Le bus

 

Introduction :

 

Combien de chances on a de faire le bien dans sa vie ? De faire ce qui est juste, ce qui est vraiment juste je veux dire ? C’était une de ces occasions et je le savais, mais comme toujours faire ce qui est juste n’est pas facile et faire ce qui est facile est rarement bien…Père m’avait proposé la facilité. J’avais accepté. Mais maintenant qu’il ne me contrôlait plus pourrais-je espérer retrouver la justice ?

« - Jazz, a quoi tu penses ?

- A rien Nino. Essaye de dormir.

- J’arrive pas… A quoi tu penses ?

- A rien ! Je pense à rien. Tu m’énerves avec tes questions. »

Nino se retourna. Nous étions serré sur une banquette minuscule dont les ressorts me rentrait dans les cotes. Pas franchement idéal pour dormir, où même se disputer. Je l’entendais pleurnicher. Il essayait de filtrer les pleurs avec sa manche. Comme si pleurer le rendrait plus bébé ou plus faible à mes yeux. C’est bien de pleurer,ça libère.

J ‘étais en colère contre lui mais pas seulement. J’étais surtout en colère contre moi. Je ne devrais pas le traiter de la sorte mais il m’énervait par moment. J’essayais de me rapprocher doucement mais il me repoussa violemment.

« - Nino…

- T’es trop méchante Jazz !

-Allez p’tit frère… »

Il adorait quand je l’appelais ainsi. Ce n’était pas mon véritable frère mais c’était tout comme.

Je lui fit quelques chatouilles dans le dos. Je savais qu’ il adorait ça. Nino se retenait de rire, ça se voyait. Il éclata de rire qu’est-ce-qu’il était mignon on aurait presque cru que voire un petit garçon de 8 ans ordinaire… Presque.

Je me serrai contre lui et cette fois-ci, il ne me repoussa pas.


Chapitre 1 :

 

Je me réveillais avec des douleurs dans les muscles. Pas étonnant vu l’endroit où j’avais passé la nuit. Je tendis l’oreille. Il y avait des bruit étranges qui provenait de dehors. Je me levais doucement pour ne pas réveiller Nino. Il ronflait comme un petit chaton. Je remontais tendrement la couverture sur ses épaules et m’approchais de la porte. Soudain,je l’aperçue !

-Aïcha ! je me jetais dans ses bras. Tu m’as trop manquée !

Si Nino était mon petit frère, alors je considérai assurément Aïcha comme ma grande sœur.

-Pff toi aussi tu m’as manquée Jazz. Laisse moi travailler tu veux ?

Malgré son air bougon, je savais que ma démonstration de joie lui avait fait plaisir.

Elle bricolait sa vielle mobylette. Elle l’avait trouvé dans la décharge il y a quelques semaines de cela. C’était sa fierté. Elle pouvait passer des heures en plein soleil dans l’espoir de la rendre plus performante. Elle ne roulait pas très vite mais, elle était cool.

-Je pourrais essayer ta mob ?

-Non !

La répons avait fusé. Je n’avais pas intérêt à la contredire. Un grand silence s’installa. Ce fut Aïcha qui le brisa :

- Que tu as grandis. Une vraie jeune fille.

 

Cette phrase était gentille, touchante même. Cependant, une lueur dans le regard d'Aïcha m'inquiéta. Je n'avais vu cette lueur qu'une seule fois ailleurs. Dans mes propres yeux. Un souvenirs s'invita doucement dans mon esprit, caressant mes pensées...

Des yeux verts, un peu triste... les miens. Je les voyais à travers un fragment de miroir. Il était souillé par du sang. Un sang sale, un sang chaud qui dégoulinait entre mes doigts. Il ne m'appartenait pas. Ce sang, je le haïssais de toute mes forces. Et pourtant, ce sang coulait dans mes veines. Je raffermissait ma prise sur mon arme de fortune dans ma main et le regardait gémir à mes pieds, me supplier. Pour une fois, il était à ma merci. Mais je n'avais pas envie de le tuer. Cela ne m'apporterais aucune satisfaction. Je jetais le bris de miroir par terre et m'enfuyais en courant.

Cette lueur dans mes yeux, c'était de la résignation.


 

 

Chapitre 2 :

 

Avec Aïcha et Nino nous avions entrepris une tâche colossale mais utile : repeindre le bus. Le bus, c’était l’endroit où nous vivions. C’était moi qui l’avait découvert il y à quelques mois. A l’époque on errait sans but dans les rues. Nous vivions de rapines, essayant tant bien que mal de trouver des planques où passer la nuit.

Il fallait aussi éviter de se faire repérer par la police. J’étais recherchée. Père faisait tout son possible pour qu’on me retrouve. Je ne sais pas trop pourquoi. Pas parce que sa petite fille chérie lui manquait, non... Sûrement parce que ça nuisait à sa réputation. Une fille en fugue ne devait pas l’aider à conserver son image de notable de la ville. Surtout depuis que… depuis… depuis le jour.

 

P faisait passer des avis de recherche à la radio. Parfois les gens nous regardaient suspicieusement. Trois gamins tout seuls dans le métro ça ne passai pas inaperçu. On faisait tout notre possible pour avoir l’air invisible.

Le temps a fait son travail et petit à petit les choses se sont tassés. Aïcha a grandit. On l’a prenait presque pour une adulte.

Et puis, on a arrêté de nous rechercher. Les médias ont dû dire que j’étais morte où quelque chose comme ça.

Malgré tout ses efforts Père n’avait pas réussi à me rattraper. Peut-être pour la première fois de sa vie, il n’avait pas eu ce qu’il voulait. C’était une victoire énorme pour moi. Elle m’avait redonné le courage mais surtout l’envie de me battre.

 

C’est à cette période qu’on a enfin pu envisager de s’installer quelque part. S’installer pour de bon je veux dire. Quand on a découvert la décharge, je n’étais pas vraiment emballée. Vivre parmi les déchets très peu pour moi.

Mais dès que j’ai aperçu le bus - et je l’ai aperçu la première – j’ai changé d’avis. Il était géniale ! On se prenait pour des aventuriers tandis qu’on l’aménageait pour qu’il puisse satisfaire nos

besoins. C’est à la même période que Aïcha a déniché sa mob. Elle s’est mise à passer de moins en moins de temps avec Nino et moi. Parfois plusieurs jours. C’était des jours d’horreur pour moi. Des jours où je devais non seulement m’occuper de moi mais aussi de Nino.

Aïcha, elle, me répétait que j’étais grande. Pas grande au sens propre (physiquement, je me rapprochait plus d’une souris). Grande au sens mature, responsable.

Elle avait raison. J’étais grande. La rue m’avait forcée à grandir d’un coup. On grandit beaucoup dans les moments difficiles. On vieillit même. Je n’avais que 13 ans, mais j’étais grande. C’était comme ça. Avec Père, j’avais beaucoup grandit. Surtout ce jour là...

J’étais grande, mais j’avais quand même besoin que l’on m’aide, qu’elle m’aide. J’avais besoin d’Aïcha. C’est pourquoi, quand elle était là, je profitais un maximum. Je faisais très attention à ce que l’on ne se dispute pas. Ou du moins, pas trop. Il était impossible d’ éviter complètement ces engueulades. Elles pesaient dans les airs comme ces gros nuages gris que l’on voit dans le ciel les jours d’orage. Aujourd’hui, j’allais tout faire pour que ces nuages n’éclatent pas, pour que l’orage ne remplace pas le grand soleil qui brillait haut dans le ciel.

C’était Aïcha qui avait eu l’idée :

- Et si on redonnait un coup de jeune à notre bus ?

Nino était survolté. Il courait en tout sens. On avait passé toute la matinée à récupérer des pots de peinture dans la décharge : nous avions récupérer deux pots d’un bleu nuit super sympa, un pot de rose saumon intéressant, un pot de marron assez douteux mais surtout, miracle des miracles, le fond d’un pot de peinture dorée. C’était une trouvaille de Nino et il en était extrêmement fière :

- T’as vu Jazz ! C’est moi qui l’ai trouvé.

Il n’arrêtait pas de le répéter en tirant sur ma manche. Je lui souriais distraitement, occupée à diluer la peinture avec Aïcha.

Nous nous étions mis au travail tous les trois sans faire d’histoire. Nous avions décidé de peindre l’extérieur du bus en bleu nuit et de l’agrémenter d’étoiles dorés. Pour l’intérieur, nous nous étions mis d’accord pour le rose. Le marron ne nous servirait sûrement pas. Pas grave, il était vraiment affreux. La journée passa a une vitesse folle et, ce soir là, au moment de se coucher, nous étions tous d’excellente humeur.

 

Chapitre 3 :

 

C'est le lendemain matin que l'orage éclata. Aïcha était partie sans prévenir au cœur de la nuit. Elle avait laissé un mot sur une des banquette du bus. Je le parcouru rapidement des yeux : cette fois, elle nous quittait pour de bon. Elle n'aurait plus à s'occuper de je cite « poids ». C'était comme ça qu'elle nous voyait. Comme des poids. Je me mis à pleurer, de rage mais surtout de désespoir. A quoi bon vivre quand tous ceux à qui l'on tenait nous abandonnait. Père m'avait déjà pris... Il m'avait pris...

Mes pleurs redoublèrent. Je préférais ne pas y penser.

Je me rappelais encore ma rencontre avec Aïcha. Cela faisait très peu de temps que je vivais à la rue.

Elle m'avait pris sous son aile sans poser de question. 

J'étais seule, je ne pouvais pas rester plus d'une ou deux heures au même endroit de peur de e faire agresser par des hommes plus âgés. On est à l'abri de rien dans la rue.

Quand je vivais avec Père, je n'avais pas l'impression d'être privilégiée. C'était même plutôt le contraire. Je pensais être la fille la plus malheureuse de la planète.  Père subvenait à mes besoins matériels, mais pas à mes besoins affectifs. 

Dans la rue je n'avais plus ni l'un, ni l'autre. Ni argent, ni amour. Lorsque j'avais rencontré Aïcha, j'avais récupéré l'un, et l'autre était soudain devenu insignifiant. 

L'Aïcha que je connaissais avait été remplacée par une autre personne qui nous voyait comme des poids Nino et moi. Comme je la détestais cette Aïcha là. Je la détestais vraiment.

La résignation dans son regard... C'était ça. Elle avait prévu de nous abandonner. La journée d'hier, cette journée si parfaite, était un au revoir... Ou un adieu...

- Elle est où Chacha ?

C'était Nino qui avait posé la question. Une question innocente de petit garçon encore un peu endormi. D'habitude quand Nino l'appelait Chacha je trouvais ça adorable mais ce jour-là, j'étais trop en colère contre Aïcha et c'est cette phrase qui finit par me faire sortir de mes gonds :

- Je sais pas ! Tu m'emmerdes à parler d'elle. Fous-moi la paix !

J'avais hurlé. Je n'arrivais pas à croire que cette phrase était sorti de ma bouche. Nino était sous le choc. J'étais d'habitude plutôt patiente avec lui. Il arrivait que je m'énerve contre lui mais pas à ce point.

J'étais persuadée qu'il allait se mettre à pleurer ou au moins à bouder. Mais contre toute attente, il s'approcha de moi et me fit un gros câlin comme seul lui savait les faire. Plein de maladresse mais aussi de tendresse.

Il avait compris que ce n'était pas contre lui que j'étais en colère.

-Je t'aime Jazz.

Murmurée, cette phrase me fit pourtant l'effet d'une claque. Il fallait que j'assume les responsabilités qui m'incombaient maintenant qu'Aïcha était partie. Pour moi, mais surtout pour Nino. C'était lui ma raison de vivre.

-Moi aussi je t'aime Nino. Très, très fort.

 

Chapitre 4 :

 

 


On déjeuna donc tous les deux avec Nino. Il ne restait presque plus de provisions. À peine de quoi tenir deux jours. Il faut dire que la veille, nous avions fait un véritable festin. Aïcha avait prétexté que ce serait surement la dernière belle journée de l'année. Je m'étais finalement laissée convaincre grâce - ou plutôt à cause - des regards implorants que me lançaient Nino et j'avais finis par sortir et préparer ce qu'il nous restait dans le bus.

- Il faudra que nous allions en ville aujourd'hui dis-je

Nino se redressa sur le bidon où il était assis. Il adorait aller en ville. Nous y allions pourtant rarement. C'était généralement Aïcha qui nous réapprovisionnait. J'étais toujours très en colère contre elle. Non seulement, elle nous abandonnait. Mais en plus, elle nous laissait dans l'adversité.

Pour une personne ordinaire - avec un foyer - se rendre en ville pour aller faire des courses était une action des plus banales. Pour une personne ordinaire...

Pour nous, faire des emplettes prenait des allures de mission commando.

Je me rendis au fond du bus et soulevais le dernier siège de la rangée de gauche. Il était mal collé et cachait un une petite boîte en carton qui contenait toutes nos économies : 21,50 €. C'était peu même pour des personnes vivant à la rue. Je rechignais à mendier, je trouvais ça... dégradant.

- Allez Nino, on file !

Le petit prenait très à cœur notre « mission ». Je lui pris la main et j'enjambai la barrière de la décharge.

Chapitre 5 :

 

"- C'était trop bien! "

Nous venions de sortir d'une petite épicerie où les prix n'étaient pas onéreux et l'épicier ne posait pas trop de questions. C'était un homme costaud que le travail plus que le temps avaient abimé. Il était tout de même avenant. Et prévenant. Cet homme devait avoir des enfants. Quand il avait aperçu Nino entrain de baver devant les sucettes à la fraise, il s'était exclamé:

"- Bah alors, mon grand, ça te plairait de goûter ?

-Oh oui ! Merci m'sieur!  avait répondu Nino tout sourire. Il avait attrapé la sucette que lui tendait l'homme et avait couru me montrer son trésor. 

L'épicier avait éclaté de rire avant de nous faire passer à la caisse.

"- Dites les jeunes, moi c'est Ali. Si vous avez besoin de quelque chose...

- Merci beaucoup Monsieur...euh... Ali, c'est très gentil!" avais-je répondu avec une politesse qui n'était même pas forcée. 

"- Vos parents ont bien de la chance d'avoir des enfants mignons comme vous." 

Ali devait se douter qu'on avait pas vraiment des parents aimants qui nous choyait. On venait de lui acheter 3 kg de riz et des biscuits secs. De plus, nous ne nous ressemblions pas du tout. Nino un petit garçon blond comme les blés avec les 2 dents de devant manquantes  qui le rendait encore plus craquant. Jazz une ado taciturne, cachée dans dans un sweat à capuche trop grand. Le jour et la nuit. Ali n'avait pas pu imaginer que nous étions frères et sœurs. Notre seul point commun c'était la saleté qui maculait notre corps. 

Nino était déjà sorti de la boutique et je m'apprêtais à l'imiter lorsque Ali me retint par le bras. Il me tendit une bouteille de shampoing et m'expliqua: 

"- Pour le petit, il a des poux"