oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - HeideggerRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearSophie-Jan Arrien, L’inquiétude de la pensée. L’herméneutique de la vie du jeune Heidegger (1919-1923), PUF, lu par Baptiste Klockenbringurn:md5:ed4cdd8ca760367c1677374c97e62c502017-06-23T06:00:00+02:002017-06-23T16:57:45+02:00Baptiste KlockenbringPhénoménologieAristoteAugustinDiltheyHeideggerPhilosophie de la viePhénoménologie<p style="text-align: justify;"><strong>Sophie-Jan Arrien, <em>L’inquiétude de la pensée. L’herméneutique de la vie du jeune Heidegger (1919-1923)</em>, Paris, 2014, PUF « Epiméthée », 400 p.</strong></p>
<figure style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;"><img alt="Arrien_-_51e7RLsC6NL._UY250_.jpg" class="media" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/Arrien_-_51e7RLsC6NL._UY250_.jpg" />
<figcaption> </figcaption>
</figure>
<p style="text-align: justify;">Ce qu’il est convenu d’appeler « la philosophie herméneutique de la vie facticielle » ou encore parfois « l’herméneutique de la facticité » - et qui, depuis le colloque de 1996 organisé par J.-F. Courtine et J.-F. Marquet, fait l’objet d’un intérêt croissant des études heideggériennes - joue un rôle déterminant sur le chemin qui conduit Heidegger au motif central de sa philosophie, <em>la question de l’Être</em>.Pour autant, il ne faudrait pas faire de cette philosophie une simple propédeutique ; il s’agit au contraire d’un chemin original, qui, dans l’esprit du jeune Heidegger, ne vise rien de moins qu’à « faire exploser les catégories traditionnelles de la philosophie ». Et c’est cette étape que Sophie-Jan Arrien nous propose, dans ce volumineux ouvrage qui résulte de sa thèse, d’approfondir <em>pour elle-même, </em>résistant à la tentation de lire cette philosophie naissante à la lumière de ce qu’elle est amenée à devenir.</p>
<p style="text-align: justify;">Le motif central de cette philosophie est ainsi la <em>vie</em>, conçue comme la sphère originelle de l’expérience concrète (« facticielle »). L’enjeu d’une telle philosophie est ainsi de retrouver l’intimité du philosopher avec la vie, qui constitue l’un des enjeux structurants de la pensée du jeune Heidegger, et ce dès sa thèse d’<em>Habilitation</em> (1915). Reste que la vie se manifeste avant tout par une certaine labilité, qui la rend précisément inaccessible aux catégories traditionnelles de la philosophie. Or la philosophie prend naissance dans la vie, et y retourne comme à son <em>télos </em>; la tâche du philosopher consiste ainsi à identifier un <em>logos</em> constitutif de l’origine, c’est-à-dire inhérent à l’expérience facticielle de la vie, et ouvert sur la conceptualité philosophique ; en somme, penser conjointement la vie en ses structures propres et la condition de possibilité de tout philosopher. Pour ce faire, l’effort de Heidegger consistera à passer sans rupture de l’expérience vécue préthéorique du sens au discours philosophique, et rechercher « l’unité vivante de la vie et de la philosophie ».</p> <p style="text-align: justify;">Pour le jeune Heidegger, la philosophie est ainsi ancrée dans la vie facticielle : le philosopher y prend toujours son départ, n’importe où en elle, et y reconduit toujours ; de là l’opposition d’emblée de sa démarche à l’idée même d’ontologie, la question de l’Être ne pouvant avoir priorité sur celle de la vie - perspective qui sera renversée en 1927 dans le § 10 de <em>Sein und Zeit</em>, dans lequel la vie n’est plus appréhendée que comme une ontologie régionale déterminée -.</p>
<p style="text-align: justify;">Sophie-Jan Arrien se demande ainsi ce qui permet d’expliquer ce retournement : est-ce un recul ? L’analytique existentiale de 1927 ne trouve-t-elle pas à recouvrir l’affinité originaire entre la vie et le <em>logos</em> que le jeune Heidegger cherche à dire dans ses premiers travaux ? Le tournant a lieu vers 1924, articulé à la lecture d’Aristote. L’hypothèse de S.-J. Arrien est ainsi qu’il existe un écart entre l’intérêt pour la vie, marqué dès <em>l’Habilitation</em> de 1915-1916 et le moment où la question de l’Être devient le fil conducteur de la lecture heideggérienne d’Aristote. Cet écart, c’est précisément <em>l’inquiétude de la pensée</em>, inquiétude de la pensée que Heidegger s’attache à préserver, et dont il fait le critère de la destruction, qu’il opère sur les œuvres de Rickert, Natorp, Husserl et Dilthey, qui fonde ses propres recherches.</p>
<p style="text-align: justify;">L’ouvrage procède ainsi en trois temps : il s’agit d’abord de dévoiler la vie vécue, en quoi consiste l’exigence propre de la philosophie conçue comme science rigoureuse. La question de la vie vécue, d’abord pensée en termes (husserliens) d’<em>Erlebnis</em> et associée au thème de l’irrationnel et au préthéorique, devient ainsi, au fil d’une confrontation de Heidegger aux philosophies néokantiennes de Rickert et Natorp - ce qui fait l’objet des deux premiers chapitres - une problématique aiguë. Dans un second temps, il s’agira de penser la vie facticielle préthéorique comme lieu d’ancrage structurel originaire de toute conceptualisation philosophique (chapitres 3 et 4) ; pour enfin retracer le développement de la philosophie herméneutique et phénoménologique, en identifiant les catégories descriptives et interprétatives, afin de rendre compte de la mobilité et de la labilité de la vie, objet du chapitre 5, qui consistera en une lecture des cours sur la religion de 1920-1921 et ceux sur Aristote de 1921-1922.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre I – L’idée de la philosophie.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">A la recherche d’une <em>Urwissenschaft</em> qui puisse constituer une véritable <em>philosophie de la vie</em>, c’est ainsi d’abord la philosophie de la valeur de Rickert que Heidegger croise, et critique comme trop <em>formelle</em> ; faute d’avoir pris au sérieux la question du <em>vécu</em> dans lequel seul peut se comprendre l’aboutement du formel et du matériel, l’articulation du transcendantal à l’empirique, de la valeur au fait, le néokantisme de Rickert s’avère incapable de fonder sa propre démarche, ce qui constitue pourtant le réquisit même du savoir philosophique. Ainsi Heidegger se détourne-t-il du formalisme néokantien et de ses dualismes : il s’agit de renoncer à la prétention de l’épistémologie de fonder une véritable <em>philosophie, </em>pour chercher celle-ci dans un mouvement issu de la vie même et se retournant sur elle-même.</p>
<p style="text-align: justify;">Reste alors à passer du vécu à la vie elle-même, ce qui fait l’objet du deuxième chapitre, qui s’attache à suivre « le saut d’un régime transcendantal à celui d’une philosophie préthéorique prenant sa source dans un vécu "mondain" avant même d’être "subjectif" ». Par où l’on verra avec l’auteur la préparation et l’anticipation de l’ouverture du domaine originaire de la vie facticielle qui marque, selon Sophie-Jan Arrien, le « coup d’envoi de la pensée de Heidegger en son originalité spécifique ». Ici encore, la critique du néokantisme et de son psychologisme sera radicale : il s’agit de se soustraire au règne de la choséité, faute de quoi rien ne saurait être donné : « Y a-t-il seulement une chose s’il n’y a que des choses ? Il n’y a alors aucune chose ; il n’y a même pas "rien" parce que sous le règne tout-puissant de la sphère des choses il n’y a même pas de "il y a". Y a-t-il même le "il y a" ? », se demande ainsi Heidegger dans le <em>Kriegsnotsemester</em> ( GA56/57 [KNS 1919] p. 62. Ainsi établit-il que pour qu’il y ait des choses, il faut quelque chose qui ne soit pas une chose, que Heidegger cherche dans ce qu’il appelle le <em>Ur-Etwas</em>, le <em>quelque chose originaire</em>. Et c’est la vie en tant que vécue qui sera l’espace d’émergence du <em>il y a</em> qui ouvrira l’accès à l’originaire. Cet espace ne doit donc pas être pensé comme la mise en relation de deux étants entre eux, comme le psychologisme fatalement nous y condamnerait, mais comme un jeu intentionnel complexe, préthéorique et dynamique, « à l’œuvre avant même toute position de sujet et d’objet ».</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre II – Du vécu à la vie.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">C’est ainsi dans l’expérience vécue du monde ambiant (<em>Umwelterlebnis</em>) que Heidegger explicite cette exigence, en une préfiguration claire de l’Analytique du <em>Dasein</em>. Il s’agit alors de prendre acte de ce que si tout vécu est l’expérience intime d’un <em>Je</em>, le phénomène premier n’est pas l’autosaisie du sujet par lui-même, mais bien plutôt celui de la « significativité » à partir de laquelle se présente toujours déjà le monde ambiant (<em>Umwelterlebnis</em>) immédiat. Et ce n’est que par cette significativité que peut émerger quelque chose comme un <em>Je</em> ; comme le formule dans son langage d’alors Heidegger : « <em>là et quand ça mondanise pour moi, alors, </em>Je <em>suis de quelque manière complètement là</em> ». Dès lors, c’est ici que se donne pour la première fois l’idée heideggérienne d’un sujet, qui n’est pas d’abord déterminé sur le mode épistémologique comme constituant le monde, mais advient à lui-même dans l’expérience du monde ; « il apparaît avec la significativité du monde plutôt qu’il ne la constitue » et le monde n’est d’ores et déjà plus une fonction de l’ego transcendantal, même si Heidegger ne radicalise pas encore l’intentionnalité du <em>Dasein</em> comme être-au-monde, note S.-J. Arrien. Le <em>Je</em> se reçoit dans le vécu compris comme <em>Ereignis</em>, littéralement « événement appropriant » (qui n’est toutefois pas l’<em>Ereignis </em>des <em>Beiträge</em>), c’est-à-dire comme l’instant où « quelque chose du propre » apparaît, ou un soi devient possible. Surgit ici le sens <em>historique</em> du soi qui, comme événement, advient dans un monde, et introduit l’idée de facticité, même si la destruction des conceptions modernes de la subjectivité, qui deviendra par la suite un thème structurant de la philosophie heideggérienne, n’est pas encore thématisée comme telle.</p>
<p style="text-align: justify;">Le résultat de l’analyse phénoménologique du vécu aboutit ainsi à l’émergence d’un soi facticiel dépris de la subjectivité moderne qui repose - et tel est son travers premier - sur le primat du théorique, que ce soit dans ses figures idéalistes ou réalistes, ou même dans les insuffisances de la phénoménologie husserlienne. C’est ainsi, dans une discussion avec les objections que Natorp oppose à Husserl, que Sophie-Jan Arrien détaille avec précision, que Heidegger est amené à clarifier son propre rapport à la phénoménologie, en particulier sur la question de la réflexion et de son immédiateté, et sur la question de la neutralité du langage de la description du vécu à l’égard de ce dernier. Reste que si Natorp soulève de bonnes questions, les réponses qu’il y apporte vont au rebours même de ce qui permettrait d’avoir accès à la sphère originaire des vécus, qui suppose, loin de la reconstruction natorpienne de l’objectivité au sein de la conscience, « la saisie unifiée d’un complexe de significations préthéoriques, antérieur à la distinction sujet-objet » (p. 100).</p>
<p style="text-align: justify;">Comment Heidegger pense-t-il ainsi l’accès à la sphère des vécus originaires ? Contre Natorp, Heidegger maintient ainsi le principe des principes selon lequel l’intuition originaire est source de droit pour la connaissance : « tout ce qui s’offre à nous dans « l’intuition » de façon originaire (pour ainsi dire dans son effectivité charnelle) doit être simplement reçu pour ce qu’il se donne » (<em>Ideen I, § 24</em>) ; or si chez Husserl, le rapport du donné intuitif à son expression est simplement affirmé, c’est sur ce point que Heidegger fait porter son interrogation, affirmant dès 1919 le caractère <em>non-théorique</em> du principe des principes : le principe des principes ne dénoterait ainsi pas une <em>thèse</em> particulière, mais bien plutôt une <em>attitude</em> fondamentale, « l’intention originaire de la vie véritable en général, l’attitude originaire du vécu et de la vie comme tels, la <em>sympathie</em> absolue envers la vie, identique au vécu » (GA 56/57 [KNS 1919], p. 110. Dès lors la phénoménologie, telle que l’envisage Heidegger, doit être comprise « comme un comportement envers quelque chose (<em>sich verhalten zu etwas</em>), une <em>praxis</em> vécue avant que d’être une <em>theoria</em> », ce qui implique de renoncer à l’évidence, remplacée par un <em>comprendre herméneutique</em> qui prend en compte le passage de l’intuition à son expression, et de chercher un rapport à l’expression qui contourne le caractère nécessairement théorique, c’est-à-dire généralisant et objectivant du langage. Heidegger soutient ainsi que la phénoménologie use de « concepts » qui préservent la sphère préthéorique originaire du vécu, en reprenant la distinction husserlienne entre <em>généralisation</em> et <em>formalisation</em>. Mais si la formalisation husserlienne pose les délinéaments d’une ontologie formelle, Heidegger pense la méthode phénoménologique comme aboutissant de manière concrète à un <em>Ur-Etwas</em>, un quelque chose originaire, qu’il détermine comme le vécu en général (<em>Erlebbares überhaupt</em>), qui relève non de la logique pure mais du <em>facticiel</em>, représentant « la puissance encore indifférenciée de mondanisation ». En cela Heidegger ancre la connaissance théorique dans le vécu en général, caractérisé comme potentialité concrète et mouvante, qui ne se phénoménalise qu’en tant qu’<em>Etwas</em> mondain, au sein du monde. Dès lors, l’intuition originaire ne saurait être simplement catégoriale, mais doit englober une dimension herméneutique et compréhensive. L’intentionnalité n’est alors plus comme chez Husserl la visée d’objet par une conscience, mais bien plutôt « l’intentionnalité de ce qui peut être vécu en général en direction de son inscription dans un monde, à partir de laquelle seulement peut être pensée l’advenue appropriante du soi à lui-même » (p. 109).</p>
<p style="text-align: justify;">Ainsi résulte de ces considérations la possibilité d’une véritable phénoménologie, c’est-à-dire la possibilité de dire le vécu à travers des « concepts », que Sophie-Jan Arrien propose de noter « <s>concepts</s> » afin d’en marquer le caractère <em>pré-théorique</em>, qui puisse préserver la mobilité, la labilité et la vitalité du vécu. Ici Heidegger emprunte à Natorp le mouvement de remontée qui est précisément celui de la reconstruction, mais pour l’inscrire dans le champ des significations et du vécu concret, en l’affranchissant du théorique. C’est ainsi pour Heidegger, à partir de ces <s>concepts</s> et plus largement de cette sphère originaire du vécu antérieur au travail du théorique que peut être pensée et comprise la possibilité du théorique même.</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre III – Penser la vie.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Il reste alors à passer de l’<em>Erleben </em>au <em>Leben</em>, du vécu à la vie même, et c’est alors Dilthey et sa philosophie de la vie qui semble servir à Heidegger de fil conducteur et d’inspirateur. La vie, dans cette perspective est ce qui, <em>par son dynamisme</em>, permet de saisir la cohésion de la multiplicité des vécus - et non une subjectivité constituante -. Dilthey est ainsi l’un des premiers à prendre au sérieux le fait que la vie peut être philosophiquement comprise, précisément parce qu’elle s’interprète toujours déjà elle-même. C’est également chez Dilthey que Heidegger trouve cette exigence de s’intéresser à l’homme tout entier, et non à sa dimension théorique. Mais c’est aussi la dimension historique qui retient Heidegger, ainsi que le principe d’une auto-compréhension radicalement immanente de la vie par elle-même : « Suivant son caractère spontané (en tant que pulsion, énergie, activité) et son inscription dans une histoire (individuelle), la vie forme toujours déjà une <em>totalité</em> et une <em>unité</em> porteuse et créatrice de sens » (p. 132). C’est l’histoire qui joue dès lors le rôle du transcendantal chez Dilthey, et la raison, en tant qu’expression de la vie est elle-même le <em>produit</em> de l’histoire, même s’il aura manqué à Dilthey, comme Heidegger lui en fait le reproche dans <em>SuZ</em>, §10, de se déprendre du préjugé épistémologique, qui conserve au théorique la préséance sur la facticité, sur l’effectuation concrète et préthéorique de la vie. Heidegger reprend ainsi un certain nombre d’intuitions ditheyennes, en tâchant de leur imprimer la radicalité dont Dilthey avait manqué, ce qui l’avait condamné à en rester aux vieilles problématiques de la fondation des sciences de l’esprit, sans parvenir au champ préthéorique de la vie facticielle.</p>
<p style="text-align: justify;">Ce qui ne diminue guère les difficultés qu’il y a à penser la vie, tout en se tenant à l’écart des biologismes darwiniens, et des vitalismes bergsoniens et nietzschéens. C’est dans les cours du semestre d’hiver 1919-1920 que Heidegger approfondit cette analyse du domaine de la vie. Le travail définitionnel doit ainsi se départir du formalisme ; au lieu d’<em>a priori</em>, c’est plutôt dans l’<em>a posteriori</em> de son effectuation concrète que se donnent les significations diverses de la vie. Dans cette perspective, il convient de ne pas séparer le <em>comment</em> du <em>quoi</em> dont il s’agit : cette vie que nous cherchons à saisir et à comprendre, <em>nous la sommes nous-mêmes</em> ; la vie est « toujours mienne ou tienne » (p. 144). D’où la difficulté, par proximité excessive, d’ajuster le regard à la vie. Ainsi se pose la question de la donation, et de la « prédonation » de la vie : « comment la vie est[-elle] "donnée" ou "prédonnée" avant que la méthode qui doit précisément la découvrir soit explicitement mise en œuvre ? » (p. 145) – question qu’aussi bien Natorp que Rickert s’étaient avérés incapables d’affronter. Mais Heidegger reconnaît également que la « donation », par laquelle la phénoménologie (husserlienne) prétend se donner accès à la vie reste « cette parole magique de la phénoménologie et la "pierre d’achoppement" pour les autres » reste bien un véritable problème, et à cet égard, Heidegger prend ses distances tout aussi bien à l’égard de Husserl que vis-à-vis des néokantiens de Bade ou de Marbourg. Il refuse en particulier la distance qui se trouve à chaque fois maintenue, reconduisant à chaque fois peu ou prou le schéma (et la scission) Sujet-Objet. La vie n’est ainsi jamais un objet, ni ne saurait être reconduite à un sujet : c’est que « toute vie vit dans un monde », et comme le dira en son temps <em>SuZ,</em> §12, l’homme ne saurait être conçu comme étant d’une part, et ayant par ailleurs un rapport avec le monde. Il <em>est</em> bien plutôt <em>ce rapport au monde</em>.</p>
<p style="text-align: justify;">Il reste alors à donner corps à ces exigences pour parvenir à penser la vie comme <em>archiphénomène</em>, ce qui passe par la description des trois moments originaires constitutifs de l’expérience de la vie : son <em>autosuffisance</em> (c’est en elle que se donnent toutes choses la concernant), son <em>expressivité</em>, et enfin sa <em>significativité</em>.</p>
<p style="text-align: justify;">L’analyse de l’autosuffisance est ainsi l’occasion pour Heidegger de donner corps à l’<em>Ereignis</em>, l’événement appropriant, par lequel la vie est capable de s’auto-interpréter, de se comprendre, de s’y retrouver avec elle-même, autant de modes qui déterminent le « relief de la vie » ou son non-relief dans - le terme apparaît ici pour la première fois en 1919/1920 - sa « quotidienneté », concept dont S.-J. Arrien s’applique à montrer le caractère d’emblée essentiel dans la phénoménalité de la vie, loin de tout pittoresque. La quotidienneté ne doit donc pas être comprise comme défaut d’une existence plus significative ; ce serait manquer ce que précisément l’on cherche, la facticité, jusque sans ses modes les moins explicites et les plus diffus. La quotidienneté met ainsi en jeu la donation de la vie - qui est précisément l’un des « problèmes fondamentaux de la phénoménologie » -. Si la quotidienneté est certes le mode le plus courant de la manifestation de la vie, l’autosuffisance en ce qu’elle signifie cette immanence radicale de la compréhension que la vie a de toutes ses manifestations, sans jamais exiger de prendre appui hors d’elle-même. Comme le note S.–J. Arrien, « l’autosuffisance caractérise la capacité qu’a la vie de s’appartenir (<em>sich haben</em>), de se tenir à sa propre disposition, de se rapporter à elle-même et de s’expliciter sans jamais sortir de soi, quand bien même le chemin "du soi au soi" ne [serait] jamais direct ni clairement tracé » (p. 158) ; « Elle ne s’interpelle toujours que dans sa propre "langue" » selon une formule percutante de Heidegger (GA 58, p. 34). Ainsi est affirmée la possibilité de la dimension à la fois réflexive et non théorique de la science originaire de la vie facticielle, comme phénoménologie herméneutique : l’autosuffisance est ainsi toujours la <em>forme</em> du remplissement, à comprendre comme effectuation.</p>
<p style="text-align: justify;">Reste qu’il ne faudrait pas penser que la vie doive encore chercher un monde dans lequel elle se déploierait ; l’intentionnalité de la vie « est toujours incarnée dans une figure mondaine, dans un complexe vivant de significativité ». Heidegger définit ainsi trois pôles intentionnels de la vie qui sont trois figures du monde : le monde ambiant (<em>Umwelt</em>), le monde partagé (<em>Mitwelt</em>) et le monde du soi (<em>Selbstwelt</em>). Ces trois figures du monde sont ainsi les parties du monde que la vie rencontre dans son effectuation, ou pour mieux dire, la vie est à chaque fois cette partie du monde - d’où le « caractère mondain de la vie », analysé par Sophie-Jan Arrien (p. 163-173), occasion d’approfondir la question du monde du soi, qui renvoie à et se distingue du Je-Sujet -. Ainsi, en 1919, Heidegger maintient une forme de préséance du monde du soi sur les autres figures mondaines, ce qui ne sera pleinement justifié que dans les analyses du christianisme primitif qui font la substance du cours du semestre d’hiver 1920-1921 : c’est que pour le chrétien primitif, contrairement à l’<em>éthos</em> grec qui se détourne du soi facticiel pour contempler l’ordre des choses, le monde du soi constitue pour la première fois l’enjeu authentique, ce dont il y va dans la vie ; éprouvé comme « mobilité inquiète et tendue vers l’à-venir », le soi chrétien est ainsi tout entier dans la préparation du moment où le Christ reviendra « comme un voleur » selon la formule paradigmatique de Paul, s’inscrivant dans une temporalité de l’à-venir « kairologique », événementielle et non chronologique.</p>
<p style="text-align: justify;">Dès lors, l’unité du complexe de sens vécus, qui constituent le phénomène de la vie, ne saurait être pensée à partir d’un Je-Sujet, mais bien plutôt « à partir d’un mouvement, d’une effectuation du vécu du soi qui vient (éventuellement) à <em>s’avoir (sich haben)</em> et ainsi apparaître ». En pensant le soi sur le mode de l’<em>Ereignis</em>, d’un événement par lequel il s’approprie, Heidegger évite tant l’écueil d’un Je pur, d’un <em>Ichpunkt</em> qui serait une structure purement idéale, que celui d’un processus psychologique empirique. Le soi émerge dans la <em>situation</em>, en tant qu’expression d’un complexe de signification mobile <em>que précisément il est,</em> puisque « la vie <em>est</em> monde ». Ici on touche à la structure intentionnelle de la vie facticielle (toute vie est (dans) un monde), qui se décline selon trois modalités : le sens du contenu, le sens référentiel et le sens d’effectuation « qui forment la structure originaire de la situation ». C’est en approfondissant l’analyse de cette structure, que Heidegger amorce le tournant herméneutique de la phénoménologie. L’intuition husserlienne des essences réifient, objectivent l’intuitionné, lui faisant perdre sa mobilité et sa labilité qu’il s’agit précisément de préserver. Il convient dès lors d’abandonner la notion <em>d’intuition</em> pour lui substituer celle de <em>compréhension </em>: le comprendre est le moment véritablement originaire de la recherche phénoménologique, condition même de l’intuition - Heidegger allant jusqu’à parler d’intuition herméneutique, se fondant sur le fait que toute intuition se donne dans un comprendre -.</p>
<p style="text-align: justify;">De là un travail de révision générale de la phénoménologie, qui vise à en écarter toute expression objectivante, pour préserver la teneur facticielle de la vie : ainsi la description doit-elle être comprise comme un <em>comprendre</em>, qui, ne reposant plus sur une <em>saisie intuitive</em>, corrélat de l’<em>évidence</em>, trop statique - la plénitude de l’évidence impliquant un remplissement définitif qui met un terme à l’intuition – suppose au contraire « un <em>renouvellement</em> et un <em>avivement</em> permanents de la vision […] [et pour lequel] le phénomène doit toujours être maintenu vivant dans le développement de la considération » (GA 58, p. 219). Le phénomène doit ainsi être vivant, ouvert, labile et ne peut répondre à l’exigence husserlienne d’une saisie adéquate dans l’évidence d’une vérité définitive - fût-elle limite idéale -. Ici encore, comme le note Sophie-Jan Arrien, c’est la critique que Heidegger adresse à l’approche épistémologique de Husserl qui ne permet pas à la science originaire dont il doit s’agir, la facticité <em>de son objet,</em> mais aussi <em>la sienne propre</em>. Dès lors, il faut là encore substituer à la norme de vérité, comme évidence adéquate, l’<em>originarité</em>, « qui renvoie au fait de se rapporter à soi (de "s’avoir soi-même") de façon authentique et toujours plus concentrée ». De la même façon, la réduction ne saurait être conçue comme chez Husserl comme la mise entre parenthèse de l’attitude naturelle et de la thèse du monde, puisque précisément c’est au sein de la facticité que doit être visée l’originarité : c’est là le rôle de <em>l’interprétation</em> qui, dans un travail toujours et indéfiniment repris, nous rapproche dans son renouvellement incessant de l’originarité du comprendre, en une sorte d’anticipation du cercle herméneutique des §31-33 de <em>SuZ</em>.</p>
<p style="text-align: justify;">Le point le plus originaire auquel le comprendre atteint dans son travail d’interprétation est ainsi l’<em>être-situé</em>, qui doit donc être le point de départ à partir duquel le philosopher doit pouvoir rendre compte de lui-même, sans renoncer à la facticité : « la méthode philosophique n’est rien de bien extraordinaire, ce n’est pas un saut dans un point de vue totalement étranger à la vie ; elle n’est pas non plus quelque chose qui s’apparente à un sixième sens - mais elle prend racine dans la vie même, il suffit de la chercher en son authenticité et son originarité dans cette dernière », affirme Heidegger (GA 58, p. 136).</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre IV – Chemins de la destruction.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Sophie-Jan Arrien illustre alors la méthode ainsi élaborée, en montrant comment, sans sortir de la situation, on peut trouver le chemin vers une authentique compréhension de la vie facticielle. A cet effet, Heidegger introduit la notion de <em>destruction</em>, par laquelle il s’agit d’expliciter un certain nombre de concepts, qui en apparence vont de soi, en mettant au jour leur situation d’émergence originaire. Il ne s’agit pourtant pas d’un retour husserlien aux choses mêmes, qui n’atteindrait qu’un en-soi donné dans l’évidence « devant-la-main » (<em>vorhanden</em>), mais tout au contraire restituer le concept à son devenir facticiel et historique, ce qui radicalise le geste phénoménologique.</p>
<p style="text-align: justify;">La destruction suppose dès lors ce que Heidegger nomme « <em>indication formelle</em> » - déjà aperçue au chapitre II – comme <s>concept</s> permettant de poser un sens sans le dévitaliser par une objectivation réifiante, le couper de son devenir historique et facticiel, sur lequel porte ensuite l’effort de destruction compréhensive. L’indication formelle n’est pas formelle au sens théorique comme peut l’être la <em>formalisation</em> husserlienne. Elle n’est pas théorique ; elle ne repose pas sur la teneur de sens des objets qu’elle vise, mais plutôt sur leur sens d’effectuation, c’est-à-dire qu’elle « <em>vise à libérer, découvrir et préserver un horizon dominé par le sens d’effectuation des phénomènes, c’est-à-dire l’horizon mobile, historique et appropriant des catégories qui, de tout temps, ont "organisé" le sens » </em>(p. 209). « Elle indique à l’avance, dit S.-J. Arrien, l’ouverture référentielle du phénomène <em>à partir d’un ou divers sens d’effectuation possibles </em>». Ainsi du phénomène de la vie qui occupe Heidegger, il ne saurait être saisi par aucun concept, aucune essence ; seule une indication formelle peut en restituer la richesse phénoménale, dont la plurivocité de la notion de vie est le reflet, et seule une destruction de ce <s>concept</s> - et non une description - pourra permettre d’en revenir à la chose même, avec une radicalité dont la description théorique est incapable. C’est dans ce contexte que le langage apparaît déterminant comme « lieu d’ancrage du concept et de sa plurivocité ». Si bien que « constamment, les phénomènes se donnent en un tout dynamique, dans et comme un <em>ensemble</em> de significations dont l’esquisse ou ébauche ou préfiguration (<em>Vorzeichnung</em>) est certes d’emblée appréhendée <em>intuitivement</em>, mais dans la seule mesure où l’intuition, devenue herméneutique pour Heidegger, est avant tout affaire de compréhension » - c’est-à-dire, contrairement à l’intuition husserlienne, comprenant une dimension active.</p>
<p style="text-align: justify;">La destruction a ainsi pour but de conduire à une expérience fondamentale ; elle est en ce sens la performance même de l’émergence de toutes significations, que celles-ci soient théoriques ou non, signant ce que S.-J. Arrien désigne comme <em>l’acte de naissance préthéorique des concepts </em> (p. 217). La suite du chapitre retrace les destructions des notions de vie et d’histoire, sur lesquelles on ne s’attardera pas en dépit de leur grande richesse, avec notamment l’émergence de notions promises dans la suite à certaines des plus belles analyses de <em>SuZ</em>. Notons seulement son résultat qui aboutit à déterminer « la possibilité d’une effectuation facticielle du sens de l’histoire dans et par laquelle le monde du soi se tient, se renouvelle et s’approprie comme existence », qui ouvre le chemin à « un véritable point de départ pour une appréhension originaire de la vie, à savoir le fait que l’être-là " a" l’histoire en propre comme <em>son </em>histoire, son <em>vécu</em> ». Ce qui entraîne derechef la destruction du concept de vécu, véritable clé des philosophies de la vie comme de la phénoménologie husserlienne, ce que Heidegger effectue à nouveau en dialogue avec Natorp et Dilthey. Dès lors, Heidegger recentre sa réflexion sur les « modalités d’auto-appropriation concrète du monde du soi », c’est-à-dire se tourne « vers l’expérience vécue facticielle en situation », pour « dégager les possibilités concrètes d’interprétation et d’effectuation du soi dans lesquelles se joue […] tout philosopher véritable ». C’est ce à quoi s’attache le dernier chapitre (V) consacré à la destruction de l’expérience facticielle de la vie, par laquelle Heidegger ambitionne de faire « exploser l’ensemble du système traditionnel des catégories » (GA 60, p. 54).</p>
<p style="text-align: justify;"><strong>Chapitre V – La destruction de l’expérience facticielle de la vie.</strong></p>
<p style="text-align: justify;">Cette démarche, Heidegger la fait porter sur une forme singulière d’expérience vécue insigne, celle de la vie chrétienne primitive, telle qu’elle constitue l’objet des cours sur la phénoménologie de la religion de 1920/1921, portant en particulier sur les épîtres de Paul, dans lesquelles Heidegger voit « une détermination fondamental-originaire de tout être-là concret » : de fait la vie du proto-chrétien est cette figure dans laquelle se produit ce « processus remarquable du transfert du centre de gravité de la vie facticielle et du monde de la vie dans le monde du soi et dans le monde des expériences intimes » ; en elle, « le monde du soi en tant que tel entre dans la vie et se trouve vécu en tant que tel » (GA 58, p. 61), faisant apparaître de manière privilégiée l’autosuffisance, l’expressivité et la significativité de la vie.</p>
<p style="text-align: justify;">Ainsi la situation du proto-chrétien est-elle d’emblée inscrite dans l’histoire : il est toujours par la conversion, <em>devenu ce qu’il est</em>, et le savoir de cet être-devenu structure son rapport à soi. L’être-devenu est ainsi toujours l’expérience actuelle du croyant. Suit alors un approfondissement des caractères de la vie du chrétien à travers les textes pauliniens, notamment de belles analyses du <em>servir Dieu</em> et de <em>l’attente</em>, (qui ne laissent pas de faire penser au § 53 de <em>SuZ</em>, qui en reprend une version sécularisée) qui aboutissent à l’idée que « la religiosité chrétienne vit la temporalité en tant que telle » (GA 60, p. 80). C’est que l’expérience facticielle de la foi est ancrée originairement dans une temporalité orientée vers le futur, celui-ci étant déterminé comme <em>kairos</em> ; la foi du chrétien est de même inséparable d’un perpétuel souci de soi et d’une inquiétude perpétuelle, qui maintient ouvert et labile le concept de vie. Ainsi peut-on dire avec l’auteur que la vie chrétienne « offre l’exemple bien concret d’une posture mondaine, d’un rapport à soi et d’un ancrage historique non objectivants ».</p>
<p style="text-align: justify;">De même, le livre X des <em>Confessions</em> est l’occasion pour Heidegger, d’approfondir l’analyse de la vie facticielle pour dégager les modes d’effectuation du soi : c’est que, pour Augustin, la quête de Dieu est une quête de soi, dans laquelle ce qui se dévoile se dérobe dans le même mouvement ; c’est en lui-même qu’Augustin découvre « les chemins qui mènent à Dieu ou s’en détournent ». Ainsi la quête de la « <em>vita beata</em> » est-elle, dans la réflexion augustinienne, authentiquement originaire, en ce qu’elle porte non sur le contenu de la vie bienheureuse, mais sur les modalité de l’ « avoir » du bonheur : il s’agit moins de savoir <em>ce qu’est</em> la vie bienheureuse, que de se demander <em>comment l’homme s’approprie-t-il la vie bienheureuse ?</em> C’est-à-dire que la question porte sur l’effectuation du sens de la vie, sur l’appropriation à soi du soi. Heidegger y insiste du reste en revenant sur le phénomène de la <em>tentation</em> chez Augustin. L’homme augustinien vit dans le tracas et la difficulté, qui requiert de lui un souci <em>(cura)</em> de soi permanent : il est « à la charge de lui-même ». Quand bien même serait-il heureux, il est en proie à l’inquiétude de la perte du bonheur : « dans l’adversité, j’aspire au bonheur, dans le bonheur, je redoute l’adversité » (<em>Confessions, </em>Livre X, XXVIII). Ecartelé entre la crainte et l’espoir, l’homme tend à s’éparpiller, à se disperser dans le multiple <em>(defluxus in multum), </em>qui est le véritable danger pour l’homme : « le souci vise la jouissance et cette visée entraîne la vie à s’éparpiller au risque de court-circuiter ses possibilités d’effectuation véritable » (p. 300). C’est cette inclination à la dispersion que Augustin détermine comme tentation, à travers quoi le soi s’éprouve comme un fardeau : « la vie humaine sur terre n’est-elle donc jamais autre chose qu’une "tentation" ininterrompue" ? » (<em>Ibid.</em>). Heidegger détermine ainsi la tentation comme « un véritable existential » (GA 60, p. 256) : l’épreuve de soi est d’autant plus pesante qu’elle est celle de mon impuissance ; l’à-venir, qui est ce dont je me soucie ne dépend plus du monde ambiant mais de ce moi fini et impuissant, devenu à ses propres yeux une énigme : « il y a une telle différence entre moi et moi-même, de l’instant où je glisse au sommeil, à celui où je reviens à l’état de veille » s’exclame Augustin. « C’est qu’il y a en moi […] une nuit profonde qui me dissimule mes dispositions réelles, en sorte que, quand mon esprit s’interroge sur ses propres énergies, il n’ose trop se fier à lui-même, car ce qu’il recèle en lui reste le plus souvent mystérieux, si l’expérience ne le lui découvre » (<em>Ibid, </em>X, XXXII).</p>
<p style="text-align: justify;">La lecture que Heidegger fait d’Augustin et de l’expérience facticielle du chrétien soumis à la tentation, qui se manifeste dans le fait qu’à tout instant, il est devant des possibles, finit du reste par amorcer un virage en annonçant le passage de l’herméneutique de la vie à une préfiguration de l’ontologie fondamentale : c’est à cette occasion qu’il aborde la question de<em> l’être </em>de la vie, ce qui l’amène à esquisser les notions de déchéance et de souci. Mais c’est avec (et contre) Aristote que le virage de l’ontologie sera véritablement pris. Augustin, de son côté, ne parvient pas à maintenir sa percée dans son authenticité, et finit par <em>figer</em> les possibilités d’effectuation du sens en assignant à la <em>vita beata</em> un contenu comme <em>summum bonum</em>. C’est alors vers le jeune Luther que Heidegger se tourne pour entamer « ce qui deviendra la destruction de la conceptualité grecque impropre à penser la vie facticielle ». Luther en effet réactive l’accentuation mise sur le monde propre, qui délaisse « la pensée tournée vers le monde ambiant en tant que <em>cosmos </em>objectivé ». C’est qu’en effet « l’incarnation facticielle du Christ » « renvoie le chrétien à sa propre facticité vécue : à sa faiblesse et à sa détresse, à son inquiétude anxieuse, à son souci de soi dans l’attente de la parousie », la théologie de la Croix accentuant ainsi le caractère problématique de l’existence là où la théologie de la gloire cherche à le neutraliser ». C’est également la critique luthérienne de l’onto-théologie de la présence, qui résulte de l’interprétation chrétienne d’Aristote que Heidegger rejoint ici, et qui initie sa destruction de la pensée grecque, dont le Stagirite est le représentant privilégié.</p>
<p style="text-align: justify;">La destruction de l’<em>Ethique à Nicomaque</em> conduit ainsi Heidegger à repenser le sens de la philosophie comme <em>philosopher</em>. C’est l’occasion pour Heidegger d’introduire « une nouvelle dimension intentionnelle : le sens de temporalisation des phénomènes en général, et du philosopher en particulier ». La fin de l’ouvrage suit ainsi le fil conducteur du cours du semestre d’hiver 1921-1922, et celui de l’été 1923, ainsi que le <em>Natorp-Bericht</em>, afin de montrer comment Heidegger élabore « les ultimes interprétations, avant et afin de « détruire » Aristote, c’est-à-dire tout aussi bien, de se « l’approprier » sous la forme d’une herméneutique de la facticité comprise comme ontologie » (p. 326). Heidegger y thématise une triple articulation de la vie facticielle qui annoncent les existentiaux de <em>SuZ</em> : le Souci <em>(Sorge)</em>, la ruinance <em>(Ruinanz)</em> ou chute <em>(Sturz)</em> et la façon d’« avoir la mort » <em>(den Tod Haben)</em>. Le premier caractérise au plus près le <em>comment</em> de notre rapport au monde ; c’est à travers le <em>souci</em> que le monde et ses « objets » revêtent le caractère de la significativité. Mais le rapport soucieux au monde entraîne, selon Heidegger, la dispersion de soi, « dans un éparpillement dans lequel la vie ne trouve (ou ne perd) jamais qu’elle-même », note S.-J Arrien. En ce sens, le souci détermine la facticité comme mobilité, qui renvoie au problème de la <em>kinèsis</em> aristotélicienne. C’est du reste le mouvement et la mobilité qui est l’occasion selon l’auteur de l’irruption manifeste d’Aristote dans la pensée de la vie du jeune Heidegger, mais aussi le lieu où se nouent herméneutique et ontologie : Heidegger considère en effet qu’avec la facticité, c’est le <em>sens d’être</em> de la vie qui est élucidé. Le vivant, en effet, l’être-en-vie, est l’être qui possède en soi-même le principe de son propre mouvement - selon la formule de <em>Physique II</em> -; ce principe est ainsi l’âme, qui constitue le sens d’être du vivant. Heidegger réinvestit ainsi la réflexion aristotélicienne sur le mouvement en la réinterprétant en termes existentiels et facticiels, ce qui lui permet, ainsi que le montre Sophie-Jan Arrien, de « réinterpréter le mouvement général de la pensée éthique d’Aristote dans la direction de sa propre phénoménologie de la vie. » (p. 338).</p>
<p style="text-align: justify;">C’est l’objet du dernier moment de la démonstration où l’auteur montre que peut enfin aboutir le programme initié dès 1919 d’une articulation rigoureuse entre Vie et Logos - n’est-ce pas en effet l’objet même de la philosophie ? -. C’est ainsi que le logos qui dit la facticité de la vie peut prendre le titre d’<em>ontol-logie</em>, puisqu’aussi bien a-t-elle été déterminée comme <em>sens d’être </em>de la vie. La philosophie peut ainsi être déterminée comme « auto-explication originaire de la facticité », et comme la « logique » des catégories auto-explicitatives de la vie. La lecture de <em>Eth. Nic. VI</em> permet enfin à Heidegger d’expliciter le philosopher comme une <em>praxis</em> ; au terme de l’étude de la <em>phronèsis, </em>S.-J. Arrien montre ainsi que la philosophie finit par être définie comme un agir, comme une « effectuation concrète de la vie en vue d’elle-même. Par le biais des analyses sur la <em>phronèsis</em> Heidegger montre, en en donnant une lecture plus ontologique qu’éthique, que si la philosophie exprime <em>une possibilité </em>de la vie, celle-ci y tend comme vers une possibilité <em>insigne</em> ».</p>
<p style="text-align: justify;">Sophie-Jan Arrien a l’immense mérite d’arracher le langage heideggérien à son fonctionnement bien souvent ésotérique, non pas tellement en en gommant les aspérités linguistiques et conceptuelles, mais au contraire en restituant le mouvement d’engendrement des motifs philosophiques, des figures parfois étranges de la pensée heideggérienne - ce qui est précisément l’un des objets privilégiés de cette étude - qui se structurent peu à peu dynamiquement au fil de la lecture, prenant chair, corps et vie, supposant parfois détours, retours et anticipations, mais faisant finalement apparaître la clarté cristalline des concepts achevés tels qu’ils se manifestent de manière éclatante dans l’ouvrage majeur de 1927. Ce livre a ainsi cette belle qualité de restituer le mouvement même de constitution d’une pensée : on y voit littéralement un homme penser et une philosophie naître. On saura ainsi gré à l’auteur d’investir cette pensée comme de l’intérieur, de donner vie aux pensées au lieu de faire sonner les mots - comme il n’est pas rare dans le commentarisme d’inspiration heideggérienne -.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> Baptiste Klockenbring</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>Byung-Chul Han, Le Désir ou l’enfer de l’identique, Editions Autrement, lu par Dimitri Desurmon.urn:md5:7ba7717f52632733017e1114fe25b0be2015-11-27T06:00:00+01:002015-11-27T06:00:00+01:00Baptiste KlockenbringPhilosophie généraleByung-Chul HanDésirErosHeideggerThanatos<p class="MsoNormal">
<strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:14.0pt;font-family:"Times New Roman"">Byung-Chul Han, <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le Désir ou l’enfer de
l’identique</em>, Editions Autrement, Paris, 2015, 125 p., 14€</span></strong><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:14.0pt;font-family:"Times New Roman"">.</span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Quelle place pour le désir dans nos
vies ? Dans un monde régi par les logiques de consommation et de
performance, où réalisation du désir et liberté sont devenus synonymes, nous ne
pouvons éviter la question de savoir si cette dépense de soi en guise
d’affirmation de soi est susceptible de faire sens, de donner corps à notre
existence. L’extrême disponibilité des choses, tant en termes de distance que
de choix, et le rythme frénétique de nos envies ne conduisent-ils pas à la
dispersion de ce que nous sommes plutôt qu’à notre libération ? Le désir,
personnel, invitant à l’effort, moteur de l’objectivation de soi, n’est-il pas mort
dans l’absence d’écart avec sa réalisation ? Ce sont autant de questions qui
sont soulevées par Byung-Chul Han, ancien ouvrier en métallurgie en Corée et
professeur de philosophie à Berlin depuis 2012, dans son opuscule intitulé <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le Désir ou l’enfer de l’identique</em>. <span style="mso-spacerun:yes"> </span>Construit comme un pamphlet, créatif à souhait
et à mesure dans ses concepts, cet ouvrage offre une lecture acérée de ce qu’il
reste de l’être désirant dans la société contemporaine.</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Le désir est-il mort dans le trop grand
nombre de choix auquel nous avons accès ? C’est en tout cas ce que
semblent affirmer<span style="mso-spacerun:yes"> </span>de nombreux penseurs
actuels selon Byung-Chul Han. Mais à y regarder de plus près, le développement
des technologies du choix et de l’offre sur laquelle ces dernières s’appuient
sont-ils à l’origine de ce que nous pourrions nommer un « dépérissement de
l’Eros » ? C’est cette question que soulève le premier chapitre
intitulé « Melancholia » en référence à l’œuvre de Lars Von Trier.
D’après notre auteur, ces théories qui blâment la liberté de choix illimitée (à
la manière dont Socrate répondait déjà à Calliclès) manquent le problème fondamental
de notre modernité : « cette érosion de l’autre qui (…) va de pair
avec une narcissisation croissante du soi » (p. 16). Pour étayer cette
thèse il nous rappelle que nous vivons dans une culture de la comparaison
universalisée qui tend à créer une échelle commune d’évaluation pour tous les
existants. Conséquence : l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">atopie</em>
de l’autre est annihilée. L’autre, le transcendant par excellence, se trouve
réduit à un objet parmi les objets avec lequel il n’entretient que « des
différences consommables » (p. 17). Cette négation du statut atopique de
l’autre conduit au narcissisme ambiant (entre les photos de profils et les
selfies, peu de place pour l’étranger). Mais ce narcissisme n’est-il que de
l’amour-propre ? N’est-il qu’une tentative d’affirmation de soi par
opposition à l’autre ? Byung-Chul Han rejette cette hypothèse. Le
narcissisme et l’amour-propre sont totalement distincts : l’amour-propre
est bâti contre autrui, mais il le reconnaît et tente de s’affirmer dans son
être face à lui, là où le narcissique « patauge dans l’ombre de lui-même,
jusqu’à s’y noyer » (p. 18), il n’est ouvert qu’à ce qui relève du
« déjà moi », qu’à ce dans quoi il se reconnaît sans pourtant savoir
qui il est. L’orgueilleux n’est pas aussi flou que le narcissique. La
disparition de l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">atopie</em> de l’autre
qui conduit au développement du narcissisme est à l’origine d’une dépression
globale, selon Byung-Chul Han, inévitable tant il devient impossible de renouer
avec les limites de sa personne dans de telles conditions. C’est ce qui est
illustré dans la suite du chapitre grâce à une analyse du film <em style="mso-bidi-font-style:normal">Melancholia</em> dans lequel Justine quitte
sa dépression et renoue avec l’Eros, lors de son extase au bord du lac, grâce à
la confrontation au tout autre qu’est la planète Melancholia. Notre société de
performance ne nous permettrait-elle donc pas d’affirmer notre puissance ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Dans un monde où l’on appelle chacun à
être « l’entrepreneur de soi », comment croire que l’affirmation de
soi est impossible ? Byung-Chul Han dénonce dans le second chapitre,
« Pouvoir ne pas pouvoir », l’incohérence fondamentale d’une telle
logique. Se faire l’entrepreneur de soi pour échapper à l’aliénation est une
solution vouée à l’échec. Nous sommes, en appliquant cette maxime, confrontés
au plus tyrannique et au plus exigeant de tous les patrons, tant il est
impossible de lui résister : nous-mêmes ! Comment serait-il encore
possible de ne pas sombrer dans l’auto-flagellation et la fuite de soi quand
celui qui nous écrase n’est autre que nous-mêmes ? « <em style="mso-bidi-font-style:normal">Tu peux</em> engendre une quantité de
contraintes sur lesquelles le sujet de la performance se fracasse
régulièrement. (…) <em style="mso-bidi-font-style:normal">Tu peux</em> engendre
même plus de contraintes que <em style="mso-bidi-font-style:normal">tu dois</em>
(…) parce qu’aucune résistance n’est possible contre soi-même. » (p. 31)
Le « <em style="mso-bidi-font-style:normal">Tu peux </em>» de
l’aliénation contemporaine, nous signale l’auteur, rend toute possibilité de
rédemption caduque, mais aussi toute possibilité de gratification. Voilà
pourquoi « le capitalisme<em style="mso-bidi-font-style:normal"> ne fait
que créer de la dette.</em>» (p. 32) Le mode d’existence capitaliste fait tout
reposer sur le sujet de la performance qui est appelé à faire, toujours plus,
sans pouvoir jamais espérer atteindre l’expiation : il est essentiellement
dépressif, prédisposé au <em style="mso-bidi-font-style:normal">burn-out</em>. A
cette tendance mortifère, Byung-Chul Han vient opposer l’Eros comme solution,
qui est le maintien de l’autre dans la sphère de l’insaisissable. « C’est
seulement à travers le <em style="mso-bidi-font-style:normal">ne-pas-pouvoir-pouvoir
</em>que transparait l’autre » (p. 33). Mais alors l’Eros serait synonyme
d’échec ? Pour la terminologie capitaliste, qui place l’échec dans
l’incapacité à « posséder » ou à « saisir », et même à
« connaître », oui ! Nous trouvons, en contradiction avec l’Eros
proposé par l’auteur, la conception positive actuelle de l’amour où le rapport
à l’autre se change en <em style="mso-bidi-font-style:normal">sexyness, </em>« capital
qu’il s’agit de faire fructifier.» (p. 34) Byung-Chul Han propose alors une
analyse croisée de <em style="mso-bidi-font-style:normal">Cinquante nuances de
Grey</em>, des politiques hygiénistes, des médias numériques et de la
temporalité de l’information qui aboutit à la conclusion selon laquelle
« La société, en tant que <em style="mso-bidi-font-style:normal">machine de
recherche et de consommation</em>, abolit tout désir orienté vers l’absent qui
ne peut être trouvé, saisi et consommé. » (p. 40) Et c’est dans cette
digestion permanente du consommable que le soi se volatilise. Pourtant, le
capitalisme n’est-il pas avant tout orienté vers la satisfaction et donc le
bien-vivre ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Après avoir rappelé le duo conceptuel,
Eros et Thanatos, au fondement de la conception antique de l’amour (« le
plus grave de tous les fléaux », selon Ficin), Byung-Chul Han nous
explique à quel point, dans l’amour contemporain, on ne cherche en l’autre que
« la confirmation de soi-même » (p. 45). Ce qui semble caractériser
le plus notre époque est le rejet de toute négativité, la tentative illimitée
de réduction au même, à l’identique. Le travail comme valeur absolue admet
comme son complément nécessaire l’adoration de la « vie nue »,
« l’absolutisation et la fétichisation de la santé » : tous deux sont
des réactions contre « la négativité de la mort » (p. 47). Et c’est
ce qui, d’après l’auteur, fait perdre toute signification profonde au désir et
tout espoir de se réaliser par ce dernier car : « L’esprit doit sa
vivacité précisément à sa faculté de mourir. » (p. 50) Dans une
perspective très hégélienne, Han affirme que là où règne la positivité absolue,
il n’y a pas d’esprit. Le capitalisme a, par son absolutisation de la
consommation, détruit la recherche de la vie bonne au profit de la survie. D’un
même geste, il a donc réduit à néant et la signification humaine des choses et
la possibilité d’un désir authentique. Il nous faudrait alors réapprendre à
mourir pour redevenir vivace. Retrouver notre âme en accueillant la négativité,
mais comment ? Ce troisième chapitre s’achève sur une apologie de la
fidélité comme ce « qui transcende la simple addition » (p. 58) en
tant que l’opposition de soi à soi qu’elle exige nous permet d’échapper à la
positivité vide de sens.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Le quatrième chapitre de l’ouvrage, très
explicitement intitulé « Porno », prolonge la thèse développée dans
le troisième chapitre. A l’ère du porno super accessible, que reste-t-il du
sexe ? Doit-on adhérer à toutes les pensées anti-porno qui combattent un
ennemi stéréotypé – qu’elles ont elles-mêmes créé – et donc vaincu depuis
longtemps ? Le porno n’est-il, comme ces pensées l’affirment, que du
« sexe fictif », un dévoiement de la « réalité des relations
sexuelles », du « faire l’amour » ? Comme s’il s’agissait
d’opposer sexe réel à sexe fictif pour renouer avec l’amour… Byung-Chul Han
rompt<span style="mso-spacerun:yes"> </span>directement avec cette
lecture : « Ce qu’il y a d’obscène dans le porno, ce n’est pas
l’excès de sexe, mais le fait qu’il est sans sexe. » (p. 59) Tout semble
aller vers ce qu’Agamben, auteur central dans ce chapitre, nomme
« profanation », c’est-à-dire rupture avec l’espace sacré. Le fait de
rappeler que l’amour est chaud et intime, agréablement excitant, par opposition
à ce qui est à l’œuvre dans le porno ne change rien à l’affaire, cela « va
dans le sens de la destruction de l’érotisme sacré » (p. 65) : il
s’agit par là de « rendre public » une manière de faire, de créer un
nouveau moyen, sans aucune fin. Nous le voyons : l’éloge de la vie nue se
prolonge en création de normalité par destruction du sacré. Les discours
anti-porno vont encore dans le sens de la pornographisation du monde, de
l’affichage débridé, du tout public. Mais comment rejoindre le sacré ?
Quel serait l’espace sacré du désir ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">A la manière de Rousseau, Byung-Chul Han
place cet espace sacré dans le fantasme. Pour désirer pleinement, pour s’ouvrir
à l’Eros, il faut fantasmer. Il s’oppose en cela à Eva Illouz qui voit la
raison principale du dépérissement du désir dans le nombre de choix auquel nous
avons aujourd’hui accès, et dans la rationalisation du désir qui en est la
conséquence. Selon Han, le choix ne fait pas problème si le fantasme est
maintenu. Or, à l’ère du tout-information, incarné par l’informatique et, plus
récemment, par le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Big Data</em>, le
constat est sans appel : le fantasme est devenu impossible. Là où Illouz
considère que la construction de l’autre relève d’une information plus ou moins
grande, c’est-à-dire que mon rapport à autrui est préservé par un certain seuil
informationnel et détruit s’il le quitte, Han affirme que la construction de
l’autre ne peut se réaliser dans la positivité, or, l’information est
positive : l’autre est soit tout négatif, soit il n’est pas.
« Information et fantasme sont des forces opposées », affirme-t-il à
la page 71. Nous ne pouvons donc retrouver l’autre dans la société numérique
car : « L’information est en tant que telle une positivité qui
débouche sur la suppression de la négativité de l’autre. » (p. 72) Plutôt
qu’à une rationalisation du désir, il faudrait conclure à la rationalisation
des choses et de l’espace qui fait du monde un « donné » et nous rend
incapable de fantasmer. Le chapitre se clôt sur un constat esthétique :
« Avec les frontières et les seuils disparaissent aussi les fantasmes
envers l’autre. (…) La crise actuelle de l’art, mais aussi de la littérature,
peut s’expliquer par la <em style="mso-bidi-font-style:normal">disparition de
l’autre</em>, c’est-à-dire par l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">agonie de
l’Eros</em>. » (p. 77) Constat trop bref et trop vague pour que l’on puisse
déterminer s’il s’agit d’une réflexion philosophique ou d’une nostalgie
intellectualiste… Nous l’avons vu, l’atrophie du désir résulte, à en croire
l’ouvrage, des conditions socio-économiques dans lesquelles nous vivons
aujourd’hui : quelles sont les conséquences politiques de ce dépérissement
de l’Eros ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">L’Eros est le « moteur »,
l’impulsion originelle et universelle, quand il nous accompagne, nous pouvons
« engendrer dans le beau » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Le
Banquet</em>, 206b) ; une politique sans Eros est-elle possible ? Han
reprend à son compte la tripartition de l’âme fournie par Platon dans le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Phèdre</em> et insiste sur le fait que, des
trois entités pourtant indissociables, il ne demeure aujourd’hui que l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">epithymia</em>, autrement dit la
manifestation adoucie et incontrôlée du <em style="mso-bidi-font-style:normal">thymos</em>.
Mais l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">epithymia</em> est pauvre sans le <em style="mso-bidi-font-style:normal">thymos </em>: « Est thymotique, par
exemple, la <em style="mso-bidi-font-style:normal">fureur</em> qui rompt
radicalement avec l’existant et fait débuter un <em style="mso-bidi-font-style:
normal">nouvel</em> état. Aujourd’hui, elle laisse place aux agacements et aux
insatisfactions », se déplore l’auteur (p. 80). Ainsi, l’Eros mort, ou plutôt
coupé du <em style="mso-bidi-font-style:normal">thymos</em>, nous serions incapables
d’action politique digne de ce nom, incapables de former un <em style="mso-bidi-font-style:normal">nous</em> à même de rompre avec l’existant.
Cela est en grande partie lié au narcissisme croissant dénoncé plus haut :
n’étant qu’à la recherche de moi-même, comment puis-je vouloir l’autre ?
Aussi, pour celui qui n’admet que ce qui relève du « <em style="mso-bidi-font-style:
normal">déjà soi </em>», « déjà acquis », « déjà
compris », l’événement n’existe pas, rien ne le frappe, rien ne vaut donc
la peine… (p. 83) Han décrit la politique comme, il emprunte cette expression à
Badiou, « une scène du Deux ». Nous comprenons alors qu’à ses yeux il
est impossible de renouer avec l’action politique car la gestion capitaliste du
désir engendre précisément une « scène du Un », un rapport au monde
qui se forge de soi à soi sans jamais admettre l’autre dans sa négativité. Il
faudrait renouer avec l’Eros, « dénarcissifiant », pour se donner la
possibilité d’une réelle action politique : « L’Eros se manifeste
comme désir révolutionnaire de formes de vie et de société entièrement différente. »
(p. 85)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">L’avant dernier chapitre est construit
comme une critique radicale de « l’esprit comptable » de notre temps.
Il s’ouvre sur une lettre de Heidegger à sa femme dans laquelle le philosophe
évoque l’inaptitude de la pensée à saisir l’autre dans son altérité radicale.
Ceci permet à Byung-Chul Han de montrer à quel point le traitement des données
échoue à maintenir une relation à l’altérité et conduit à une « Fin de la
théorie », le titre du chapitre. Les données ne s’en tenant qu’au constat
et à l’approche cumulative, aucune découverte n’est plus possible, nous n’avons
plus affaire qu’à du <em style="mso-bidi-font-style:normal">donné</em>. Le monde
n’est plus susceptible de surprendre et la pensée devient creuse :
« Or, sans <em style="mso-bidi-font-style:normal">négativité</em>, il
n’existe que de l’identique. L’esprit, qui signifie à l’origine in-quiétude,
lui doit sa vivacité. » (p. 93) Le cumul des données s’oppose terme à
terme avec la théorie, l’addition statistique détruit la grande pensée. Cet
état des lieux pour le moins catastrophiste s’achève sur une invitation à
renouer avec l’Eros pour redonner du sens au <em style="mso-bidi-font-style:
normal">logos</em> : « Le <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em>
n’a pas de force sans la puissance de l’Eros. » (p. 95)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Le dernier chapitre est une rétrospective
biographique sur l’auteur intitulée « De Parcours à Shanzai », il
présente Byung-Chul Han en six mots clefs. Cette dernière étape éclaire la
lecture de l’ouvrage : nous comprenons l’affinité profonde qu’entretien
Han avec la pensée heideggérienne, sujet de sa thèse, et la façon dont sa
lecture de l’inventivité orientale constitue un socle à la critique de
l’occident.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman"">Un ouvrage intéressant en somme que l’on
retiendra davantage pour ses traits d’esprit et ses coups d’œil pertinents que
pour la qualité de son argumentation. Entre passé fantasmé et catastrophisme
sans objet bien défini, difficile de se prononcer sur ces lignes. En bon
heideggérien, Han affirme plus qu’il ne démontre. Mais l’invitation répétée à
ne pas céder au même, au déjà donné, ou à soi rend cette pensée très stimulante
(serait-elle de l’ordre de l’Eros ?). Comme Alain l’affirmait dans
ses <em style="mso-bidi-font-style:normal">Définitions</em> : « </span><span style="font-family:"Times New Roman";mso-fareast-font-family:"Times New Roman";
background:white">On ne prend conscience que par opposition de soi à soi</span><span style="font-family:"Times New Roman"">. (…) Il n’y a point d’âme vile mais
seulement un manque d’âme. » Et la réflexion de Han est un appel à ce type de
vertu, toute antique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-left:70.8pt;text-indent:35.4pt"><span style="font-family:"Times New Roman""><span style="mso-tab-count:6"> </span>Dimitri
Desurmon.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph"><span style="font-family:"Times New Roman""> </span></p>Christian Sommer, Heidegger 1933, Hermann, 2013. Lu par Jean Kesslerurn:md5:844cf9efdfab50d4ed43f58317e876a62015-09-02T06:00:00+02:002015-09-02T06:00:00+02:00Karim OukaciHistoire de la philosophieHeideggernational-socialismePlatonUniversité<p>
<span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:
11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:
Calibri;mso-fareast-theme-font:minor-latin;mso-bidi-font-family:"Times New Roman";
mso-ansi-language:FR;mso-fareast-language:EN-US" lang="FR"><img title="heidegger1, juil. 2015" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/avril/.heidegger_1_t.jpg" />Ce court texte a pour objet de
mettre au jour l’inspiration platonicienne du <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Discours de rectorat</em> prononcé par Heidegger lors de sa prise de
fonction comme recteur de l’université de Freiburg, le 27 Mai 1933. </span>
</p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">C.
Sommer veut montrer que c’est une « rémanence du platonisme
politique » qui « paraît conditionner, précipiter et structurer
l’engagement de Heidegger » (p.13). La décision politique qui marque ouvertement
(mais aussi de façon ambigüe) l’implication de Heidegger dans le nazisme, doit
ainsi être comprise notamment à la lumière des cours et séminaires des années
1932-1934 – ce que C. Sommer nomme la « constellation Heidegger
1933 » (p.10), lesquels constituent une interprétation et une
« explicitation » avec Platon, et plus précisément avec la question
de la vérité, telle qu’elle se déploie dans la fameuse allégorie de la caverne.
Certes, C. Sommer rappelle qu’une compréhension approfondie de cet engagement
supposerait une mise en perspective plus large, montrant que le Discours de
Rectorat, loin d’être un objet singulier, s’inscrit dans le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Zeitgeist</em> de cette époque marquée par la
révolution conservatrice. Ces influences ne sont cependant ici esquissées
« qu’à titre programmatique », dans un réseau de notes assez dense.
Est privilégiée une compréhension de « l’architecture philosophique <em style="mso-bidi-font-style:normal">interne</em>, afin de circonscrire l’horizon
de son [de Heidegger] intention<span style="mso-spacerun: yes">
</span>fondamentale » (p. 10 souligné par nous).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Situer
cette prise en charge d’une fonction politique sous l’égide de la <em style="mso-bidi-font-style:normal">République</em> et de sa théorie du
philosophe-roi implique de voir dans le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>
une « volonté de fondation métaphysique du politique, une métapolitique
spirituelle » (p. 12-13). Celle-ci apparaît dans la définition que le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em> propose de
l’Université : « L’Université allemande est pour nous l’école
supérieure qui éduque et élève à partir de la science et par la science, les
guides et les gardiens du destin du peuple allemand » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours de rectorat</em>, cité par C.
Sommer, p.21), C. Sommer rappelle que l’éducation des gardiens, joue pour
Platon comme pour Heidegger un rôle fondamental « parce qu’elle contribue
plus que les autres à la cohésion et à l’unité de l’État » (p.22).
Par ce rôle qui lui est attribué, on comprend dès lors que la <em style="mso-bidi-font-style:normal">Selbstbehauptung</em>,
« L’auto-affirmation de l’Université allemande » (titre de ce
discours), ne signifie pas pour Heidegger une défense des prérogatives de<span style="mso-spacerun: yes"> </span>celle-ci vis-à-vis de l’Etat, une
proclamation d’indépendance fondée sur la séparation du politique et du savant,
car une telle indépendance reposerait sur une conception libérale de la liberté
(académique) que Heidegger récuse avec effroi. Cette indépendance, au
contraire, « lie » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">bindet</em>)
l’Université au peuple et à l’État en lui assignant une place au sein de la
structure trifonctionnelle qui distingue et unit le service du savoir, celui du
travail et celui de la défense. La question du rapport de l’Université à l’État
est pensée à partir de la question du rapport entre « gouvernement
philosophique et gouvernement politique » (p.20)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"><img title="heidegger2, juil. 2015" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/avril/.heidegger_2_m.jpg" />A
l’Université heideggérienne incombe donc la tâche platonicienne d’éduquer les
gardiens « par et pour la science ». Une telle formule implique, pour
être comprise, une rupture fondamentale avec le concept de science tel qu’il
s’est développé dans les années Weimar. Cette rupture a lieu par un retour à
l’essence du savoir, autrement dit par un retour au commencement grec. Savoir
n’est pas l’accumulation de connaissances spécialisées, aboutissant à la
dispersion des facultés et éduquer n’est certes pas se former à une profession.
Le savoir est, conformément au texte fondateur de l’Allégorie de la caverne, la
remontée de l’âme par le questionnement au-delà de l’essence, donc « n’est
autre que le philosopher en acte qui déploie et réalise en la posant (la
question sur) l’essence de la vérité » (p.25). Platonicien, le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em> l’est donc dans sa volonté de
« conférer à la philosophie dans l’État » « une place
architectonique » : cette place architectonique revient à la science,
donc à la philosophie parce que « toute science est philosophie, qu’elle
le veuille et le sache ou non » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Alle
Wissenschaft ist Philosophie, mag sie es wissen und wollen –oder nicht, </em>GA,
16, 109)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">La
conception métapolitique du politique qui se dessine dans cette inspiration
platonicienne est capitale car elle implique une modification des notions si
chargées, placées en ouverture du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>,
de <em style="mso-bidi-font-style:normal">Führung</em> et de <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Gefolgschaft</em>, de conduction et d’obédience. L’insistance du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em> à affirmer, que celui qui
conduit doit être conduit, que celui qui dirige doit être dirigé, et que cette
conduction se fait par la science rattache en effet clairement celui-ci à la
théorie platonicienne du philosophe-roi. Le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Führer</em>,
le guide doit lui-même être guidé par l’Un-Bien, qui fonde tout savoir et
constitue le terme de la contemplation philosophique, car « <em style="mso-bidi-font-style:normal">le Bien est donation de pouvoir (Ermächtigung) »
</em>(<em style="mso-bidi-font-style:normal">Cours du semestre d’hiver</em>,
1933/34, <em style="mso-bidi-font-style:normal">GA</em>, 36/37, cité p. 38).
« Ici se situe la source du programme platonicien de Heidegger, lequel est
porté par un geste qu’on pourrait qualifier de <em style="mso-bidi-font-style:
normal">métapolitique</em> : c’est bien parce que cette transcendance est
considérée comme fondamentale et paradigmatique que les philosophes doivent
gouverner et imprimer leur puissance, par l’Université, dans l’ordre politique,
qu’ils entendent subordonner et dominer » (p. 39-40) Cette idée d’une
politique « métapolitique » qui doit être comprise comme
« établissement des conditions ontologico-transcendantales du
politique » (p. 39, note 77) est aussi ce qui confère au <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours de Rectorat</em>, son ton
prophétique. Car la conversion de l’âme décrite par l’ascension platonicienne
hors de la caverne est ici transposée au <em style="mso-bidi-font-style:normal">Dasein
</em>collectif du peuple allemand et devient ce par quoi le peuple allemand seul
peut accéder à son essence, à son identité. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">« L’exercice
du savoir souverain au cœur de la métapolitique heideggérienne de
l’Université » (p.47) devient la condition de la conversion de tout le
peuple allemand à ce qui fonde son être, son soi, que Heidegger, entamant ici
son dialogue avec Hölderlin, situe dans le retour aux Grecs, compris comme le
moment où « un peuple, par la force de sa langue se dresse contre l’étant
en totalité et l’interroge et le comprend comme l’étant qu’il est » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>, <em style="mso-bidi-font-style:
normal">GA</em>16, 109).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Le
statut « métapolitique » du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>
le rattache donc à la « grande politique », et C. Sommer place
justement en exergue de son livre, le §208 de <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Par-delà le Bien et le Mal</em> qui annonce, lui aussi sur un ton
prophétique la fin du temps de la petite politique. Mais comment une
« grande politique » peut-elle se réaliser
« politiquement » si on peut dire ? Comment entendre
concrètement et comment croire à une telle conduction par le savoir ? Platonicien,
le Discours le sera donc aussi jusque dans son échec (« avec cet ‘échec’ »,
écrit C. Sommer p. 50, « la perspective d’une influence directe sur l’État
s’éloigne »). Et cet échec est une erreur, l’ « erreur »
d’avoir cru pouvoir « guider le guide » et spiritualiser la
révolution national-socialiste, qui faute d’avoir réussi à s’élever à une
métapolitique ne sera par la suite, pour Heidegger, qu’une forme
« classiquement » politique du pouvoir oublieux de ce qui lui donne
pouvoir et de la volonté de puissance soumise au règne nihiliste de la
domination technique. <span style="mso-spacerun: yes"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Que
conclure, à présent, <span style="mso-spacerun: yes"> </span>de cette
lecture platonicienne du <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours de
rectorat </em>? Un peu à l’inverse de sa thèse, qui consiste, on le
rappelle, à voir dans le retour à Platon ce qui conditionne et structure le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>, l’auteur affirme, p. 15,
que : « c’est, […] en <em style="mso-bidi-font-style:normal">complexifiant</em>
et en <em style="mso-bidi-font-style:normal">problématisant</em> la constellation
« Heidegger 1933 » […] que l’on peut espérer dégager les éléments
nécessaires pour répondre à la question de savoir si « l’échec du
Rectorat » coïncide ou non avec le « retour de
Syracuse » ». La seule rémanence platonicienne n’explique donc pas un
texte hautement ambigu, très surchargé, dont C. Sommer, on l’a dit, fait le
choix de seulement esquisser la complexité et la problématicité. De celles-ci,
nous ne donnons donc également que des indications. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">1.-
Le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em> s’ouvre sur l’affirmation
que « la prise en charge du Rectorat est l’engagement (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Verpflichtung</em>) à sa conduction
spirituelle (<em style="mso-bidi-font-style:normal">geistige Führung</em>) »
(<em style="mso-bidi-font-style:normal">GA</em>, 16, 107) Le terme d’<em style="mso-bidi-font-style:normal">esprit</em> et de manière générale, la volonté
de « <em style="mso-bidi-font-style:normal">spiritualiser</em> ce qui
prenait forme sous le terme de national-socialisme » (p. 12) se laisse-t-elle
comprendre de façon platonicienne ? Quel terme grec ou platonicien
correspond ici à l’allemand <em style="mso-bidi-font-style:normal">Geist </em>?
Il n’est bien sûr pas possible d’envisager ici cette question, et nous
renvoyons sur ce sujet à J. Derrida, <em style="mso-bidi-font-style:normal">De
l’esprit. Heidegger et la question</em>, Flammarion, 1990.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">2.-
C. Sommer rappelle (p. 23) le caractère problématique du parallélisme « entre
le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Dasein</em> individuel et le peuple-État,
le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Volks(Staat) »</em> impliqué par
la volonté de faire jouer à l’Université, c’est-à-dire à la science,
c’est-à-dire à la philosophie, ce rôle dirigeant. Loin de prétendre à
l’universalité, ou de se situer comme chez Platon dans l’optique de la Justice,
le Discours s’adresse « dans une rhétorique exhortative et
révolutionnaire » (p. 11) au peuple allemand, à son destin, à sa « mission
spirituelle » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">geistiger Auftrag</em>,
<em style="mso-bidi-font-style:normal">GA</em>, 16, 107). Ici, c’est une
rémanence du Fichte des <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours à la
nation allemande </em><span style="mso-spacerun: yes"> </span>de 1807 qu’il
faut entendre (p. 13) et aussi, comme on l’a entrevu, de la grande
politique nietzschéenne.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">3.-
Un terme des plus fréquents dans le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>
est celui de volonté, de volonté d’essence (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Wesenswille</em>).
« L’auto-affirmation de l’université allemande est la volonté originelle,
commune, de son essence » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">GA</em>,
16, p.108) Le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em> se rattache
ainsi clairement à la notion d’<em style="mso-bidi-font-style:normal">Entschlossenheit</em>
; et Karl Löwith écrit : « Il [le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>]
transpose la philosophie heideggérienne de l’existence historique dans
l’événement allemand, la volonté d’action du Maître trouve ainsi pour la
première fois un terrain favorable et le contour formel des catégories
existentiales reçoit un contenu déterminé » (« Les implications
politiques de la philosophie de l’existence chez Heidegger », <em style="mso-bidi-font-style:normal">Les Temps modernes</em>, n° 14, novembre
1946, p. 350) C’est en ce sens que le <em style="mso-bidi-font-style:normal">Discours</em>
constitue un « document crucial » (p. 9) : parce que cet
engagement ne se comprend d’abord et essentiellement à partir des implications
internes de la pensée <span style="mso-spacerun: yes"> </span>de Heidegger
(son « réseau de notions », p. 12). À ce titre, la référence
platonicienne n’est peut-être qu’un « habillage » de cette motivation
à chercher d’abord dans l’œuvre antérieure. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">4.-
Malgré cette liaison « compromettante » que le <em style="mso-bidi-font-style:
normal">Discours</em> nous contraint à faire entre la « philosophie »
de Heidegger et son engagement politique, le texte de C. Sommer affiche sur ce
point une sorte de neutralité. Concédant l’aspect problématique des emprunts à
la LTI, C. Sommer échappe au débat toujours vif sur la portée et les conséquences
à tirer de l’engagement de Heidegger dans le national-socialisme en renvoyant
dos à dos ceux qui « réduisent l’œuvre à une forme sublimée d’un
national-socialisme vulgaire » et ceux qui « la détachent de
l’engagement politique ». Car selon l’auteur, les deux approches « contournent
la complexité réelle des liens entre philosophie et politique tels qu’ils se
nouent dans la pensée de Heidegger à partir de 1933 » (note 7, p. 9).
L’éclairage platonicien nous aide certes à mieux comprendre le lien qui est
censé unir gouvernement politique et philosophie dans l’Université du III<sup>ème</sup>
Reich, et à introduire ainsi dans cette complexité <span style="mso-spacerun:
yes"> </span>une certaine clarté ; mais nous aide-t-elle pour autant à
mieux estimer le degré de compromission avec l’idéologie nazie qui ne cesse de
faire débat depuis qu’il existe « une affaire » Heidegger ? Ce
qu’on ne peut plus refuser d’appeler le nazisme de Heidegger prend-il un tour
plus acceptable dès lors qu’il peut se revendiquer d’une parenté
platonicienne ? Sur ce point, le livre de C. Sommer nous laisse livrés à
nous-mêmes, à nos doutes et à nos questions sur l’insondable énigme de cet
engagement.</span></p>
<p class="MsoNormal"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:
11.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"> </span></p>
<span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:11.0pt;line-height:
115%;font-family:"Lucida Grande";mso-fareast-font-family:Calibri;mso-fareast-theme-font:
minor-latin;mso-bidi-font-family:"Times New Roman";mso-ansi-language:FR;
mso-fareast-language:EN-US" lang="FR">Jean Kessler</span>Jean Vioulac, Apocalypse de la vérité, Ad Solem, 2014 – lu par Ugo Batiniurn:md5:7d3526d5afce2d4513aefee92fcefa172015-01-14T06:00:00+01:002015-01-14T06:00:00+01:00Baptiste KlockenbringMétaphysiqueBeiträgeHeideggerMétphysiqueTechniqueVérité<p><!--[if gte mso 9]><xml>
<o:OfficeDocumentSettings>
<o:AllowPNG />
</o:OfficeDocumentSettings>
</xml><![endif]--></p>
<p><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:WordDocument>
<w:View>Normal</w:View>
<w:Zoom>0</w:Zoom>
<w:TrackMoves />
<w:TrackFormatting />
<w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone>
<w:PunctuationKerning />
<w:ValidateAgainstSchemas />
<w:SaveIfXMLInvalid>false</w:SaveIfXMLInvalid>
<w:IgnoreMixedContent>false</w:IgnoreMixedContent>
<w:AlwaysShowPlaceholderText>false</w:AlwaysShowPlaceholderText>
<w:DoNotPromoteQF />
<w:LidThemeOther>FR</w:LidThemeOther>
<w:LidThemeAsian>X-NONE</w:LidThemeAsian>
<w:LidThemeComplexScript>X-NONE</w:LidThemeComplexScript>
<w:Compatibility>
<w:BreakWrappedTables />
<w:SnapToGridInCell />
<w:WrapTextWithPunct />
<w:UseAsianBreakRules />
<w:DontGrowAutofit />
<w:SplitPgBreakAndParaMark />
<w:DontVertAlignCellWithSp />
<w:DontBreakConstrainedForcedTables />
<w:DontVertAlignInTxbx />
<w:Word11KerningPairs />
<w:CachedColBalance />
<w:UseFELayout />
</w:Compatibility>
<w:DoNotOptimizeForBrowser />
<m:mathPr>
<m:mathFont m:val="Cambria Math" />
<m:brkBin m:val="before" />
<m:brkBinSub m:val="--" />
<m:smallFrac m:val="off" />
<m:dispDef />
<m:lMargin m:val="0" />
<m:rMargin m:val="0" />
<m:defJc m:val="centerGroup" />
<m:wrapIndent m:val="1440" />
<m:intLim m:val="subSup" />
<m:naryLim m:val="undOvr" />
</m:mathPr></w:WordDocument>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:LatentStyles DefLockedState="false" DefUnhideWhenUsed="true"
DefSemiHidden="true" DefQFormat="false" DefPriority="99"
LatentStyleCount="267">
<w:LsdException Locked="false" Priority="0" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Normal" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="heading 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 7" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 8" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 9" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 7" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 8" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 9" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="35" QFormat="true" Name="caption" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="10" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Title" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="1" Name="Default Paragraph Font" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="11" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtitle" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="22" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Strong" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="20" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="59" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Table Grid" />
<w:LsdException Locked="false" UnhideWhenUsed="false" Name="Placeholder Text" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="1" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="No Spacing" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" UnhideWhenUsed="false" Name="Revision" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="34" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="List Paragraph" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="29" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Quote" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="30" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Quote" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="19" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtle Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="21" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="31" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtle Reference" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="32" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Reference" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="33" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Book Title" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="37" Name="Bibliography" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" QFormat="true" Name="TOC Heading" />
</w:LatentStyles>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 10]>
<![endif]-->
</p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/.9791090819771_t.jpg" alt="" title="9791090819771.jpg, janv. 2015" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />C’est dans le contexte agité de
la publication des <em style="mso-bidi-font-style:normal">Carnets Noirs</em> que
paraît aux éditions Ad Solem le dernier ouvrage de Jean Vioulac qui semble
venir achever une trilogie commencée chez Epiméthée (PUF) par <em style="mso-bidi-font-style:normal">L’époque de la technique</em> et <em style="mso-bidi-font-style:normal">La logique totalitaire</em>. Si <em style="mso-bidi-font-style:normal">Apocalypse de la vérité</em> peut très bien
se lire seul, il est clair cependant qu’il prendra toute sa mesure dans la
prolongation des deux premiers essais puisqu’il semble en constituer une sorte
de conclusion voire de récapitulation. C’est donc un parcours herméneutique
complet de la pensée de Heidegger qui finalement se dessine au fil de ces
livres. </span></p> <p><!--[if gte mso 9]><xml>
<o:OfficeDocumentSettings>
<o:AllowPNG />
</o:OfficeDocumentSettings>
</xml><![endif]--></p>
<p><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:WordDocument>
<w:View>Normal</w:View>
<w:Zoom>0</w:Zoom>
<w:TrackMoves />
<w:TrackFormatting />
<w:HyphenationZone>21</w:HyphenationZone>
<w:PunctuationKerning />
<w:ValidateAgainstSchemas />
<w:SaveIfXMLInvalid>false</w:SaveIfXMLInvalid>
<w:IgnoreMixedContent>false</w:IgnoreMixedContent>
<w:AlwaysShowPlaceholderText>false</w:AlwaysShowPlaceholderText>
<w:DoNotPromoteQF />
<w:LidThemeOther>FR</w:LidThemeOther>
<w:LidThemeAsian>X-NONE</w:LidThemeAsian>
<w:LidThemeComplexScript>X-NONE</w:LidThemeComplexScript>
<w:Compatibility>
<w:BreakWrappedTables />
<w:SnapToGridInCell />
<w:WrapTextWithPunct />
<w:UseAsianBreakRules />
<w:DontGrowAutofit />
<w:SplitPgBreakAndParaMark />
<w:DontVertAlignCellWithSp />
<w:DontBreakConstrainedForcedTables />
<w:DontVertAlignInTxbx />
<w:Word11KerningPairs />
<w:CachedColBalance />
<w:UseFELayout />
</w:Compatibility>
<w:DoNotOptimizeForBrowser />
<m:mathPr>
<m:mathFont m:val="Cambria Math" />
<m:brkBin m:val="before" />
<m:brkBinSub m:val="--" />
<m:smallFrac m:val="off" />
<m:dispDef />
<m:lMargin m:val="0" />
<m:rMargin m:val="0" />
<m:defJc m:val="centerGroup" />
<m:wrapIndent m:val="1440" />
<m:intLim m:val="subSup" />
<m:naryLim m:val="undOvr" />
</m:mathPr></w:WordDocument>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 9]><xml>
<w:LatentStyles DefLockedState="false" DefUnhideWhenUsed="true"
DefSemiHidden="true" DefQFormat="false" DefPriority="99"
LatentStyleCount="267">
<w:LsdException Locked="false" Priority="0" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Normal" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="heading 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 7" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 8" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="9" QFormat="true" Name="heading 9" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 7" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 8" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" Name="toc 9" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="35" QFormat="true" Name="caption" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="10" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Title" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="1" Name="Default Paragraph Font" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="11" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtitle" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="22" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Strong" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="20" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="59" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Table Grid" />
<w:LsdException Locked="false" UnhideWhenUsed="false" Name="Placeholder Text" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="1" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="No Spacing" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" UnhideWhenUsed="false" Name="Revision" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="34" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="List Paragraph" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="29" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Quote" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="30" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Quote" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 1" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 2" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 3" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 4" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 5" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="60" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Shading Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="61" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="62" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Light Grid Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="63" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="64" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Shading 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="65" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="66" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium List 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="67" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 1 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="68" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 2 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="69" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Medium Grid 3 Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="70" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Dark List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="71" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Shading Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="72" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful List Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="73" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" Name="Colorful Grid Accent 6" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="19" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtle Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="21" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Emphasis" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="31" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Subtle Reference" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="32" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Intense Reference" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="33" SemiHidden="false"
UnhideWhenUsed="false" QFormat="true" Name="Book Title" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="37" Name="Bibliography" />
<w:LsdException Locked="false" Priority="39" QFormat="true" Name="TOC Heading" />
</w:LatentStyles>
</xml><![endif]--><!--[if gte mso 10]>
<![endif]-->
</p>
<em style="mso-bidi-font-style:
normal"><span style="font-size:11.0pt;line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">L’époque
de la technique</span></em><span style="font-size:11.0pt;line-height:120%;
font-family:"Lucida Grande""> avait su mettre en place une pensée concrète du
phénomène technique qui révélait alors nettement les liens entre la pensée de
Heidegger et celle de Marx en reprenant par exemple dans le détail la question
de la machination et son expression éclatante que finit par constituer le
capitalisme. C’est en repartant de cette base que <em style="mso-bidi-font-style:
normal">La logique totalitaire</em> a su pousser encore plus loin le projet
philosophique de Jean Vioulac en lui donnant une perspective plus large que son
sous-titre ne manque pas de souligner : « Essai sur la crise de
l’Occident ». Le « Dispositif planétaire » que constitue la
technique nous met face à un bouleversement inédit et nous impose de
réinterroger l’entreprise même de la philosophie pour y déceler la part de son
implication dans un tel mouvement. Reprenant les analyses heideggériennes sur
l’origine grecque de la philosophie, J. Vioulac cherche alors à montrer à
travers l’analyse de la notion de totalité comment la philosophie a participé à
une logique qui ne pouvait que déboucher sur une victoire totale du principe de
raison et donc sur une rationalisation omniprésente de toutes choses y compris
dans un cadre pratique et politique. C’est à prendre la mesure d’une telle
hégémonie que s’attache alors <em style="mso-bidi-font-style:normal">Apocalypse
de la vérité</em> qui arrive pour repenser la conclusion de ces deux ouvrages et
tenter de percevoir derrière le constat amer du développement généralisé d’une
technologie à tous les niveaux de l’humain ce qu’il est possible désormais
d’attendre de la pensée mais aussi plus largement de l’homme.</span>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> <img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/.9791090819771_m.jpg" alt="" title="9791090819771.jpg, janv. 2015" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">C’est donc un parcours complet,
au plus proche de la pensée de Heidegger cette fois-ci, que nous offre l’auteur
en suivant comme fil directeur la question de la vérité. Puisqu’il s’agit de
déterminer le rôle même que la pensée peut tenir face aux désastres décrits
dans les précédents ouvrages, le premier chapitre va tout naturellement
s’interroger sur l’activité philosophique et la caractériser par un souci de
clairvoyance. Si l’ignorance est bien quelque chose que la pensée doit
dépasser, c’est plus du côté de la fascination qu’exerce l’objectivité du
savoir que se situe pour elle le véritable danger. L’aveuglement paradoxal
qu’une telle connaissance suscite est beaucoup plus difficile à surmonter d’où
la nécessité de s’interroger sur les ressorts de notre propre vision. La
clairvoyance est garantie par la pureté de la vision comme le montrent bien les
efforts de la méditation cartésienne dont le fameux critère de l’évidence peut
être perçu comme une « vision du voir ». Mais « cette vue du
visible » ne suffit pas pour cerner la totalité du processus qui constitue
notre connaissance. Si l’on file la métaphore de la vision, il ne faut pas
négliger le rôle de la lumière puisque c’est par elle que la vision et le
visible peuvent être mis en relation. C’est précisément l’apport décisif de Heidegger
de risquer ce nouveau pas en arrière et de mettre au jour une forme de naïveté
ontologique à se fonder sur ces évidences sans interroger ce qui les
conditionne. Il devient alors nécessaire de radicaliser à l’extrême la
réduction transcendantale en remontant en-deçà même de la subjectivité pour
découvrir le milieu de phénoménalité en lequel l’existence du sujet se donne.
C’est ce milieu que Heidegger va penser comme « être », mais aussi
comme « Ouvert » ou « Éclaircie ». Il s’agit donc ni plus
ni moins que de penser cet espace qui porte toute métaphysique, et toute
science à sa suite, afin de devenir - au sens propre - <em style="mso-bidi-font-style:
normal">lucide</em> (en tant que nous cherchons à voir cette lumière). Mais
cette lucidité exige nécessairement de renoncer à l’évidence comme mesure de la
pensée et de revenir à la condition de possibilité de toute apparition en
remettant en cause la suffisance même de l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">ego</em>
en cherchant précisément la faille qui est en lui. Mais surtout cette prise en
compte d’une nouvelle position sur l’être ne peut se faire qu’en élargissant
l’analyse à l’événement même de son histoire. C’est ce changement d’échelle qui
va nous imposer de penser notre époque afin de circonscrire le site fondamental
en lequel nous nous tenons. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 1 a donc bien posé le
cadre dans lequel le problème se situe et nous voyons bien en quels sens il
dépasse largement la simple critique de la technique telle qu’elle a pu être
exposée dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">L’époque de la technique</em>.
Il y quelque chose de plus radical qui est en jeu et qui va amener l’auteur à
reprendre avec Heidegger l’histoire même de la pensée métaphysique, mais aussi
de tenter d’entrapercevoir le régime de phénoménalité propre à notre époque. Il
suffit pour cela de saisir comment celle-ci met en forme les traits de chaque
étant. Ainsi l’analyse d’un simple étant naturel comme le soleil montre les
métamorphoses qu’il a pu subir au sein de la pensée de l’homme puisque de
« Dieu parfait et bien-aimé » chez les Egyptiens, il devient par exemple,
pour nous, une sphère de gaz en fusion et est finalement perçu comme une
machine à produire de l’hélium. C’est son essence machinique qui prime
désormais et cela se confirme dans l’analyse du vivant comme « corps
machine » ou de l’homme comme « machine désirante ». La science
contemporaine déploie de façon inconditionnée le règne de la causalité et
aborde donc le tout à partir de l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">a
priori </em>de son essence machinative. Ce mode de déploiement de l’essence
(compris alors comme essance dans certaines traductions), qui impose à tout ce
qui est la configuration de la machine, est alors ce qu’il faut nommer la
« machination » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">die
Machenschaft</em>). Ainsi nous comprenons que l’époque de la technique n’est pas
qualifiée ainsi par la démultiplication des machines mais par le fait qu’elle
déploie un régime de phénoménalité propre qui pense tout - y compris la pensée
elle-même - comme machine. Cette démultiplication du calcul comme assise
ontologique principale fait que la fameuse éclaircie que nous cherchions prend
la forme d’un « marché mondial » dominé tout entier par la puissance
calculante de la machination et dont le flux permanent d’informations entraîne
une dissolution de l’humain à tous les niveaux, dont la création de masses au
détriment des peuples n’est malheureusement qu’un des exemples les plus
visibles.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">La puissance de cette machination
est détaillée au chapitre 2 qui souligne nettement <span style="mso-spacerun:yes"> </span>l’importance de la relation causale qui peut
se comprendre d’ailleurs comme le cœur de la pensée de la régulation
cybernétique de la Machinerie. Mais ce gigantesque fonctionnement ne mène à
rien si ce n’est à sa propre circularité et à la volonté de développer de la
puissance pour la puissance. Ce système fonctionne donc sur une mise en pièces
de tout étant en vue de son intégration dans la Machine. Cette réduction est
précisément ce que Heidegger dénomme <em style="mso-bidi-font-style:normal">appareillement</em>
(<em style="mso-bidi-font-style:normal">Die Gleichmachung</em>). Cette
indifférenciation de tout ce qui est est un moyen de se fermer définitivement à
l’être, à l’autre, pour ne trouver toujours que le même. C’est un tel mécanisme
que l’on trouve dans le projet de mathématisation de la nature qui vise, par le
recours aux mathématiques, à une forme d’autonomisation de la rationalité. On
comprend alors pourquoi « l’époque de la technique » est donc bien la
domination totale du principe de raison qui repose ultimement sur
l’ « amêmement » (néologisme proposé par F. Fédier pour rendre <em style="mso-bidi-font-style:normal">Ereignis</em> dans sa traduction des <em style="mso-bidi-font-style:normal">Beiträge</em>) de l’être et du <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em> et forme une onto-logie
constituant ainsi de fait un moment d’achèvement de la métaphysique puisqu’elle
en est sa mise en œuvre littérale.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Si l’on reprend cette histoire,
il est facile de constater, avec Heidegger, que la définition même de la vérité
a toujours été comprise, comme lien, correspondance, adéquation (etc.) entre
pensée et réalité et donc finalement étant et logos. Mais le moment grec est
aussi l’événement d’un oubli premier qui consiste à « mettre à
l’écart » toute altérité, à la renvoyer dès le départ dans l’impensé.
Ainsi il s’impose à nous de penser à la fin de cette histoire ce qui a été
oublié à son commencement. Il faut saisir le fond sur lequel l’éclaircie de la
vérité se dévoile. Cette vérité (<em style="mso-bidi-font-style:normal">aléthéia</em>)
est seconde par rapport au fond obscur qu’elle s’efforce d’oblitérer. Il y a
donc une essance adversative à la vérité irréductible au faux, qui est ce
contre quoi elle s’instaure, et qui s’étend au-delà de la lisière de son
éclaircie.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Mais la pensée de ce
« différend originel » impose de complexifier la topologie de l’Être
et c’est précisément ce que vise à dessiner le chapitre 3. La question
ontologique cruciale devient alors de déterminer quelle est l’origine de
l’Eclaircie. L’avènement de l’être au sein de l’étant procède d’une béance.
Heidegger use de la graphie <em style="mso-bidi-font-style:normal">Seyn</em> pour
penser l’abîme en tant qu’origine de l’être (<em style="mso-bidi-font-style:
normal">Sein</em>). Ainsi la réduction phénoménologique qu’il opère reconduit
dans un premier temps de l’étant à l’être, et dans un second temps de l’être à
l’Être. Ce dernier mode se signale précisément en disparaissant. Toujours
prompt à l’étymologie, il rapproche ce mouvement du verbe grec <em style="mso-bidi-font-style:normal">muo</em> (« se fermer », « se
clore ») et pense ainsi l’essance originaire de la vérité comme <em style="mso-bidi-font-style:normal">mystère</em>. Là encore un tel rapport au
mystère est le lot commun de tous les mortels. La mort est bien un phénomène
dont l’apparition est disparition. A partir de là, on comprend que la vérité
est un certain comportement par rapport au mystère que l’on capte dans sa
volonté de fixer sa pensée de façon unilatérale sur l’étant et son étantité
tout en barrant tout accès à son origine essantielle. Ainsi le commencement de
l’histoire occidentale est un oubli et il est difficile d’imaginer l’ampleur de
ce qui est resté hors de prise du <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em>
grec et qui est depuis toujours « hors de question » pour la
philosophie. C’est donc dans la poésie, et en particulier dans les poèmes
fluviaux de Hölderlin, que Heidegger va se tourner pour méditer l’énigme de
l’origine. Il s’agit désormais de ne plus tomber dans l’errance dans laquelle
nous enferme la conception traditionnelle de la vérité qui se fixe sur les
étants sans voir le milieu qui est à leur origine.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;line-height:120%;mso-pagination:none;
tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;mso-layout-grid-align:
none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;line-height:120%;
font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">A l’ombre de cette histoire de
l’être qui se révèle être le destin de l’Erreur, le danger de la machination et
le risque de l’annihilation n’ont plus rien de contingents. La lucidité qui
devait être visée par la probité philosophique prend face à cela la forme d’un effroi.
La tâche de la pensée ne peut plus consister qu’à refondre la vérité plus
originairement que les Grecs, c’est-à-dire re-commencer l’histoire plus
originairement afin de donner droit à la phénoménalité paradoxale du mystère.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Tout le problème - et c’est à
partir de là aussi que l’ouvrage demande une forme de saut - <span style="mso-spacerun:yes"> </span>c’est que l’espace de pensée que nous laisse
la machination rend impossible l’accès au mystère. Il ne peut donc relever des
hommes mais ne peut advenir que comme un événement. Plus précisément, il ne
peut qu’être révélé mais cette révélation ne peut advenir que comme une
catastrophe. Cet événement est précisément ce que circonscrit le concept
d’apocalypse qui sera au cœur du quatrième chapitre.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Etymologiquement, le mot renvoie
à l’idée d’un dévoilement, la mise au jour de ce qui était auparavant invisible.
Ce dévoilement ne découvre pas la nature mais le mystère - il est donc un mode
de manifestation incommensurable à l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">aléthéia</em>.
C’est dans la pensée de Saint Paul que Heidegger trouve une première impulsion
pour penser un nouveau cheminement. Il y a dans les textes pauliniens déjà une
confrontation entre la tradition hébraïque et la pensée hellénique qui se situe
autour de la portée de ce mystère et de son rapport au concept de vérité. Il
ouvre sur quelque chose qui échappe précisément à toute pensée du <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em> et qui pourtant met au jour ce que
le monde cache. Le corps même du Christ est pensé comme l’incarnation d’un tel
mystère et impose de penser les limites de la phénoménalité qu’impose la
sagesse grecque. Heidegger pense alors la tâche de l’Apôtre comme rejet de
l’identité de l’être et du <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em>. Il
est là pour nous révéler la finitude d’une « vérité captive » en
l’ouvrant soudainement à « toute la vérité » par la reconnaissance de
la phénoménalité propre au mystère. Il éclaire ainsi les carences du fondement
grec qui en frappant d’interdit la voie du néant dans le poème de Parménide
ampute la vérité et pose les ferments d’un nihilisme à venir.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Le chapitre 5 nous confronte logiquement
au devenir d’un tel commencement en détaillant ce qu’il est devenu à notre
époque. Proche des analyses de <em style="mso-bidi-font-style:normal">L’époque
de la technique</em>, il revient sur la nature du risque que la technique nous
fait encourir en montrant bien qu’il ne se limite pas à une annihilation
effective et totale. Là encore le concept d’apocalypse nous permettra de mieux
cerner ce qui est en jeu et en particulier nous permettra de saisir l’ampleur
de la catastrophe qu’a pu constituer Auschwitz. Loin d’être une anomalie, ce
n’est ni plus ni moins que l’Occident en son essance qui a été mis au jour dans
cet événement. La pensée doit donc œuvrer à se ressaisir en cherchant à
déterminer ce qui a pu mener à une telle issue, même si elle est fragilisée
face à l’emprise planétaire de la machination qui cherche à la réduire à un
simple calcul.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">On comprend alors que cet
effondrement implique la fondation d’une tout autre vérité. Cette dernière sera
le fruit d’une création qui se jouera sur le refus de la vérité existante et
qui donc cherchera à puiser dans cette réserve abyssale sur laquelle s’est
fondée l’éclaircie. Cette refondation sera le fait de créateurs capables de
mettre en forme des éléments de cet abîme. L’œuvre d’art et en particulier le
discours poétique sont des exemples de telles concrétions. L’artiste est tout
entier tourné vers l’instauration d’une telle vérité. Or celle-ci se dit
essentiellement dans le langage d’où le rôle encore plus central du poète.
Ainsi le seul moyen d’inaugurer un autre Commencement doit passer par
l’événement inaugural de la poésie. Le poète devient alors prophète.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">C’est sur cette ouverture que va
alors faire fond le dernier chapitre (chapitre 6) qui cherche bien à confronter
la philosophie à ses propres limites en retournant la pensée vers ce néant qui
a été originairement et volontairement neutralisé par le <em style="mso-bidi-font-style:
normal">logos,</em> et oublié. Il s’agit de dire « le tout autre » et
la tâche du penseur ne sera rien d’autre que de frayer la voie pour la parole
du poète. Si le vocabulaire utilisé (« Prophète », « Salut »
etc.) peut laisser entendre une solution de repli vers la foi, il n’en est rien
surtout à une époque où la « dédivinisation » est accomplie.
L’athéisme de notre époque n’est là encore pas superficiel mais inhérent à son
essance. Tout comme Nietzsche, c’est plutôt dans Hölderlin que Heidegger semble
entendre la voix capable de nous amener à la conscience de nos errements. Il
est, à ses yeux, le prophète essentiel de notre temps et son œuvre est le lieu
de la « révélation de l’Être ». Il retrouve dans ses poèmes fluviaux
de quoi ressaisir notre destin en comprenant l’essance de son histoire. Le
mouvement antagoniste que le fleuve subit entre sa fermeture dans sa source et
son épanchement vers le delta permet de lire la tension propre à la pensée
grecque prise elle-aussi entre l’Oriental et l’Occidental, le <em style="mso-bidi-font-style:normal">pathos</em> et le <em style="mso-bidi-font-style:
normal">logos</em>. C’est une illusion qui nous faire voir l’aurore de la Grèce
dans le rayonnement des Lumières. La force du <em style="mso-bidi-font-style:
normal">logos</em> que cette pensée déploie ne visait qu’à supporter l’illimité
et non à le fuir. Mais à la vue de notre situation, force est de constater que
l’autonomie conquise par le concept n’est pas un épanouissement mais une
catastrophe car il a mené à une rupture avec ce qui nous nourrissait
auparavant. Notre effort spirituel doit être renversé pour retrouver le chemin
de cette source et le travail du poète est de dénommer cet originaire. Ce n’est
donc pas un hasard si la fin de l’itinéraire de Hölderlin se concentre sur le
rapport entre la langue et le divin et en particulier derrière celui-ci le rôle
effectif du silence.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Puisque l’homme n’est plus en
mesure de déjouer cette catastrophe par lui-même, il ne lui reste plus qu’à
attendre l’advenue d’un événement qui se concrétisera selon les <em style="mso-bidi-font-style:normal">Beiträge</em> par l’idée du<span style="mso-spacerun:yes"> </span>« passage du dernier dieu ». C’est
en réfléchissant dans son premier cours sur Hölderlin la question de
l’a-théisme de Nietzsche qu’il comprend à quel point il est un point de passage
nécessaire pour accéder à une vraie compréhension du divin qui ne le réduit pas
à être un simple ressort métaphysique en tant que <em style="mso-bidi-font-style:
normal">causa sui</em> ou fondement de valeurs. Cela ne peut donc qu’amener le
dernier paragraphe du chapitre 6 à poursuivre une longue méditation sur le mode
d’être du dieu et le rôle qu’y joue son abstention. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Le manque du Dieu est peut-être
le rapport le plus authentique que l’on peut aujourd’hui avoir au divin en tant
que le manque est « non pas l’absence de dieu, mais son entrée en
présence ». On comprend alors mieux pourquoi le silence peut sembler la
parole la plus susceptible d’accueillir une telle absence. Ce silence n’est
alors pas négation du discours mais se découvre comme son fondement en tant
qu’il est écoute de cette absence fondatrice du divin. Il n’est alors pas
étonnant de voir le trajet de Heidegger abandonner un moment Hölderlin pour
chercher chez Maître Eckhart les moyens de penser ce qui pour la logique
classique est déjà un paradoxe. Le choix de ce dernier est loin d’être innocent
car, tout philosophe qu’il est, il reste néanmoins aussi un poète qui a su
configurer de façon décisive la langue allemande en créant par ses prédications
la plus grande part de son vocabulaire philosophique. C’est d’ailleurs le terme
central de « déité » qui va retenir toute l’attention de Heidegger en
tant qu’il désigne la profondeur intacte, car inaccessible, de Dieu. Approcher
la déité, c’est donc expressément renoncer à tout concept, à toute image et
donc finalement à tout discours. Le cheminement d’Eckhart, et en particulier
son explication serrée avec l’Ecriture, l’amène à repenser la question du Néant
et, à travers elle, à défaire l’ontothéologie classique. Le « Néant »
devenant la dénomination la plus propre de la déité, c’est désormais dans un
travail sur l’âme, dans l’approfondissement de notre propre fragilité,
qu’Eckhart pense la possibilité d’une réception de la lumière divine et la comprend
à travers la figure même du Christ qui devient, dans sa souffrance même,
prophète au sens où Heidegger redéfinit ce terme à partir de Hölderlin. Or ce
qu’apporte le Christ en tant que prophète c’est précisément le nom du Père
comme dénomination de la déité : « Je leur ai fait connaître ton
nom » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Jean</em>, XVII, 26). C’est à
partir d’un tel acte - le passage du dernier Dieu - que peut se comprendre la
possibilité d’un nouveau commencement et l’instauration d’une « tout autre
vérité », comprise comme sauvegarde du mystère. On voit alors comment
peuvent se comprendre les histoires de ces commencements. Depuis Parménide,
toute la pensée métaphysique a fermé la « voie » du Néant ; depuis
Saint Paul, toute la pensée chrétienne voit dans le Christ une telle
« voie », une « porte » entre l’abîme originaire et le
monde qui en est surgi, entre la déité et les hommes.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande"">Et ainsi, à l’extrême fin de son
ouvrage, J. Vioulac délaisse finalement l’exposé très fidèle qu’il a fait du
cheminement de la pensée de Heidegger pour le réfléchir et préciser ce qu’est
finalement ce nouveau commencement. Cette mise à distance du texte original
passe en grande partie par la réévaluation de l’impact de la figure du Christ
qui devient un événement inaugural au même titre que « l’Amêmement »
ontologique. Et il devient alors possible d’objecter à Heidegger que
l’ « autre Commencement » a déjà eu lieu. On ne peut que
regretter la rapidité des explications, surtout après les longs développements
des premiers chapitres sur des éléments plus connus de la doctrine de Heidegger,
car le nouveau chemin qu’il dégage en méditant la question du temps est
intéressante. Il part en effet de l’idée qu’un autre commencement ne peut
advenir qu’en dehors de la temporalité constitutive de l’histoire du premier
Commencement. L’autre histoire, celle de la sauvegarde du sacré, ne prend pas
la suite de la première sur la même ligne chronologique, mais se déploie
autrement et conformément à la méditation augustinienne on peut alors affirmer
qu’elles « avancent ensemble, enchevêtrées l’une dans l’autre » (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Cité de Dieu</em>, I, 35). Mais cet
entrelacement rend du coup d’autant plus problématique la fermeture de la
totalité sur elle-même que représente l’événement d’Auschwitz. Le XXème siècle
impose donc le renoncement à l’idée d’un Dieu seigneur de l’histoire, et
l’abandon de la thèse d’une providence divine mais il impose tout autant le
devoir de penser ce qui se révèle dans l’apocalypse d’Auschwitz. C’est à partir
de ce nœud que J. Vioulac décide de terminer son cheminement avec la pensée de
Hans Jonas qui précisément tente bien dans son œuvre de repenser le rapport de
Dieu et de l’histoire du monde à travers une recompréhension de la notion même
de Dieu qui passe par une méditation sur le concept de toute puissance. La
création est le fruit d’un acte d’autodessaisissement du divin qui s’est au
sens propre « dépouillé en faveur du monde » (<em style="mso-bidi-font-style:
normal">Le Concept de Dieu après Auschwitz</em>). On arrive alors à la figure
d’un Dieu qui passe sous la garde problématique de l’homme afin d’accéder
pleinement à sa propre expérience. Il saura alors pleinement ce qu’il est à la
fin, c’est-à-dire au temps de l’apocalypse. Cette logique est déjà celle
pleinement à l’œuvre dans la révélation chrétienne où Dieu s’est abaissé
lui-même dans le corps du Christ pour faire de l’impuissance radicale et
pathétique le mode même de sa révélation. Au <em style="mso-bidi-font-style:
normal">logos</em> universel et abstrait de la métaphysique qui définit notre
histoire jusqu’au plus profond de ses crises s’adjoint un logos singulier et
défaillant qui nous pousse à nous retourner vers l’abîme que cache finalement
mal notre premier commencement. Ce <em style="mso-bidi-font-style:normal">logos</em>
produit un séisme profond en tant qu’il est une irruption de la transcendance à
partir du champ d’immanence. C’est à ce moment que J. Vioulac exprime
clairement sa propre interprétation<span style="mso-spacerun:yes"> </span>:
« Ainsi peut-on concevoir « l’autre histoire », non pas comme
une autre étape ou une autre série d’époques sur la même ligne du temps, mais
comme une autre récapitulation d’un même et unique événement (…) à partir d’un
autre principe, qui en vérité n’est plus un principe, souverain et tout
puissant, mais un Prince, pauvre et humble de cœur. » (P. 240) Le passage
du dernier Dieu est donc non pas un terme mais le plus profond commencement :
il est l’autre commencement de l’autre histoire. Nous sommes donc face à une
situation où il n’y a plus rien à attendre mais juste à commémorer pour
sauvegarder ce qui apparaît désormais comme l’essentiel derrière la
multiplication des apparences que produit sans nous la machination universelle
de la technique.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom:0cm;margin-bottom:.0001pt;text-align:
justify;text-justify:inter-ideograph;text-indent:18.0pt;line-height:120%;
mso-pagination:none;tab-stops:36.0pt 72.0pt 108.0pt 144.0pt 180.0pt 216.0pt;
mso-layout-grid-align:none;text-autospace:none"><span style="font-size:11.0pt;
line-height:120%;font-family:"Lucida Grande""> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;text-justify:inter-ideograph;
line-height:120%"><span style="font-size:11.0pt;line-height:120%;font-family:
"Lucida Grande"">Il est facile d’anticiper les reproches que peut susciter une
telle lecture de l’œuvre de Heidegger qui ne cherche pas à mimer le jeu de
l’impartialité théorique. La courte préface de Jean-Luc Marion ne laisse
d’ailleurs pas longtemps planer le suspens sur le chemin qui est emprunté. Mais
il reste à reconnaître la fécondité d’une proposition même si l’on n’adhère pas
forcément à ses conclusions. Celle-ci permet indéniablement de retrouver une cohérence
globale dans la philosophie de Heidegger et de mettre au jour le lien qui unit
ces deux monstres conceptuels que sont <em style="mso-bidi-font-style:normal">Être et Temps</em> et les <em style="mso-bidi-font-style:normal">Beiträge</em>.
On comprend alors que l’ouvrage cherche dans cette récapitulation à atteindre
en quelque sorte le point de vue apocalyptique dont il est la description
philosophique. Il repense l’œuvre non pas à la fin mais « après la
fin » en la circonscrivant ainsi dans une linéarité qui fait sens et qui
dépasse les divisions souvent factices entre un Heidegger I et un Heidegger II
qui ne serait que l’ombre fantasmée du premier. L’ouvrage permet aussi de
donner un sens plus fécond à la critique de la technique et de la politique
qu’elle engendre qui avait été au cœur des précédents ouvrages. Il est donc à
la fois une fin et un début en tant que l’on peut le penser comme une véritable
invitation à relire Heidegger dans sa totalité.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:right;line-height:120%" align="right"><span style="font-family:"Lucida Grande"">Ugo Batini</span></p>Hannah Arendt, Walter Benjamin 1892-1940, Allia, réédition 2014. Lu par Maryse Émelurn:md5:cc39d9dfdacfc984ffe1361aaf227d262014-12-17T06:00:00+01:002014-12-17T06:00:00+01:00Karim OukaciHistoire de la philosophieArendtBenjaminHeidegger<p><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR"><span style="font-family: 'DejaVu Sans', 'Lucida Grande', 'Lucida Sans Unicode', Arial, sans-serif; font-size: 12px;"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/novembre14/.portaitdehannaharendt_t.jpg" alt="Hannah Arendt, Walter Benjamin" title="portaitdehannaharendt.jpg, déc. 2014" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" /><strong> </strong></span></span><strong><span style="font-size: 12px;"><em>Hannah Arendt, Walter Benjamin, </em></span><span style="font-size: 12px;"><em>1892-1940</em>, Allia, réédition 2014. Lu par Maryse Émel</span></strong></p>
<p><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR"><em>Walter Benjamin 1892-1940</em> ou un nouveau plaidoyer en faveur de
Heidegger… à travers le chemin inverse de Benjamin… Arendt raconte donc bien
plus qu’une biographie... elle cherche encore à sauver Heidegger.</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Les éditions Allia présentent le texte de Hannah Arendt
« Walter Benjamin 1892-1940 », traduit de l’anglais par Agnès
Oppenheimer-Faure et Patrick Lévy, une réédition de la traduction publiée en
2007 (106 p.). C’est en 1971 qu’Arendt écrit ce texte à la croisée de la
littérature, de la philosophie et de l’action politique. Cette dernière retrace
la vie de Benjamin, mais aussi la vie de sa pensée, qui telle une constellation
ne saurait se laisser enfermer. Benjamin était un flâneur. Il n’allait ni avec
le courant ni contre. </span>
</p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Walter Benjamin est inclassable selon elle. C’est à cela que tient
sa<span style="mso-spacerun: yes"> </span>gloire posthume. Non pas au
fait de la corruption d’un milieu littéraire ou à l’aveuglement du monde. Non
pas parce qu’il devançait son temps « comme si l’histoire était une piste
de course où certains concurrents passent si vite qu’ils n’ont le temps que de
sortir du champ visuel du spectateur » (p. 8-9).<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>Son œuvre<span style="mso-spacerun: yes"> </span>ne
s’ajuste pas à un ordre existant tout en ne créant aucun nouveau genre. Ce
traducteur de Proust, de Saint John Perse, n’était ni poète ni
philosophe : « il pensait poétiquement » (p. 12) écrit Arendt.
L’ouvrage tend à montrer que Benjamin n’est nullement philosophe.<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/novembre14/portaitdehannaharendt.jpg" alt="" title="portaitdehannaharendt.jpg, déc. 2014" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:10.0pt;
mso-bidi-font-size:18.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR">I. Le
bossu…ou l’homme de lettres.</span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Le bossu, c’est un vieux poème allemand qui aurait accompagné
Benjamin toute sa vie. C’est un « Monsieur Maladroit » qui est aux
côtés des nombreuses catastrophes de l’enfance, raconte H. Arendt. La mère de
Benjamin avait l’habitude de lui dire « avec les compliments de Monsieur
Maladroit », comme la plupart des mères<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>allemandes, quand il commettait quelques maladresses. Ce
bossu, comprit-il plus tard, c’était lui qui l’avait regardé et il portait pour
nom « malchance ».<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Cette
malchance, écrit Arendt, qui lui vaudra de se suicider, alors qu’à un jour près
il aurait pu y échapper, cette malchance qui lui fera écrire dans une de ses
lettres « il se tient effaré devant un monceau de débris ». Benjamin
n’est pas un homme d’action. Il est pour Arendt le paradigme de sa thèse qui
rejoint celle d’Aristote sur la différence entre <em style="mso-bidi-font-style:
normal">theoria</em> et <em style="mso-bidi-font-style:normal">praxis</em>. Son
insistance sur le thème du « bossu » cherche, non pas une approche
psychologique de Benjamin, mais à montrer que Benjamin est un flâneur, un
contemplatif, un homme de l’écriture…et qu’on est bien loin du monde de
l’action, d’un quelconque engagement communiste chez cet « homme de
lettres » comme il se qualifiera lui-même, même si dans les années 20 il
sera tenté. C’est plutôt « la précision et la hardiesse du regard »
(p.25) qu’il développera, le goût pour l’infiniment petit, rejetant par là même
tout esprit de système. Adorno constatera d’ailleurs à ce propos que l’intérêt
de Benjamin pour Marx tenait en fait à une confusion entre infra et
superstructure. Ce goût pour le minuscule (ainsi admira-t-il deux grains de blé
sur lesquels était écrit : « Shema Israël », donnant ainsi
à voir l’essence du judaïsme ») donne une première compréhension de son
goût pour les citations.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Flâner, c’est errer avec nonchalance. Et Adorno d’écrire :
« On ne comprend correctement Benjamin que si l’on pressent derrière
chacune de ses phrases la conversion d’une agitation extrême en quelque chose
de statique. » (cité p. 31). C’est ainsi qu’il faut aussi comprendre
l’Ange de l’histoire, ce dessin de Paul Klee, dont Benjamin ne se séparait
pas : l’Ange ne progresse pas dialectiquement vers le futur mais il
contemple le passé avec effroi, y voyant s’entasser les décombres. Nous, du
présent n’avons pas cette vision. Cependant du Paradis souffle une tempête<span style="mso-spacerun: yes"> </span>qui le pousse irrésistiblement vers un
avenir auquel il tourne le dos. « Ce que nous appelons le progrès est
cette tempête » (p.31). Il en va de même du flâneur, bousculé par la
foule… C’est pourquoi on ne trouve pas chez Benjamin d’énoncés apodictiques
mais des énoncés métaphoriques.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Une écriture de la métaphore (par étymologie, du transport), qui
appelle un lien sans nécessité d’interprétation, à la différence de
l’allégorie. </span><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:
12.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR">Ce jeu</span><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR"> de correspondance dont le modèle est la poésie (Baudelaire,
Brecht, Aragon) permet de comprendre son<span style="mso-spacerun: yes">
</span>refus du langage marxiste et les propos d’Adorno à propos de Benjamin,
voyant dans son travail un usage « adialectique » des concepts
marxistes. Tout ce qui ferme et encadre, il le rejette.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">La métaphore serait peut-être un correctif à une impossible
écriture. Kafka voyait dans l’allemand l’impossible langue ; mais faute de
mieux, il fallait faire avec. Le choix du français par Benjamin ne relève pas
du hasard. Il est l’homme du XIX<sup>ème</sup> siècle français. Il traduit
Proust, les <em style="mso-bidi-font-style:normal">Tableaux Parisiens</em> de
Baudelaire…</span><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:10.0pt;
mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR"><br /></span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:10.0pt;
mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR">II. Les
sombres temps</span></strong>
</p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Les flâneries parisiennes sont une expérience décisive pour
comprendre le rôle-clé de la figure du flâneur dans son œuvre. Lui-même homme
de lettres n’avait pas les mêmes contraintes que les universitaires.
« Il(s) pouvai(en)t se permettre cette souveraineté dans le dédain ».</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">C’est sa critique de l’œuvre de Gœthe <strong style="mso-bidi-font-weight:
normal"><em style="mso-bidi-font-style:normal">Les affinités électives</em></strong>
qui le fit connaître. Mais, si Hofmannstahl<span style="mso-spacerun:
yes"> </span>fut transporté par l’ouvrage, dans le même temps, il perdait
son habilitation qui lui aurait non pas permis de subvenir à ses besoins,
c’est-à-dire d’avoir le soutien de son père en attendant un poste
universitaire.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Pourquoi ?
Parce que ce texte était dirigé contre le livre de F. Gundolf sur Gœthe, relayé
par l’école de George,<span style="mso-spacerun: yes"> </span>et que la
critique de Benjamin était sans appel. Benjamin n’aura jamais de destin
universitaire. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Dans ce deuxième moment de l’ouvrage Arendt va s’attacher
longuement à expliquer les origines juives de Benjamin. Il y a chez Benjamin,
comme chez Kafka, une critique très acerbe du judaïsme et surtout de l’attitude
petite-bourgeoise d’une grande partie des juifs qui ne voulaient pas
reconnaître la montée de la haine antisémite. Pour les jeunes générations, le
sionisme ou le communisme apparaissaient comme des solutions.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>« L’une et l’autre représentaient
des moyens de quitter l’absence de réalité pour le monde, le mensonge et le
leurre pour une existence honnête. Mais les choses ne présentent ce visage que
rétrospectivement » (pp. 78-79)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">C’est à ce moment que le livre d’Arendt bascule. Il y a cette
phrase : « La lumière de la vie publique obscurcit tout
(Heidegger) » (p. 76)</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Cela nous conduit à la dernière partie du livre mais aussi à
interroger Arendt sur la figure de Benjamin qu’elle construit.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span style="font-size:10.0pt;
mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR">III. Le
pêcheur<span style="mso-spacerun: yes"> </span>de perles</span></strong></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Cette métaphore du pêcheur de perles, Hannah Arendt la reprend à
Shakespeare…, mais pour ramener Benjamin à Heidegger. La fin du texte semble
montrer un monde commun aux deux hommes. N’y a-t-il pas à la fin du livre, la
volonté de déculpabiliser Heidegger, de son engagement aux côtés des nazis du
fait des<span style="mso-spacerun: yes"> </span>contraintes
universitaires, et de minimiser le poids de ses mots, en montrant qu’on le
retrouve chez Benjamin, juif et homme de lettres libre ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">On peut, à la lecture de ce texte, se poser la question du sens
que veut nous faire comprendre Arendt, de la mise à l’écart de Benjamin par les
universités et la figure inversée de Heidegger, philosophe et universitaire. Elle
explique que selon Benjamin ce n’était pas le don de parler qui était premier,
mais « l’essence du monde dont procède le parler ». Et de rapprocher
cette phrase de la position heideggérienne : « l’homme ne peut parler
que dans la mesure où il est celui qui dit » ; il ne s’agit pas de
comprendre la langue dans sa valeur d’usage, mais comme des « créations
linguistiques » « sans intention et communication d’une essence du
monde ». Il comprendrait la langue à partir de la poésie. C’est ce
qu’Hannah Arendt, appelle la pensée poétique. La pensée de Benjamin se
construit à partir de citations : « citer est nommer, et c’est ce
nommer, le nom et non la phrase qui portent au jour la vérité ». (p. 102).
Retour à la tradition adamique, retrouvailles là encore avec Heidegger. Lisant
une lettre de Benjamin, Arendt y lit des échos heideggériens : </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">« La conviction qui me guide dans mes tentatives littéraires
(…) est que toute vérité a sa maison, sa demeure ancestrale, dans la
langue… » (p. 98) </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Puis cette phrase : « Toute époque pour laquelle son
propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre doit se
heurter finalement au problème de la langue ; car dans la langue ce qui
est passé a son assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent
échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé »
(p. 103) Comment comprendre ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Benjamin, une sorte de double de Heidegger mais juif ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Polémique de Arendt…</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Dans le fonds de la </span><span style="font-size:10.0pt;
mso-bidi-font-size:12.0pt;font-family:"Lucida Grande";color:black" lang="FR">mer</span><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">, « naissent de nouvelles formes et configurations
cristallisées qui, rendues invulnérables aux éléments, survivent et attendent seulement
le pêcheur de perles » (p. 106).</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Puis cette phrase : « Toute époque pour laquelle son
propre passé est devenu problématique à un degré tel que le nôtre doit se
heurter finalement au problème de la langue ; car dans la langue ce qui
est passé a son assise indéracinable, et c’est sur la langue que viennent
échouer toutes les tentatives de se débarrasser définitivement du passé »
(p. 103). Comment comprendre ? </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Benjamin, une sorte de double de Heidegger mais juif ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Polémique de Arendt…</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR"><em>Walter Benjamin 1892-1940</em> ou un nouveau plaidoyer en faveur de
Heidegger… à travers le chemin inverse de Benjamin… Arendt raconte donc bien
plus qu’une biographie... elle cherche encore à sauver Heidegger.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify;background:white"><span style="font-size:10.0pt;mso-bidi-font-size:13.0pt;font-family:"Lucida Grande";
color:black" lang="FR">Maryse Émel.</span></p>