oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - FranceRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearSébastien Charbonnier, Que peut la philosophie ?, éditions du Seuil, 2013, lu par Éric Oudinurn:md5:61f7602b49d55ed87d615e63c64f54902013-06-05T08:00:00+02:002013-06-05T08:46:24+02:00Cyril MoranaPhilosophie généraleenseignementFrancephilosophie<p><strong style="mso-bidi-font-weight:normal"><span lang="FR"><img title="charbonnier, mai 2013" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/mai/.417BbdTqZ8L._SY445__t.jpg" />Sébastien
Charbonnier, <em style="mso-bidi-font-style:normal">Que peut la
philosophie ?</em>, 286 pages, éditions du Seuil, collection « l’ordre
philosophique », Paris, 2013. <br /></span></strong></p>
<p><br /><span lang="FR">L’auteur se propose de remettre en<span style="mso-spacerun:yes"> </span>question, et vivement, la représentation que
se font de l’enseignement de la philosophie ceux qui en ont la charge.</span></p> <p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">La lecture de l’ouvrage de Sébastien Charbonnier,
si stimulante soit-elle, a quelque chose d’éprouvant pour un professeur de
philosophie tant l’auteur s’y propose de remettre en<span style="mso-spacerun:yes"> </span>question, et vivement, la représentation que
se font de l’enseignement de la philosophie ceux qui en ont la charge. Dès la
première page, le cœur de cible est désigné : l’auteur y annonce son
intention d’éviter soigneusement de parler de l’enseignement de la philosophie
comme d’un « enseignement philosophique », vocable qu’il considère
manifestement comme un mythe, ou mieux une imposture, fut-elle portée par
l’esprit des programmes et soutenue par l’institution, i.e. non seulement le corps
des professeurs de philosophie dans son ensemble, mais encore l’inspection et
l’Association des professeurs de philosophie de l’Enseignement Public dont on
sait qu’elle publie une revue qui porte justement ce titre. De cet esprit
corporatiste, dont il dénonce la courte vue et la capacité de
s’auto-illusionner, l’auteur donne un exemple à ses yeux emblématique : la
réception honteuse dont fit l’objet le rapport Derrida-Bouveresse, condamné avant
d’être lu, non seulement pour l’audace de ses propositions, mais peut-être
surtout pour avoir osé un constat sans concession de l’état réel de
l’enseignement de la philosophie en France au début des années 90. Les
remarques qui précèdent pourraient donner à croire que l’ouvrage se limite à
vouloir polémiquer contre l’institution, relancer la « guerre des
programmes » du début des années 2000, ou encore prendre position dont les
conflits entre associations représentatives des professeurs de philosophie
(GREPH, puis ACIREPH contre APPEP). Ce serait se méprendre complètement sur son
ambition véritable. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Un enjeu, rappelé en permanence, ordonne l’ouvrage :
penser les moyens de mettre effectivement en œuvre l’idéal émancipatoire qui
donne son sens à l’enseignement obligatoire de la philosophie :
démocratiser l’art de penser, le rendre accessible au plus grand nombre.
Quelles conditions concrètes conditionnent un tel objectif d’émancipation
collective ? Si la question n’est pas posée, c’est précisément en raison
du présupposé selon lequel il n’y aurait aucun hiatus possible entre l’institution
et son objet. Or, il est à craindre que le fonctionnement institutionnel de
l’enseignement de la philosophie, autant que l’idée que s’en font ses acteurs, ne
constitue en fait un obstacle à la réalisation de ses propres objectifs. Et c’est
pourquoi l’auteur entreprend de déconstruire le discours de l’institution – le
mythe de l’enseignement philosophique – en le confrontant<span style="mso-spacerun:yes"> </span>à la réalité des effets qu’il produit
(l’ouvrage est sans cesse appuyé sur des témoignages d’élèves) sans jamais
perdre de vue la question qui donne sens à son entreprise : comment
réaliser le projet politique d’être le plus nombreux à penser le plus
possible ? </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">La première partie de l’ouvrage (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Apprendre à philosophe aujourd’hui : le
poids d’un héritage mythologique</em>) est consacrée à la situation de
l’enseignement de la philosophie eu égard à son histoire et par rapport à
l’évolution récente de l’enseignement secondaire. La deuxième partie<span style="mso-spacerun:yes"> </span>(<em style="mso-bidi-font-style:normal">Qui
est concerné par la philosophie ? Du public imaginaire au public réel</em>)
s’inquiète du hiatus entre les intentions déclarées de l’institution et ses pratiques
élitistes, même à l’heure de la massification. La troisième (<em style="mso-bidi-font-style:normal">À quoi joue l’enseignement de la
philosophie ? Modes pédagogiques de l’esprit de sérieux</em>) interroge les
pratiques pédagogiques mise en œuvre, curieusement définies par leur refus de
tout questionnement pédagogique. La quatrième et dernière partie (<em style="mso-bidi-font-style:normal">La philosophie peut-elle demeurer critique
dans l’institution scolaire ?</em>) entend interroger les finalités de
l’enseignement de la philosophie, réelles comme déclarées. Enfin, la deuxième
partie est suivie d’un premier appendice (<em style="mso-bidi-font-style:normal">La
métaphore du couronnement</em>) distinguant neufs profils de la mythologie de l’enseignement
de la philosophie qui permettront, négativement, de répondre à la question qui
donne son titre à un second appendice, à la fin de l’ouvrage (<em style="mso-bidi-font-style:normal">Qu’est-ce que la philosophie ?</em>). <img title="charbonnier, mai 2013" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" alt="" src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/mai/417BbdTqZ8L._SY445_.jpg" /></span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Situer l’enseignement philosophique dans son histoire
sans être dupe des mythes qui constituent celle-ci, telle est l’ambition de la
première partie. L’auteur s’intéresse particulièrement à la brève suppression
de l’enseignement de la philosophie sous le second empire dont il souligne à
quel point elle constitue, aux yeux de la corporation, un péché originel de
l’Etat qu’elle n’oubliera jamais. Depuis lors, elle cède au mythe de la menace constante
pesant sur l’enseignement de la philosophie, se renferme sur elle-même,
assimilant non seulement toute critique, mais encore toute réforme, à une
menace. L’auteur étudie plus précisément la période récente et les lignes de
fracture qui traversent la corporation à partir du projet de réforme
Haby : d’un côté les défenseurs du <em style="mso-bidi-font-style:normal">statu
quo</em> (APPEP et inspection générale), de l’autre ceux qui, minoritaires,
profitent de la situation pour ouvrir un chantier de réflexion sur
l’enseignement de la philosophie (GREPH) : la fracture se focalise sur un
point précis : tandis que les premiers veulent préserver le statut de
couronnement des études de philosophie, les autres entament une réflexion<span style="mso-spacerun:yes"> </span>sur leur extension en amont de la terminale.
Des moments clefs de cette querelle intestine sont évoqués : les Etats
généraux de la philosophie de 1979 et la publication du rapport
Derrida-Bouveresse en 1990 dont la réception, qualifiée de haineuse, consacrera
le triomphe des conservateurs. Enfin l’auteur rappelle qu’entre 1990 et 2003,
ce ne sont pas moins que trois projets de réforme des programmes qui échouent
successivement, confirmation des crispations de la profession. Conclusion
pessimiste empruntée à Jacques Bouveresse : le caractère profondément
réactionnaire de la corporation des professeurs de philosophie. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Le corporatisme que dénonce l’auteur ne se
traduit pas seulement par le rejet a priori de toute réforme de l’enseignement
de la philosophie, il commande également une totale méconnaissance, voire le
mépris, du public auquel il s’adresse. C’est l’objet de la deuxième partie.
L’auteur y appuis sa réflexion sur le surprenant constant d’un décalage entre
les intentions proclamées, faisant de la philosophie « la religion
publique des démocraties », et la réalité démographique : son
enseignement n’a jamais concerné qu’une petite minorité d’élèves, et la démocratisation
récente qui aurait dû être vue par la corporation comme une chance a plutôt été
vécue comme une malédiction.<span style="mso-spacerun:yes"> </span>Il met
ainsi à jour un élitisme réel, bien éloigné des proclamations républicaines,
appuyé sur l’idée de la difficulté de la philosophie et de la difficulté du
seul exercice authentiquement philosophique : la dissertation. Conséquence
de cet élitisme : des élèves malheureux parce qu’intimidés, des professeurs
non moins malheureux qui, à l’occasion de l’exercice de la correction des
copies, mesurent, malgré qu’ils en aient, le cruel décalage entre les ambitions
de leur enseignement et ses résultats effectifs. Cette deuxième partie se
conclut par une analogie entre le rejet de la massification, traduit notamment
par le refus d’étendre l’enseignement de la philosophie aux lycées
professionnels, et le refus, si longtemps une réalité historique, d’enseigner
la philosophie aux femmes. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Le premier appendice est consacré à faire le
portrait critique de l’enseignement de la philosophie tel qu’il se rêve en se pensant
comme le couronnement des études secondaires. Il distingue les neufs profils de
cette mythologie : </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">juridique </em>: la philosophie tient sa légitimité du fait qu’elle
est puissance légitimante, réflexion et achèvement de tous les savoirs. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">ontologique </em>: la philosophie est indivisible et son
enseignement ne saurait, par conséquent être divisé sur plusieurs années,
étendu en amont de la terminale. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">éthique </em>: la philosophie convertit les individus auxquels elle
s’adresse. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">épistémologique </em>: la philosophie n’ayant pas d’objet propre,
se démarque des autres savoirs – qu’elle réfléchit –<span style="mso-spacerun:yes"> </span>par le fait qu’elle, seule, pense. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">politique </em>: la philosophie s’adresse aux futurs élites de la
cité. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">linguistique </em>: faute de former véritablement, le couronnement
se résout dans une exhortation purement verbale à philosopher. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">scolaire </em>: le mythe flatteur pour les professeurs de la
difficulté de la philosophie est la seule justification du caractère tardif de
son enseignement. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">biologique </em>: le couronnement suppose d’attendre la maturité
pour les philosophes. L’auteur développe particulièrement ce point et, à la
suite des analyses du GREPH, souligne le caractère profondément
antidémocratique de la volonté de cantonner l’enseignement de la philosophie
aux classes terminales. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le profil <em style="mso-bidi-font-style:
normal">mystique </em>: la philosophie exige qu’on y consacre sa vie, gage
de sa sublimité et donc de son inaccessibilité aux yeux des élèves. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">La troisième partie se déroule en deux
temps : le premier interroge les impasses de l’idée de jeu sérieux :
la philosophie est<span style="mso-spacerun:yes"> </span>libre, elle suppose
le loisir de jouer avec les idées, mais ce jeu est la plus sérieuse des
activités humaines ; le second interroge la succession – et l’addition –
des modes pédagogiques dans l’enseignement de la philosophie. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">L’auteur commence par dénoncer l’imposture du
discours d’importance selon lequel l’avenir de la République elle-même dépendrait
du sort réservé à l’enseignement de la philosophie et lui oppose l’idée d’un
jeu plus libre et moins écrasant avec la culture. Il dénonce une situation dans
laquelle les élèves se voient imposer autoritairement une culture faites de règles
du jeu, voire de codes sociaux, dont ils ignorent tout, aux dépens du rapport
vivant que l’enseignement de la philosophie devrait instaurer avec la culture.
Il suggère à cet égard des pistes pédagogiques nouvelles : pour que le professeur
n’apparaisse plus comme le dépositaire exclusif d’une culture obligatoire, pour
que l’enseignement soit davantage une recherche commune, ce qui suppose de
déjouer la gratifiante position de maîtrise, pourquoi ne pas imaginer des cours
dans lesquels plusieurs professeurs dialogueraient ensemble et avec les
élèves ? </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Originellement, le cours de philosophie, issu
de l’éclectisme de Cousin, est explicitement dogmatique La liberté pédagogique
que les programmes, à partir de 1880, garantissent au professeur de philosophie,
l’instaure en auteur de son cours et consacre le triomphe, en termes de
pédagogie, de la leçon <em style="mso-bidi-font-style:normal">ex cathedra</em> et
de l’idée de l’unité du cours de philosophie. Les élèves redoublants en sont
d’ailleurs les témoins critiques… Mieux encore, les élèves qui ont suivi une
forme ou une autre d’initiation avant la terminale ne voient aucune continuité
et ont le sentiment que l’enseignement est sans cesse à reprendre en fonction
des professeurs qui en ont la charge. L’auteur déplore qu’au nom de la liberté
pédagogique, aucune concertation n’existe entre professeurs de philosophie
quand ils sont amenés à se succéder ou à se compéter. Avec le cours dogmatique
et la leçon de philosophie, l’explication des grands textes, introduite dans
les années cinquante par Canguilhem, est la troisième forme pédagogique que
peut prendre l’enseignement de la philosophie. Cours, leçon ou
explication : l’enseignement de la philosophie est aujourd’hui la synthèse
de ses trois pratiques qui se sont historiquement succédées et c’est tout, déplore
l’auteur, en fait de pédagogie. C’est que les professeurs veulent croire que la
philosophie est à elle-même sa propre pédagogie. Un véritable déni pédagogique
qui ne tarde pas, devant l’échec des élèves, à se transformer en déni
d’autrui : si les élèves échouent à disserter, c’est par paresse, parce
qu’ils n’ont pas le courage de penser. C’est l’occasion pour l’auteur d’une
proposition iconoclaste : inventer des exercices qui permettent aux élèves
de s’appuyer sur des sources, de copier explicitement, plutôt que de continuer
à faire comme s’ils pouvaient inventer ce qu’ils ignorent.<span style="mso-spacerun:yes"> </span></span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">La quatrième partie se demande comment dans le
cadre institutionnel qui est aujourd’hui le sien, l’enseignement de la philosophie
pourrait rester critique et cherche les conditions de possibilité d’une
réalisation effective de son projet émancipatoire. Le paradoxe souligne
l’auteur, c’est que le programme est rempli de critiques<span style="mso-spacerun:yes"> </span>virulentes (de Platon à Nietzsche, en passant
par Augustin ou Descartes) de l’esprit scolaire qui est le sien : le
professeur fait ainsi l’éloge de textes qui invalident par avance ce qu’il se
propose de faire… Dira-t-on que c’est par la pratique de la dissertation que
l’on apprend aux élèves à penser par eux-mêmes ? Parce qu’elle est
stigmatisante, la logique de l’évaluation s’inscrit en faux contre une telle
finalité : comme si l’on pouvait mettre une note à la liberté ! La
marchandisation croissante des corrigés sur internet que déplorent tant de
professeurs de philosophie est ainsi une conséquence directe de leurs pratiques
évaluatives. Contre-épreuve : c’est là où le coefficient de la philosophie
est le plus faible que les élèves sont le mieux disposés à s’aventurer et à
philosopher pour de bon. Autre paradoxe : en canonisant la culture
formatrice, en décidant d’avance de ce qui est émancipateur, l’enseignement de
la philosophie, dans sa pratique réelle, retire à cette même culture toute son
efficacité. Autre forme de ce paradoxe : les grands auteurs que
l’enseignement canonise sont justement ceux qui ont su être irrespectueux à
l’égard de la tradition. Ainsi faudrait-il encourager toutes les figures
possibles de l’<em style="mso-bidi-font-style:normal">hypolepse</em> (reprise
critique et créatrice) dans le rapport aux grands textes : philosopher ne
peut être libérateur que comme activité de création. On n’en imagine les élèves
incapables que faute de s’être essayé à leur demander de créer quoi que ce
soit. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Le second appendice est écrit en miroir du
premier : les neufs profils de la mythologie du couronnement, si on en
prend le contrepied, donnent une idée assez juste de la réponse à la question
posée : qu’est-ce que la philosophie ? Ainsi, en renversant les neufs
profils dans l’ordre où ils ont été distingués, l’auteur obtient-il un concept
de l’activité philosophique conçue comme réellement émancipatrice. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- L’activité philosophique n’est garante de
rien et n’a d’autre légitimité que les effets qu’elle provoque. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- La philosophie est un champ de
bataille : il existe différentes manières de philosopher. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Philosopher fonctionne comme pratique
régulière et ne vise aucune conversion. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Le philosophe pense des objets spécifiques
qui donnent de l’intérêt aux concepts qu’il crée. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Philosopher est vulgaire et concerne chacun.
</span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Philosopher travaille les esprits et les
corps et implique une modification de soi. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- On philosophe sans peine quand il y a lieu</span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Il n’y a pas d’âge pour philosopher. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">- Philosopher est essentiellement banal et
quotidien. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Dans cette perspective, loin que philosopher
s’identifie à penser (sportifs, scientifiques et artistes pensent eux aussi),
il faut concevoir la philosophie comme <em style="mso-bidi-font-style:normal">un</em>
art de penser, avec ses techniques et ses objets privilégiés. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Dans sa conclusion (<em style="mso-bidi-font-style:
normal">Emancipation et institutionnalisation</em>) l’auteur revient sur la contradiction
interne à l’enseignement de la philosophie, le cantonner sur un an, le
boursoufler d’un programme ambitieux jusqu’à l’absurde, le cloisonner dans un
passé consensuel, c’est nuire à sa finalité émancipatrice. Comment cet art de
penser qu’est la philosophie pourrait-il concerner le maximum d’individus ?
Telle était la question à poser pour que le cours de philosophie cesse d’être
cette mauvaise rencontre entre élèves et professeurs également malheureux qu’il
est trop souvent. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Convenons-en, cet ouvrage toujours stimulant,
convainc davantage quand il est critique que quand l’auteur se livre à des
suggestions pédagogiques dont certaines peuvent prêter à sourire. Comme peut
faire sourire la description idyllique du travail dans les séries
technologiques, quand le poids du baccalauréat est faible et que le professeur
laisse les élèves libres de philosopher, faute de pouvoir recourir au discours
culpabilisant qui, dans les autres séries, est le sien. Mais peu importe tant
il est vrai que l’appendice 1 et sa déconstruction de l’idée selon laquelle
l’enseignement philosophique couronnerait l’édifice du savoir est le véritable
cœur de l’ouvrage. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">L’auteur a la part belle quand il critique le
corporatisme de la profession et sa peur irrationnelle des réformes. Il aurait
pu en citer de beaucoup d’autres exemples : ainsi a-t-on vu, au cœur de la
« guerre des programmes », l’APPEP se prononcer chaleureusement en
faveur de l’adoption du projet de programme Dagognet-Lucien, alors même que ses
dirigeants, et non des moindres, disaient et même écrivaient tout le mal qu’ils
en pensaient, au seul motif que la moindre réserve pouvait entraîner l’adoption
ultérieure d’un programme contraire à l’esprit de l’enseignement philosophique !
Ou encore le refus de toute discussion, ouverte un temps par Alain Renaut, de
la dualité de recrutement (capes-agrégation) des professeurs de philosophie et
de l’absurdité, s’agissant de fonctionnaires effectuant exactement le même travail,
consistant à payer moins ceux qui travaillent le plus, par crainte cette fois soit
d’une remise en cause du statut des agrégés, soit d’un assèchement des postes
au concours. Il est vrai que l’auteur se concentre sur la période un peu
antérieure et sur l’épisode du rapport Derrida-Bouveresse. C’est d’ailleurs la
limite du constat qu’il fait du corporatisme de l’institution. Depuis le début
des années 90, le corps des professeur de philosophie a été profondément renouvelé,
l’inspection générale a elle aussi changé et l’APPEP n’a plus du tout la même
représentativité, devant de plus compter avec la concurrence de l’ACIREPH. Pour
conforme à la réalité qu’il fût il y a presque un demi-siècle, il n’est pas
certain que le constat fait par l’auteur garde la même valeur aujourd’hui. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Si l’auteur cite Alain, à plusieurs reprises
et élogieusement, il ne dit rien de la pratique de l’enseignement qui fut la
sienne, et qui à l’instar de celle de son maître Jules Lagneau, montra qu’un
enseignement de la philosophie qui fût authentiquement philosophique était
possible. Il a sans doute tort de confondre l’idée d’un enseignement philosophique
que défendaient un Georges Canguilhem ou un Jacques Muglioni avec la vulgate qu’elle
devient quand elle n’est plus soutenue que d’un corporatisme à courte vue. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">On peut également regretter que l’auteur, soulignant
à juste titre les impasses dans lesquelles se trouvent aujourd’hui l’enseignement
et la pratique de la dissertation, étende sa critique à l’explication de texte philosophique.
Sous condition qu’ils soient lus en philosophe plutôt qu’en historien, loin de
toute canonisation, comment ne pas voir le rôle formateur et émancipateur de la
lecture des grands textes ? </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR">Ces quelques critiques (et je ne doute pas
qu’on en puisse faire beaucoup d’autres), à quoi on peut ajouter l’agacement ou
l’impatience que produisent telle ou telle page, ne doivent pas masquer le fait
que cet ouvrage, même s’il le fait parfois de manière outrancière ou
provocante, a le grand mérite d’ouvrir une discussion d’autant plus pertinente
qu’elle confronte la réalité de l’enseignement de la philosophie aujourd’hui en
France à ses propres ambitions. En refusant cette discussion, ceux des
professeurs de philosophie qui objecteront le plus au constat de l’auteur, ne
feraient sans doute rien d’autre que de lui donner implicitement raison. </span></p>
<p class="MsoNormal"><span lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:right" align="right"><span lang="FR">Eric
Oudin</span></p>