Je me promenais à vélo dans la forêt, quand je me perdis. Au bout de quelques minutes, qui me semblèrent être des heures, à chercher mon chemin, le sentier s'agrandit pour laisser place à un magnifique château. Quoique de proportions modestes, il ne m'inspirait pas confiance. De plus, il commençait à faire sombre. Le temps passe tellement vite ! Je ne pensais pas qu'en Automne, le ciel s'assombrissait aussi tôt. 

Je concentrai mon attention sur le château, qui après réflexion, ressemblait plutôt un manoir. Il était sombre et lugubre. Je m'avançai et faillis tomber dans l'étang qui prolongeait la bâtisse : je reculais d'un coup, mais mon téléphone, qui était dans ma poche, tomba dans l'eau. Mince ! Comment je vais faire pour appeler mes parents pour qu'ils viennent me chercher ? Je regardai le maudit étang qui venait d'engloutir mon téléphone. 

Prise de panique, mon imagination s’emballait. Les branches des arbres qui se dressaient vers le ciel noir se reflétaient sinistrement sur l'eau, me faisant penser à toutes sortes de monstres, avec des griffes aiguisées. Je m'accroupis sur la rive et plongeai ma main dans le flot moiré pour essayer de retrouver mon téléphone. Je pourrais toujours le faire réparer, ça reviendrait sûrement moins cher que d'en acheter un autre. L'eau se referma sur ma main. L'étang était gelé. Je frissonnais. Ma main atteignit le fond de l'eau bourbeuse. Je commençais à tâter la vase gluante, lorsque je sentis quelque chose me toucher le bras. Je le retirais vivement. L'eau ne bougeait pas, pas le moindre clapotis ou la moindre ondulation à la surface. J'avais dû rêver. Je replongeais ma main dans l'eau. Je sentis quelque chose de dur et de carré sous mes doigts. C'est bon, je l'avais retrouvé ! Tout à coup, quelque chose s'enroula autour de mon poignet. Je poussai un cri en retirant brusquement mon bras de l'eau. Il n'y avait rien d’apparent malgré la brûlure que je ressentais.

 Tant pis pour mon téléphone, je vais devoir en racheter un autre. Du coin de l'oeil, je vis une lumière s'allumer à une fenêtre du manoir.  Quelqu'un avait du m'entendre pousser un cri. Ca voulait dire qu'il y avait quelqu'un. Tant mieux, je ne voulais dormir toute seule après avoir croisé la "chose" dans l'étang. Réalité ou fruit de mon imagination enfiévrée? Je me dirigeais donc prudemment vers la porte d'entrée.

 Il y avait un heurtoir, une effigie de lion à grande gueule. Je toquais le coeur palpitant. La porte s'ouvrit lentement et toute seule. Très étrange. J'entrais. En face de moi, se tenait un grand escalier qui se séparait en deux, comme dans le récit de la Belle et la Bête. Au pied se tenait une famille qui me regardait. Par déduction, je me dis qu'il y avait une mère, un père, une tante, un oncle, deux fils et une fille. Je trouve qu'ils étaient très pâles. Ils me fixaient tous intensément. Je n'entendais presque pas le bruit de leur respiration, et leur poitrine ne bougeait pratiquement pas.

"-Bonjour, lançais-je timidement en fermant la porte derrière moi. Je m'appelle Charlotte, et je me suis perdue dans la forêt. Mon téléphone est tombé dans l'eau, et je n'ai pas pu le récupérer, dis-je en frissonannt à la pensée de la chose dans l'étang. Je ne peux pas appeler mes parents. Je pourrais rester ici juste cette nuit, s'il vous plaît ? leur demandais-je pleine d'espoir."

Il continuèrent à me fixer, lorsqu'un des deux garçons s'approcha de moi pour me saisir par le poignet. Il devait avoir mon âge, peut-être un peu plus. Il m'emmena à l'étage sans un mot. Je n'essayais pas de me débattre, même s'il me tenait un peu plus fort qu'il ne l'aurait dû pour m'emmener.

-"Excuse-moi, mais tu pourrais desserrer ton étreinte, s'il te plaît ? Tu me fais mal.

-Oh, désolé ! dit-il soudainement. Je ne l'ai pas fait exprès.

-C'est pas grave, lui dis-je en massant mon poignet toujours endolori. Où est-ce que tu m'emmène s? 

-Dans ta chambre pour la nuit."

A partir de là, il se tut. Il me regarda un bref instant, ses yeux avaient la limpidité d’un lac de haute montagne.

J'examinais donc les couloirs en silence. Il y avait de nombreux tableaux avec des hommes ou des femmes peints dessus. Ce devaient être des gens de leur familles. Il s'arrêta devant une porte et l'ouvrit. Il entra et je le suivis. La pièce se constituait d'un simple lit, avec un drap noir. Il y avait une table de chevet avec trois tiroirs et un seul meuble sur le mur opposé au lit. La chambre était relativement petite, mais elle était carrée ce qui lui donnait un air assez étrange. Je m'assis sur le lit pour tester le matelas. Il était dur, il n'avait pas l'air d'être très confortable. Mais bon, je ne vais y passer qu'une seule nuit, et ensuite je pourrais retrouver mon lit tout moelleux avec toutes mes peluches.

"Je dois te donner quelques règles, que tu dois respecter quoi qu'il arrive,dit-il.

-Très bien, je t'écoute.

-Premièrement, tu éteins toutes les lumières. Ensuite, évite de faire du bruit. Et troisièmement, ne sors de ta chambre sous aucun prétexte, d'accord ? 

-Très bien, lui dis-je.

-Promets-le moi.

-Je te le promets ! dis-je en levant une main.

-Ok. Je vais me coucher, d'accord ? Et veille bien à tout éteindre, ok ? 

-Oui, j'y veillerais. Bonne nuit.

-Bonne nuit, dit-il avant de sortir. Ah oui ! Et surtout, n'oublie pas de fermer la porte à clé, dit-il en me les lançant. Bonne nuit !

-Fermer la porte à clé ? Et puis quoi d'autre ? Il ne faut pas manger sur le lit ? Il ne faut pas boire ? Elles sont un peu trop excessives, ces règles."

J'allumais la lampe de chevet. Quel étrange accueil. Tout en me déshabillant, je pensais à cette étrange famille, au comportement singulier du garçon. J’ouvrais tous les tiroirs, mais n'y trouvais rien dedans. Mon ventre gargouilla. Je ne m'étais pas rendu compte à quel point j'avais faim ! Heureusement, j'avais gardé quelques barres énergisantes dans la poche droite de mon manteau. J'allais les chercher. Ce n'était pas super de manger du sucre et des vitamines qui donnaient des forces juste avant de dormir, mais je n'avais rien d'autre. Tant pis, je ferais avec. Quand j'eus fini de les manger, je m'allongeai sur le lit, et pensai à tout ce qui s'était passé dans la soirée, au garçon étrange, à l’étrange regard si vert, si bleu, d’une transparence de lac.

Premièrement : je m'étais perdue dans la forêt. 

Deuxièmement : je trouvais un manoir.

Troisièmement : une chose a voulu m'engloutir toute entière dans l'étang.

Quatrièmement : le manoir est habité par une famille très étrange.

Et cinquièmement : ils ont des règles complètement tordues.

Ca en fait beaucoup pour une soirée. Au bout de quelques minutes, je m'endormis. Je me réveillai en plein milieu de la nuit dans un sursaut. Je venais d'entendre un hurlement ! Je n'avais pas rêvé ? Je me levai, complètement affolée. J'essayai de ne pas faire de bruit, mais je fis tomber ma montre que j'écrasai. 

J'entendis alors un bruit de pas. Je m'arrêtai net, en plein milieu de la chambre, mon pied encore sur ma montre en bouillie. J'entendais des bruits de pas traînant sur le sol, cela n’avait rien d’humain. Cela pouvait être une bête puissante, mais traînant quelque chose de lourd après elle. Elle se rapprochait. J'entendis les pas ou les pattes passer devant ma porte et s'arrêter. Je vis la poignée s’abaisser. Je n'avais aucun moyen de fuir ou de me cacher : j'étais en plein milieu de la chambre, et si je bougeais mon pied droit, ma montre fracturée en mille morceaux risquerait de faire du bruit. On força la porte, mais elle tint bon. La chose repartit. 

Soulagée, je m'assis sur le lit, non sans ramasser ma montre en mille morceaux. Je n'avais plus aucun moyen de lire l'heure. J'essayai un truc de scout, même si je n'en ai jamais été une : je choisis treize objets, un au centre et les douze autres en forme de cercle autour. J'ouvris les rideaux sur un clair de lune étincelant : le cercle montrait le huit. Ca voulait dire qu'il n’était que 20 heures, ce qui était totalement impossible. Inquiète, je m'endormis rapidement.

 Je me réveillais encore. Cette fois, je n'avais pas entendu de bruit, j'avais juste besoin d'aller aux toilettes. Malheureusement, il n'y en avait pas dans ma chambre. Il fallait que je sorte. Malgré les recommandations plus que nombreuses du garçon qui m'avait emmené ici, je m'habillai et sortis de la chambre en déverrouillant la porte. Je ne faisais pratiquement aucun bruit. Je n'avais pas de lampe, donc je longeai le mur. Au bout de quelques minutes à tâtons, longeant un mur étrangement vierge, je trouvais les toilettes. En sortant, je pris soin de ne pas tirer la chasse d'eau : cela ferait trop de bruit. Désolé pour celui ou celle qui viendrait après moi. Je longeai donc le mur en sens inverse. Je n'aurais aucune difficulté à retrouvé ma chambre, puisqu'il n'y en avait pas d'autres sur cette partie là du mur. J'entendis le bruissement d'un tissu. 

La bête était-elle revenue ? Je m'arrêtai. Le bruissement continuait à se faire entendre, et j'entendis un cri étouffé. Malgré la peur qui me clouait au sol, je m'obligeai à avancer jusqu'à un autre embranchement. Je devais tourner à droite, mais, au bout du couloir, je vis une forme bouger. J'aperçus deux corps entremêler. Je m'approchai discrètement, en essayant de ne faire aucun bruit. Je me cachai derrière ce qui me semblait être un meuble. Au dessus de moi, il y avait un rideau. Je le tirai discrètement, ce qui me permis de voir les deux corps grâce aux rayons de la lune qui filtraient à travers la fenêtre.

 Ce que je vis, m'horrifia. Il y avait un corps sur le sol. Il était inerte, il ne bougeait plus. Grace au peu de lumière qu'il y avait, je vis une flaque sombre en dessous. Ce n'est pas possible. La flaque était du sang ! Elle se répandait sur le sol, tandis que la personne qui l'avait tué, se dirigeait vers moi. Non, non, non ! Elle allait me voir et me tuer, comme il l'avait fait avec la personne qu’elle venait d'attaquer. Je m'enfonçai dans le mur. J'essayai d'être parfaitement immobile. Je vis la forme sinistre passer devant moi. Ce n'était même plus une personne ! Elle était courbée sur le côté, ses vêtements étaient déchirés. Elle était pieds nus, et on aurait dit qu'elle était en train de pourrir. Je poussa un cri malgré moi. Je plaquai mes mains devant ma bouche, pour m'empêcher de crier à nouveau. La bête m'entendit. Elle s'arrêta et se tourna vers moi. Elle me regarda à travers ses yeux vitreux. Avec un peu de chance, elle ne me verrait pas : j'étais dans l'ombre, et cette chose informe avait l'air d'être aveugle, vue ses pas hésitants qui traînaient sur le sol. Elle se rapprochait de plus en plus de moi, s’arrêta. Un mètre nous séparait. Elle se pencha au-dessus de moi, et je pus voir son visage : c'était le garçon qui m'avait accompagné jusqu'à ma chambre ! Mais que lui était-il arrivé ? A présent, son visage ne se trouvait qu'à quelques centimètres de mon visage. Son haleine était horrible : il y avait une odeur de sang. Je fermai les yeux et mis ma tête dans mes genoux : je ne pouvais pas regarder cette chose en face. Je commençai à pleurer. C’était devenu un loup- garou.

 D'un coup, il se releva et me prit par la cheville pour me traîner au sol. Je me débattis, mais ne fis pas de bruit, sinon c'était la mort assurée. Je me laissai donc trainer au sol, dans l'espoir qu'il ne me ferait pas de mal. Les larmes coulaient toujours sur mes joues, mais je n'y faisais pas attention. J'avais un plan pour me débarrasser de cette bête immonde. Je me relevai pour mieux voir où il m'emmenait. Je reconnus l'escalier que j'avais monté hier - car il devait être bien plus de minuit. Mais où m'emmenait-il ? Je vis une grosse pelle qui servait généralement à déblayer la neige ou à ramasser les tas de feuilles. Je la saisis, et la serrai contre moi. La bête continuait de se rapprocher de l'escalier. Je crois que j'ai compris ce qu'elle voulait faire. Elle voulait me jeter du haut des escaliers pour que je me fracasse le crâne au sol !

 Je vis le soleil pointer du haut d'une fenêtre. Si ma théorie était bonne - celle qui disait que c'était une sorte de loup-garou - le soleil le le ferait redevenir lui-même. Je me rapprochais dangereusement du bord des escaliers. Je devais gagner du temps ! Je commençai à me débattre. Je poussai ma jambe d'avant en arrière. la bête, surprise, la lâcha. Je me redressai rapidement. Je m'appuyai sur la jambe qu'il avait tenu : je m'effondrai par terre. Elle me faisait mal ! Tant pis, je ferais avec. Je me redressai. La bête était furieuse : elle s'apprêta à bondir sur moi, lorsque je lui assenai un violet coup de pelle sur la tête. Je l'envoyai valdinguer par terre. Je jetai un coup d'oeil à la fenêtre : le soleil allait se lever d'une minute à l'autre. Je me précipitai sur la bête, et fis passer la pelle autour de son cou. Elle poussa un rugissement qui me fit froid dans le dos. Je l'obligeai à se relever. Il se débattit, et me griffa le bras grâce à une de ses nombreuses griffes : je poussai un hurlement de douleur, mais ne lâchai pas la pelle pour autant. Je l'amenai devant la fenêtre pour qu'il puisse être exposé au premier rayon du soleil. Il se leva dans un rayonnement d’aube pure au moment où j'immobilisai la bête : celle-ci se transforma instantanement en le jeune homme qui m'avait conduit à ma chambre. Il s'effondra au sol. Il s'était évanoui. J'eus une idée, mais il fallait que je me dépêche avant qu'il ne se réveille. Je vis un calepin et un stylo sur un meuble pas loin : je les saisis et écris un mot :

"Bonjour, c'est Charlotte, la jeune fille que vous avez hébergée pour la nuit. Votre fils, celui qui m'a accompagné jusqu'à ma chambre, s'est transformé en une bête immonde qui tue pour le plaisir. Je vous conseille de prendre des mesures à son égard avant qu'il ne fasse plus de mort. Je vous remercie de votre hospitalité. Au revoir"

Je laissais le mot sur la porte d'entrée, et sortis. Je passai devant l'étang en essayant de ne pas trop penser à ce qui s'était passé à l’extérieur et à l'intérieur du manoir. Je m'enfuis en courant, et trouvai la ville assez rapidement. J'étais gelée, je n'avais pas pris mon manteau - en même temps, je ne m'attendais pas à croiser une bête dans les couloirs. Je rentrai chez moi, frigorifiée, mais contente que cette nuit d'horreur soit terminée, malgré le fait qu'il faille que je raconte tout à mes parents. Ils penseront qu’il s’agit d’une affabulation pour me disculper de la perte de mon téléphone.

Après réflexion, je pense que je ne vais pas raconter cette étrange histoire à mes parents. Sinon, c'est adieu les petites randonnées tranquilles dans la forêt !

 

 

Charlotte Caron