Ma chère belle-fille,

J'ai bien reçu ton télégramme. Je suis dévasté par l'annonce du décès de mon petit-fils. Il était si jeune et il avait toute la vie devant lui. C'était un garçon fort et courageux. Il aurait mérité de vivre plus longtemps et de fonder une famille. J'étais très attaché à Emile. Nous aimions pêcher ensemble dans ce coin que nous étions seuls à connaître et nous en profitions pour avoir de grandes conversations. Je regrette de ne pas avoir pu lui dire au revoir.

Si ma pauvre Apolline, sa grand-mère, était encore de ce monde et n'avait pas été emportée par la maladie elle aurait été bien plus chagrinée que moi.

Tout ça à cause des prussiens et des boches que je déteste car ils nous ont amputés de l'Alsace et de la Lorraine en 1870. Ils étaient les alliés de Otto Von Bismarck, ce misérable homme politique qui voulait une unification allemande avec les territoires proches et souhaitait surtout notre perte. Ce peuple guerrier était bien préparé, bien décidé à être plus puissant que nous. Nous étions économiquement parlant plus riches qu'eux et cette puissance les rendait jaloux. L'empire Napoléonien avait une réputation impressionnante avec une armée forte qui avait remporté de nombreuses victoires à travers le monde. Dans cette guerre, nous avons perdu beaucoup de soldats mais aussi des civils, victimes innocentes !

Et puis cela a coûté beaucoup d'argent à la France et il est hors de question que tout cela se reproduise. Plus jamais ça !!!

Je ressens encore beaucoup de haine. Je me souviens de mes camarades qui comme moi s'en sont sortis mais avec une envie de vengeance que cette nouvelle guerre nous offre !

Par contre, j'ai de la peine pour les soldats français qui tombent chaque jour et j'espère que Paul Emile ne sera pas victime à son tour de cette guerre meurtrière, qu'il n'en reviendra pas anéanti et qu'il restera le même.

Ma chère Célestine, je connais l'usine d'Enghien où tu vas travailler, le directeur Mr Carré est une vieille connaissance. Si je me souviens bien, cette usine était spécialisée dans le matériel d'incendie, mais maintenant je pense qu'elle s'est tournée vers l'armement.

Chère belle-fille, je vois que tu réponds à la demande du ministre René Viviani dans son « appel aux femmes » et c'est ta façon de participer à la guerre.

Ne t'inquiète pas pour les enfants, je serai là pour les garder, les protéger et les réconforter malgré ton absence, celle de leur père et de leur frère.

Au revoir et à bientôt.

                                                                                                              Albert.

 

Les élèves de l'école Loiseau à Pontoise