oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - IdéalismeRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearJean-Michel Le Lannou, L’Excès du représentatif, Hermann 2015, lu par Jean Colraturn:md5:3e301614be69ae3dd52f05b9a502ede62019-07-03T06:00:00+02:002019-07-04T06:30:58+02:00Michel CardinPhilosophie généraleartdésir et infiniIdéalismereprésentation<p style="text-align: justify;"><strong><img alt="" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/.61sNCo6InCL_s.jpg" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Jean-Michel Le Lannou,<em> L’Excès du représentatif</em>, coll. « Philosophie », Hermann Éditeurs, octobre 2015 (98 pages). Lu par Jean Colrat.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">L’ouvrage que Jean-Michel Le Lannou a publié en octobre 2015 est la meilleure introduction à la connaissance de son œuvre en même temps qu’une forme d’accomplissement d’un travail ambitieux.</p>
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</div> <p><img alt="L'excès du représentatif" height="181" id="bigpic" src="http://s3.editions-hermann.fr/1642-fiche_produit/l-exces-du-representatif.jpg" style="cursor: pointer;" title="L'excès du représentatif" width="181" />L’auteur s’impose désormais comme une pensée originale dans le champ de la philosophie française, comme avait su le reconnaître le colloque qui lui fut consacré en 2012 à l’ENS-Ulm<a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn1" name="_ftnref1" title="">[1]</a>. Il s’agit de son cinquième ouvrage, toujours aux éditions Hermann, depuis <em>La Puissance sans fin </em>(2005), et déjà un sixième <em>opus </em>est à ajouter, paru il y a quelques jours. Cette voix semble avoir atteint son plan de fertilité, où elle se déploie maintenant en restant toujours au plus près de ce qui fait son souffle, aisément identifiable. Elle s’impose avec assurance, comme le montre ce <em>nous</em> par lequel elle s’exprime souvent, qui n’est pas seulement un<em> nous </em>d’auteur mais un <em>nous </em>plus vaste qui prétend valoir pour une époque.</p>
<p>Les premières lignes d’un article consacré à Bachelard et Bergson exprimaient de façon serrée l’intuition centrale de cet œuvre : « <em>Il y a en nous, et c'est la tâche de la philosophie que de le reconnaître, un désir qui ne s'arrête pas à la déficience que nous sommes. Surgissant, il fait paraître notre identité, de fait, ou supposée - être homme - comme restrictive. Que sommes-nous selon lui ? La limitation qu'il aspire à dépasser. À l'humain, en accueillant le désir de l'immensité, nous découvrons que nous ne nous réduisons pas. Qu'exprime cette aspiration ? L'espoir de déposer l'humain dorénavant éprouvé comme détermination, momentanée et surtout trop étroite. Que nous apprend cette exigence ? Que nous n'existerons véritablement que dans et par la fidélité à cela qui, en nous, tend au dépassement de toute restriction</em><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn2" name="_ftnref2" title="">[2]</a>. » Nous sommes le lieu d’un désir infini qui tend à dépasser tout ce qui pourrait prétendre le contenir, y compris notre identité d’homme. <em>L’Excès du représentatif </em>reprend cette intuition centrale et fait de la représentation, toujours particulière et particularisante, la matrice de toute limitation. Ce titre doit donc s’entendre en un double sens, dont l’affirmation croisée trame l’ouvrage : le représentatif est excessivement dominant et contre cela, nous devons être capable d’excéder le monde de la représentation - et l’on pourrait certainement dire selon l’auteur : excéder le monde, <em>c’est-à-dire </em>la représentation. </p>
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<p><strong>Chapitre 1 : Représentation/désir</strong></p>
<p><em>L’Excès du représentatif </em>énonce dès l’ouverture cette thèse : « <em>En notre véritable désir nous aspirons à la puissance</em> » (p. 5). Rien de fini ne saurait satisfaire le désir humain, dont la vérité serait plutôt une essentielle insatisfaction : aussi nombreuses que soient les conquêtes de nos désirs, leur somme ne fera jamais assez. Le désir est infini, il n’est désir qu’à l’être infiniment. L’immensité et l’intensité, quasi concepts chez l’auteur, sont les modalités du désir. Qu’il puisse se satisfaire de quelque <em>figure</em>, finie, toujours particulière, est moins le signe de la puissance de cette figure que de l’impuissance de ce désir. Le Lannou pourrait emprunter à Raoul Vaneigem son titre <em>Nous qui désirons sans fin</em>, mais ce serait pour voir dans ce <em>sans fin</em> le débordement de tout objet fini par le désir, et non le passage incessant d’une figure désirée à une nouvelle, toujours insatisfaisante, enfermée dans l’ordre du fini que le désir immense transgresse.</p>
<p><em>L’Excès du représentatif </em>est écrit contre tout ce qui peut prétendre satisfaire le désir, contre tout consentement au fini : l’image, la figure, la représentation. À toute critique, hégélienne par excellence, qui opposerait qu’il n’y a de désir que de la particularité finie, seule réelle, l’auteur oppose qu’une telle thèse loin de justifier l’amour du fini n’en est que la conséquence auto-légitimatrice. Certes, la possibilité pour le vivant de s’arrimer à la vie suppose un resserrement initial sur les besoins particuliers, mais le désir devient adulte et même trans-humain à proportion de son pouvoir de transgresser toute particularité dans laquelle il pourrait se complaire<a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn3" name="_ftnref3" title="">[3]</a>. Ce refus de tout ce qui pourrait réduire l’être désirant à la culture de ses propriétés est bien davantage que la pluralisation des moi, c’est un principe de dés-individuation ou d’<em>impersonnalisation</em>. Ravaisson plutôt que Taine, pour inscrire l’auteur dans une lignée qu’il revendique. Le Lannou va jusqu’à considérer que cette libération du désir dans sa puissance peut seule prétendre avoir valeur de révolution, dans des pages qui font lointainement écho au Marcuse de <em>L’Homme unidimensionnel</em>. En attendant que cette révolution prenne un sens politique, c’est l’art et la philosophie qui sont les possibilités essentielles de l’<em>excès du représentatif </em>: « <em>Refusant l’enfermement dans la représentation, art et philosophie ouvrent, en leurs pratiques spécifiques, la nouvelle aspiration à l’intensité</em> » (p. 37). Les deux chapitres suivants vont le montrer. </p>
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<p><strong>Chapitre 2 : Représentation/art</strong></p>
<p>Le deuxième chapitre veut montrer comment l’art, qui fut - et reste - le plus souvent dévoué à l’amour des représentations finies, des images, peut être aussi une des plus hautes possibilités pour le désir d’immensité. Selon la logique de son essai, Le Lannou oppose amour de l’image et amour de l’art, figure et forme : « <em>Le refus de figurer, l’abandon des images, instaure l’art. Telle en est même la définition : est art ce qui se refuse à la figuration</em> » (p. 34). Il l’est sous la forme de l’abstraction la plus radicale, c’est-à-dire la plus formelle. C’est ce qui était déjà apparu dans <em>La Forme souveraine</em><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn4" name="_ftnref4" title="">[4]</a>, et Soulages était alors la référence principale parce que sa peinture s’est d’emblée établie loin de l’image, toujours particulière, à la différence des pionniers de l’abstraction (Kandinsky, Mondrian ou Malevitch) qui avaient dû dépasser dans leur œuvre leurs propres commencements figuratifs. Avec Soulages, un tableau n’est jamais un signe, pas même un signe abstrait, comme c’est le cas avec ce symbolisme abstrait dont Maurice Denis donnerait le coup d’envoi. La peinture répond au désir infini, excède le représentatif, lorsqu’elle est véritablement abstraite. C’est ce que veut établir ce chapitre.</p>
<p>Depuis la <em>Poétique</em>, il est établi selon Le Lannou que l’art doit être image, signe d’une absence, soumission du visible à un sens invisible au profit duquel il devrait se nier : « <em>le désir de représentation, celui de la fiction, exprime l’amour non de ce qui est, non de la présence, mais de ce qui n’est pas. Aimer les images, c’est aimer la fiction, c’est ainsi aimer le néant</em> » (p. 41). Amour des images, désamour du sensible. Cet amour ou ce désir de la représentation sont les formes morbides du désir : « <em>Qu’aime-t-on en aimant les figures ? Les traits ontologiques propres à la représentation, ceux de la déficience et de la faiblesse. En la désirant, on veut tout autant la séparation que l’extériorité, la transcendance que l’impuissance. Tous les traits opposés à l’intensité et à l’immensité</em> » (p. 44). Ou plus nettement : « <em>la vie aime son absence, c’est-à-dire la représentation</em> » (p. 51). Après avoir montré comment un art qui se prétend au service de la vie qu’il porterait à la représentation reste rivé à l’impuissance parce qu’il est représentatif (critique de Michel Henry et de Kandinsky), Le Lannou affirme que si c’est dans la musique surtout que l’on peut espérer sortir du représentatif et du signifiant, la peinture peut échapper à l’impératif représentatif et devenir une expérience de pleine présence, lorsqu’elle est capable de devenir productrice de « <em>formes pures</em> », c’est-à-dire selon l’auteur de formes délivrées du souci de signifier un non-sensible absent, formes entièrement affirmatives de leur présence sensible. À ces formes seulement devrait revenir le nom d’art, qui désigne alors une puissance opposée à la fiction et à la représentation. Elles luttent contre l’ordre quotidien du visible, toujours pris dans un processus de signification, pour enfin donner au désir d’intensité une évidence sensible à la mesure de son infini besoin : « <em>l’art opère l’intensification du sensible, en le faisant échapper à la déficience du représentatif</em> » (p. 62). La musique, davantage que les arts plastiques, en donnerait l’expérience dans la mesure où elle serait par nature étrangère à la signification et à la représentation, alors que la peinture et la sculpture ont dû s’en libérer et ne sont devenues pleinement art qu’en devenant abstraites.</p>
<p>L’esthétique de Le Lannou est une anti <em>Poétique</em>, qui 1) pose que le texte d’Aristote élève en norme notre goût excessif pour les images, 2) fait de l’image le lieu d’une déficience et 3) affirme, pour en finir avec le pseudo-art mimétique, la possibilité d’un sensible pur, dont le formalisme radical, plus musical encore que plastique, serait la voie dégagée. Chacune de ces trois affirmations peut faire problème, mais leur association construit une théorie de l’art affirmée, identifiable et indissociable d’une philosophie, comme c’était le cas avec Ravaisson dont l’auteur prolonge ici souvent l’esthétique. Mais, à la différence du spiritualiste français conservateur au Louvre, ce n’est plus dans l’expérience, largement fantasmée, de la statuaire antique que le désir d’infini trouve sa possibilité, mais du côté de l’abstraction formelle la plus radicale. C’est Mondrian plutôt que la Vénus de Milo : « <em>Le Home ne doit plus être plastiquement fermé, séparé. La rue non plus. Bien qu’ils aient une fonction différente, ils doivent former une unité </em>[…]<em> il faudra considérer le Home et la rue comme la ville, qui est une unité formée de plans composés dans une opposition neutralisante par laquelle toute séparation et exclusion est annihilée</em> […] <em>Et l’homme ? Il ne doit être rien en soi, lui non plus, mais une partie du tout. Ainsi, oubliant son individualité, il vivra heureux dans ce paradis créé par sa volonté</em><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn5" name="_ftnref5" title="">[5]</a>. »</p>
<p> </p>
<p><strong>Chapitre 3 : Représentation/philosophie</strong></p>
<p>« <em>Dans le penser, la révolution qui libère du figuratif produit la philosophie</em> » (p. 36). Comme l’art dans l’ordre du paraître sensible, la philosophie est l’excès du représentatif dans l’ordre du penser. C’est ce que veut établir le troisième et dernier chapitre. Il le fait aussi radicalement que le chapitre précédent affirmait qu’il n’y a d’art que purement formel : il n’y aurait de pensée philosophique que par « <em>l’abandon du désir de représentation</em> » (p. 69). Autrement dit : penser n’est pas représenter, et cela se produit dans la philosophie. La thèse, au sens fort du terme, est ici évidemment un refus de toute philosophie de la conscience, mais elle est davantage : l’intempestive affirmation d’un <em>idéalisme </em>absolu, qui fait système. Toute particularité finie, toute figure, toute représentation n’est qu’un aspect momentané d’une puissance infinie que la pensée doit savoir laisser se déployer : « <em>L’excès du représentatif conduit comme à sa vérité à l’exigence d’impersonnalisation</em> » (p. 92). Le Lannou s’inscrit dans la continuité de Plotin, de Leibniz affirmant que « <em>les corps ne sont que des esprits momentanés</em> » ou, encore, de Ravaisson : « <em>Au pôle supérieur de l’absolue activité, comme au pôle inférieur de la passivité absolue, la conscience, ou du moins la conscience distincte, n’est plus possible. Toute distinction et toute science s’absorbent dans l’impersonnalité</em><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn6" name="_ftnref6" title="">[6]</a>. »</p>
<p> </p>
<p>« <em>Philosopher est pour se défaire de soi, pour se supprimer en tant que fini</em> » (p. 85). Penser s’accorde alors à l’infinité du désir, il est cette infinité pensante. Il serait insensé de prétendre par là-même cesser d’être <em>effectivement</em> la particularité, l’ensemble des propriétés, que nous sommes. Il s’agit de légitimer l’insatisfaction de principe face à toute finitude, légitimer le désir infini, intense, immense : « <em>Nous préférons le désir d’immensité à la particularité que factuellement nous sommes</em> » (p. 91). Affirmer cela, savoir l’imposer dans l’ordre du discours, serait l’activité philosophique. Si thèse il y a, c’est la position d’un désir qui veut ici s’affirmer dans une irrécusable légitimité. Dans ses dernières pages, <em>L’excès du représentatif </em>peut se lire comme tentative d’excéder le <em>Phèdre</em>. Si le désir doit savoir trouver en lui la force de dépasser l’amour des corps particuliers (corps vivants mais ici aussi bien corps des images), ce n’est pas pour se satisfaire de l’amour des idées, encore particulières et représentatives, mais pour se porter au-delà, jusqu’au désirer infiniment. Là seul le désir est vraiment désir, c’est-à-dire infini, et peut prendre son vrai nom : amour (si l’on pose qu’il n’y a d’amour qu’infini). Quand penser devient amour infini de l’être infini, alors s’accomplit l’idéalisme absolu en lequel être et penser coïncident. La philosophie serait la pensée quand elle devient cette auto-affirmation de l’infini.</p>
<p> </p>
<p>Si l’ouvrage est ambitieux et intempestif, c’est parce qu’il pose une définition exclusive de ce que doit être penser ou philosopher. Intempestif car l’œuvre de Le Lannou apparaît désormais comme l’héritière d’un certain idéalisme dont on croyait que Ravaisson avait donné les derniers mots : « <em>Tout tend à l’union, à l’unité, quoiqu’en passant par la distinction. C’est qu’au fond tout est un</em> […] <em>et que les choses vont de l’unité à l’unité. Une unité qui spontanément se partage pour se reprendre et se reconstituer. Ainsi se reproduit dans la nature entière le développement de l’activité primordiale pour le rétablissement final du mystérieux un-multiple dans un mariage sacré</em><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftn7" name="_ftnref7" title=""><sup><sup>[7]</sup></sup></a>. » Ambitieux parce que, contre Hegel et peut-être Ravaisson, il ne veut pas même concéder à l’amour du particulier la nécessité pour l’être de se particulariser, et refuse d’y voir autre chose qu’une concession à soi-même d’un amour impuissant. Pas la moindre faveur n’est accordée au travail du négatif. C’est le plus singulier dans cet ouvrage, une forme de défi que la très récente publication de <em>La Puissance d’être</em> vient relever. </p>
<p> Jean Colrat </p>
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<hr align="left" size="1" width="33%" />
<div id="ftn1">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref1" name="_ftn1" title="">[1]</a> <em>Forme et infini. Etudes sur la philosophie de Jean-Michel Le Lannou</em>, dir. Alexandre Lissner et Alexandre Cohen, Paris, Hermann, 2013.</p>
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<div id="ftn2">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref2" name="_ftn2" title="">[2]</a> Le Lannou Jean-Michel, « Bergson et Bachelard », in <em>Bachelard et Bergson</em>, dir. Frédéric Worms et Jean-Jacques Wununberger, Paris, Presses Universitaires de France, « Hors collection », 2008, 306 pages, p. 73.</p>
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<div id="ftn3">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref3" name="_ftn3" title="">[3]</a> <em>La Puissance sans fin </em>(Paris, Hermann, 2005) s’interrogeait sur ce qui pourrait s’annoncer d’une telle libération du désir dans le développement de la techno-science.</p>
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<div id="ftn4">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref4" name="_ftn4" title="">[4]</a> <em>La Forme souveraine. Soulages, Valéry et la puissance de l’abstraction</em>, Paris, Hermann, 2008.</p>
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<div id="ftn5">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref5" name="_ftn5" title="">[5]</a> Piet Mondrian, « Néoplasticisme. Le Home – La rue – La ville », in<em> Internationale Revue i10</em>, 1927 (texte daté 1926) ; repris dans <em>Les ateliers de Mondrian</em>, dir. Cees W. de Jong, Paris, Hazan, p. 140-153 ; ici p. 153.</p>
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<div id="ftn6">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref6" name="_ftn6" title="">[6]</a> Ravaisson, <em>De l’habitude</em>, [1838], Paris, Rivages Poche, 1997, p. 66.</p>
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<div id="ftn7">
<p><a href="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/22/06/2016/Jean-Michel-Le-Lannou%2C-L%E2%80%99Exc%C3%A8s-du-repr%C3%A9sentatif%2C-coll.-%C2%AB-Philosophie-%C2%BB%2C-Hermann-%C3%89diteurs%2C-Paris%2C-octobre-2015%2C-98-pages%2C-lu-par-Jean-Colrat#_ftnref7" name="_ftn7" title="">[7]</a> <em>Testament philosophique</em>, dans<em> Revue de métaphysique et de morale</em>, janvier 1901, Paris ; cité ici <em>in</em> Paris, Allia, 2008, p. 41.</p>
</div>
</div>Guillaume Carron, La désillusion créatrice, Merleau-Ponty ou l’expérience du réel, éditions MétisPresses, 2014, lu par Agathe Arnoldurn:md5:00abe8500aebde407bb847cd3ae4ec012015-01-19T06:00:00+01:002015-01-19T06:00:00+01:00Baptiste KlockenbringMétaphysiqueIdéalismeImaginaireMerleau-PontyPhénoménologieRéalismeRéel<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/.ccc_desilusion_creatrice-450x675_t.jpg" alt="" title="ccc_desilusion_creatrice-450x675.png, janv. 2015" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />Les
contradictions de la doxa contemporaine à l’égard de la
philosophie – celle-ci serait aussi bien nécessaire et
irremplaçable que stérile, aussi bien omniprésente et capable de
parler de tout que réservée à une élite et éloignée du monde –
sont pour Guillaume Carron un signe que le lien entre philosophie et
réel a perdu de sa consistance, et invitent ainsi à réinterroger
ce lien. Là où il pourrait sembler que cette interrogation a
toujours déjà été le sens-même de la philosophie et de toute
l’histoire de l’ontologie, Guillaume Carron insiste sur
l’historicité du terme « le réel », en soulignant la
rareté et la caractère tardif de son occurrence dans le vocable
philosophique et ce jusqu’au 20<sup>e</sup> siècle, où il prendra
au contraire une place prépondérante. Il faut alors remonter à son
apparition dans la pensée hégélienne pour comprendre pourquoi nous
avons tendance à avoir une foi spontanée dans la rationalité du
réel et à occulter la résistance du réel au concept. L’enjeu
revendiqué de l’ouvrage est de montrer la place particulière que
tient la pensée de Merleau-Ponty dans l’histoire de la
philosophie, dans la mesure où elle se confronte explicitement à
cette résistance du réel et au bouleversement méthodologique
qu’elle exige. Consciente des impasses de toute « pensée
objective », qu’elle soit réaliste ou idéaliste, la
philosophie qui interroge le réel et en accepte dès lors l’énigme
devra se déployer hors des concepts rationalistes traditionnels et
se faire «<em> philosophie concrète (…) qui s’applique,
chaque instant, à garder le contact avec l’expérience du réel </em>».
Aussi l’ouvrage de Guillaume Carron insiste-t-il sur les dimensions
critique et éthique de la philosophie de Merleau-Ponty, en ce que
celle-ci montre les failles du réalisme et de l’intellectualisme,
au fond deux manifestations d’une même incapacité à s’étonner
devant le réel, à s’interroger sur la possibilité de son
évidence, et à remettre en question le critère de l’évidence
comme fondement premier du réel et de la vérité. Mais il s’agit
également pour l’auteur de souligner l’apport philosophique de
Merleau-Ponty par sa convocation du corps, de l’imaginaire et de la
structure pour appréhender de manière inédite l’expérience de
réel. A la faveur de l’exploration de la notion de réel, on suit
l’évolution de la pensée de Merleau-Ponty, confrontée à
diverses influences et forgeant peu à peu un nouveau type de
discours philosophique. Ainsi sa « philosophie concrète »
abordera d’abord le réel comme ce qui résiste à toute tentative
d’arraisonnement : ni donné brut ni stricte construction
subjective, il est une dimension originelle de l’expérience,
« plénitude insurpassable ». Puis l’exploration de la
possibilité de l’illusion l’amènera à réenvisager le réel et
à reconnaître son rapport chiasmatique avec l’imaginaire, et
enfin à l’inscrire «<em> dans la structure charnelle si
particulière de la réversibilité </em>».
</p> <p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">
<strong>Chapitre 1. Sortir des préjugés réalistes.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Afin
de mettre en évidence qu’une pensée du réel ne peut pas être
réaliste au sens traditionnel du terme, ce premier chapitre met au
jour les difficultés et contradictions internes aux systèmes
philosophiques qui se ramènent à une perspective réaliste.
Celle-ci semble rejoindre la conception courante du réel qui y voit
un donné indépendant du sujet, sujet qui serait avec lui dans un
rapport évident, et ainsi susceptible d’en avoir une connaissance
directe et fiable. Le réalisme fait reposer la possibilité de
connaître le réel donné en l’érigeant en cause de
représentations dans la conscience : l’altérité entre le
sujet et le donné serait ainsi surmontée.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">La
critique merleau-pontienne remet en question cette fausse évidence
du réalisme non pas en opposant au donné dans l’objet un donné
dans l’idée, mais plus fondamentalement en montrant que le
réalisme n’est ni neutre ni spontané. Ce que le réalisme
considère comme un donné est en fait construit et créé par
l’esprit. Autrement dit le réalisme considère comme donné ce
qu’il voudrait trouver, ou plutôt voit comme réel ce dont il a
besoin relativement à son projet d’objectivation. Dans son refus
de « <em>l’ontologie du donné </em>»<em>, </em>Merleau-Ponty
se tourne, dans <em>La structure du comportement,</em> vers Descartes,
dont « <em>la grande force consiste à découvrir le réel dans
l’expérience </em>», à « <em>en faire l’épreuve à
partir d’une analyse du vécu subjectif </em>». Il reste que
Descartes finit par réduire l’évidence du réel à celle de la
pensée, et ainsi à avoir besoin de recourir à la volonté divine,
et donc à un donné transcendantal, pour expliquer l’expérience.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Guillaume
Carron montre alors comment la pensée de Merleau-Ponty évolue dans
sa manière d’envisager le lien de l’expérience et du réel, en
se confrontant à Kant, Husserl et Sartre. Le concept kantien de
« phénomène » lui semble permettre de lier expérience
et réel sans recourir à un donné qui garantisse ce lien, mais
finalement la connaissance de l’expérience du réel ne se soutient
que de la possibilité d’un en-soi comme donné absolu subsistant
comme hypothèse rationnelle. Merleau-Ponty ira alors chercher chez
Husserl la possibilité d’une phénoménologie de l’expérience
évidente du réel, avant de renoncer à la notion d’évidence. La
<em>Phénoménologie de la perception</em> affirme l’existence d’un
« savoir primordial du réel » et la présence du réel
dans l’expérience, celui-ci s’attestant d’emblée dans la
perception. Le réel est comme ce dans quoi l’expérience
perceptive se déploie, livrant un savoir préconceptuel primordial
originel. Le réel n’est donc pas le résultat d’une construction
intellectuelle mais ce qui se donne immédiatement :
l’expérience du réel est ainsi elle-même le transcendantal, la
préséance à toute pensée. Dans cette nouvelle perspective,
philosopher c’est «<em> non plus construire mais traduire et
développer ce « il y a » préalable </em>».<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/.ccc_desilusion_creatrice-450x675_m.jpg" alt="" title="ccc_desilusion_creatrice-450x675.png, janv. 2015" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" />
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Guillaume
Carron confronte alors cette mise au jour de la dimension
prédiscursive et originelle du réel à la « réduction »
et au « retour au monde vécu » husserliens. Husserl
interroge le rôle constitutif de la conscience dans l’expérience
du réel : le réel est cette transcendance qui se donne à nous
dans l’expérience spontanée mais dont l’unité et la totalité
sont en réalité construites, constituant « <em>un horizon posé
par une croyance inaperçue </em>» (« la thèse du
monde »). La réduction consiste quitter l’ « attitude
naturelle » pour dévoiler le rôle constituant de la
conscience dans la construction de l’expérience du réel.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Dans
la <em>Phénoménologie de la perception,</em> Merleau-Ponty définit
le réel comme « une plénitude insurpassable » dont nous
avons un savoir primordial par le corps : contre Descartes,
l’évidence de l’unité de l’objet est un fait et non une
représentation de la conscience, et contre Husserl, « <em>le
réel est le perçu, en ce qu’il incarne l’entrelacs des
perspectives, l’entrelacs du pour-soi et du pour-autrui </em>».
«<em> La description de l’unité de la chose ne peut être
argumentée : elle est la condition même de la possibilité de
la perception. Je peux me définir comme un point de vue sur la chose
parce qu’il y a une chose : ce « il y a », savoir
primordial de l’expérience, se constitue comme la somme des
perspectives sur lui </em>». (p. 41). Définir le réel comme
« plénitude insurpassable » revient à y voir l’occasion
de la plénitude de la sensation et de l’expérience mais
insurpassable, inépuisable par l’expression et la description,
puisque décrire ce milieu où s’entrelacent les différents points
de vue qui en font l’unité s’avère infini, la synthèse se
défaisant au gré de son élucidation. Pourtant, je ne vis pas ces
autres points de vue, et ne peux que les imaginer ; de ce fait,
qu’est-ce qui m’assure que l’unité du réel ne procèderait
pas elle aussi d’une certaine construction imaginaire ? On
voit en quoi la notion d’évidence se révèle dès lors
problématique, et pourquoi Merleau-Ponty va être amené à repenser
le rapport entre le réel et l’imaginaire. Si l’évidence était
un critère de l’expérience du réel, comment l’illusion
est-elle possible ? Ce sont là les objets du débat entre
Merleau-Ponty et Sartre. Pour Sartre, imaginer réduit l’objet à
la conscience que l’on en a, là où percevoir réellement en
permet une exploration progressive et infinie. Mais image et
perception constituent toutes deux des structures intentionnelles de
la conscience, et le réel n’est alors plus envisagé comme un
monde extérieur mais comme une structure de l’expérience que la
conscience peut choisir, puisque l’illusion ne relèverait que de
la mauvaise-foi. Merleau-Ponty considèrera que la possibilité de
l’illusion suppose au contraire que le réel recèle une certaine
ambiguïté, remettant en question par la même occasion sa propre
idée de « savoir primordial du réel ». S’il y a bien
une évidence dans l’expérience, celle-ci ne garantit pas pour
autant que le réel y soit saisi de manière certaine. Ainsi, là où
pour Sartre l’image est l’intentionnalité dans laquelle la
conscience confond son intention avec l’objet visé, pour
Merleau-Ponty il y aurait un « <em>onirisme de la perception </em>»,
un « <em>empiètement des dimensions l’une sur l’autre dans
l’expérience </em>», ce qui invalide la possibilité d’une
élucidation du rapport entre le réel et l’imaginaire par l’étude
du pouvoir de la conscience. C’est par le recours à la notion de
symbolisme, empruntée à la psychanalyse, que Merleau-Ponty
caractérisera alors la dimension dynamique et l’entrelacs du
rapport du réel et de l’imaginaire.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre
2 : Le symbolisme charnel.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Guillaume
Carron examine comment se constitue peu à peu dans la philosophie
merleau-pontienne le champ conceptuel homogène à cette mise au jour
de l’ambiguïté du réel et capable de restituer l’expérience
dans sa dimension à la fois pratique, concrète <em>et</em>
originellement symbolique, travaillée par l’unité du sens qui est
comme en excès par rapport aux éléments concrets qui la composent.
Pour élaborer ce champ de la structure symbolique, Merleau-Ponty
s’inspire de la Gestaltpsychologie et sa notion de « forme »,
mais, celle-ci méconnaissant le sens « vivant » de la
notion de structure et retombant par là dans le présupposé
réaliste du donné, lui préfère l’ « attitude
catégoriale » de Goldstein, mieux à même de traduire le
dynamisme de l’expérience. De Cassirer Merleau-Ponty reprend
l’extension de ce dynamisme psychologique à l’ensemble de
l’expérience : celle-ci est d’emblée expression,
« symbolisme fondamental ». Guillaume Carron met
également en évidence les influences de la linguistique
saussurienne, de la psychanalyse et de la littérature sur le champ
conceptuel merleau-pontien destiné à se délivrer du primat de la
conscience et du réalisme de l’objet.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">La
théorie du « diacritique » est convoquée pour
appréhender le rapport du réel et de l’imaginaire et la structure
de l’expérience comme « <em> structure expressive,
agencement d’éléments qui ne trouvent de signification que dans
leur différence. </em>». Le réel perd ainsi son statut
d’évidence originaire, il n’est plus premier, mais ce qui surgit
dans et par l’expression.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Comment
maintenir toutefois la possibilité d’un réel commun ?
Merleau-Ponty établit que l’expérience de réel est
« instituée ». L’ « institution »,
loin de se ramener à un idéalisme ou à un sujet transcendantal,
désigne la nécessité, pour l’interprétation et la décision
subjectives, de se confronter à une résistance du réel :
l’expérience du réel est celle d’un sujet à la fois actif par
ses actes et projets, et passif parce que toujours pris dans une
situation. Guillaume Carron forge la notion de «<em> désillusion
créatrice </em>» pour caractériser l’expérience du réel :
«<em> le double mouvement de l’institution, dont les deux
pendants actif et passif, imaginaire et réel, sont absolument
indissociables, nous inviterait à définir l’expérience du réel
comme une « désillusion créatrice » </em>».</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">L’auteur
prolonge l’analyse de la justification par Merleau-Ponty du recours
à la théorie du symbolisme en montrant en quoi l’idée de
« chair », de « symbolisme charnel » et de
« réversibilité » permettent de révéler la
structuration symbolique de l’expérience elle-même. Par l’analyse
de la notion de « schéma corporel », et en soutenant que
la perception incomplète qu’il a de lui-même le pousse à
projeter sur l’altérité son propre manque, on peut établir que
« <em>ce qui était un manque réel devient, à travers l’objet
qui le symbolise, une plénitude imaginaire.(…) L’image du corps
et la présence de l’objet sont l’envers l’une de l’autre </em>».
Pour préciser la théorie du symbolisme réel/imaginaire de
l’expérience, et la réversibilité du réel et de l’imaginaire,
Guillaume Carron met en évidence les influences réciproques de
Merleau-Ponty et du psychanalyste Lacan, notamment quant au rôle de
l’imaginaire dans la définition de l’objet du désir, mais aussi
dans leur commune mise à mal de la pensée dualiste. L’expérience
du réel, sa résistance à notre emprise subjective, procède de
l’impossibilité de l’obtention de l’objet imaginaire, et pour
les deux auteurs la structure symbolique excède le langage et peut
se retrouver dans le corps.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Pour
Guillaume Carron, la prudence de Lacan à l’égard de la notion
merleau-pontienne de « chair » se comprend si l’on voit
en elle autre chose qu’une métaphore, car elle engagerait alors
une manière de retour à un donné, à la métaphysique et à
l’ontologie.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre
3 : Réel et ontologie de la chair : vers une philosophie
concrète.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Ce
chapitre s’attache à préciser la fonction ontologique de la
notion de chair chez Merleau-Ponty, et à travers elle à montrer que
le réel, dans son rapport symbolique à l’imaginaire, échappe à
tout fantasme de compréhension absolue du monde.
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">La
chair n’est pas tant un concept que la métaphore de l’empathie
imaginaire par laquelle l’image du corps investit l’altérité et
tend à s’unifier au réel. La chair comme unité de l’être est
une unité impossible, et c’est cette impossibilité même qui rend
possible le surgissement du réel dans l’expérience. La
réversibilité demeure toujours inachevée. Plus encore,
« l’imagi<em>naire et le réel sont en tension l’un vers
l’autre précisément parce que cette tension ne se résout
jamais </em>». On voit par là assurée non pas une nouvelle
ontologie mais l’impossibilité de fonder l’être. Pourtant cette
« désillusion » que représente l’expérience du réel
est aussi créatrice. « L’être est ce qui exige de nous
création pour que nous en ayons l’expérience »
(Merleau-Ponty). Par l’abolition successive des illusions de
l’imagination nous faisons l’expérience d’un réel qui, sans
elles, n’aurait pu être dévoilé. Le réel en soi reste
insaisissable et « <em>l’évidence première ne peut être
qu’un mythe que nous reconstruisons à partir des ontologies que
nous élaborons successivement </em>(…). <em>Une ontologie est
vraie dans ce qu’elle nie mais fausse dans ce qu’elle affirme </em>».</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY"><strong>Chapitre
4. La philosophie concrète et son actualité.</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">Dans
le respect de la revendication merleau-pontienne de l’inachèvement
de l’élucidation du sens de l’expérience du réel, Guillaume
Carron procède dans ce dernier chapitre à une confrontation entre
la pensée de Merleau-Ponty et d’autres auteurs qui se réclament
de la philosophie concrète ou d’une pensée du réel :
Rosset, Marx, Debord, Baudrillard, Derrida, Austin.
</p>
<p style="text-indent: 1.25cm; margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">
<em>La désillusion créatrice </em>suit pas à pas l’évolution de
la pensée et de la méthode philosophique de Merleau-Ponty.
L’ouvrage met en évidence combien son parcours refuse toute
posture et s’efforce de justifier la paradoxale authenticité d’un
champ conceptuel philosophique qui emprunte pourtant aussi bien à la
psychologie qu’à la littérature, la biologie, la psychanalyse…
</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY">A
l’occasion de l’examen de la question du réel, ce livre (dont le
premier chapitre, notamment, pourra être précieux pour mettre en
perspective le débat classique entre idéalisme et réalisme) se
donne pour tâche de redonner toute sa place et sa légitimité à
l’exercice philosophique qui se voudra non pas entreprise de
totalisation du sens mais effort pour saisir en quoi notre expérience
du réel est à la fois l’épreuve de nos limites et notre
création.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; line-height: 115%" align="JUSTIFY"> Agathe
Arnold.</p>