1. Aux sources du Symbolisme

Que veut-dire Symbolisme ? Si l’on tient au sens étroit et étymologique presque rien ; si l’on passe outre, cela peut vouloir dire : individualisme en littérature, liberté de l’art, abandon des formules enseignées, tendance vers ce qui est nouveau, étrange et même bizarre ; cela peut vouloir dire aussi idéalisme, dédain de l’anecdote sociale, antinaturalisme.

Rémy de Gourmont, Le Livre des masques, Mercure de France, 1896

Il faut tout d’abord, pour comprendre le mouvement, revenir à l’étymologie de ce terme : le symbolon grec décrit un objet coupé en deux parties qui visent à être réunies. On peut prendre l’image d’un médaillon coupé en deux de manière irrégulière, ses parties étant données à deux personnes qui ne se connaissent pas. Leur réunion se fera grâce à l’objet, sorte de marque de reconnaissance. De là naît l’idée d’analogie tout d’abord, puisque derrière le symbole concret se lit une reconnaissance abstraite, et l’idée d’un lien crypté, qui nécessite une connaissance particulière. On retrouve alors un des sens premiers du symbolisme : la conception d’un monde crypté, d’une poésie également codée, que le lecteur doit déchiffrer pour la comprendre et accéder à une révélation supérieure.

Comme tous les mouvements littéraires et culturels, le symbolisme naît par l’opposition aux mouvements littéraires précédents (« antinaturalisme », mais également anti Parnasse), et est l’aboutissement d’un mouvement précédent, la Décadence. On a vu dans les séances précédentes combien la défaite de 1870 et, surtout, l’épisode sanglant de la Commune parisienne ont marqué Arthur Rimbaud. Il faut imaginer ce choc à une échelle plus large, qui englobe toute la jeunesse parisienne lettrée et le monde artistique plus largement encore. Les poètes se retrouvent alors dans une même volonté de contestation radicale face au pouvoir et à la littérature de l’époque, et de nombreux mouvements provocateurs aux noms explicites se forment alors, tels les Fumistes, les Jemenfoutistes, les Hydropathes ou encore le mouvement des Zutistes, de Charles Cros, auquel Verlaine se rallie et qu’Arthur Rimbaud rejoint lors de sa fugue parisienne. Les poètes et artistes se réunissent le plus souvent au Chat Noir, à Montmartre, et, dans des soirées marquées par l’alcool et la cigarette, improvisent des joutes poétiques, échangent leurs textes, écrivent à plusieurs mains. On retrouve dans L’Album Zutique de Verlaine et Rimbaud toute l’essence de cette effervescence et d’une provocation outrancière et humoristique. Comme tous les mouvements principalement fondés sur une attitude nihiliste, celui des Décadents ne dure guère, et trouvera dans le Symbolisme une postérité plus créatrice.

 

  1. Un mouvement aux contours peu définis

Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée rieuse ou altière, l’absente de tous bouquets.

Stéphane Mallarmé, Avant-dire au Traité du Verbe, 1886

 

C’est Jean Moréas qui, en 1866, définit le Symbolisme dans un Manifeste littéraire adressé au Figaro, mais le texte théorique le plus célèbre du mouvement reste l’Avant-dire de Stéphane Mallarmé, qui précède le Traité du Verbe de René Ghil. On peut tenter d’esquisser les lignes de force du Symbolisme, en reprenant cette citation de Mallarmé, et la définition de Rémy de Gourmont :

  • « Liberté de l’art ». La recherche formelle des symbolistes les conduit à refuser les règles strictes de la versification codifiée. Verlaine, dans son art poétique, écrit « De la musique avant toute chose », et cette musique nouvelle de la poésie passe par l’abandon progressif du vers classique, pour aller vers le vers libre, qui sera largement utilisé par Rimbaud dans les recueils postérieurs aux Cahiers de Douai.
  • « L’absente de tous bouquets ». Il faut « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », selon Mallarmé. Les poètes symbolistes s’intéressent d’une manière neuve aux mots : leur signification devient moins importante que leur force évocatrice, liée, par exemple, aux sentiments provoqués par leur sonorité. On relèvera dans la citation de Mallarmé l’importance de l’adverbe « musicalement » : l’idée doit être musique.
  • « Dédain de l’anecdote sociale ». Les poètes symbolistes, dans un refus de la bourgeoisie que l’on a déjà étudié chez Rimbaud dans les séances précédentes, s’éloignent de la trivialité du monde réel. Les sujets sont d’ordre mystique, reprennent les légendes médiévales, voire s’éloignent vers des questions d’ordre métaphysique. Le refus de la platitude de la société trouve son expression la plus emblématique dans l’œuvre de Huysmans A Rebours, et Des Esseintes est l’icône de ce dandy fin de siècle qui se réfugie dans un esthétisme total.
  • « Tendance vers ce qui est nouveau, étrange et même bizarre ». Le cumul des exigences poétiques, formelles ou sémantiques, abouti alors à ce « bizarre », caractéristique du Symbolisme. On retrouve alors l’étymologie même du terme dans l’hermétisme des œuvres poétiques qui, parce qu’elles donnent à lire un monde crypté et mystérieux, sont parfois indéchiffrables. On pense alors au « Sonnet en yx » de Mallarmé, au sujet duquel son auteur lui-même écrit : « Le sens, s’il y en a un (mais je me consolerais du contraire) ». On retrouve alors les termes de la lettre dite du « Voyant » de Rimbaud : « Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ».

 

  1. Vers le déclin

L’apogée du symbolisme a lieu entre 1880 et 1890, et s’étend alors vers d’autres arts que la poésie, jusque là moyen d’expression privilégié de ce mouvement. Les nouvelles fantastiques de Villiers de L’Isle-Adam, celles d’Edgar Alan Poe ou de Barbey d’Aurevilly prolongent ce mouvement poétique en retrouvant les caractéristiques littéraires d’un de ses prédécesseurs, Gérard de Nerval. L’onirisme, le médiéval, le gothique se joignent dans une écriture poétique du secret. La musique et la peinture sont également touchées par cet esthétisme, comme on l’a étudié dans les séances précédentes avec la Naissance de Vénus d’Odilon Redon, ou encore la Danse Macabre de Camille Saint-Saëns.

Mais le tournant du siècle voit apparaître d’autres préoccupations sociales et politiques, dans le spectre de la première guerre mondiale, les grandes affaires judiciaires, et la découverte de sciences nouvelles comme la psychanalyse. Les thèmes principaux trouveront cependant un écho dans les nouvelles écoles littéraires du XXe siècle, tels le mouvement Dada et, surtout, le Surréalisme.