refuse la hiérarchie sociale, le fait de devoir respect aux puissants sous prétexte qu’ils sont puissants.</p>
<p><strong>« L’homme est par nature un animal politique » Aristote</strong></p>
<p>L’homme est un animal qui vit en cité et dont la destination la plus haute est l’activité politique. C’est elle qui distingue un homme de tout autre animal grégaire vivant en société. Le politique par l’usage de la parole (logos) et ce qui donne à l’homme son humanité réelle, et il ne saurait y avoir d’humanité en dehors de cette cité. L’homme qui vit hors de la cité est soit un Dieu soit un monstre.</p>
<p><strong>« Vanités des vanités, tout n’est que vanité</strong> <strong>» L’Ecclésiaste.</strong></p>
<p>L’auteur a choisi, à juste titre, d’insérer cette citation qui n’est pas à proprement parlé philosophique, mais qui est fort connue, qui a été reprise et pensée par les philosophes (Montaigne ou Rousseau par exemple) et dont la postérité est grande. Le livre de L’Ecclésiaste entend montrer par cette formule que l’existence n’a pas de sens hors la présence de Dieu. Le mot « vanité » sera repris pour définir un courant pictural qui se situe essentiellement au XVIIème siècle et qui montre l’absurdité de la vie terrestre, le fugitif de l’existence et qui nous rappelle que nous sommes mortels.</p>
<p><strong>« Aime ton prochain comme toi-même » Évangile de Matthieu</strong></p>
<p>Commandement de Jésus Christ pour remplacer la loi des Juifs : aimer de façon inconditionnelle ceux qui ne méritent pas nécessairement d’être aimés. C’est pour cela qu’il commande également d’aimer ses ennemis. L’amour que l’on doit à l’humanité commence à partir de soi, puisque de soi jaillit l’amour pour s’étendre au « prochain » mais aussi au lointain. Ce à quoi Kant répondra que l’amour ne se commande pas et que seul le respect se commande.</p>
<p><strong> « Que sais-je » Michel de Montaigne.</strong></p>
<p>Cette phrase de Montaigne a donné son nom à la célèbre collection du même nom. Il est donc difficile de ne pas l’évoquer ici. Montaigne invite à faire preuve de scepticisme et à ne pas prendre pour acquis ce que l’on croit savoir. Il ne s’agit pas de dire que tout savoir est impossible. Il faut suspendre son jugement, mais continuer à chercher la vérité.</p>
<p><strong>« Cogito ergo sum » ( Je pense donc je suis ) Descartes</strong></p>
<p>Traduction tardive malheureuse qui donne l’impression que cette première vérité est une déduction, alors qu’elle consiste à saisir dans l’immédiateté de la vérité l’identité de la pensée et de l’existence. On lui préfèrera donc cette phrase : « ego sum, ego existo ». Cette première vérité sur laquelle on tombe littéralement lorsque l’on a remis en cause tout ce qui pouvait être douteux, consiste à sortir du scepticisme pour trouver une vérité dont on ne peut pas douter et commencer ainsi à déduire rationnellement tout ce qu’il est possible de connaître.</p>
<p><strong> « L’homme est un loup pour l’homme »Hobbes</strong></p>
<p>L’expression, que Hobbes reprend de Plaute, prend chez le philosophe anglais un sens particulier. Dans l’état de nature l’homme n’a pas d’alliés, il n’a que des ennemis et chacun est en concurrence avec chacun pour la survie, la possession, la satisfaction des désirs. En l’absence de contraintes imposées de l’extérieur, rien de constructif n’est possible et la vie des hommes est solitaire et brève. La phrase de Thomas Hobbes est toujours pourtant citée de façon tronquée, ce que l’auteur de l’ouvrage ne mentionne pas, à savoir : « s’il est vrai de dire que l’homme est un loup pour l’homme, il est aussi vrai de dire que l’homme est un Dieu pour l’homme ». L’entièreté de la citation nous oblige à la regarder sous un jour nouveau.</p>
<p><strong>« Le cœur a ses raisons que la raison ignore » Pascal</strong></p>
<p>Cette phrase fort célèbre est aussi fort mal comprise. On interprète le cœur comme l’organe du sentiment et plus particulièrement du sentiment amoureux. On lui fait ainsi dire que l’amour est aveugle et insensible aux voies de la raison et qu’il suit sa propre course. En fait, pour Pascal, le cœur est un organe de connaissance. Le cœur connait de manière intuitive et non démonstrative des vérités inaccessibles à la raison, permet la connaissance des évidences mathématiques indémontrables, mais aussi permet l’accès à Dieu pourvu qu’on ait la grâce. Cœur et raison ne constituent donc pas un dialogue de sourds, mais sont complémentaires.</p>
<p><strong>« Si le nez de Cléopâtre eut été plus court, la face du monde en aurait été changée. » Pascal</strong></p>
<p>A la suite de Pascal, on a pu s’interroger sur le fait de savoir si Cléopâtre avait un grand nez. Or Pascal prend cet exemple non pas du tout comme un fait historique, mais pour montrer que l’imaginaire des hommes et l’histoire qui en découle peut se fixer, se cristalliser sur un élément parfaitement anodin et sans importance. Des facteurs dérisoires peuvent bouleverser les choses.</p>
<p><strong>« L’homme n’est pas un empire dans un empire » Spinoza</strong></p>
<p>L’homme se croit libre et s’ignore déterminé. Le libre arbitre, que Spinoza critique dans cette phrase, consiste à dire que si l’homme accepte volontiers l’idée de déterminisme dans la nature, il le refuse pour lui-même, prétendant être indépendant de la nature dans laquelle est pourtant partie prenante. L’homme est dans un empire (l’ordre de la nature) et penserait fait exception pour lui-même de ce règne auquel il appartient et se prendre pour un roi, roi de son propre corps, de ses propres volontés et de ses propres désirs.</p>
<p><strong>« Ce monde est le meilleur des mondes possibles » Leibniz</strong></p>
<p>Le monde tel que Dieu l’a créé est un monde dans lequel l’imperfection ou le mal n’est pas absent. L’univers ainsi créé n’est pas le meilleur. Il est celui qui est optimal par rapport à tout ce qui est et à la combinaison de tous les possibles. Lorsque Dieu choisit de créer ce monde, il combine la diversité et l’ordre. Ainsi, du point de vue de Dieu, le monde créé est le meilleur possible compte tenu des possibilités et des incompatibilités des choses entre elles. Du point de vue de l’homme qui ne voit pas l’ensemble, il s’attarde sur ce qui lui semble un mal, ce qui ne peut être relativisé et surtout compris que du point de vue de l’ensemble de l’univers.</p>
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<p><strong>« L’homme est né libre et partout il est dans les fers » Rousseau</strong></p>
<p>Comment l’homme, né libre dans l’état de nature, devient-il asservi dans l’état social ? L’asservissement issu de la socialisation des hommes touchent les dominés mais aussi les dominants, dépendant d’une société corrompue par le raffinement des mœurs, synonyme de dénaturation. Si le retour à la liberté naturelle est impossible, il s’agit alors de dénaturer l’homme totalement pour lui offrir une nouvelle liberté, politique cette fois. Seule la fabrication de lois issues de la volonté générale peut rendre à nouveau l’homme libre, puisque, en se soumettant à tous, il ne se soumet à personne.</p>
<p><strong>« Rien de grand ne s’est produit dans le monde sans passions » Hegel</strong></p>
<p>L’histoire des hommes n’est pas le résultat d’un hasard contingent. Elle est le résultat d’une logique qui peut être saisie par l’esprit humain. Les hommes jouent un rôle dans l’avènement de cette histoire. Ils suivent des buts particuliers et égoïstes, mais l’histoire se sert de leur passion pour réaliser des structures qui dépassent le but conscient des hommes. La passion dont parle Hegel est une pulsion de vie quasi animale qui fait qu’un être humain met toute sa force vitale, au service d’un but personnel, qui réalise, à travers un grand homme, le bien commun. </p>
<p><strong>« La religion est l’opium du peuple » Marx</strong></p>
<p>La religion, inventée par les hommes, est considérée par Marx à la fois comme une production à un certain moment de l’histoire, par besoin et consolation, mais est aussi une justification de la condition misérable des hommes qui la produise. En ce sens, elle est un analgésique, c'est-à-dire un remède qui empêche la souffrance et qui pourtant ne guérit pas le mal. Il ne sert donc à rien de lutter contre la religion. Il faut changer la société qui, parce qu’inégalitaire, produit la religion.</p>
<p><strong>« Dieu est mort » Nietzsche </strong></p>
<p>Le poète Pindare fut semble-t-il le premier à employer cette expression. La mort de Dieu n’est pas simplement pour Nietzsche la remise en cause du christianisme. La mort de Dieu est aussi la remise en cause des normes et valeurs absolues, de la recherche de la vérité comme idéal qui apparaît dès l’origine de la philosophie et se perpétue dans les croyances modernes. Il s’agit pour Nietzsche de montrer ce qu’est une vie d’homme après la mort de Dieu, c’est-à-dire, vivre en l’absence de tout sens.</p>
<p><strong>« Le moi n’est pas maitre dans sa propre maison» Freud</strong></p>
<p>L’homme qui se pense maître de lui-même, être rationnel et transparent, est mis à mal par Freud et l’invention de la psychanalyse. L’homme ne se définit plus simplement comme conscience, mais surtout et avant tout comme inconscient, qui produit en nous des actes et des pensées, dont nous ignorons la genèse et que nous ne maîtrisons pas. L’homme peut donc apparaître comme un étranger dans son propre corps, lorsque le « ça », réservoir pulsionnel et primitif, cherche à s’exprimer et à se satisfaire, contre toute morale et bienséance.</p>
<p><strong> « L’homme est condamné à être libre » Sartre</strong></p>
<p>La liberté définit l’homme de façon absolue. Elle n’est pas une possession, une contingence dont l’homme pourrait se débarrasser. Être un homme et être libre sont synonyme. La conséquence est que la liberté peut apparaître comme un fardeau, parce que je ne peux jamais cesser d’être libre. Je suis responsable de chacun de mes actes et de chacune de ses conséquences en permanence. Cette liberté vertigineuse provoque l’angoisse chez l’homme qui cherche à la fuir, en faisant preuve de mauvaise foi, c’est-à-dire en cherchant à avoir l’identité et la constance des choses. C’est pourquoi il se donne des rôles, des identités, des masques sociaux, pour tenter d’alléger ce fardeau.</p>
<p><strong>« L’enfer, c’est les autres »Sartre</strong></p>
<p>Phrase de la pièce <em>Huis Clos</em>, trois personnages se retrouvent en enfer pour l’éternité, chacun vivant sous le regard de l’autre. L’enfer est le fait de vivre sous le regard et la dépendance d’autrui. Les relations à autrui ne sont pas toutes viciées puisqu’autrui est aussi celui qui me révèle à moi-même. Mais lorsque la relation à l’autre, inévitable, indépassable devient viciée, alors c’est l’enfer. </p>
<p align="right"> Alexandra Barral</p>Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour l’esprit, Paris, PUF, lu par Vincent Alainurn:md5:14e07c5bf5b1236ff5f966808b591faa2016-03-07T06:00:00+01:002016-03-07T06:00:00+01:00Jeanne SzpirglasHistoire de la philosophieAutruiMontaignescepticisme<p class="MsoNormal"><span lang="EN-US" style="font-family: 'Lucida Grande';"><em><strong>Chers lecteurs, chères lectrices, </strong></em></span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="EN-US" style="font-family: 'Lucida Grande';"><em><strong> </strong></em></span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="EN-US" style="font-family: 'Lucida Grande';"><em><strong>Les recensions paraissent et disparaissent très vite ; il est ainsi fort possible que certaines vous aient échappé en dépit de l'intérêt qu'elles présentaient pour vous. Nous avons donc décidé de leur donner, à elles comme à vous, une seconde chance. Nous avons réparti en cinq champs philosophiques, les recensions : philosophie antique, philosophie morale, philosophie esthétique, philosophie des sciences et philosophique politiques. Pendant cinq semaines correspondant à ces champs, nous publierons l'index thématique des recensions publiées cette année et proposerons chaque jour une recension à la relecture. Au terme de ce temps de reprise, nous reprendrons à notre rythme habituel la publication de nouvelles recensions. </strong></em></span></p>
<p class="MsoNormal"><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/category/Histoire-de-la-philosophie" style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 17px; color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none;">Recensions d'ouvrages portant sur l'histoire de la philosophie </a></p>
<p class="MsoNormal"><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/category/Esthétique" style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 17px; color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none;">Recensions d'esthétique </a></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-top: 0;"><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/category/Philosophie-politique" style="color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none; font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13pt;">Recensions de philosophie politique</a></p>
<p class="MsoNormal"><a href="http://blog.crdp-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/01/2016/recensions-janvier" style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13pt; color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none;">Recensions de philosophie antique</a></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="EN-US" style="font-size: 13pt; font-family: 'Lucida Grande';"><span style="color: rgb(74, 0, 3);"><a href="http://blog.crdp-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/31/01/2016/S%C3%A9lection-de-recensions-de-philosophie-morale" style="color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none;">Recensions de philosophie morale</a></span></span></p>
<p class="MsoNormal"><a href="http://blog.crdp-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/10/02/2016/Index-des-recensions-portant-sur-des-ouvrages-d-%C3%89pist%C3%A9mologie" style="color: rgb(177, 21, 8); text-decoration: none; font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13pt;">Recensions d'épistémologie</a></p>
<p><strong><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;"><br /></span></strong></p>
<p><strong><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/avril14/.Seve-Bernard-Montaigne-Des-Regles-Pour-L-esprit-Livre-896642841_ML_t.jpg" alt="" title="Seve-Bernard-Montaigne-Des-Regles-Pour-L-esprit-Livre-896642841_ML.jpg, mar. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Bernard Sève, </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">Montaigne. Des règles pour l’esprit</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">, Paris, P.U.F., 2007, 293 pages </span></strong></p>
<p><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">Dans les </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">Essais</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">, Montaigne écrit des esprits que « si on ne les occupe à certain sujet, qui les bride et contreigne, ils se jettent desreiglez, par-cy par là, dans le vague champ des imaginations ». Dans son importante étude, </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">Montaigne. Des règles pour l’esprit</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 13px; text-align: justify;">, Bernard Sève établit la portée de cette déclaration et en montre la fécondité</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Contre les lectures classiques de Montaigne, il soutient non seulement qu’on ne
peut réduire l’auteur des Essais au scepticisme, mais encore que la pensée de
Montaigne s’organise autour d’un problème majeur, celui de l’esprit déréglé.
L’articulation de ces deux thèses le conduit à soutenir que « c’est parce
que l’esprit est déréglé que la raison va se trouver conduite à adopter le
scepticisme ». Ainsi Montaigne développe-t-il au moins une « thèse
philosophique fondamentale ». Celle-ci s’enracine dans une expérience
décisive. À trente-neuf ans, Montaigne se retire dans sa </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">libraire</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;"> afin
de fuir les charges publiques et jouir de </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">l’otium</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">, « l’oisiveté
maîtrisée et heureuse ». Or, le rêve se transforme en
« cauchemar ». L’esprit oisif fait « le cheval eschappé »
et enfante « chimères » et « monstres fantasques ». L’esprit
« se donne cent fois plus d’affaire à soy mesmes, qu’il n’en prenoit pour
autruy ». Le loisir désiré se transforme en un </span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">negotium </em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">plus vif
que le précédent.</span><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;">Les</span><em style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;"> Essais</em><span style="font-family: 'Lucida Grande'; font-size: 10pt;"> apparaissent, dès lors, comme la
réponse que donne Montaigne à sa propre expérience du dérèglement.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Une telle thèse, aussi séduisante et ingénieuse soit-elle, ne
saurait se passer de preuves, c’est-à-dire d’une confirmation textuelle.
Bernard Sève met à cet égard en œuvre une méthode impeccable. À partir d’une
étude minutieuse des occurrences des termes de raison, d’âme et d’esprit, il
brise l’apparente synonymie de ces mots et montre que la notion d’esprit n’est
pas, chez Montaigne, l’autre nom de l’âme ou de la raison, mais « renvoie
à un véritable concept construit à touches petites, mais précises, dans les
différents lieux des <em>Essais</em> ». Si l’esprit humain, sujet au
dérèglement, a besoin d’être réglé, le scepticisme, cet effort de la raison
critique, sera l’un des moyens privilégiés pour tenir la bride à ce
« cheval mental », à cet esprit prompt à s’échapper, c’est-à-dire à
divaguer.<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/mars14/31DpVLqBDEL._SL500_AA300_.jpg" alt="" title="31DpVLqBDEL._SL500_AA300_.jpg, fév. 2014" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">C’est sous le prisme de cette thèse que se déploie l’étude de
B. Sève, divisée en quatre parties : « L’esprit dans l’absence de
règles <em>»</em>, « Les règles supplétives <em>»</em>, « L’<em>ars
philosophandi </em>de Montaigne » et « Les principes pratiques ».
Ce faisant, Bernard Sève a pour ambition de bouleverser notre compréhension des
<em>Essais</em> et d’en renouveler en profondeur l’analyse.<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/avril14/Seve-Bernard-Montaigne-Des-Regles-Pour-L-esprit-Livre-896642841_ML.jpg" alt="" title="Seve-Bernard-Montaigne-Des-Regles-Pour-L-esprit-Livre-896642841_ML.jpg, mar. 2014" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">La première partie, intitulée « L’esprit dans l’absence
de règles », est déterminante. De la réussite de sa démonstration dépend
le succès de l’entreprise de l’auteur. Il s’agit de reconstruire le concept
montanien d’esprit, négligé par tant de commentaires et confondu avec les
notions d’âme et de raison. L’esprit dont parle Montaigne n’est ni « l’esprit
ingénieux » de Voltaire, cet esprit de salon, ni la <em>mens</em>
cartésienne. Montaigne n’élabore pas non plus une psychologie rationnelle ou
une doctrine des facultés, bien que « s’ébauche […] sous sa plume une
véritable “critique de l’esprit” ». Si l’esprit a bien la dignité d’un
concept, quel contenu peut-on lui donner ? La tâche s’avère difficile,
tant en raison de la complexité de ce concept que du caractère peu systématique
des <em>Essais</em>. Deux caractéristiques propres à la nature de l’esprit
s’imposent cependant : son inventivité et son absence de règles. L’esprit
ne serait-il, dès lors, que l’autre nom de l’imagination ? Une telle
identification s’avère abusive. « L’esprit imagine, écrit B. Sève, mais il
déploie également un certain type de mouvement (aller toujours au-delà), une
certaine modalité du rapport aux représentations (la croyance) et aux problèmes
(l’invention arbitraire) ». C’est avant tout au travers de ses quatre
opérations (inventer, formuler des problèmes, interpréter, croire) que la notion
d’esprit se laisse appréhender. Ces opérations, loin de lui permettre de
s’orienter correctement, l’égarent. L’esprit humain est malade, il erre et se
trompe. Il est moins déréglé qu’« a-réglé », et cette négation est un
effacement des règles naturelles : les « esprits se trouvent ruinez
par leur propre force et soupplesse ».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Cette description n’est pas le dévoilement d’une essence, mais
une simple vérité de fait. Cet « extrême dérèglement de l’esprit » se
manifeste en premier lieu dans les deux premières opérations mentionnées :
l’invention et la formulation des problèmes. L’esprit spéculatif est emporté
au-delà du réel et pose de faux problèmes, dont l’un des meilleurs exemples est
celui de la liberté d’indifférence convoquée par « l’historiette
philosophique » de l’âne de Buridan. Montaigne, bien avant Leibniz, remet
en cause les données mêmes du problème. La situation d’indifférence est
fictive. Il ne peut y avoir de parfait équilibre. Notre esprit se perd dans de
vaines difficultés et d’inutiles arguties. Le scepticisme joue alors un rôle
thérapeutique. Il permet de séparer le bon grain de l’ivraie, de distinguer les
faux des vrais problèmes. Ces derniers sont « les problèmes naturels et
nécessaires que l’homme rencontre inévitablement ». Ils concernent la
condition humaine. La critique par Montaigne des vaines subtilités logiques se
transforme alors en une véritable dialectique de la raison au sens presque
kantien du terme. Mais, si l’esprit n’a par lui-même aucune règle<em>,</em> ne
peut-il en trouver dans l’expérience ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">L’important chapitre quatre, intitulé « L’expérience et
le principe de différence », apporte une réponse à cette question
centrale. B. Sève y analyse la troisième opération de l’esprit, l’action
d’interpréter. Il y distingue la position de Montaigne de deux autres
modèles : le modèle platonicien et le modèle empiriste. La critique
sceptique conduit bien entendu Montaigne à refuser la première hypothèse, celle
des règles naturelles et transcendantes. Ainsi se moque-t-il du
« tintamarre de tant de cervelles philosophiques »et de la
merveilleuse ivresse de l’entendement humain. Toutefois, l’originalité de la
lecture de B. Sève est d’insister davantage sur le rejet par Montaigne du
second modèle : la solution empiriste. Qu’est-ce qui sépare Montaigne de
Hume ? Le recours à l’expérience est chez Montaigne plus ontologique
qu’épistémologique. « Le monde n’est que variété et dissemblance »
écrit-il. Si une leçon peut être tirée de l’expérience, c’est celle de Leibniz
et de son principe des indiscernables. L’expérience est toujours celle de
petites différences. Dès lors, « tous jugemens en gros sont láches et
imparfaicts ». La synthèse est rarement possible, elle est le plus souvent
abusive. Elle est une simplification et une falsification des données de l’expérience.
B. Sève peut alors affirmer que l’expérience chez Montaigne« n’est
source d’aucune règle, parce qu’elle-même n’est pas régulière [...].
L’expérience ne se structure jamais, elle ne peut donc structurer l’esprit
humain ». Certes, Montaigne et Hume font tous les deux de l’esprit un
« chaos primitif ». Toutefois, le rapprochement s’arrête là. Chez
Montaigne, l’irrégularité de l’expérience ne permet pas de développer, comme
chez Hume, un processus vertueux. L’esprit ne peut, par la répétition des expériences
et par la constitution d’habitudes, se structurer et s’autoréguler. B. Sève
conclut alors qu’« il n’y a chez Montaigne ni régularité ni unité de
l’expérience, l’expérience honnêtement décrite nous présente au contraire
l’irrégularité et la diversité [...]. L’esprit déréglé ne peut trouver dans
l’expérience le remède à son dérèglement ». </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Reste à examiner le statut de la croyance, dernière opération
de l’esprit. Elle est l’objet du chapitre cinq de la première partie, « Le
possible et la croyance ». La croyance est « la forme que prend
l’inventivité déréglée de l’esprit ». L’esprit « livré à lui-même
délire », il invente et croit en la réalité de ses inventions. Or, la
croyance chez Montaigne « enveloppe une croyance implicite concernant sa
possibilité ». Le commentaire de B. Sève restitue la dimension proprement
philosophique de l’analyse montanienne de la croyance, souvent réduite à la
seule question religieuse. L’esprit dépasse l’expérience en s’inventant des
possibles auxquels il a la faiblesse de croire. Il se dupe lui-même. Les deux
ressorts de la croyance sont l’imagination et la coutume, en ce que
« l’accoutumance fait prendre pour naturel ce qui ne l’est pas ».
Pourtant toute croyance n’est pas absurde. Il y a des croyances crédibles.
Comment alors les distinguer ? On ne peut s’en remettre à la seule
logique, à la cohérence ou la vraisemblance. Un critère ferme ne peut être
trouvé. Montaigne aime « dans les histoires [la] bigarrure des événements,
des pratiques et des caractères ». C’est que le possible ― qui renvoie aux
faits comme les faits renvoient aux récits ― se confond avec la diversité
humaine rapportée par les historiens ou par les récits de voyage.<span style="mso-spacerun:yes"> </span>« Condamner [ces faits] impossibles,
c’est se faire fort, par une temeraire presumption, de sçavoir jusques où va la
possibilité ». À la différence de la position leibnizienne, le réel n’est
pas pour Montaigne l’actualisation d’une possibilité, les faits seuls attestent
pour lui de la réalité d’un possible. À ce possible anthropologique s’ajoute le
possible théologique. Sur celui-ci, il n’y a cependant rien à dire, ou très
peu. Dieu peut tout, et « Montaigne révère en silence l’incompréhensible
toute-puissance de Dieu ». </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Quelles implications pratiques devons-nous tirer de cette
psychologie montanienne ? L’esprit déréglé ne produit pas d’accord, mais
il conduit à la confrontation, aux heurts, aux chocs des différences, bref, aux
conflits. Certes, la violence n’a pas une seule cause. Toutefois, sa
« source principale [...] est dans l’esprit ». Les inventions sans
fin de moyens de torture en attestent et la conquête du Nouveau Monde le
confirme. À la question classique « <em>unde malum ? »,</em>
Montaigne répond par l’affirmation de l’égarement de l’esprit. B. Sève cite peu
l’œuvre de Rousseau. Pourtant, la figure de l’esprit déréglé y est également
présente et importante, notamment dans la <em>Nouvelle Héloïse</em>. Une
comparaison des deux pensées, bien que classique, eût pu être éclairante ici,
car enfin, ce dérèglement des esprits n’est-il pas pour Montaigne comme pour Rousseau
le résultat d’une dénaturation ? Le dernier chapitre de la première partie
le suggère bien. B. Sève y affirme que « l’esprit fait violence à la
nature et fonctionne comme une anti-nature ». Les
« cannibales », plus proches de la nature, sont « naïfs et
naturels, sans art » et « l’esprit, quand il se développe, n’apporte
pas la paix et l’ordre, mais querelles, contestations [...] ». C’est
l’esprit débridé, qui se représente et imagine l’autre, qui est porté à la
violence. L’esprit n’est pas un paisible <em>ingenium</em>, il est tout autant <em>destructio
</em>qu’<em>inventio. </em></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><em><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></em></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">B. Sève énonce ainsi les acquis de cette première partie de
son étude : « L’esprit ne dispose d’aucune règle immanente, n’a nul
accès à des règles transcendantes, et ne trouve dans l’expérience aucun appui
pour former des règles empiriques. Faute de règles, c’est la croyance sans principes
qui règne, la fantaisie de l’esprit, et, partant, la violence ». Comment,
dans ces conditions, retenir cet esprit sans cesse emporté au-delà de lui-même
et de la raison ? Comment peut-on pallier cette absence de règle ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Sous le titre « Les règles supplétives », la
deuxième partie reconstruit les trois solutions proposées par Montaigne :
la coutume (chapitre sept), la sagesse du corps (chapitre huit), l’art de conférer
(chapitre neuf). Tous trois jouent le rôle de règles supplétives.
« Supplétif » doit ici s’entendre en un sens juridique et B. Sève
définit précisément la « règle supplétive » comme celle
« applicable à défaut d’autres dispositions ». Dès lors, en l’absence
de règle, quelles règles l’esprit humain peut-il se donner ? L’enjeu, ici,
n’est ni plus ni moins que de penser l’autonomie.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">De manière assez évidente, la première de ces règles est la
coutume. Celle-ci est une règle externe qui, autant que possible, bride
l’esprit en lui imposant un ordre. La nature « volatile de l’esprit »
menace constamment, cependant, ce projet d’entrave. La coutume est sans
véritable fondement et la diversité des coutumes invite au relativisme.
Pourtant, il faut suivre les coutumes de son pays, moins par prudence que pour
lutter contre les « violents égarements de l’esprit ». Les coutumes
ont « une fonction stabilisatrice qui tient à leur forme, à leur
“être-coutume” ». Elles sont pour Montaigne un « <em>fait social</em> ».
Une fois encore, la comparaison avec Hume s’impose. Pour ces deux auteurs en
effet, l’homme est un« animal coutumier ». Mais, à la
différence de Hume, Montaigne distingue l’habitude de la coutume. Celle-ci ne
devient pas une habitude, une seconde nature, à force d’être répétée. Elle ne
donne pas lieu à une véritable accoutumance ou, en d’autres termes, à une
véritable intériorisation, mais seulement, tout au plus, à une certaine
familiarité. De plus, la coutume, « règlement arbitraire social »,
est, elle aussi, un produit de l’esprit déréglé. Comment peut-elle, dans ces
conditions, devenir une règle efficace ? En ce qu’elle est une
« sanction de l’immémorial ». Derrière chaque coutume, c’est
« la société qui s’esquisse comme masse obscure et puissante ».
L’esprit ne peut se donner des règles que dans la mesure où il s’extériorise
dans un fait social impersonnel et sans âge. La proximité avec la <em>Sittlichkeit</em>
hégélienne ne peut que frapper le lecteur.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Le concept d’esprit appelle celui de corps et ce dernier
produit la seconde règle supplétive. Certes, l’âme n’est pas dans le corps
comme un pilote en son navire. L’homme est tout d’une seule pièce et entre le
corps et l’âme, il y a « couture ». À ce point de l’analyse, la
distinction entre l’âme et l’esprit prend tout son sens. Le rapport du corps à
l’âme n’est pas identique à celui du corps à l’esprit : « Tout se
passe comme si notre corps, envisagé comme pendant de l’âme, recouvrait un
autre ensemble de fonctions et d’opérations que notre corps, envisagé comme le corrélat
de l’esprit ». Dès lors, l’enjeu montanien n’est pas proprement celui du <em>mind-body
problem</em>. Il n’est pas ici question du labyrinthe auquel conduit la
séparation des deux substances, le problème du rapport de l’âme à un corps.
Montaigne propose une « problématique neuve » : « celle du
rapport du corps (réglé) à l’esprit (déréglé) ». L’esprit trouble le corps
et nous fait mourir de peur<em>.</em> Le corpsfournit alors à l’esprit
des règles supplétives internes. Avant Nietzsche, Montaigne affirme la sagesse
du corps. Celle-ci s’exprime de manière exemplaire avec les « <em>cannibales</em> »,
mais aussi dans l’analyse plus intime de la maladie. B. Sève y insiste :« le corps triomphe de l’esprit dans l’opération même qui semblait
relever de son apanage : mesurer ». L’esprit, emporté au-delà de
lui-même, ne connaît pas de bornes. Le corps lui est limité. Il a des forces
comptées. Il peut mesurer à leurs aunes les poids et les charges qu’il peut
porter. L’esprit ignore cette mesure et s’imagine toujours plus fort,
c’est-à-dire plus vertueux, qu’il n’est. Si l’esprit est de démesure, le corps
seul offre une meilleure estime de ce qu’il nous est possible de porter,
c’est-à-dire de supporter, et B. Sève conclut que, pour Montaigne, « la
norme d’une vie bonne est à chercher dans le jeu du corps et de
l’esprit ».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Reste à envisager une troisième et dernière règle supplétive.
Elle est intersubjective et liée aux rapports des esprits entre eux. Il ne
s’agit plus alors de l’impersonnalité de la coutume, mais de
« commerce », c’est-à-dire de l’échange. « Le plus fructueux et
naturel exercice de nostre esprit, c’est à mon gré la conference » écrit
Montaigne. <em>« </em>Conférence <em>»</em> ne désigne bien entendu pas
ici la <em>disputatio</em> médiévale que Montaigne rejette comme vaine et
inutile. Elle n’est pas non plus une pratique sceptique, ni même la
conversation entre amis, en laquelle les esprits ne se règlent pas, mais, plus
souvent, fusionnent et divaguent ensemble. Chez Montaigne, affirme B. Sève,
« Conférer désigne d’abord un geste de comparaison à des fins d’élucidation
critique ». Les neuf règles de la conférence, reconstruites par B. Sève,
esquissent alors une véritable <em>Diskursethik</em> et anticipent les analyses
d’Habermas. Par la conférence, notre « esprit se fortifie par la
communication des esprits vigoureux et reiglez », que le hasard nous
permet de rencontrer. Les coutumes, la sagesse du corps, la conférence sont
ainsi autant de moyens d’exercer notre esprit et de contenir ses dérèglements,
même si ses « forces profondes le ramènent sans cesse au fantasque ».
Le scepticisme n’a alors qu’une fonction thérapeutique et dans les <em>Essais</em>,
sans être dogmatique, Montaigne n’en défend pas moins des vérités. Celles-ci
sont pratiques et relèvent de l’éthique. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">La philosophie de Montaigne ne se réduit pas<span style="mso-spacerun:yes"> </span>à l’évidence<span style="mso-spacerun:yes">
</span>à son style et les <em>Essais</em> défendent également des thèses. B.
Sève, afin d’étayer cette lecture, propose une reconstruction des principales
positions montaniennes. Cette reconstruction est l’objet des troisième et
quatrième parties, intitulées respectivement <em>« L’ars philosophandi </em>de
Montaigne <em>»</em> et « Les principes pratiques ».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">La troisième partie est consacrée à la « méthode » de
Montaigne. L’ordre des raisons est moins donné qu’à reconstruire. La lecture
doit se faire philosophique. Comme toutes les grandes œuvres, les <em>Essais</em>
engendrent son lecteur. Le vagabondage philosophique, la compilation,
l'éclectisme ne sont qu’apparents et cachent une véritable cohérence
conceptuelle. Montaigne n’est donc pas un « philosophe à sentences »
et les <em>Essais</em> un recueil de <em>sententiae</em> comme on a pu le soutenir.
Il y a une “technique” philosophique propre à Montaigne. Certes, « la
pensée de Montaigne ne s’exprime que très exceptionnellement dans des thèses en
bonne forme »,lesquelles ne « sont nécessaires [que] quand la
vie même [...] est menacée ». La condamnation de la cruauté, une
« des thèses privilégiées » de Montaigne, en fournit un bon exemple.
La cruauté est susceptible d’une généalogie, elle n’est donc pas
incompréhensible, elle n’est pas « un pur irrationnel ». Son « annihilation
est cependant impensable, parce que, si “dénaturé” que soit ce vice, il
contribue [...] à cimenter notre être [...]. Et “au milieu de la compassion,
nous sentons au dedans je ne sçay quelle aigre-douce poincte de volupté maligne
à voir souffrir autruy” ». « Nous ne goustons rien de pur », pas
même la pitié. La distance avec Rousseau est frappante. La cruauté n’est pas
l’effet d’un cœur égoïste, étouffé par l’amour-propre et dénaturé. Elle tient à
la nature même de l’homme. Si elle ne peut être supprimée, sa « limitation
est, pour Montaigne, l’objectif réaliste d’une “institution” réellement
humaine ». Face à la cruauté, le scepticisme n’est pas plus de mise que le
relativisme. Dès lors, c’est dans une philosophie pratique que la pensée de
Montaigne se développe, selon B. Sève, de manière exemplaire. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Cette éthique montanienne est-elle un éclectisme ?
Est-elle une morale que Montaigne s’est « bâtie à sa main » en
empruntant des éléments à l’épicurisme, au stoïcisme, au christianisme, à
l’humanisme ? L’ambition des deux derniers chapitres est précisément de
montrer qu’elle est cohérente et originale. B. Sève soutient explicitement une
triple thèse : les vertus chez Montaigne se structurent à partir de la
générosité ; celle-ci est une vertu de « l’esprit comme de la
volonté » ; la générosité, enfin, est un « des moteurs
rhétoriques » des <em>Essais</em>. L’éthique de Montaigne est donc celle de
l’homme généreux. Quel portrait Montaigne en donne-t-il ? L’homme généreux
montanien se distingue du magnanime aristotélicien comme du généreux cartésien,
bien qu’il s’en rapproche par certains traits : l’estime de soi ou bien la
liberté. Toutefois, ces ressemblances ne doivent pas cacher de plus grandes
différences. La générosité est une manière de se comporter, elle est moins une
« relation à l’autre », qu’un rapport à soi. Bref, le généreux adopte
un certain style de vie qu’on peut bien qualifier de grand style. Il évite les
mesquineries, les petitesses, les hypocrisies qui sont malheureusement le lot
commun. Il cherche la bonne distance aux choses et aux êtres afin de trouver le
bon rapport à lui-même. B. Sève résume cette vertu au moyen de l’expression
suggestive selon laquelle le généreux est celui qui ne compte pas : il ne
calcule pas, il se donne sans compter. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3""><o:p> </o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Si cette vertu est centrale, c’est qu’elle engendre les
autres. Il y a une contagion, non pas affective, mais éthique, de la
générosité. Il y a une dynamique de la vertu. Le généreux entraîne et emporte
les autres hommes, et la générosité produit les autres vertus. B. Sève analyse
l’exemple de la véracité. En un geste très kantien, Montaigne condamne le
mensonge, car il détruit le lien social et la confiance nécessaire au
« commerce » entre les hommes. Le généreux, précisément, est
franc : « Un coeur genereux ne doit point desmentir ses
pensées ». Cependant, cette vertu de générosité est-elle intellectuelle ou
morale ? Relève-t-elle du jugement, ou bien de la volonté ? B. Sève
montre qu’elle est une vertu de l’esprit. « La générosité règle l’esprit
dans son usage pratique ». La générosité libère l’esprit en permettant une
relation apaisée à autrui, car c’est se rabaisser que de toujours abaisser
autrui et le généreux sent « qu’à rechercher » « des
explications basses au comportement d’autrui » « son âme déchoit et
se rétrécit ». La générosité envers autrui devient ainsi la condition
fondamentale d’une générosité envers soi-même. Cette ouverture d’esprit, cette
vie de « plein-vent », est le seul véritable moyen pour dissiper les
divagations, les fantômes et autres chimères de l’imagination. Si l’esprit
déréglé est emporté au-delà de lui-même, l’esprit généreux, s’emportant contre
lui-même, parvient à garder une saine mesure en s’ouvrant à autrui et en se
dépassant ainsi lui-même. Il y a donc une bonne transcendance, celle de
l’esprit généreux, et une mauvaise, celle de l’esprit déréglé emporté par ses
folies. La première corrige, autant que faire se peut, la seconde. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">B. Sève se range-t-il à la lecture classique de Pierre
Villey ? Celui-ci soutient que Montaigne connaît « une crise
sceptique dans les années 1576 ». « Cette conception évolutionniste
est, écrit B. Sève, abandonnée ». À l’interprétation génétique, il préfère
substituer une lecture « spatiale » : il y a chez Montaigne un
« en deçà » et un « au-delà » du scepticisme. Sous le
scepticisme, il y a une psychologie de l’esprit qui permet à Montaigne de
dépasser le relativisme et d’esquisser une éthique de la générosité. Comme
Descartes ou Pascal, il fait du scepticisme un instrument. Pourtant, l’usage
montanien du scepticisme est profondément original. Il ne peut se comprendre
qu’à partir de l’expérience intime des divagations de l’esprit qui sont autant
de chroniques d’une folie ordinaire. Il empêche « que nos pensées
cristallisent en certitudes » et permet alors à l’esprit de raison garder.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Cette étude
de B. Sève apporte un éclairage décisif sur la philosophie de Montaigne dont
elle restitue la profondeur et la cohérence. Elle est, à n’en pas douter,
particulièrement féconde.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
mso-pagination:none;mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:10.0pt;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
"ヒラギノ角ゴ Pro W3"">Vincent Alain. </span></p>
<p>
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