oeil de minerve ISSN 2267-9243 - Mot-clé - Communauté moraleRecensions philosophiques2023-12-27T09:56:23+01:00Académie de Versaillesurn:md5:b5151268a8c1e471830557044d755c66DotclearCe que l’argent ne saurait acheter. Les limites morales du marché, Michael J. Sandel, Seuil, 2014. Lu par Laurent Grynurn:md5:0c9d0011c115fa3576dfe629f306a93f2015-01-30T06:00:00+01:002015-01-30T06:00:00+01:00Karim OukaciPhilosophie politiqueAristoteCommunauté moraleLibéralismeRawlsÉchanges<p><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"><img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/.Sandel-argent-360x240_t.jpg" alt="" title="Sandel-argent-360x240.jpg, janv. 2015" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" />« Pourquoi
s’inquiéter à l’idée que nous vivrons de plus en plus dans une société où tout
sera à vendre » ? M. Sandel invoque deux raisons. La première se
rapporte à l’inégalité des revenus et à la question de la justice, la seconde à
l’effet corrupteur du marché sur certains biens.</span></p> <p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">« Pourquoi
s’inquiéter à l’idée que nous vivrons de plus en plus dans une société où tout
sera à vendre » ? M. Sandel invoque deux raisons. La première se
rapporte à l’inégalité des revenus et à la question de la justice, la seconde à
l’effet corrupteur du marché sur certains biens.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">La
première raison concerne les exigences de justice. Dès lors qu’un bien est
commercialisé, seuls ceux qui ont les moyens de l’acheter pourront en user. Si
des biens aussi importants que la santé, la qualité de l’habitation et de
l’éducation sont commercialisés, alors les inégalités sociales seront beaucoup
plus cruelles pour les défavorisés qu’en cas de mutualisation de ces mêmes
biens. Les inégalités économiques pèsent sur les plus défavorisés à proportion
du nombre et de la nature des biens commercialisés. Qu’est-ce que la société
doit prendre en charge ? Quel type de biens peut être laissé au
marché ? Les libéraux, <span style="mso-spacerun: yes"> </span>au
premier rang desquels Rawls, et les auteurs dits communautariens - qui ne
forment pas un tout homogène - développent chacun une argumentation relative à
cette question. On pourra lire également la position originale, dans ce débat,
de M. Sandel dans son livre <em style="mso-bidi-font-style:normal">Le
libéralisme et les limites de la justice</em>.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Mais
dans <em style="mso-bidi-font-style:normal">Ce que l’argent ne saurait acheter</em>,
la question de la justice sociale demeure incidente, même si l’auteur la
retrouve par le biais de sa préoccupation essentielle, à savoir la liaison entre
commercialisation d’un bien et corruption de ce même bien. L’effet corrosif du
marché sur un bien n’est pas intrinsèquement lié aux possibles effets
d’injustice relatifs à la commercialisation de ce bien. Il y a donc deux
problèmes, indépendants en droit, mais qui factuellement peuvent se rejoindre. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Les
propos de l’auteur ne sont pas de nature économique. Il ne s’agit pas de
s’interroger sur la nature commercialisable de certains biens. De fait, tout
est commercialisable, tous les biens peuvent faire l’objet d’un échange
économique, les exemples qui jalonnent le texte <span style="mso-spacerun:
yes"> </span>manifestent cette réalité : des formes particulières d’assurances
vie, des femmes rémunérées pour procréer, des élèves récompensés par quelques
dollars pour lire des livres ou encore des organismes d’assurances maladies qui
donnent des bonus aux assurés à la condition qu’ils s’adonnent aux pratiques
sportives. La vie, le ventre d’une femme, le développement intellectuel des
collégiens et la santé des corps peuvent être des marchandises. Il ne s’agit
pas non plus, comme le font les économistes, de peser les avantages et
inconvénients de l’échange marchand dans sa capacité à satisfaire au mieux les
désirs de chacun. S’il est vrai que dans certains cas, l’échange marchand est
la solution la plus efficace pour satisfaire les désirs des hommes, il
n’empêche que cet échange peut affecter négativement la valeur des biens
échangés, les corrompre. Ainsi de quel sens est investie la lecture, dès lors
qu’elle est rémunérée ? Et M. Sandel s’interroge sur le nouveau sens que
ce type de politique peut conférer à la réussite scolaire et au développement
intellectuel. Le marché promeut, écrit-il, des attitudes envers les biens
échangés qui tendent à transfigurer la signification de ces biens. Et c’est cet
effet corrupteur de la commercialisation, beaucoup plus qu’une exigence de
justice, qui est invoqué pour justifier une limitation de l’extension du marché
à un certain nombre de biens.<img src="http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/public/janvier15/Sandel-argent-360x240.jpg" alt="" title="Sandel-argent-360x240.jpg, janv. 2015" style="float: right; margin: 0 0 1em 1em;" /></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Si
l’on dénonce <span style="mso-spacerun: yes"> </span>la corruption, c’est
nécessairement, insiste <span style="mso-spacerun: yes"> </span>M. Sandel,
sur le fondement d’une position morale ; et c’est la raison pour laquelle cette
corruption échappe aux économistes occupés seulement par les bienfaits ou les
méfaits de l’échange marchand en termes de satisfaction des désirs de chacun.
Il n’y a pas de morale marchande mais seulement une pratique marchande plus ou
moins prégnante selon la puissance et la nature des idées morales qui
gouvernent la société. Les biens évoqués plus haut auraient selon l’auteur une
valeur morale intrinsèque logiquement antérieure à leur valorisation marchande.
M. Sandel soutient que la valorisation marchande de ces biens affecte cette
valeur et que cet effet de corruption se propagera à la société dans son
ensemble. Il aura un impact négatif sur chacune de nos vies.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Précisons
que tous les biens ne sont pas concernés. Mais l’auteur admet que cette
distinction entre des biens qui peuvent être commercialisés et ceux qui ne
doivent pas l’être n’est jamais aisée à justifier, qu’elle est toujours
contestable. Pour justifier l’exclusion <span style="mso-spacerun:
yes"> </span>d’un bien du marché, il faut comme le répète M. Sandel tout
au long de son texte, une idée de ce que peut être la vie bonne, ce qui est
toujours problématique. L’expression vient tout droit d’Aristote. C’est le
concept clé <em style="mso-bidi-font-style:normal">des Politiques</em>. Il y a
une filiation certaine entre l’œuvre de Sandel et les textes politiques ou
éthiques d’Aristote.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>N’oublions
pas que chez Aristote, c’est<span style="mso-spacerun: yes"> </span>le
critère de conformité à<span style="mso-spacerun: yes"> </span>la vie
bonne qui permet de dissocier l’économie légitime de la chrématistique. Comme
Aristote, M. Sandel vise dans la vie bonne une dimension communautaire.<span style="mso-spacerun: yes"> </span>Dans quel type de société
souhaitons-nous vivre ? Un monde qui réifie l’être humain en transformant
les organes en marchandises ou qui assimile le temps qu’un élève consacre à la
lecture à une corvée qui mériterait une compensation financière est-il le monde
auquel nous aspirons, correspond-il à notre idée de la vie bonne ?</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">La
réponse est bien entendu dans la question, les exemples visent alors à laisser
se déployer nos intuitions sur la vie bonne. Plutôt qu’une réflexion théorique
sur le bien, le texte de M. Sandel présente une multiplicité d’exemples
regroupés par genres, lesquels fournissent le titre des chapitres. Les exemples
donnent à penser, mais ne sont pas doublés d’une idée du bien formalisée. Cette
structure interroge.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Il
faut débattre de la vie bonne, écrit l’auteur ; et son livre ne porte pas, du
moins en apparence, ce débat, mais en appelle à lui. Pourtant, le débat<span style="mso-spacerun: yes"> </span>est amorcé, voire bien avancé. La
preuve par l’exemple, pouvons-nous ajouter. La ville de New York offre chaque
année des représentations d’œuvres de Shakespeare. Le succès est tel qu’il faut
patienter jusqu’à quelques heures pour obtenir des billets. De nombreux new yorkais
paient le temps, c’est-à-dire l’attente que des étudiants ou des sans domicile
fixe, volontaires, consacrent à leur place à l’obtention de ces billets. Un
bien non marchand, un billet de théâtre gratuit, devient de ce fait une
marchandise. Les intentions premières des promoteurs de l’opération sont manifestement
détournées de leur sens. Cet exemple, ajouté à tant d’autres, ne produit-il pas
la conviction qu’il y a bien un effet corrupteur de la marchandisation ?
Et ce, quelles que soient les conceptions religieuses ou philosophiques
auxquelles nous adhérons ? Le débat moral concernant la vie bonne, dont
l’enjeu touche la nature de la société dans laquelle nous souhaiterions vivre,
n’est donc pas vain. Une entente sur la vie bonne demeure possible. Les
exemples analysés sont destinés à produire cette conviction. Nous devons
discuter de la vie bonne, déterminer par la suite quels biens il serait bon
d’exclure du marché pour simplement donner un sens à notre vie sociale.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Comment
<span style="mso-spacerun: yes"> </span>M. Sandel se
situe-t-il <span style="mso-spacerun: yes"> </span>dans le monde
intellectuel qui lui est contemporain ? Rawls refuse de prendre position
sur la vie bonne, qui selon lui ne peut être à l’origine d’aucun consensus. Le
libéralisme déontologique de Rawls pourra bien exclure des biens du marché,
mais il le fera pour des raisons qui procèdent des seuls impératifs de la
justice sociale, non de la morale. Il y a chez Rawls des exigences de solidarité
qui relèvent de la <span style="mso-spacerun: yes"> </span>justice sans
qu’intervienne une théorie large du bien. Mais M. Sandel n’est pas pour autant
un communautarien. La vie bonne ne relève pas selon lui d’une compréhension
morale partagée propre à une société. Dans ce cas, qu’est-ce qui empêcherait
une société de marché de valoriser moralement l’échange économique et la
marchandisation d’une grande quantité de biens au nom d’une pensée qui
verrait dans l’utilité le bien suprême ? M. Sandel pense que l’idée de vie
bonne porte un universel. C’est le sens de la filiation avec Aristote qui fait
de la morale le socle du politique, mais une morale qui ne serait pas seulement
relative à des éléments culturels déterminés. Elle manquerait dans ce cas de
puissance critique. Si cette morale ne peut être déduite de la raison, elle
peut être induite de situations de vie qui rendront sa formalisation possible.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">La
limite du texte de M. Sandel tient dans la nature de son projet. Peut-on
échapper à l’alternative dont les pensées libérale et communautarienne
représentent chacune un terme ? La solution que présente M. Sandel est
celle d’un débat sur les faits de société marquants qui se déroulent sous nos yeux.
Selon l’auteur, il demeure possible de tendre à un consensus et par conséquent,
au perfectionnement de notre société.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"> </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR">Laurent
Gryn</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align:justify"><span style="font-size:
10.0pt;mso-bidi-font-size:12.0pt;line-height:115%;font-family:"Lucida Grande"" lang="FR"> </span></p>