littérature

Incipit de Vercors

Chapitre premier

Qui s’ouvre selon les règles par la découverte d’un cadavre d’ailleurs très petit mais déconcertant. Colère et stupéfaction du docteur Figgins. Perplexité de l’inspecteur Brown. Le meurtrier insiste déplaisamment pour être inquiété. Première apparition du « Paranthropus »

Assurément, si l’on vous réveille à cinq heures du matin, et même si vous êtes médecin, ce n’est pas une façon précisément de vous disposer à l’humour. Et, ce qui vous aurait, vous et moi –après un bon déjeuner au lit- mis sans doute en gaieté, ne nous étonnons pas que le docteur Figgins, appelé ainsi dès potron-minet, l’ait considéré tout autrement. Même l’aspect de Douglas Templemore, lequel arvborait – et apour cause- une expression plutôt dramatique, eût ajouté pour nous sans doute au comique de tous ces quiproquos ; tandis que le docteur Figgins y trouva au contraire une raison de plus pour s’assombrir. Comme aussi la nature, pour le moins insolite du cadavre qu’on lui montrait. Car cette histoire, naturellement, commence par un cadavre. Je m’excuse de la banalité d’un tel début, mais ce n’est pas ma faute.

                C’était d’ailleurs, avouons-le, un tout petit cadavre. Et certes, petits ou grands, le docteur Figgins au long de sa carrière avait eu mainte occasion d’en rencontrer. De sorte qu’il ne s’étonna point, d’abord, de celui-là. Simplement, après s’être penché une seconde sur le berceau, il se releva et regarda Douglas avec une expression, comme on dit, professionnelle. C’est-à-dire que son visage sut artistiquement mêler des plis propres à manifester tous ensemble la gravite, le blâme, le doigté et la compassion. Il observa pendant quelques secondes ce silence éloquent avant d’articuler entre les poils de sa grosse moustache :

  • Je crains que vous ne m’ayez fait venir un peu tard…

Paroles qui lui rappelèrent non sans ressentiment, l’heure matinale. Cependant Doug inclinait la tête.

  • C’est justement, dit-il d’une voix neutre, ce que je voulais vous faire constater.
  • Pardon ?
  • L’enfant est mort, je suppose, depuis trente cinq ou quarante minutes ?

Là-dessus le docteur Figgins oublia l’heure et le reste, et les poils de sa moustache s’agitèrent sous le vent d’une véritable indignation :

  • Bon sang alors, monsieur, pourquoi ne m’avez-vous pas appelé plus tôt ?
  • Vous ne m’avez pas compris, dit Doug. Je l’ai piqué avec une forte dose de chlorydrate de strychnine.

Le médecin fit un pas en arrière, renversa une chaise, s’efforça de la retenir sans pouvoir s’empêcher de crier sottement :

  • Mais c’est un meurtre !
  • N’en doutez pas, dit Doug.
  • - What the devil ! Mais pourquoi… comment avez-vous pu…
  • - Je réserverai pour plus tard, si vous voulez bien, mes explications.
  • Il faut avertir la police, dit le docteur avec agitation.
  • J’allais vous en prier.

Figgins prit l’appareil d’une main qui tremblait un peu ; il appela le commissariat de Guildford, demanda un inspecteur, et pria d’une voix enfin affermie qu’on vînt constater à Sunset Cottage un crime sur un nouveau-né.

  • Infanticide ?
  • Oui. Le père m’a déjà tout avoué.
  • Bon sang, ne le laissez pas filer !
  • Il ne paraît pas en voir la moindre attention.

Le médecin raccrocha. Il revint vers l’enfant, lui ouvrit les paupières, la bouche. Il considéra enfin, avec une légère surprise, les petites oreilles sans lobe et trop haut plantées, mais ne dut pas en penser grand-chose, puisqu’il ne dit rien. (…)

  • La mère alors est-elle ici ?
  • Non, dit Douglas.
  • Ah…, où est-elle ?
  • On l’a ramenée au Zoo.
  • Elle est employée là-bas ?
  • Non, elle est pensionnaire.

Conte arabe


 

Rabah Belamri, Conte arabe, Mémoire en archipel, 1990.

  - Raconte-nous l'histoire de l'éléphant du roi, mère ! 
  - Mais vous la connaissez déjà. 
  - Ça ne fait rien. Raconte encore. 

  Et nous ne la laissions en paix que lorsqu'elle commençait à nous raconter l'histoire de l'éléphant du roi. 
  Il y avait un roi qui possédait un gros éléphant. Il l'aimait beaucoup et le laissait libre de ses mouvements. L'éléphant allait partout : traversant les champs et les jardins, causant sur son passage des dégâts considérables. La population se taisait, n'osant protester auprès du souverain par peur de le contrarier. Or, un jour, Jeha, qui venait d'assister au saccage de son champ de blé, son bien unique, dit à ses compatriotes : 
  - Mes frères, soyons courageux et allons voir le roi tous ensemble pour lui dire que son éléphant nous fait du mal. Il nous ruinera. Nous finirons par mourir de faim. 
  - Mais lequel d'entre nous sera assez fou pour s'adresser au roi ? dirent les gens, craintifs. 
  Jeha réfléchit un instant et déclara : 
  - Puisque vous avez peur, je parlerai le premier. Je dirai : Sire, sauf ton1respect, ton éléphant...et vous à l'unisson, vous poursuivrez : nous fait du mal. Ainsi, personne ne sera mis à l'avant. Et si nous devions encourir la colère du roi, nous la subirions tous. 
  Quand le roi apparut sur son balcon et fit signe au peuple rassemblé à ses pieds de présenter ses doléances, Jeha prit la parole : 
  - Sire, sauf ton respect, ton éléphant... 
  Le peuple demeura muet, et la suite de la phrase ne vint pas. 
  - Qu'a-t-il donc, mon éléphant ? s'enquit le roi, les yeux posés sur Jeha. 
  Jeha ne perdit pas contenance. 
  - Sire, sauf ton respect, ton éléphant... reprit-il en se retournant vers ses compagnons qui, tête basse, semblaient avoir perdu l'usage de la parole. 
  - Parle donc Jeha ! Qu'as-tu à reprocher à mon éléphant ? 
  Jeha se gratta la tête, embarrassé, soupira avec découragement.
  - Sire, sauf ton respect, ton éléphant... 
  Il attendit un moment. Le peuple refusait de parler. Le peuple avait peur de son roi. 
  - Alors Jeha veux-tu bien parler ! lança le roi avec impatience. 
  - Oui, Sire ! dit Jeha d'une voix raffermie. Nous sommes venus te dire que ton éléphant nous fait le plus grand bien. Nous l'aimons et nous souhaitons avoir d'autres éléphants pour lui tenir compagnie, une dizaine, Sire. Ça égayera notre pays et nos existences. Et tes sujets, Sire, sont disposés à participer à leur achat.

 

"Le dernier jour d'un condamné" lecture analytique

Bicêtre.

Condamné à mort !

Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !

Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années que des semaines, j’étais un homme comme un autre homme. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des jeunes filles, de splendides chapes d’évêque, des batailles gagnées, des théâtres pleins de bruit et de lumière, et puis encore des jeunes filles et de sombres promenades la nuit sous les larges bras des marronniers. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.

Maintenant je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est en prison dans une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : condamné à mort !

Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à toutes les paroles qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses de mon cachot ; m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un couteau.

Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : – Ah ! ce n’est qu’un rêve ! – Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle mouillée et suante de ma cellule, dans les rayons pâles de ma lampe de nuit, dans la trame grossière de la toile de mes vêtements, sur la sombre figure du soldat de garde dont la giberne reluit à travers la grille du cachot, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : – Condamné à mort !

Du silence et des ombres

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3ème lecture analytique

Bob s’effondre. Bess, Dick, Ed, Jack l’entourent, s’empressent auprès de lui. Bouche à bouche, mouvements des bras et autres gestes de réanimation.

 

Bess

Oh Bob

 

Sue

Goûte Nan

 

Nan

C’est corsé

On dirait presque

On dirait que c’est salé

 

Sue

Ca l’est

J’ai coupé les intestins en rondelles le gros et le grêle

Nan

J’avais oublié ce que c’est le goût du sel

C’est fabuleux

 

Sue

Encore une minute sur le feu ça sera encore plus savoureux

 

Ed

Le cœur bat

 

Nan

Tu es sûre qu’on peut manger ça ?

 

Sue

J’y ai mis aussi une cervelle

 

Nan

Tu es sûre

Nan

Sans les vider ?

 

Sue

Tout est là

Sue

Une couille regarde

 

Nan

Vraiment

 

Bess

Dieu soit loué

 

Dick

Le vent s’est levé

Transportons-le dans la cabine

 

Sue

Maintenant on peut les appeler

 

Nan

Ce sera difficile

 

Sue

Mais non

 

Nan

De raconter à maman

 

Sue

Nan Mister Lamb vit ses derniers moments

 

Nan

Ce morceau ?

 

Sue

Goûte

 

Nan

C’est doux c’est fondant les dents s’amusent dedans

Jack

Les narines remuent

 

Nan

Que ça ne va pas nous rendre malades ?

 

Sue

Le foie

 

Ed

Le pouls bat

 

Nan

Hmm

Et avec cette grosse enveloppe de graisse autour

 

Bess

Bob

Dick Ses lèvres

 

Jack

Remuent

 

Sue

Un rein

 

Bob

Se dressant sur un coude

Et vous direz à Nickie

Ils ont même prétendu la CIA a longtemps cru

Laury m’a alerté je suis intervenu bien entendu auprès de Leslie à Washington Leslie

Pauvre Nickie il s’en est vu

Il s’est débattu comme il a pu moi un agent du KGB ?

Ils l’ont enlevé ils l’ont interrogé

Et puis tout s’est arrangé

Grâce à Leslie il faut dire que Leslie

 

Bob retombe. A nouveau, soins de secourisme mais, cette fois, Bob est mort. Rassemblement autour du foyer. Sue sert le ragoût. Repas.

L'Ordinaire de Vinaver 2ème lecture analytique

Morceau deux

On ajoute à l’étude de l’extrait, les didascalies suivantes :

Trois jours après. Grand soleil. Des sièges ont été disposés sur la neige, on y est installés bras nus comme dans des chaises longues sur une terrasse. Les visages se sont émaciés, parcheminés. Les mouvements sont devenus lents, pesants. Par moment, même parler devient un effort. Dick et Nan font fondre de la neige dans des bouteilles. Ed et Jack cousent bout à bout des enveloppes de coussins de sièges et les assemblent pour confectionner des sacs à dos. Sue découpe des cercles de plastique teinté dans les pare-soleil du poste de pilotage, avec lesquels elle fabrique des lunettes. Bob compte et recompte, trie et retrie ce qui reste de nourriture. Bess somnole. Seule Pat est restée dans la cabine, dont on ne voit pas l’intérieur.

(…) L’extrait étudié se situe à la fin du morceau 2, les personnages sont réduits à mangers les cadavres de Bill et Jim pour survivre.

Bess 

 Dieu punira ceux qui L’offensent

Dieu miséricordieux

Dieu punira ceux qui laissent faire aussi

Bob 

Petersen l’a très bien dit tout manager tend naturellement vers le relâchement de son effort

C’est la deuxième loi de Petersen tout système tendu tend à se détendre.

Il y a deux mécanismes de compensation le contrôle et la stimulation

Si ces mécanismes ne jouent pas

Bess

Et moi

Est-ce que je ne t’ai pas toujours dit que tu te faisais des illusions sur Sidney ?

Ce Sydney n’a aucune valeur c’est un flatteur

Et un jouisseur il n’a pas de cœur ça me fait tant de peine pour Dorothy

Dorothy est si mignonne il lui faudra tellement de courage

Entichée comme elle est de son Sydney et ce Sydney finalement ne pense qu’à son plaisir y compris d’autres filles qu’il amène à la maison au vu et au su des enfants

Bob, tu les vois ? Et tu sais ce qu’ils font ? Dieu ne nous le pardonnera pas

Il ne te pardonnera pas de les laisser faire

La pauvre Dorothy a déjà fait deux dépressions nerveuses

Et regarde Nan

Nan est en train de vomir

Nan : Ne faites pas attention à moi Miss Lamb

Je fais le vide

J’ai décidé moi aussi d’essayer

Dès que ça ira mieux

Je me dis que papa aurait insisté

Finalement j’aurais obéi

Elle considère Pat qui tient une tranche de viande dans les mains

Pat est trop fatiguée pour manger

Il faut manger avant de tomber

Papa finissait toujours par me faire faire ce qu’il voulait ma volonté se dissolvait dans sa bouche mon analyste est étonné que mon identité psychique ait résisté

Il m’aimait d’un amour dévorant j’étais un aliment entre ses dents il me broyait me triturait

J’étais mastiquée, mâchée je me faisais engloutir de la tête aux pieds

Ca m’a fait un drôle d’effet quand dans le hublot je l’ai vu voltiger tournoyer de plus en plus petit dans le ciel puis se poser dans la neige

Se relever se mettre à marcher tituber tomber et puis rouler et puis plus rien

La petite Nan est morte à ce moment-là je suis devenue Nancy di Santo une femme

Qui ne se laissera jamais plus manger par personne

Tant qu’elle vivra mais si je meurs ici Mister Lamb

Bess

Ils ne disent pas un mot là-bas

Tu les vois

Ou bien c’est que moi

La honte les étouffe

Ils se mettent dans l’estomac

Je ne sais pas s’ils ont découpé Billy ou bien Jimmy c’est sans doute Billy une partie de Billy je n’ose pas penser à la partie qu’ils ont choisie et toi tu parles de la loi Petersen

Quand ces deux-là seront terminés ils iront chercher Joe

Un collègue à eux du même rang qu’eux Joe

Bob

Son papa

Bess cette génération m’étonne Nan a-t-elle pleuré une seule fois ?

Joe avait une façon de prendre les choses

Au retour il y aura tellement à faire tu me rappelleras de téléphoner à Donald

Personne n’est irremplaçable et en même temps j’ai du mal à m’imaginer Housies sans Joe

Et le Benjamin Franklin Country Club sans Joe ça ne sera plus tout à fait le Benjamin Franklin Country Club

Un des cinq ou six meilleurs golfeurs

Et à la patinoire un as

C’était quelque chose le samedi soir sur la terrasse avant le dîner lui et Jenny

De les voir évoluer

 

 

 

 

Lecture analytique de l'exposition de l'Ordinaire

Michel Vinaver, l’Ordinaire, 2002

L’intérieur de la cabine de l’avion. Bess, Bob, Dick et Joe, autour d’une table, jouent aux cartes. Pat, à une autre table, tape à la machine. Su une couchette, Ed dort. Sur une autre couchette, Sue allongée, lit un magazine, la tête sur les genoux de Jack, assis dans l’angle. Nan se fait les ongles de pieds. Jim, par intermittence, va et vient entre la cabine et le poste de pilotage.

Sue – C’est fini Jack

C’est la fin de notre histoire

Jack – Mais Santiago est une ville sinistre

Sue – J’aimerais que tu ne reviennes pas encore une fois là-dessus.

Dans le fond toi aussi tu sais que c’est fini

Jack – Tu ne m’aimes plus ?

Sue – Non

Toi non plus

On a conclu ça avant de partir

C’était bien

Maintenant tu essaies de tout réouvrir

Jack – Santiago est une ville où il n’y a rien

Je ne peux pas t’abandonner à Santiago

Je te ramène à Seattle de Seattle tu iras où tu voudras je te paierai le voyage pour où tu voudras en attendant tu réfléchiras

Sue- Tu ne m’abandonnes pas

C’est moi qui me taille mais pour que tu te mettes ça dans la tête

Jack – Il n’y a absolument rien à Santiago tu aurais dû rester à Rio

J’oublie que tu n’as pas aimé Rio

Sue- Je ne cherche pas les beautés touristiques

Jack - Tu aurais pu rester à Buenos Aires

A Buenos Aires il se passe des choses

Sue – Je veux un endroit quelconque Jack où tu ne seras pas

Pat s’est levée, a déposé un baiser sur la bouche entrouverte de Ed, qui ronfle légèrement. Ed tressaille, Pat part d’un bruyant éclat de rire.

Ah merde Pat

Dormir ça fait partie des droits de l’homme

Pat- Mais oui mais oui

Ed- Ne pas être dérangé quand on dort

C’est un droit de l’homme

Pat- mais oui

La finance et le sommeil

Un oiseau

Sue – Oh Jack

Pat – S’est posé sur tes lèvres l’as-tu senti ?

Pas de réponse

Quand il ne compte pas il dort

Quand il ne dort pas il compte

Peut-être même compte-t-il en dormant

Comptes-tu Ed ?

Je compte pour toi ?

Etude de l'exposition de l'Ordinaire

Voici l'exposition de la pièce L'Ordinaire de Michel Vinaver. A vous d'échanger entre vous pour interpréter notre premier texte de l'année. 

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