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11 février 2018

Je n'y arriverai jamais...

J'y arriverai jamais, m'sieur.
- Tu dis?
- J'y arriverai jamais!
- Où veux-tu aller?
- Nulle part! Je veux aller nulle part!
- Alors pourquoi as-tu peur de ne pas y arriver?
- C'est pas ce que je veux dire!
- Qu'est-ce que tu veux dire?
- Que j'y arriverai jamais, c'est tout!
- Écris- nous ça au tableau: Je n'y arriverai jamais.

Je ni ariverai jamais

- Tu t'es trompé de n'y. Celui-ci est une conjonction négative, je t'expliquerai plus tard. Corrige. N'y ici, s'écrit n apostrophe, y. Et arriver prend deux r.

Je n'y arriverai jamais.

- Bon. Qu'est-ce que c'est que ce "y" d'après toi?
- Je sais pas.
- Qu'est-ce qu'il veut dire?
- Je sais pas.
- Eh bien il faut absolument qu'on trouve ce qu'il veut dire, parce que c'est lui qui te fait peur, ce "y".
- J'ai pas peur.
- Tu n'as pas peur?
- Non.
- Tu n'as pas peur de ne pas y arriver?
- Non, je m'en branle.
- Pardon?
- Ca m'est égal, quoi, je m'en moque!
- Tu te moques de ne pas y arriver?
- Je m'en moque, c'est tout.
- Et ça, tu peux l'écrire au tableau?
- Quoi, je m'en moque?
- Oui.

Je mens moque.

M apostrophe en. Là tu as écrit le verbe mentir à la première personne du présent.

Je m'en moque.

- Bon, et ce "en" justement, qu'est-ce que c'est que ce "en"?
- ...
- Ce "en", qu'est-ce que c'est?
- Je sais pas, moi... C'est tout ça!
- Tout ça quoi?
- Tout ce qui me gonfle!

 

Le lot du cancre: on ne le croit jamais. Pendant sa cancrerie on l'accuse de déguiser une paresse vicieuse en lamentations commodes: "Arrête de nous raconter des histoires et travaille!" Et quand sa situation sociale atteste qu'il s'en est sorti on le soupçonne de se faire valoir: "Vous, un ancien cancre? Allons donc, vous vous vantez!" Le fait est que le bonnet d'âne se porte volontiers a posteriori. C'est même une décoration qu'on s'octroie couramment en société. Elle vous distingue de ceux dont le seul mérite fut de suivre les chemins du savoir balisé. Le gotha pullule d'anciens cancres héroïques. On les entend, ces malins, dans les salons, sur les ondes, présenter leurs déboires scolaires comme des hauts faits de résistance. Je ne crois, moi, à ces paroles, que si j'y perçois l'arrière-son d'une douleur. Car si l'on guérit parfois de la cancrerie, on ne cicatrise jamais tout à fait des blessures qu'elle nous infligea. Cette enfance-là n'était pas drôle, et s'en souvenir ne l'est pas davantage. Impossible de s'en flatter. Comme si l'ancien asthmatique se vantait d'avoir senti mille fois qu'il allait mourir d'étouffement! Pour autant, le cancre tiré d'affaire ne souhaite pas qu'on le plaigne, surtout pas, il veut oublier, c'est tout, ne plus penser à cette honte. Et puis il sait, au fond de lui, qu'il aurait fort bien pu ne pas s'en sortir. Après tout, les cancres perdus à vie sont les plus nombreux. J'ai toujours eu le sentiment d'être un rescapé.