Réécritures : cours d’introduction

 

« Rien de plus original, rien de plus soi que de se nourrir des autres. Le lion est fait de moutons assimilés ». Paul Valéry, Tel Quel.

  1. Toute écriture est réécriture : il n’y a pas de mythe d’inspiration créatrice
  1. Une culture commune. Toute œuvre littéraire se fonde sur une culture ancrée en chacun, et qui remonte aux premiers textes oraux ou écrits. La scène de repas par exemple est un des topoï romanesques, par les enjeux humains, culturels voire psychanalytiques qu’elle recouvre. Voir le repas dans l’Odyssée et celui dans L’assommoir, et ce qu’ils disent de l’homme.
  2. Un matériau commun. Toute œuvre littéraire se fonde sur le travail d’un même matériau : la langue, le mot, la lettre. Ecrire, c’est renouveler ce travail de la langue, soit en rivalisant dans la technicité (la poésie, la versification, le sonnet), soit en réinventant, en cassant les codes. Mais pour casser les codes, encore faut-il les connaître, les maîtriser. Voir Apollinaire, la Colombe poignardée, qui reprend les codes du sonnet dans le calligramme.
  3. La littérature parle toujours d’elle-même. Ecrire, c’est aussi et toujours parler de l’écriture, parler de la littérature. La poésie, là encore, parle toujours d’elle-même. Elle est toujours réécriture, en ce que chaque auteur réécrit inlassablement la difficulté d’écrire, ou la nécessité. Voir Ronsard et l’immortalité par l’écriture poétique, ou Saint Amant, et la panne d’inspiration.
  1. Des formes diverses de réécriture
  1. Le travail de correction, d’auto correction. Modifications appelées « variantes » ou « repentirs ». Dans des cas extrêmes : réécriture de l’œuvre complète. Ex : Flaubert, l’Education Sentimentale.
  2. Les effets de reprise
  1. La citation. Signalée par des guillemets, des italiques. Argument d’autorité, fonction esthétique, ornementale, base de réflexion (Bossuet), mise en exergue au début d’un roman : proposition de lecture, guide.
  2. Le plagiat. Citation volontairement dissimulée jusqu’à reprise exacte d’une intrigue romanesque. Juridiquement condamnée, mais également jeu chez les auteurs modernes. Ex : Un beau début
  3. L’allusion littéraire. Complicité entre auteur et lecteur dont on sollicite la mémoire, la culture.
  4. Variation autour d’un mythe ou d’un topos. Histoire dont le sens se situe toujours au-delà de l’histoire racontée, symbole. Adaptable, toujours semblable, susceptible de nombreuses reprises.
  5. Adaptation. Transposition dans un genre différent : Alexandre Dumas adapte au théâtre son propre roman, La Dame aux  camélias, qui devient un drame romantique en cinq actes. Jean Cocteau : écrit une pièce sur le mythe d’Orphée en 1926 puis deux films : Orphée et Le Testament d’Orphée.
  1. La transposition.
  1. Contexte nouveau : modification du lieu, de l’époque, du comportement des personnages, du statut social. Cf Les Choses, Perec ; Un si beau début ; Meursault contre enquête.
  2. Registre différent : choix lexicaux, grammaticaux, rhétoriques
  1. Le détournement du texte
  1. Le pastiche. Italien pasticcio « pâté », « mélange ». Imitation du style d’un auteur en amplifiant ses caractéristiques initiales. Hommage et jeu avec le lecteur.
  2. La parodie. Grec parodia « contre-chant ». Antiquité : détourner l’épopée à des fins comiques : Virgile travesti de Scarron. Au sens plus large : reprise d’une œuvre célèbre dans une intention comique ou satirique.
  1. Les jeux d’écriture au XXème siècle

Oulipo fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais. Procédés permettant de créer un nouveau texte. Idée de contrainte littéraire dans la littérature. Opération de réécriture :

  1. Suppression. Lipogramme.
  2. Substitution. S + 7 par exemple.
  3. Déplacement. Permutation des substantifs d’un texte, suivant différentes règles.
  4. Expansion. Ajouter de mots ou phrases ou paragraphes. Remplacer chaque mot d’une phrase par sa définition (Littérature définitionnelle)

 

  1. Les limites de la transposition
  1. Une certaine paresse intellectuelle. La réécriture serait-elle aussi le signe d’une impossibilité de la création ? Il y aurait une forme de paresse dans le fait de puiser à la source d’un autre, parfois dans une transposition presque exacte (certaines fables de La Fontaine qui sont directement inspirée d’Esope ou de Phèdre au point d’en reprendre la structure presque exacte), parfois dans un prolongement peu pertinent (Mademoiselle Bovary de Raymond Jean ; le retour de Bouvard et Pécuchet
  2. Modernisation et affaiblissement. Réécrire peut avoir pour but de reprendre un texte démodé, dépassé : il y a des modes en littérature comme en tout. Mais peut-on réellement moderniser une œuvre ? N’y perd-elle pas tout son sens ? Toute œuvre d’art est inscrite dans une époque, dans une tradition donnée. Moderniser L’Enéide, cela n’a aucun sens : il faut plutôt donner les moyens au lecteur de la lire avec le point de vue d’aujourd’hui.
  3. Le danger de l’idéologie plaquée. Paul Valéry utilise la métaphore du « Lion » et des « moutons ». Mais on peut la lire de manière symbolique : le « lion », dans sa violence, se nourrit des autres et pas toujours de manière sympathique, penser au lion et à l’agneau de La Fontaine. Le risque est que « la raison du plus fort » l’emporte, idéologiquement : on peut réécrire une œuvre pour l’inscrire dans une idéologie politique qui était absente à l’origine. Voir par exemple Antigone, d’Anouilh, ou La Machine infernale de Cocteau. Le danger est dans la perversion du modèle original, le fait de l’utiliser, de le détourner de ses fonctions initiales.

« . Pas d’autorité de l’auteur. Quoi qu’il ait , il a écrit ce qu’il a écrit. Une fois publié, un texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens : il n’est pas sûr que le constructeur en use mieux qu’un autre » (Cimetière marin, , I, Paul Valéry)

 

  1. L’originalité paradoxale 
  1. Rendre hommage. L’écriture part souvent du choc de la rencontre avec un auteur : voir Victor Hugo, qui voulait être « Chateaubriand ou rien », voir Maupassant, lecteur de Flaubert, qui réécrit constamment ses œuvres (dans Une Vie, la description de Jeanne à la fenêtre). La réécriture peut donc être l’hommage au déclencheur de l’écriture, un témoignage de l’admiration ultime portée au « maître ». Voir Queneau, qui réécrit Ronsard dans « Si tu savais… ».
  2. La complicité avec le lecteur. Toute réécriture est forcément fondée sur un aspect ludique, un jeu savant, qui nécessité une complicité totale avec le lecteur : l’auteur s’inspire d’un classique, au lecteur de repérer l’intertextualité et d’en jouir, comme d’un secret partagé. L’originalité dont parle Valéry est peut-être là, dans ce sens ajouté, cette plus-value, qui est dans ce qui se tisse entre le lecteur et l’auteur.
  3. Réécrire, c’est lire. L’acte de lecture, pour Roland Barthes, est acte de création. Toute écriture est réécriture, parce qu’on écrit après avoir lu. Une réécriture, c’est une lecture critique, c’est faire œuvre de lecteur, et en cela, toute œuvre est une réécriture. D’où la phrase de Valéry : « Rien de plus soi que de se nourrir des autres ». Il faut accepter que l’écrivain est une sorte de « somme » de tous les autres écrivains, par une innutrition consciente ou inconsciente. « Je est un autre », dit Rimbaud, mais l’auteur est le lecteur sont pourtant semblables : « Ah ! insensé qui croit que je ne suis pas toi ! ».